Alain Badiou, Le Séminaire, Lacan L’Antiphilosophie 3, Fayard, 2013, lu par Mariane Perruche

Chers lecteurs, chères lectrices, 

 

Les recensions paraissent et disparaissent très vite ; il est ainsi fort possible que certaines vous aient échappé en dépit de l'intérêt qu'elles présentaient pour vous. Nous avons donc décidé de leur donner, à elles comme à vous, une seconde chance. Nous avons réparti en cinq champs philosophiques, les recensions : philosophie antique, philosophie morale, philosophie esthétique, philosophie des sciences et philosophique politiques. Pendant cinq semaines correspondant à ces champs, nous publierons l'index thématique des recensions publiées cette année et proposerons chaque jour une recension à la relecture. Au terme de ce temps de reprise, nous reprendrons à notre rythme habituel la publication de nouvelles recensions. 

Recensions d'ouvrages portant sur l'histoire de la philosophie 

Recensions d'esthétique 

Recensions de philosophie politique

Recensions de philosophie antique

Recensions de philosophie morale

Recensions d'épistémologie 

psychanalyse, sociologie


Alain Badiou, Le Séminaire, Lacan L’Antiphilosophie 3, "Collection Ouvertures", Fayard, 2013. 

Depuis la fin des années 1960, Badiou est professeur de philosophie. Il est  aussi essayiste. Outre ses très nombreuses publications (plus d’une quarantaine d’ouvrages philosophiques publiés à ce jour, sans compter les romans et pièces de théâtre), il tient un séminaire, dont les éditions Fayard proposent inauguralement ici, dans la collection « Ouvertures » qu’il codirige avec Barbara Cassin, la transcription de l’année  1994-1995. 

Au même moment et chez le même éditeur est paru le séminaire consacré à Malebranche (1er trim. année 1986). Badiou marche donc dans les pas de « son maître » Lacan[1] et confie à une équipe de fidèles, dont son assistante, Isabelle Vodoz[2], la transcription - la « poubellication » dirait Lacan - de son séminaire.

Qu’est-ce qu’un séminaire ? Le séminaire est un « dit » pris dans une adresse à un destinataire, proféré dans un lieu et à un moment donné : c’est le désir du maître de transmettre une parole en « actes » plus ou moins théâtralisée - le modèle lacanien le prouve amplement. On peut aussi penser au séminaire de Barthes à l’EPHE : le séminaire est alors aussi le lieu même du transfert amoureux. Transfert des étudiants sur la parole – et même le corps - du maître mais aussi occasion pour le maître de rejouer son propre transfert sur son maître. Pourquoi ce passage à l’écrit ?  Et, dans le cas de Badiou,  pourquoi commencer par cet objet – a priori non philosophique -  Lacan ? Offrir inauguralement au public ce fragment-là de son séminaire, l’objet « Lacan », a en soi valeur programmatique. Si Lacan a voulu soumettre la philosophie à l’épreuve de la psychanalyse, ce en quoi on peut le nommer « antiphilosophe », quel est l’enjeu du séminaire de Badiou ? Soumettre en retour la psychanalyse lacanienne à l’épreuve de la philosophie ?  Il faut d’abord repréciser d’où parle Lacan dans son Séminaire et à qui son discours s’adresse. 

Toute l’ambiguïté du Séminaire que Lacan tient à partir des années 1964 à l’ENS tient au fait que, s’il s’adresse aux analystes qu’il ne cesse d’invectiver en les traitant d’imbéciles,[3] la salle est en grande partie composée de philosophes et de structuralistes. A qui s’adresse-t-il réellement ? Aux psychanalystes venus chercher un appui théorique dans son enseignement pour leur pratique clinique ? Ou auxphilosophes pour montrer l’inanité de leur discipline ? Quelle est la place de la philosophie dans la « pensée-Lacan » ?Sa pensée relève-t-elle d’une antiphilosophie, c’est-à-dire d’une pensée qui invalide la philosophie héritée de la tradition ?

