Thierry Ménissier, Machiavel. Ombres et lumières du politique, Ellipses 2017, lu par Éric Delassus

Thierry Ménissier, Machiavel. Ombres et lumières du politique, Éditions Ellipses 2017, lu par Éric Delassus.

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Si cet ouvrage de T. Ménissier peut apparaître comme une introduction à la lecture de Machiavel, il ne s’y réduit pas. Composé d’une analyse et d’une présentation des principales idées qui traversent cette œuvre, ainsi que d’un corpus de textes auxquels l’auteur renvoie régulièrement, puis d’un glossaire, son objectif principal, son titre l’indique, est d’interroger le paradoxe qui traverse l’œuvre de Machiavel et qui tient en ce que tout en éclairant les relations entre les hommes, elle les assombrit au point que leur intelligibilité semble parfois nous échapper.

Contexte

En présentant le contexte historique dans lequel Machiavel a exercé ses fonctions et rédigé son œuvre, T. Ménissier souligne le paradoxe lié à l’apparition dès le XVIe siècle de l’adjectif « machiavélique » pour désigner une pensée aux fondements de la politique moderne.

Patriote florentin, Machiavel exercera d’importantes fonctions politiques et diplomatiques dans la République jusqu’au retour des Médicis, jouant un rôle majeur dans les prises de décision et leur application, acquérant ainsi une expérience politique lui permettant d’appréhender les relations humaines en termes de rapport de force. Couplant toujours action et réflexion, nourri précocement auprès des historiens latins et de Lucrèce, il usera de son intelligence pour expliquer histoire et politique selon des processus matériels et le jeu des passions.

Tombé en disgrâce à la chute de la République en 1512, il se retire pour rédiger son œuvre et relire les anciens. Cette retraite donnera Le Prince, destiné à Laurent de Médicis et consacré aux principautés, et Les discours sur la première décade de Tite-Live qui consistent en une réflexion sur les républiques anciennes et modernes. Son art d’écrire, qui fait cohabiter ombre et lumière, lui permet d’exprimer de façon dissimulée ses convictions républicaines. Aussi, T. Ménissier nous conseille-t-il de ne pas croire que Machiavel adhère à tout ce qu’il écrit. Il s’inscrit, comme Dante, dans la tradition de l’humanisme civique. Contemporain de Savonarole, il portera sur lui un jugement ambigu dans Le Prince.

La fin de sa vie est marquée par la déception, car son retour en grâce n’a pas lieu et l’Italie n’est pas libérée de la domination étrangère. Toujours entre ombre et lumière, Machiavel meurt en 1527 affirmant qu’il préfère suivre les damnés en enfer que les vertueux au paradis.

Parcours en pensée

Chapitre I

La rationalité du conseil

Bien que considéré comme le fondateur de la science politique moderne, T. Ménissier souligne en quoi Machiavel s’y oppose par l’inversion qu’il fait subir au rapport entre théorie et pratique. Loin de la méthode géométrique qu’utilisera Hobbes, il fait essentiellement reposer ses réflexions sur son expérience, inaugurant ainsi une « épistémologie du conseil » ouverte sur l’altérité et la confrontation à l’imprévisible. En conséquence, ses jugements, bien que relatifs, ne sont pas sans portée universelle et se caractérisent par le réalisme et l’amoralisme. Machiavel met tout son art d’écrire au service de sa méthode. Le recours à ce que T. Ménissier nomme des « tours logiques » permet ainsi de procéder à une mise en forme synthétique de la diversité des réalités politiques. Ainsi en va-t-il de la redéfinition du vocabulaire politique et du recours à la disjonction qui permet d’envisager toutes les situations possibles : une principauté peut être héritée ou nouvelle, si elle est nouvelle, elle l’est entièrement ou ajoutée à un Etat constitué, et ainsi de suite. Sont ainsi décrites de nombreuses possibilités tirées de l’expérience et prêtes à être examinées et élucidée, donnant lieu à certaines prescriptions.

