Didier Pleux, Françoise Dolto, la déraison pure, lu par Lucas Scrive

Didier Pleux, Françoise Dolto, la déraison pure. Éditions Autrement : Paris. 2013. 187 pages.

Au lecteur qui a déjà découvert en lisant Le Livre noir de la psychanalyse ou encore les ouvrages de Jacques Bénesteau et de Jacques Van Rillaerl'étendue et la gravité des mensonges sur lesquels prospère la psychanalyse en France, le livre de Didier Pleux offre une petite excursion dans la vie et l'œuvre de cette grande figure de proue de la psychanalyse et de l'éducation qu'est Françoise Dolto. La « psychanalyste des enfants » a en effet connu un succès important en France grâce à son émission « Lorsque l'enfant paraît » diffusée sur France Inter pendant deux ans à partir d'octobre 1976, permettant ainsi à la psychanalyse d'exercer une influence profonde sur les idées des Français en matière d'éducation.

Que donne la psychanalyse appliquée par Dolto à l'éducation et aux troubles du comportement chez l'enfant ? Sans surprise, on retrouve parmi les thèses essentielles de la psychanalyste l'affirmation d'un déterminisme absolu. Selon Dolto en effet, chez l'enfant « tout se joue peut-être en huit jours, les premiers jours de la vie ». Didier Pleux rappelle également que la célèbre psychanalyste avait défendu l'hypothèse d'une transmission phylogénétique des affections : l'enfant porte également en lui les névroses de ses ancêtres ! Voilà pour le déterminisme. À en croire Didier Pleux, Dolto soutenait également l'idée de la toute-puissance de l'« Inconscient ». La psychanalyste affirmait ainsi que l'enfant, par le truchement de son inconscient en alerte permanente, a la faculté de lire dans les pensées de ses parents et de deviner, par exemple, si sa naissance a ou non été désirée. Inutile, dans ces conditions, de vouloir mentir à l'« Inconscient » et c'est pourquoi Dolto conseillait aux parents de tout révéler à l'enfant (y compris les éventuelles tentatives d'avortement !) sous peine d'en faire un enfant souffrant. Françoise Dolto affirmait en effet que les enfants étaient dotés de véritables pouvoirs télépathiques (qui leur permettaient de démasquer le comportement adultère d'un adulte par exemple) et qu'elle avait la capacité d'entrer en communication avec eux… On imagine la pression à laquelle la psychanalyste soumettait les parents en les rendant responsable du moindre trouble détecté chez leur enfant. Comme le déclarait Freud lui-même : « Parents, quoi que vous fassiez, vous le ferez mal ».

Aux yeux de nombreux psychanalystes en effet, ce sont les parents – pères castrateurs ou mères fusionnelles – qui sont responsables de l'apparition de troubles chez l'enfant. Une mère « toxique » pourrait ainsi rendre son enfant autiste ou schizophrène. Didier Pleux fournit dans son livre toute une série d'illustrations des délires interprétatifs proposés par la psychanalyste de tous ces troubles dont l'origine n'a rien à voir avec les hypothèses psychanalytiques et qu'on peut traiter avec des méthodes thérapeutiques beaucoup plus efficaces aujourd'hui. L'énurésie offre un exemple assez saisissant du caractère occulte de la psychanalyse doltoïenne : Dolto expliquait que pour guérir un enfant de l'énurésie, il suffisait de placer un verre d'eau ou un bocal avec un poisson rouge au chevet du lit de l'enfant pour que les troubles disparaissent…

Mais l'intérêt majeur de ce livre réside dans l'analyse que propose l'auteur de la conception générale de l'éducation proposée par Dolto. À ses yeux, la responsabilité de tout échec scolaire incombe au système éducatif et non à l'élève. Au lieu d'expliquer l'échec scolaire par une incapacité à accepter les exigences de l'apprentissage et, en particulier, la nécessaire frustration liée à l'acquisition de savoirs difficiles, Dolto n'hésite pas à voir dans ces enfants en situation d'échec des « surdoués » – ce qui est bien entendu faux mais beaucoup plus facile à accepter pour des parents. Au contraire, selon Didier Pleux, reconnaître qu'il y a derrière l'échec scolaire un dysfonctionnement dans l'apprentissage est la seule voie qui permet de résoudre ces problèmes auxquels sont confrontés de nombreux enfants de nos jours. On apprend également à la lecture du livre que Dolto a contribué par ses théories éducatives à saper l'autorité (qu'elle confond avec l'autoritarisme) de l'enseignant lequel doit se laisser interrompre par l'élève et devrait « accepter d'être jugé par les plus jeunes » ce qui « vaudrait toutes les réformes ». C'est que pour Dolto, qui reprend ici une affirmation de Freud lui-même, « il n'y a pas de bonne éducation ». Un enfant normal doit nécessairement entrer en conflit avec la norme scolaire et la rejeter jusqu'à un certain point afin de conquérir son autonomie.