Si Lacan opère un retour à Freud à partir de 1956, ce retour peut passer pour infidèle dans la mesure où  il trahit le modèle biologique voulu par le père de la psychanalyse. Toute l’ambiguïté du retour à Freud prôné par Lacan tient dans la place assignée à la philosophie dans cette relecture freudienne : c’est ce que l’on comprend clairement en lisant Badiou. En effet, si dans un premier temps, au milieu des années 1950, Lacan se sert de la philosophie pour renouveler ou réactiver sa lecture de Freud, à partir de l’année 1963-1964, date à laquelle son Séminaire se transporte à l’Ecole Normale Supérieure, sa lecture philosophique de Freud sert plutôt à critiquer le discours philosophique – le retour à Freud est peut-être alors passé au second plan. C’est sa propre pensée, la « pensée Lacan », la théorie lacanienne de la psychanalyse, que Lacan développe à partir de cette date, devant un parterre composé essentiellement de jeunes philosophes normaliens fascinés, au premier rang desquels se trouve son futur gendre Jacques Alain Miller. On peut alors se demander si la prétendue « antiphilosophie » de Lacan ne serait pas au fond le masque – c’est-à-dire le semblant – d’un autre enjeu : la critique du freudisme dans son désir de fonder la psychanalyse comme science de la nature. Il s’agit, grâce à la philosophie, d’inscrire la psychanalyse dans les sciences humaines, au même titre que la linguistique et l’anthropologie. Ce en quoi Lacan opère bien certes une révolution.

 La pensée de Lacan, aussi bien dans le Séminaire que dans les Écrits, se construit à partir d’Aristote pour évoquer la question du plaisir chez Freud (L’Ethique de la psychanalyse 1959-1960 et Encore, livre XX, 1972-1973), de  Platon pour évoquer l’amour de transfert (Le Transfert, livre VIII, 1960-1961), de Pascal pour parler de la jouissance, de la mathématique, et de l’opposition entre la philosophie et l’antiphilosophie[4] (D’un Autre à l’autre, livre XVI, 1968-1969), de Kant pour évoquer la difficile question de l’acte analytique (L’Ethique de la psychanalyse, livre VII,1959-1960). Le rapport de Lacan  avec Heidegger est essentiel en ce qui concerne la position antiphilosophique de Lacan : il s’agit de déterminer ce que peut être l’antiphilosophie elle-même, dans son surgissement ou sa mort, puisque Badiou avance que Lacan est l’ultime épisode de l’antiphilosophie. Ce que l’on pourrait en dire dépasse  très largement le cadre limité d’un article tel que celui-ci. Sur la rencontre proprement dite entre Lacan et Heidegger qui eut lieu à Pâques 1955, on renverra le lecteur à Elizabeth Roudinesco. Nous le précisons car, lors du séminaire, dans la séance du 9 novembre 1994 (p.47), Badiou se demande si l’historienne de la psychanalyse a traité la question des relations entre Heidegger et Lacan. Or elle venait de le faire dans son ouvrage publié en 1993 Jacques Lacan. Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée[5]. Badioune l’avait peut-être pas encore lu. 

Dans le Séminaire XVI (D’un Autre à l’autre 1968-1969), Lacan offre une définition assez claire de sa position d’opposition à la philosophie, opposition au discours philosophique. On pourrait citer ce passage exemplaire – bien que ce passage ne soit pas cité expressément par Badiou - : « Le discours philosophique, quel qu’il soit, finit toujours par se déprendre de l’appareil qui pourtant agit dans un matériel de langage […..]. Or mon discours, quand je reprends celui de Freud, se distingue essentiellement du discours philosophique, en ceci qu’il ne décolle pas de ce en quoi nous sommes pris et engagés, comme dit Pascal. Bien plutôt que de se servir d’un discours pour fixer au monde sa loi et à l’histoire ses normes, ou inversement, il [i.e. mon discours] se met à cette place où le sujet pensant s’aperçoit qu’il ne peut se reconnaître que comme effet du langage. […] le sujet avant d’être pensant, est d’abord le a. Et c’est après que la question se pose d’y raccorder ceci, qu’il pense. [Lacan critique ici le cogito comme fondement du Sujet.]Mais il n’a pas eu besoin de penser pour être fixé comme a. C’est déjà fait, contrairement à ce qu’on peut imaginer en raison de la lamentable carence, de la futilité la plus éclatante de toute la philosophie […] »[6]. (Séminaire XVI, p.158-159). On peut partir de là pour définir de façon claire la position de Lacan comme antiphilosophe. Il s’agit de fermer radicalement la voie à une philosophie rationaliste du sujet qui ne se croirait pas « effet de langage » et qui entretient chez le sujet l’illusion de se saisir lui-même, de s’auto-engendrer. « Futilité » dit Lacan, « lamentable carence » de ne pas percevoir que le sujet est – déjà – engagé par l’Autre (Dieu pour Pascal, le signifiant, le langage pour Lacan) avant même de penser et de se penser. Lacan veut ici parler du « symbolique » qui nous engage d’emblée dans un réseau de signifiants, dans du sens.