Dans une perspective utilitariste, Machiavel s’efforce d’aboutir à une connaissance efficace. Il s’agit toujours de tirer des règles de l’expérience et non de produire une axiologie a priori. T. Ménissier montre donc comment émerge de ce travail une rationalité du politique. Y est qualifié de raisonnable ce qui se trouve confirmé par la tradition politique et l’expérience vécue. La règle se dégage donc d’une connaissance de la nature humaine et des passions provenant de deux sources empiriques : la lecture des anciens et l’action. Se constitue ainsi, non une science, mais ce que T. Ménissier qualifie d’« art du conseil politique » évoquant la phronesis des anciens et la prudence des modernes. Art infléchi par un souci d’efficacité qui s’éloigne de l’idéal moral et s’oriente vers la sophistique et par une pratique visant la prise et la conservation du pouvoir en usant d’une prudence tenant compte des singularités et s’inspirant des procédés de la médecine antique.

Chapitre 2

A la recherche de la vertu pour réinventer l’autorité

La question de l’autorité et de sa réinvention apparaît à T. Ménissier comme se situant au cœur de sa pensée. T. Ménissier n’hésite d’ailleurs pas à faire entrer en résonnance la réflexion machiavélienne et la pensée d’H. Arendt pour qui l’autorité a disparu du monde moderne pour donner naissance au totalitarisme, ou pour être remplacée, dans les sociétés démocratiques qui se sont construite contre elle, par une légitimité qui ne peut s’obtenir que sur fond de contestation.

T. Ménissier perçoit, dans la pensée de Machiavel, une anticipation du diagnostic d’H. Arendt à propos de la question de la vertu qui doit compenser une structure politique n’assurant plus la stabilité. La vertu dont parle Machiavel consistant en une disposition personnelle et un comportement interindividuel susceptibles de faire naître chez ses concitoyens le goût de défendre leur patrie. En ce sens Machiavel serait plus républicain que libéral dans la mesure où la vertu, plus que les règles et les contrats, est posée comme base des relations politiques. Néanmoins, la pensée politique de Machiavel est moderne en tant qu’elle revendique l’égalité entre humains et considère les distinctions sociales comme des constructions sociales. Il ne s’agit cependant pas de supprimer ces inégalités, mais d’équilibrer les tensions qu’elles engendrent, ce qui est le propre du bon souverain.

L’autorité du leader s’évalue donc à sa capacité à assumer les rapports de force et, comme le montre l’exemple de César Borgia, l’art politique consiste ici en ce que T. Ménissier qualifie d’économie de la violence mise au service des intérêts de l’Etat. Le rapport entre vice et vertu s’en trouve d’autant plus complexe que l’utilisation de moyens, que la morale réprouve, peut servir une morale politique supérieure. L’homme politique doit donc savoir jouer avec les affects et les apparences et si le prince ne peut faire preuve de certaines qualités morales, il doit en produire les signes, non par pure hypocrisie, mais parce que le courage politique consiste à savoir employer des moyens éthiquement condamnables, car le prince a le devoir de donner au peuple l’image que ce dernier attend de lui. Savoir gouverner, c’est aussi savoir prendre en considération les affects primaires, afin de bâtir une communauté affective fondatrice de bonnes relations politiques. L’exercice du pouvoir met donc en tension le courage politique et les vertus de la morale commune, le meilleur gouvernement et les affects primaires, ainsi que la réalité du pouvoir et le jeu des apparences. Ces tensions, bien qu’historiquement situées entre la fin de la féodalité et les débuts de la dynamique qui aboutira à la démocratie, n’en sont pas moins perçues par T. Ménissier comme intemporelles dans la mesure où l’autorité, produite socialement et historiquement, n’est jamais dépassée par la construction d’un Etat rationnel. La relation du leader politique et de ceux qui le reconnaissent, en tant qu’elle repose sur les affects qu’il suscite en eux, constitue la chair même du politique.

Chapitre 3

Les tumultes de la République

Machiavel manifeste un grand attachement à la république qui est pour lui le régime à l’intérieur duquel il y a plus de vie et qui peut créer les conditions d’un gouvernement libre. Ce régime, qu’il a personnellement expérimenté et qui fut effectif à Rome, consiste en la participation d’une partie importante de la population à un ordre collectif favorisant la liberté publique, c’est-à-dire la capacité d’une cité à engendrer sa loi fondamentale. Vue sous cet angle la pensée de Machiavel apparaît donc comme une réflexion sur la compétence du peuple à agir comme sujet politique.