En réalité, comme le rappelle Didier Pleux qui traite de nombreux enfants en situation d'échec scolaire, tout véritable apprentissage est inévitablement frustrant : il faut s'entraîner dur en sport, multiplier les exercices difficiles en mathématiques et ne pas se contenter des auteurs faciles en lettres pour réussir ses études. Imaginer un apprentissage qui puisse s'accomplir uniquement dans le plaisir n'a aucun sens. En affirmant dans La Cause des adolescents que « très souvent les troubles scolaires sont le signe d'un profond malaise de la personnalité de l'adolescent en difficulté lié aux données de sa relation avec ses parents », Dolto déresponsabilise complètement les adolescents. C'est d'ailleurs à Dolto qu'on doit le mythe de la « crise d'adolescence » et le « complexe du homard » qui est censé en rendre compte. La psychanalyste alla même, dans les années 1970, jusqu'à proposer qu'on éradique la notion de mineur qui traduisait à ses yeux « une mentalité rétrograde » et qu'on décriminalise, par exemple, les infractions d'attentat à la pudeur commis sans violence sur les enfants de moins de quinze ans ou de détournement de mineurs. S'agissant en tout cas de ce « bagne » qu'est l'instruction publique, la solution est simple : « il importe d'adapter l'école aux enfants ».

La popularité des thèses de Dolto a conduit à l'émergence de l'« enfant tyran » auquel l'auteur a consacré l'un de ses précédents ouvrages. Ce dernier rappelle, contre la psychanalyste, que le rôle des adultes est bien d'aider l'enfant à entrer en contact avec la réalité, ses exigences et ce qu'elle entraîne comme frustrations, et non de mettre en œuvre une éducation permissive organisée autour du « principe de plaisir » et ayant pour objectif, selon les propres termes de Dolto dans Les Chemins de l'éducation, d'« aider l'enfant à être égoïste » !

Dans son livre, Didier Pleux va au-delà des propositions théoriques, psychothérapeutiques et cliniques de Dolto pour explorer sa biographie afin de comprendre ce qui l'a conduit à la psychanalyse et comment elle a elle-même mis en œuvre ses propres principes éducatifs avec ses enfants. Dans les deux chapitres consacrés à la vie de Françoise Dolto, Didier Pleux montre en s'appuyant sur une abondante correspondance que l'enfance de Françoise Dolto avait tout d'une enfance gâtée contrairement à l'enfance malheureuse décrite par la psychanalyste. Les lettres qu'elle échange avec son père dressent le portrait d'un père affectueux et proche de sa fille. En revanche, Françoise Dolto apparaît dans cette correspondance comme une enfant capricieuse et très exigeante envers ses parents. La psychanalyse qu'elle entreprend pourtant avec René Laforgue, loin d'avoir aidé Françoise Dolto à comprendre qu'elle agissait en petite fille gâtée, aura ainsi contribué à la fois à lui faire perdre pied avec la réalité et à en faire une protagoniste active de la cause psychanalytique. Le verdict de Didier Pleux est sans appel : la psychanalyse de Dolto est une « psychanalyse ratée ».

Le chapitre consacré à l'éducation de son fils, Jean-Chrysostome Dolto, plus connu des Français sous le nom de Carlos, s'appuie sur des sources plus secondaires : la biographie de ce dernier, les ouvrages de Françoise Dolto et une série d'anecdotes. Si la psychanalyste se montre très permissive avec son fils, cette éducation est contrebalancée partiellement par celle de son père et il apparaît malaisé de tirer de ce chapitre des conclusions définitives. L'auteur attribue en tout cas les médiocres résultats scolaires de Carlos au caractère permissif de cette éducation et explique la réussite de ce dernier dans la chanson en partie grâce aux relations que la famille entrenait avec le monde du spectacle.

Le chapitre consacré aux épisodes de la vie de Dolto qui expliqueraient son rejet ultérieur de l'autorité est aussi le plus faible en raison du nombre insuffisant de sources utilisées par l'auteur ou auxquelles il a eu accès. Pleux s'étonne en effet que la correspondance éditée de Françoise Dolto comporte très peu de lettres au cours de la période correspondant à la seconde guerre mondiale alors que la psychanalyste entretient une correspondance nourrie avant et après guerre. Or cette période correspond à la période pendant laquelle elle lit activement L'Action française, évoque son admiration pour Pétain, et travaille aux côtés de René Laforgue – qui sera plus tard accusé d'avoir collaboré – et d'Alexis Carrel qui s'était fait l'avocat des politiques eugénistes du Troisième Reich. Pleux fait l'hypothèse que Dolto, revenue après la guerre de la fascination qu'elle avait éprouvée pour ces idées, a tiré de cet épisode un rejet de toute forme d'autorité – précisément en raison de la fascination que ces idées avaient exercée sur elle.

Le livre de Didier Pleux intéressera à la fois ceux qui veulent poursuivre l'analyse critique des thèses psychanalytiques et ceux qui s'intéressent aux racines historiques des théories éducatives et pédagogiques. Alors qu'en septembre 2013 les psychologues de l'Éducation nationale se réunissaient en congrès pour débattre de « l'héritage de Françoise Dolto », ce livre montre en tout cas l'emprise que la psychanalyse exerce encore sur l'éducation des Français au xxie siècle.

Lucas Scrive