 On pourrait être tenté de croire que Lacan se sert de la philosophie – et aussi de l’antiphilosophie – pour assumer la place du Maître auprès d’une communauté psychanalytique parisienne, en grande partie issue des milieux intellectuels formés par Althusser, et laïque, au sens freudien du terme, c’est-à-dire non médicale. Mais Badiou ne dit nullement cela. En réalité, si cette communauté analytique à laquelle Lacan s’adresse est laïque – selon la volonté même de Freud – cela force Lacan à fonder son enseignement dans un entre-deux, un ni-ni, dans une place qui n’est ni le discours de la science (qui éradique le sujet), ni celle du philosophe (qui est dans l’illusion de la vérité). Comme tous les antiphilosophes qui l’ont précédé, (notamment Pascal, Rousseau et Nietzsche), Lacan crée un « contre-personnage », le psychanalyste imbécile, celui qui ne comprend rien à ce qu’il raconte, lui, Lacan. Et pourtant c’est lui qu’il faut convaincre, lui qu’il faut sauver d’une doxa freudienne avilie. Pascal s’adresse au libertin pour le sauver, le remettre dans le chemin du vrai Dieu, celui de l’ordre du cœur et de la charité. Pascal propose alors de désigner le discours de la science comme un symptôme pour lequel il n’existe qu’une seule voie de guérison : la conversion au christianisme pour retrouver l’ordre de la charité, la vérité selon le cœur. Lacan, parce qu’excommunié de l’IPA[7] et de l’establishment psychanalytique, eten travaillant le corpus freudien à partir de la philosophie, ouvre une nouvelle voie en interrogeant le discours philosophique comme lieu – non de la vérité mais du semblant. Dans L’Étourdit[8], il assimile le philosophe au fou de cour : « ça ne veut pas dire que ce qu’il dit soit sot ; c’est même plus qu’utilisable […] Ça ne dit pas non plus, qu’on y prenne garde, qu’il sache ce qu’il dit. Le fou de cour a un rôle : celui d’être le tenant lieu de la vérité. Il le peut à s’exprimer comme un langage, tout comme l’inconscient. Qu’il en soit, lui, dans l’inconscience, est secondaire, ce qui importe est que le rôle soit tenu »[9]. Nous pouvons maintenant répondre à la question : d’où parle Lacan ? Lacan parle d’ailleurs : il ne parle jamais ni de l’intérieur de l’institution, ni de l’intérieur d’un discours – philosophique ou psychanalytique. Il parle du lieu de l’Autre – tel le fou de cour qui divague mais qui dit la vérité sans le savoir et sans assumer la place du maître.Telle pourrait être la définition de l’antiphilosophe. On voit que l’antiphilosophe se définit essentiellement à partir de la place qu’il occupe par rapport à la vérité : cette place est oblique. Nous pouvons maintenant interroger la place qui est celle de Badiou.

 

Dans la brochure de présentation de l’éditeur[10] , Alain Badiou relate son itinéraire, qui se confond avec celui de son séminaire, poursuivi, dit-il, depuis cinquante ans et dans une référence constante à Lacan. On en jugera. Un séminaire qu’il qualifie de « parole libre », puisque commencée d’emblée par une exclusion de l’institution universitaire. Il est contraint plusieurs fois à changer de lieu : Reims, puis Vincennes, puis Saint-Denis, puis le Collège International de philosophie (lui-même se tenant en divers lieux prestigieux). Puis, s’excluant lui-même du Collège International avant d’en être exclu, il s’installe à l’ENS de la rue d’Ulm dans laquelle il est nommé  professeur en 1996 et où le séminaire se poursuit actuellement mensuellement. Son enseignement, avant de s’installer à l’ENS, est marqué par une exclusion constante : le séminaire de Badiou s’est donc  développé dans les mêmes conditions que celui de son illustre prédécesseur. La salle Dussane couronne cet édifice de coïncidences : le fantôme de Lacan et celui d’Althusser font sans doute partie des habitués de cette salle qui accueillit le Séminaire de Lacan de 1964 à 1969, avant qu’il n’en soit chassé et obligé de se réfugier à la faculté de droit du Panthéon. Chassé-croisé,  de l’exclusion à l’intégration, parcours en miroir de Lacan et de Badiou ?