La conception de la liberté qui s’en dégage est donc non-individualiste, mais concerne la participation civique et les deux principaux ouvrages de Machiavel constituent un examen de la citoyenneté et de ses différentes significations. Cette enquête sur les modes concrets de la citoyenneté influencera aussi bien Montesquieu que les pères de la constitution américaine et s’inscrira dans une tradition républicaine qui, loin de s’appuyer sur le droit naturel et le contrat, se fonde sur l’attachement des individus à leur communauté civique. Cet attachement est au cœur de la conception machiavélienne de l’égalité qui n’a rien à voir avec l’égalitarisme, mais réside dans le devoir de chacun de défendre sa patrie. C’est pourquoi la réflexion de Machiavel sur la question du rapport entre les hommes et les instituions s’attache à définir les moyens d’enrayer la corruption qui consiste dans la captation de l’Etat au profit d’une volonté particulière. Dans la mesure où le peuple fait preuve de discernement dans le choix de ses chefs, la république est plus apte à durer que les autres régimes.

Néanmoins, la république ne met pas fin aux tensions sociales. Le corps social est envisagé selon une métaphore empruntée à la médecine hippocratique comme un vivant composé d’humeurs discordantes qu’il faut équilibrer. Ainsi, la concorde n’est pas l’objectif de l’art politique dans une république, mais il s’agit plutôt d’organiser les tumultes dans le but de préserver la liberté face aux obstacles externes ou internes qui peuvent s’opposer à elle. La république s’inscrit donc dans un processus d’intégration difficile et paradoxal accompagné par des dirigeants qui, sans être tyrannique, usent avec excellence de leur autorité pour maintenir l’équilibre entre les différentes forces en tension.

Chapitre 4

Reconsidérer l’histoire

La pensée de Machiavel, en s’ancrant dans le temps présent, tout en se référant aux personnes du passé, se situe au carrefour de la science historique et de la théorie politique. L’originalité de Machiavel tient en ce qu’il s’éloigne des idées platoniciennes et de l’ontologie aristotélicienne, mais ne s’oriente pas non plus vers le rationalisme moderne inspiré des méthodes physico-mathématiques. Plus proche de Montesquieu ou Tocqueville que de Hobbes. Il s’inscrirait donc, selon T. Ménissier, dans une lignée qui sera celle d’H. Arendt qui reprend le mot de Tocqueville pour qui « le passé n’éclairant plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres ».

Machiavel s’inspire des historiens anciens pour faire fructifier l’expérience vécue et nourrir l’inventivité. « Le travail de l’imagination nourrit le réalisme » et permet d’appréhender les situations politiques selon les regards des divers protagonistes pour en construire une perception globale et résoudre le problème de la pérennité de l’Etat dont il faut penser la fondation dans l’urgence et l’action dans la durée. Le paradoxe de la république tient en ce qu’il faut la faire durer par des institutions qui intègrent les accidents.

La réflexion de Machiavel repose sur trois piliers :

- le temps concourt à la dynamique générale du monde ;

- nul ne peut contrer l’usure imposée par son cours ;

- l’histoire obéit à certaines logiques cycliques.

Ce dernier point se retrouve dans la thématique du cycle des régimes empruntée aux anciens.

Si le hasard donne initialement naissance aux formes de régime, c’est ensuite le jeu des passions humaines et l’affaiblissement des vertus nécessaires au bon fonctionnement du régime qui conduisent à sa corruption, jusqu’au moment où un autre régime le remplace qui sera lui-même victime du même processus. Machiavel ne prétend pas mettre fin à un tel cycle, mais a pour projet d’en ralentir le cours en stimulant les vertus par un encadrement de la conflictualité inhérente au corps politique. On retrouve ici la thématique de l’ombre et de la lumière chère à T. Ménissier, car le remède peut être plus dangereux que le mal et la question se pose de savoir en quoi un conflit peut-il être plus favorable qu’un autre ? Cela explique l’importance accordée par Machiavel à l’étude des relations entre le peuple et ses dirigeants, ainsi que sa défense de la dictature (au sens romain du terme) lorsque l’épuisement collectif nécessite que le peuple se ressource à partir de l’énergie d’un seul. La pensée politique de Machiavel souligne le caractère bénéfique des crises qui stimulent la vivacité du corps social. Des réflexions de Machiavel se dégage l’idée que la puissance du peuple ne peut être déterminée que par une vertu éclairée. Machiavel médite sur l’action du temps en politique et sur la nature des causes qui entraînent la dégradation des régimes - terme qu’il faut prendre au sens politique et médical et qui donne lieu à une spéculation sur la nature.

