Frédéric Joi, Mahomet était-il fou ?, Max Milo, 2012, lu par Jean Martin
Par Cyril Morana le 20 février 2013, 06:23 - Psychanalyse - Lien permanent
Frédéric Joi, Mahomet était-il fou ?, Max Milo, 2012.
Le problème central de l'ouvrage consiste à expliquer le succès des prophètes, par des causes naturelles, d’un point de vue athée. Pour le résoudre ici, l'auteur applique les outils d’investigation modernes (psychiatrie et psychanalyse en particulier) à une vaste documentation historique sur le fondateur de l’Islam, prenant en compte aussi bien le Coran que les Hadiths (la tradition concernant les actes de Mahomet).
How to explain the success of Prophet Muhammad from
a rational and atheist point of view? This essay written by Frédéric Joi, based
on a philosophical approach using Nietzsche’s genealogy, as well as psychiatric
and psychoanalytic interpretations, analyses Muhammad’s speech acts and actions
in order to investigate his hypothetical paranoid personality. Using a
humoristic, sometimes provocative but never blasphemous tone, this accessible essay
tries to account for the Prophet’s major influence on Arabic culture.
Ce livre propose une analyse philosophique et psychologique de Mahomet. Il adopte une perspective nietzschéo-freudienne. Son ton demeure neutre ou objectif, implicitement critique et polémique, faisant parfois preuve d’humour caustique, mais nullement insultant ou blasphématoire. L’auteur n’est pas dogmatique, il pose des hypothèses. Agrégé de philosophie et docteur en psychologie, il a publié, deux ans plus tôt, une analyse similaire sur Jésus. Son problème central consiste à expliquer le succès des prophètes, par des causes naturelles, d’un point de vue athée. Pour le résoudre ici, il applique les outils d’investigation modernes (psychiatrie et psychanalyse en particulier) à une vaste documentation historique sur le fondateur de l’Islam, prenant en compte aussi bien le Coran que les Hadiths (la tradition concernant les actes de Mahomet).
Frédéric Joi suit un fil limpide. Une vaste première partie (chapitres 1 à 5), de nature psychologique, relève les symptômes psychopathologiques de Mahomet à partir de ses faits et paroles, pour remonter à sa personnalité et ses mécanismes inconscients. Dans une deuxième partie (chapitre 6), proprement philosophique, il examine la valeur de vérité et la validité logique du système de Mahomet, sur les plans tant des idées que des actes, et de leur interaction. Dans une troisième partie (chapitre 7), d’ordre plutôt psychosociologique, l’auteur tâche d’expliquer la réception positive que le peuple arabe, d’abord réticent, a faite du message pourtant délirant de Mahomet.
1/ Les crises mystiques de Mahomet
2/ La vindicte de Mahomet
3/ Le sens de l’ordre de Mahomet
4/ Le caractère quérulent de Mahomet
5/ La filiation complexe de Mahomet
6/ Les connaissances problématiques de Mahomet
7/ La soumission du peuple et la postérité
Chapitre supplémentaire. Récréation : testez votre aptitude à la soumission
En introduction, l’auteur pose son problème : comprendre rationnellement l’aura apparemment surnaturelle de Mahomet. Il présente ensuite un résumé éclairant de la vie de Mahomet et du Coran, qui permet d’embrasser d’un coup d’œil la logique de son mouvement biographique.
Au premier chapitre « Les crises mystiques de Mahomet », Frédéric Joi tâche d’expliquer l’origine de la voix entendue par Mahomet tout au long de sa vie durant d’impressionnantes crises mystiques. Il fait un parallèle convaincant entre certains éléments significatifs de la vie de Mahomet et les actuels cas de trouble dissociatif de l’identité, relevés par le Manuel de l’association américaine de psychiatrie, avec leurs causes les plus fréquentes sur le plan statistique. Les symptômes et les antécédents infantiles correspondent de manière troublante.
Le deuxième chapitre « La vindicte de Mahomet » relève une impressionnante liste de signes révélateurs d’une agressivité foncière, présentée dans un mouvement crescendo, des critiques et insultes aux passages à l’acte, de la guerre au génocide, en passant par un net sentiment de supériorité.
Le troisième chapitre « Le sens de l’ordre de Mahomet » passe en revue les symptômes typiques d’un certain « caractère anal », comprenant en particulier un autoritarisme manifeste, un entêtement forcené et une propension très marquée à tout organiser.
Au quatrième chapitre « Le caractère quérulent de Mahomet », l’auteur accumule les preuves d’une « paranoïa quérulente », parmi lesquelles se trouvent un fort narcissisme, des hallucinations et projections fréquentes, des délires (de grandeur, plagiat, méfiance et filiation), un autodidactisme dilettante en termes de connaissances, le goût pour la systématisation et les justifications incessantes, des rapports conflictuels à ses contemporains, une intense susceptibilité, etc. L’auteur rappelle alors l’explication freudienne des mécanismes de la paranoïa, qu’il applique à Mahomet. Il pose enfin l’hypothèse d’une paranoïa quérulente qui se serait superposée au trouble dissociatif de l’identité à l’origine des hallucinations de l’ange Gabriel.