 

Ces « coïncidences » entre le Séminaire de Badiou et celui de Lacan, plus que troublantes dans leurs similitudes topographiques et institutionnelles, entre deux enseignements qui se reproduisent selon le même schéma,  jettent d’abord le lecteur dans un sentiment d’inquiétante étrangeté : car enfin, quelle est cette vérité qu’une parole (celle de Badiou) tente de dégager à partir d’une autre parole (celle de Lacan), alors que celui qui parle – Badiou – le fait du lieu-même qui fut traversé la parole de l’autre - Lacan ? Étrange impression d’un circuit qui se referme parfaitement sur lui-même. Devrons-nous nous exclamer avant de pénétrer dans ce Séminaire – « Toi qui entres ici, abandonne toute espérance »…. de trouver autre chose que du même ?  Badiou énonce le 21 décembre 1994 : «…la philosophie ne fait jamais que mettre en miroir le sens et la vérité, telle est sa stagnation spéculaire.  Le spéculatif, c’est le spéculaire »[11]. Et une voix off souffle en écho : l’inconscient, c’est la répétition.

Le plus difficile sera de déterminer d’où parle Badiou. Nous proposons dans un premier temps de lire son séminaire sur l’antiphilosophie de Lacan comme le récit de son transfert sur Lacan antiphilosophe. Il nous éclaire sur ce point dans son interview par Laure Adler sur France Culture le 14 novembre 2013 (quatrième volet de la série) : il a «  hérité, dit-il, du problème de Lacan, sans se revendiquer de la psychanalyse, ni de l’expérience de la cure analytique ». Ni même du Séminaire de Lacan auquel il n’a que peu assisté. Quel est ce problème et en quoi la rencontre avec Lacan a-t-elle été déterminante – il l’assimile même à un « choc amoureux » ?

 

L’histoire de la rencontre avec Lacan racontée par Badiou dans cet entretien avec Laure Adler est très paradoxal et pourtant très simple : il affirme que la rencontre avec l’antiphilosophie de Lacan a eu, pour lui, un rôle essentiellement philosophique[12]. Il ne s’est donc pas engagé dans l’aventure lacanienne en tant que disciple ou futur analyste – ni même analysant. Et il s’agit encore moins de devenir antiphilosophe. Lacan lui a permis de liquider son transfert sur Sartre, d’abandonner l’existentialisme et de fonder, à partir de l’antiphilosophie de Lacan, une philosophie du sujet qui ferait cependant la part belle à la structure. Liquider l’héritage en somme et refonder le sujet en déplaçant l’accent – non plus sur la vérité – mais sur la structure du dit[13]. Si, comme le dit Lacan, l’inconscient est structuré comme un langage, c’est dans ce non-savoir du sujet sur lui-même que gît la faiblesse de la vérité de la philosophie. Car si le philosophe ignore totalement ce non savoir qui le traverse, en faisant de la vérité une force, au lieu d’une impuissance, il la manque. C’est l’axe essentiel autour duquel Badiou fait « tourner » l’antiphilosophie de Lacan et sa position à lui Badiou. Ce que nous allons voir.

 

Arrivé au mi-temps de l’enseignement de l’année 1994-1995, d’une façon toute lacanienne et bien qu’il se défende de toute pratique analytique, Badiou pratique la « scansion », à la guise de Lacan dans la cure, « traitant » son public sur le mode thérapeutique. Il scande  son séminaire à la fin de la séance du  18 janvier 1995,  avant de laisser son public sans « leçon » pendant deux mois. Il faut qu’il « ouïsse » la bonne parole antiphilosophique pour se guérir de l’erreur éternelle de la philosophie( je commente entre parenthèses et en italiques ce que dit Badiou) : «[…] la véritable thèse lacanienne est que si on prétend aimer la vérité comme puissance, si on rature que tout amour véritable de la vérité est amour d’une impuissance ou d’une faiblesse, si on prétend aimer la vérité comme force, et non comme faiblesse (c’est la position du philosophe qui méconnaît l’inconscient), alors on sera impuissant au regard de l’ignorance (la philosophie n’aura alors aucune efficacité en tant qu’acte pour lever le voile sur la vérité). […] Au fond l’amour de la vérité n’est puissant que s’il est l’amour d’une impuissance (c’est la position de l’antiphilosophe). Ou alors, il faut recourir au savoir, à l’amour du savoir, qui, lui, dispose d’une force réelle (c’est la position de Socrate selon Lacan, ce qui fait de lui à la fois un analyste et un antiphilosophe) […] Si l’on veut la force de la force, et non la force de la faiblesse, alors, qu’on se tourne, non pas vers la philosophie, mais vers le savoir » [14].  Et Badiou de conclure, comme Lacan lorsqu’il quittait son public pour ses vacances en tournant les talons de façon désinvolte : « Je vous laisse sur ce “tournez-vous”».[15]