Chapitre 5

Philosophie naturelle et métaphysique tragique

Toute la pensée de Machiavel est une interrogation sur l’entropie des systèmes naturels et artificiels. La question est donc de savoir si la philosophie de la nature qu’induit cette réflexion s’inscrit dans la pensée cosmologique de la Renaissance ou relève d’une interprétation existentialiste du rapport entre vertu et fortune.

Certaines interprétations voient dans la pensée de Machiavel une vision naturaliste percevant l’homme comme un microcosme à l’intérieur d’un macrocosme. Une interprétation astrologique ne lui est donc pas étrangère et prend en compte l’influence du ciel sur le cours des choses, influence dont l’observation politique n’a pas la connaissance. On pourrait donc voir dans cette œuvre un certain fatalisme.

La notion de fortune est l’héritière d’une double tradition, de l’antiquité d’une part et d’autre part des modernes, principalement qui désignait ainsi le risque que leur calcul doit prévoir. Chez Machiavel, ce terme désigne le hasard, mais aussi une action plus lourde et sourde sur les affaires humaines. Les affaires humaines sont tout d’abord présentées comme étant gouvernées par la fortune et par Dieu, ce qui, comme le fait justement remarquer T. Ménissier, laisse planer une ambiguïté dans la mesure où la question se pose de savoir si ces deux termes désignent un même être. Si c’était le cas, on se trouverait face à l’alliance curieuse du hasard inintentionnel et de l’intentionnalité divine. Sinon, cela signifierait que deux forces distinctes se partagent la direction et cela ouvrirait un double front impliquant de ménager une troisième voie entre les tenants de la philosophie naturelle et les docteurs en théologie.

Néanmoins, face à cette double puissance, il est faux de considérer que la liberté humaine n’existe pas. Si, du point de vue particulier, cela est vrai en raison de l’incapacité des hommes à changer de nature, cela ne l’est pas d’un point de vue général, car il est possible d’endiguer la fortune, comparée à un torrent, par une vertu ordonnée. C’est donc par la conjonction des institutions et de la vertu que la liberté humaine peut se manifester et agir sur la fortune. Machiavel en conclut que la fortune n’est responsable que de la moitié de nos actions et que, même dans certains cas particuliers, une « vertu excessive » peut, par sa puissance conjuguée à un hasard favorable, ouvrir un espace favorable à la liberté.

T. Ménissier souligne ici la complexité du dilemme entre l’ombre et la lumière qui sert de trame à ce livre. En effet, comment un tel naturalisme politique peut-il revendiquer l’action du hasard ? La connaissance de la logique passionnelle débouche-t-elle sur une sagesse pratique ? Que pouvons-nous espérer face à la nécessité de la nature et aux hasards de la fortune ?

La conception du rapport entre la nature et la fortune chez Machiavel rappelle le clinamen de Lucrèce. Ainsi est possible l’émergence du nouveau comme apparition de certaines anomalies dans l’ordre des choses. L’histoire évolue de manière cyclique, mais la question est de savoir comment briser le cercle. Comment innover malgré l’éternel retour de la nécessité ?

L’étude de la politique met en évidence la tension dans le temps humain entre l’attachement routinier au passé et la nécessité d’innover de façon radicale. Cette tension est au cœur du caractère tragique de la situation humaine dans l’histoire :

- le temps nous épuise et nous éloigne de nous-mêmes ;

- il y a, dans tout commencement, une force qu’il faut utiliser avec art au moment opportun ;

- l’innovation implique le risque, mais est le moyen d’une refondation permettant une réidentification collective, tourmentée et contradictoire ;

- l’incompréhension entre les humains qui ne perçoivent pas toujours le sens de la formule selon laquelle « pour que tout continue, il faut d’abord que tout change ».