Dans le cinquième chapitre, Frédéric Joi se concentre sur un délire particulièrement développé chez Mahomet, le délire de filiation, entre une enfance orpheline, une absence de descendance mâle (source de honte dans le contexte d’alors) et une prétention à éduquer son peuple. Il en propose une explication de type psychanalytique.
Le sixième chapitre « Les connaissances problématiques de Mahomet » paraît le plus important sur le plan philosophique. Il concerne les vérités avancées par le prophète de l’Islam (un chapitre similaire avait été réalisé dans le précédent livre sur Jésus). L’auteur les confronte à nos connaissances actuelles, en physique, biologie, épistémologie, sciences humaines et même philosophie (concernant ses présupposés les plus fondamentaux). Sans surprise, le Coran souffre de la comparaison. Mais l’auteur examine également la cohérence logique des « vérités » de Mahomet. Il relève une moisson édifiante de contradictions, non seulement entre paroles, mais encore entre paroles et actes. L’extrême relativisme de vérités censément absolues, du fait de leur origine divine, apparaît en pleine lumière.
Au septième chapitre, Frédéric Joi examine de façon convaincante quelques causes sociologiques du succès des idées pourtant problématiques de Mahomet.
En conclusion, l’auteur propose un intéressant récapitulatif, sous forme de tableau, de l’évolution des rapports entre les deux personnalités cohabitant en Mahomet, son entourage arabe et le monde péri-arabe, de sa naissance à sa postérité. Il conclut avec une mise en perspective d’inspiration freudienne, appelant l’humanité à quitter son enfance mentale, au profit des Lumières de la raison.
Comme dans le premier livre, on trouve un chapitre additionnel, de type humoristique. Il prend la forme d’un questionnaire à choix multiple, particulièrement amusant, qui pastiche les « quizz » des journaux grand public, tout en faisant prendre conscience du ridicule de certaines situations générées par la tentative de suivre les injonctions contradictoires d’un « paranoïaque dissociatif ». Les parodies ont cette vertu de faire voir des logiques absurdes en les grossissant.
D’un style sobre et incisif, ce livre n’excède pas 200 petites pages, et se lit d’un trait. Les phrases sont pour la plupart courtes et claires, le vocabulaire technique de la psychiatrie bien défini, l’accès au sens global du texte aisé. Il s’adresse principalement aux athées soucieux d’affûter leurs arguments et de rendre cohérente leur position. Les amateurs de religion, de psychologie et de philosophie devraient tous pouvoir y trouver un intérêt certain, mais il est rare qu’on prenne la peine d’examiner des points de vue originaux, atypiques ou éloignés de ses propres convictions.
Si l’on se place dans la perspective de Frédéric Joi, un nietzschéo-freudisme revendiqué, la démonstration de la paranoïa quérulente dissociative de Mahomet revêt une valeur critique. En effet, pour ces auteurs, la « folie » et la « maladie » représentent autant de causes de discours faux, de délires, de « projections mythiques », de perspective déclinante, etc. Dans ce sens, la solidité des preuves réunies, l’ampleur des références, le sérieux de l’étude, ne laissent aucune place au doute, et même emportent un fort sentiment de conviction, à moins de se draper dans une mauvaise foi aveugle. On reconnaîtra encore à l’auteur le mérite et le courage d’affronter un sujet si sensible, avec une confiance tranquille dans les outils des sciences humaines modernes, sans se laisser détourner ou emporter par de compréhensibles effusions affectives.
Toutefois, deux arguments de philosophes contemporains pourraient atténuer la valeur critique de ce livre, pour y voir un simple diagnostic psychosocial du fonctionnement (des naissances) des religions, sans préjuger de la validité de leurs contenus ou moins encore de l’existence de Dieu.
D’une part, dans ses Recherches logiques (1, Chapitre IV, §§ 21. & suiv.), Husserl prévient contre le « psychologisme », qui consiste à (pré)juger de la valeur de vérité d’un énoncé à partir de ses conditions de production. Il soutient en effet que la valeur d’un énoncé logique est indépendante de l’état du monde.
D’autre part, Canguilhem, dans son ouvrage magistral Le normal et le pathologique, désamorce l’opinion très largement partagée selon laquelle la maladie constituerait un état de fait, susceptible d’un constat objectif à partir de mesures exactes. Il démontre que la maladie (mentale notamment) relève finalement d’un jugement de valeur. Il en découle que l’outil nietzschéo-freudien emprunté par Frédéric Joi n’aurait pas la force escomptée d’une preuve définitive de fausseté, sous-entendue qu’un « fou » objectivement avéré serait censé se tromper a priori. Concrètement, son jugement sur les prophètes reviendrait plutôt à appliquer une valeur, à l’aune de notre point de vue actuel… autant que relatif.
Ces réserves émises, nous ne saurions assez conseiller cet ouvrage de fond qui ne manquera pas de susciter chez ses lecteurs une profonde réflexion philosophique sur les tenants et aboutissants des religions, sans parler de l’application vivante de la psychologie aux phénomènes sociaux, exercice cher à Freud.
Jean Martin