 

La lecture de ce séminaire (de Badiou), on l’aura compris, est absolument passionnante, stimulante pour la pensée : il permet de naviguer entre les Séminaires[16] (de Lacan), d’un autre à l’Autre, d’un dit à un autre dit, de revisiter certaines étapes essentielles de l’histoire de la philosophie et de la psychanalyse. Badiou lit Lacan qui (dit qu’il) lit Freud mais qui lit en même temps Heidegger, qui lui-même lit Parménide et Héraclite. Il suffirait d’ajouter quelques étapes entre Heidegger et Héraclite (riens moins que Nietzsche, Hegel, Kant, Descartes et Platon par exemple) et cela pourrait s’apparenter à une histoire de la philosophie.

La lecture est parfois même réjouissante lorsque Badiou se met à pasticher le style de Lacan, tout en démontrant brillamment et sans doute avec beaucoup de justesse que la procédure de la passe est une « machine à trier les ordures philosophiques »[17]. Personne n’avait encore jamais expliqué la procédure de la passe de façon aussi simple et aussi drôle. Recommandons tout particulièrement ces pages de la « séance »[18] du 21 décembre 1994[19] qui pourraient synthétiser à elles seules le propos de l’ouvrage. Elles résument la portée de la psychanalyse en tant qu’acte, le rôle de la transmission du savoir dans le dispositif lacanien et surtout elles expliquent exactement ce qu’est le projet antiphilosophique : l’abandon du discours et le risque – peut-être nécessaire – d’un acheminement vers l’acte.

 

Ce séminaire « sur » Lacan est en réalité bien plus : un  « enchaînement » de lectures, une chaîne de sens qui fait sens, le sens du transfert. Car cet « enchaînement » est aussi le sens de la passion, la passion de la philosophie et la passion de l’antiphilosophie. La passion d’interroger la vérité au plus vif : là où elle engage le sujet dans son dire, et parfois au-delà, là où elle est dépassée par l’acte.  « La vérité peut ne pas convaincre, le savoir passe en acte »[20].

 

 Mariane Perruche

 

 

[1] Interview par Laure Adler à France Culture, lors d’une série d’émissions qui sont consacrées à Badiou entre le 11 et le 15 novembre 2013.

[2] Isabelle Vodoz est aussi le co-auteur avec Slavoj Žižek  de Comment lire Lacan, Nous, 2011 et avec Alain Badiou en 2010 de Cinq Leçons sur le cas Wagner, Nous.

[3] Voir par exemple  D’un Autre à l’autre, p.162

[4] Nous en reparlerons plus bas.

[5] E. Roudinesco, Jacques Lacan. Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée, Fayard, 1993. Les lecteurs intéressés par ce point se reporteront donc au chapitre II de la sixième partie « Vibrant hommage à Heidegger », p.291-306.

[6] Mes commentaires entre crochets.

[7] International Psychoanalytic Association.

[8] Publié en 1973. Badiou cite et commente cette note de L’Étourdit p.39-40 de son séminaire et approuve ce que dit Lacan. Badiou est donc prêt à assumer la position du fou de cour.

[9] Lacan, Autres Écrits, Seuil, 2001, p.453.

[10] Hors commerce.

[11] A. Badiou,  Lacan L’Antiphilosophie 3, p.107.

[12] Source : entretien avec Laure Adler, France Culture le 14/11/2013.

[13] Idem

[14] A. Badiou, Séminaire, Lacan, l’Antiphilosophie3, p.160-161.

[15]Ibid.

[16] On regrette « seulement »  que la navigation ne soit pas facilitée : l’équipe chargée de la transcription a – probablement sciemment – adopté la même attitude que Jacques Alain Miller pour l’établissement du Séminaire de Lacan ; il n’y a donc pas une seule note permettant au lecteur de retrouver facilement les références des citations faites par Badiou. Cela fait perdre beaucoup de temps au lecteur qui souhaite se replonger dans les Séminaires de Lacan. Pour les Écrits, c’est moins gênant.

[17]Badiou, op.cit., p.102..

[18] J’aurais tendance à dire que Badiou se met ici en position de l’analyste de l’analyste.

[19] Chap III, p.101 à 104.

[20] Phrase de Lacan, citée par Badiou au début de son séminaire (p.18) et qui a joué le rôle de déclencheur dans son désir de tenir un enseignement sur l’antiphilosophie de Lacan. Cette phrase est la dernière de l’Allocution de clôture du Congrès de l’Ecole freudienne de Paris en 1970.