Chapitre 6

Morale et religion : la portée normative de l’œuvre machiavélienne

Y a-t-il une dimension morale dans la pensée de Machiavel ? Comment distinguer le bien du mal dans une pensée qui définit la vertu comme une disposition à s’adapter aux caprices de la fortune ? Il s’agit donc à nouveau de bien comprendre ce qui émerge du jeu d’ombre et de lumière qui caractérise la pensée machiavélienne.

La question est d’autant plus difficile que Machiavel va jusqu’à invoquer Dieu dans la justification du recours au mal, non pour en faire l’auteur, mais plutôt pour en faire le complice de ceux qui y recourt pour le bien de l’Etat. Bien et mal se trouvent donc inextricablement mêlés au point de brouiller tous nos repères habituels. Doit-on pour cela considérer le machiavélisme comme un moment dans la mise en place de ce que Foucault nomme des « techniques de gouvernement » ?

Contre cette approche, T. Ménissier propose d’interpréter sa pensée comme une « méditation sur le mal » envisagé sous ses aspects multiples et selon trois traitements différents et irréductibles les uns aux autres :

- une conception utilitariste du mal ;

- une naturalisation du mal en affirmant que tout législateur doit supposer les hommes méchants ;

- un effacement de la différence entre mal moral et mal physique, les hommes sont des fléaux au même titre que les tempêtes ou les séismes.

Pourtant, Machiavel ne tombe pas totalement dans l’amoralisme et semble vouloir maintenir le sens de la distinction entre le bien et le mal. De plus, si le mal est un effet de la faiblesse humaine, Machiavel souligne également la faiblesse de ceux qui hésite à y recourir, les hommes sont médiocres dans leur faiblesse même. On aboutit ainsi à une vision terrifiante de l’action politique dans laquelle le bien et le mal s’équilibrent.

La position de Machiavel relativement à la religion est également problématique, car, malgré sa réputation d’athée, il perçoit avant Spinoza, dans le Traité théologico-politique, les ressources politiques extraordinaires de la religion. Il reconnaît ainsi la valeur civique de la religion romaine ou le fait que la peur de Dieu rend sacrée la parole donnée. Ainsi, même s’il critique le christianisme qui a « efféminé et désarmé le ciel », il semble néanmoins croire qu’il est possible de l’interpréter selon la vertu et d’en faire une arme au service de la liberté nationale.

Derrière l’analyse politologique se dessine se dessine un projet éthique mettant au centre la vertu. Ainsi en va-t-il des vertus auxquelles fait appel L’art de la guerre. Certes la vertu implique parfois le recours au mal, mais le pire des maux est l’absence de vertu. Il s’agit donc de briser le cercle vicieux qui s’est établi entre les lois et les mœurs. Les mauvaises lois entraînent de mauvaises mœurs et les mauvaises mœurs ne disposent pas à changer les lois. La solution contre la corruption implique donc une pédagogie de rupture débouchant sur de nouvelles compétences politiques, ainsi qu’un nouveau rapport à la responsabilité reposant sur deux principes :

- apprendre de la fortune grâce à la connaissance de la nature et de l’histoire ;

- prendre en compte l’adversité qui nous contraint à faire face et à innover.

La vertu est un mouvement de retour à soi provoqué par l’altérité, une ouverture au monde et une acceptation du mouvement des choses.

Tout est à la fois ombre et lumière. Le but d’une confrontation n’est pas la victoire, mais la confrontation elle-même qui grandit ses participants.

Conclusion

Ce livre de T. Ménissier constitue donc une réflexion d’un grand intérêt sur la pensée machiavélienne dans la mesure où elle en fait ressortir toute la dimension philosophique et principalement la portée éthique. Loin de faire de Machiavel un simple technicien du politique et de l’art de prendre et conserver le pouvoir, l’étude de T. Ménissier nous montre, en parcourant les méandres d’une pensée qui nécessite que l’on navigue sans cesse entre l’ombre et la lumière, que la question morale est au cœur même de la pensée machiavélienne. S’ouvrent ainsi des perspectives fécondes pour nourrir la réflexion sur le rapport entre morale et politique. Il ne s’agit pas de les opposer ou de considérer qu’elles sont sans rapport, mais de problématiser l’existence d’une morale politique qui oblige parfois à transgresser la morale commune.

                                                                                                                                                                                                   Eric Delassus