Rémy Oudghiri, Déconnectez-vous ! Arléa, mars 2013, lu par Patricia Doukhan
Par Romain Couderc le 14 juin 2013, 06:00 - Éthique - Lien permanent
Rémy Oudghiri, Déconnectez-vous ! Arléa, mars 2013, 208 pages.
Nous faisons tous le constat de l'essor exponentiel des nouvelles technologies de l'information et de la communication. En une quinzaine d'années, nous sommes passés des simples téléphones aux smartphones dont l'"intelligence" engendre, selon Rémy Oudghiri le danger de l'intrusion permanente dans l'intimité du sujet jusqu'au risque d'une perte d'identité ; mais aussi une disponibilité de tous les instants à l'égard d'un flux d'informations permanent venant du monde entier... ou du bureau. Les NTIC vont nécessairement se développer, comment ne pas en être dépendant et savoir les maîtriser?
La première partie dresse un constat : nous vivons à l'ère de la connexion généralisée. Grâce à celle-ci, comme son étymologie l'indique, cum-necterer, nous enlaçons, nouons, lions. Les quatre fonctions ( 1-trouver une chose, une personne ou un lieu, 2-s'identifier, s'enregistrer, 3-acheter et 4-se divertir) ont pour objectif de nous faire gagner du temps. Et Rémy Oudghiri dénonce l'illusion naïve qui préside à cette croyance. Et de relever la difficulté de ne pas répondre à la sommation exercée par un SMS ou un mail. Les effets pervers sont là : inattention au présent, difficulté de concentration, superficialité, perte d'une mémoire humaine au profit de celle que nous avons dans la poche etc.
Le deuxième chapitre justifie le titre : "Déconnectez-vous : naissance d'un mouvement". Le projet étant de reprendre le contrôle de l'usage excessif des NTIC, des figures aussi différentes que Susan Maushart, Thierry Crouzet, Sylvain Tesson ou Pascal Quinard sont présentées dans leur période de désintoxication ou de purge face à ce qui est maintenant devenu pour beaucoup une addiction. A l'appui de ces descriptions, l'ouvrage fourmille de mises en garde et conseils de penseurs comme Todorov, Taniguchi, Nietzsche, Thomas Mann, Ionesco, Haenel, Gontcharov, Jean Grenier etc.
Le troisième chapitre ancre cette pratique de la déconnexion dans une tradition philosophique ancienne et revendique son caractère intemporel. Le tetrapharmakon de Rémy Oudghiri est composé de : 1 - Sénèque et l'oisiveté studieuse, 2 - Rêver avec Rousseau, 3 - La vie simplifié de Henry David Thoreau et 4 - L'art de l'interruption selon Hermann Hesse.
Enfin le dernier chapitre dresse une liste de recommandations afin d'aider le lecteur à "Rester soi-même". Les préceptes comme "Savoir inventer de nouvelles règles de savoir-vivre", "savoir prendre du recul", "Réintroduire la dimension humaine" et l'amusant "être là sans y être" s'appuient également sur des penseurs contemporains mais aussi classiques : Valéry, Sloterdijk, Bossuet, Pascal, Mme de Sévigné, saint François de Sales et le chevalier de Méré.
La conclusion se place sous le signe de Goethe : "N'oublie pas de vivre". Derrière la menace des nouvelles technologies, c'est bien une réflexion classique que reprend à son compte Rémy Oudghiri. Comment être soi-même dans ce monde post-moderne ? C'est aussi comment se soucier de son âme, être attentif à soi mais également à ses proches, retrouver la convivialité et les mille détails de la vie qui en font la richesse et s'évanouiraient pour qui ne serait occupé qu'à défier Chronos.
Si la question de la déconnexion est dans l'ère du temps, l'originalité de la réflexion de R. Oudghiri réside dans le passage de l'analyse des sondages d'opinion, qu'il connaît bien, à l'ancrage philosophique d'une réflexion sur ce qu'est être soi-même, ne pas se perdre dans les sollicitations du monde, en un mot, ne pas être le spectateur de sa vie mais en être l'acteur.
Patricia Doukhan