Olivier Dessibourg, Mon ADN, oracle de ma santé ?, Planète santé 2018. Lu par Jonathan Racine

Olivier Dessibourg, Mon ADN, oracle de ma santé ? Santé personnalisée : tous des malades en puissance, vol. 1, édition Planète santé, 2018 (108 pages), lu par Jonathan Racine.


La notion de médecine personnalisée a pris récemment un nouveau sens : certes, au sens le plus intuitif, toute médecine est personnalisée, dans la mesure où c’est toujours un patient singulier qu’il s’agit de soigner. Ce constat élémentaire engage de nombreux problèmes philosophiques (par exemple, qu’est-ce que le jugement médical ? Comment articuler des connaissances générales et la singularité de chaque cas ?).

Mais le vocable à la mode ‘médecine personnalisée’ désigne tout autre chose : grâce à certaines innovations technologiques et scientifiques, nous serions en train d’entrer dans une nouvelle ère de la médecine, une ère où précisément le fossé entre connaissance générale et cas singulier pourrait être comblé grâce à des connaissances plus précises des mécanismes génétiques qui sous-tendent les maladies, et surtout grâce à la possibilité d’accéder au génome individuel.

Des questions tout à fait nouvelles se posent alors. De nouveaux facteurs de risques font leur apparition dans la mesure où posséder tel variant génétique augmente la probabilité de subir telle maladie. Mais n’est-ce pas alors la séparation entre risque et maladie qui s’estompe ? En possédant ce variant, ne suis-je pas déjà quelque peu malade – un malade asymptomatique, qui ne développera peut-être jamais la maladie ?

 

C’est ce genre de considérations qui explique le titre de la série d’ouvrages initiée par le journaliste scientifique Olivier Dessibourg : « Santé personnalisée : tous des malades en puissance ? ». Celle-ci comporte 6 volumes :

Mon ADN, oracle de ma santé ? (vol. 1)

Médecine personnalisée ou impersonnalisée ? (vol.2)

Médicaments ciblés et tests associés, clés de la médecine de précision (vol. 3)

Les biobanques (vol. 4)

Traitements ultra personnalisés, le dilemme des coûts (vol. 5)

Remodeler le génome humain : entre espoirs et risques  (vol. 6)

         Il s’agit à chaque fois de volumes très courts (une petite centaine de pages), constitués d’entretiens avec des spécialistes de la question, et destinés à un très large public (comme en témoigne notamment la définition en marge du moindre terme technique). Le premier volume contient des entretiens avec deux directeurs de département de médecine génétique, M. Snyder (à l’université de Stanford) et S. Antonarakis (à l’université de Genève). Quelques mots sur le premier, qui est une figure importante dans le domaine. En effet, M. Snyder est l’auteur d’un ouvrage de vulgarisation sur le sujet (Genomics and Personalized Medicine), mais il est aussi un acteur scientifique de tout premier plan (il a développé certaines techniques qui jouent aujourd’hui un rôle essentiel). Enfin il est un promoteur infatigable des bienfaits de la médecine personnalisée, et son exemple illustre le type de pratiques qui pourrait devenir de plus en plus courantes : il n’a pas seulement fait séquencer son propre génome, il se soumet à un suivi continu de multiples données physiologiques en tout genre.

 

         L’ouvrage est découpé en trois chapitres. Dans le premier chapitre, « Le réel pouvoir des données génétiques », il s’agit d’identifier « de quoi parle-t-on », notamment à l’aide d’exemples. On s’interroge sur ce que l’on peut faire des données statistiques issues des GWAS (Genome Wide Association Study), sur leur fiabilité, ainsi que sur le problèmes des tests directement accessibles au consommateur (directement achetés sur internet, sans l’intermédiaire d’un médecin ou presque). Enfin, on pointe que décrypter le génome n’est pas suffisant – d’où l’émergence des « omics » (étude du transcriptome, du protéome, du métabolome).

         Devant cette avalanche de nouvelles données, le problème devient de déterminer quel est le bon niveau d’information. N’est-on pas en train de s’orienter vers une science trop centrée sur les données ?

 

 

         Le chapitre 2 est intitulé : « moi et mes données biologiques : un héritage à bien exploiter ». Il commence par une question qui, dans sa simplicité, ne va pas de soi : pourquoi se faire séquencer ? Et que faire des résultats ? Ce chapitre pose de nombreuses questions qui sont beaucoup plus éthiques et politiques que purement scientifiques ou techniques, par exemple la question classique depuis quelques années du droit de ne pas savoir, ou encore celle de la propriété des données génétiques. A plusieurs reprises, les personnes interviewées considèrent que la question n’est pas de leur ressort. Même s’il est évident que le scientifique a son domaine de compétence propre et délimité, et qu’il est tout à fait louable de sa part de le reconnaître, cela pose tout de même la question de la responsabilité d’un corps scientifique qui promeut des techniques dont les conséquences possibles ne sont pas toutes positives. 

 

         Le chapitre 3, « vers un diagnostic en continu et une médecine préventive », s’interroge sur un éventuel changement de paradigme en termes de pratique de la médecine : ainsi, le diagnostic pourrait devenir continu et en partie automatisé. Il est parfois difficile de mesurer à quelle échelle de temps de genre de choses pourrait devenir possible. Des problèmes pratiques importants subsistent :  par exemple, pour pratiquer la médecine personnalisée, c’est-à-dire repérer des différences individuelles, il faut une base de données pour comparer ; or, ces bases de données sont encore imparfaites.

 

 

 

         L’ensemble ne forme pas un ouvrage qui pourrait rivaliser avec le travail philosophique approfondi de X. Guchet par exemple (interviewé dans le volume 2), dans La médecine personnalisée (recensé sur L’oeil de Minerve). Mais outre certaines données factuelles (concernant par exemple l’augmentation du nombre de tests dépistages, de mastectomies...) et informations utiles sur ces sujets techniques, on trouvera incontestablement là matière à réflexion. L’optimisme affiché par les auteurs, voire une certaine tendance à peut-être minimiser les problèmes[1]

, suscitera certainement chez beaucoup de lecteurs un point de départ utile pour une réflexion critique (une réflexion critique très présente dans l’ouvrage de la sociologique B. Prainsack, par exemple : Personalized Medicine : Empowered Patients in the 21st Century). Un enseignant de lycée peut trouver ici des textes simples à soumettre à la discussion dans un cours sur le vivant, la bioéthique, la technique… Lorsque M. Snyder nous prédit sereinement qu’un jour chaque bébé aura son génome séquencé avant même de voir le jour et que des capteurs pourront être insérés sous la peau dès la naissance (cf. p. 92), lorsqu’il assume tranquillement la formule de Knock que tout bien portant  est un malade qui s’ignore, et que « tout dépend ensuite de la façon dont chacun devient le manager de sa propre santé » (p. 98), on peut espérer que cette vision suscite des débats !

 

Jonathan Racine 

 


[1] Certaines formules semblent par contre tellement provocantes que leur intérêt pour une réflexion sérieuse est douteux : on regrette ainsi que le livre se termine par une évocation qui semble tout droit tirée de Bienvenue à Gattaca : « comment… ne pas imaginer qu’à l’avenir la création d’une famille se base sur des critères génétiques plutôt qu’amoureux ? » (S. Antonarakis)