Jean Salem, Démocrite, Épicure, Lucrèce, La vérité du minuscule, Encre Marine, 2014, lu par Arielle Castellan

 Jean Salem, Démocrite, Épicure, Lucrèce, La vérité du minuscule, Encre Marine, 2014

L'ouvrage de Jean Salem est un recueil de textes liés à l'épicurisme. Au delà de l'épicurisme, son interrogation fondamentale semble être celle du matérialisme. Comment redonner à ce dernier ses lettres de noblesse, sans tomber dans un discours réducteur ? Comment comprendre la pensée d'Epicure et la revivifier à l'aune du matérialisme moderne? Est-ce là peine perdue ou au contraire le lieu d'une interrogation épistémologique ? Jean Salem, au contraire, nous invite à réfléchir les modèles plus contemporains au regard de l'épicurisme.

 

L'ouvrage est donc un recueil de textes. Le premier est un commentaire de la Lettre à Ménécée d'Epicure, qui nous emmène, presque mot à mot, à explorer la profondeur du texte pour en saisir le sens profond. L'auteur n'hésite pas à éclairer le texte initial des apports de Lucrèce, et l'on peut savourer ces belles remarques: « Mémorisation ou méditation : dans une philosophie atomistique, tout, absolument tout, doit être pensé en termes de flux matériels. En l'occurrence, méditer, ce sera, comme dira Lucrèce, se « repaître» des «paroles d'or » d'Epicure, ou bien des flux de particules sonores échangés dans la conversation avec les amis : ce sera donc, nécessairement, modifier la composition atomique de notre âme. » Et voici que la philosophe épicurienne est rendue à son essence initiale, cette virginité de la matière qu'il appartient à l'apprenti du jardin de saisir. C'est en son âme que doit s'opérer le changement. Etrange terme que celui d'âme, si on l'entend en termes classiques, mais là n'est pas le problème puisque l'âme n'est jamais qu'une essence subtile du corps.

 

Non, la vraie question est de comprendre l'attachement d'Epicure à l'étude de la physique. Mais Jean Salem nous le rappelle bien : « (...) la recherche théorétique (et tout particulièrement l'étude de la physique) ne doit être cultivée qu'en vue de l'éthique. » Comprendre l'épicurisme, c'est d'abord intégrer que l'étude de la physique n'est pas un prétexte, mais plutôt une propédeutique qui doit amener à une compréhension plus large, plus complète. Le bon épicurien est celui qui a compris que l'étude de la nature l'a affranchi des peurs mesquines, celui qui est prêt à s'affranchir des peurs et des passions communes.

 

Ainsi le second texte s'interroge sur « comment traduire religio chez Lucrèce ». Il ne faudrait pas y voir ici simplement une question de sémantique : c'est le lieu d'investir le testament d'Epicure et de comprendre sa pensée à travers les traductions qui ont pu en être faites (Lucrèce, bien sûr, mais aussi Cicéron). Ainsi que nous le rappelle l'auteur: « Tous ces mots ne sont pas, loin s'en faut, des mots abstraits ou formés entièrement à partir du grec (...)» Et voici que l'épicurisme se revêt aussi d'un voile d'épaisseur contextuelle qu'il nous appartient en partie de débroussailler.

 

Et ce d'autant plus que la pensée d'Epicure a plus à résonner pour nous ; elle nous ramène à l'importance du plaisir mais elle nous ramène aussi et surtout à l'importance de ne pas laisser la superstition et les « simulacres » nous éloigner de la vie. Comprendre l'origine de la matière, c'est comprendre l'essence de la vie ainsi qu'il nous est rappelé : « Tout se passe donc comme si prévalait, dans ces oeuvresun peu postérieures, le modèle de l'atome qu'on a déjà vu à l'oeuvre dans la Dissertation (de Marx) de doctorat.

L'atome constitue, encore et toujours, « le symbole de la conscience individuelle abstraite » qui ne peut exister et sauvegarder la liberté que par isolement et la retraite : l'atome épicurien (...) <est> en tant que théoricien de la liberté, par rapport à son devancier Démocrite, présenté comme un empiriste borné et un nécessariste à l'esprit un peu court. »

Arielle Castellan