Pierre-Henri Tavoillot, Les femmes sont des adultes comme les autres, La Tour d'Aigues, Editions L'aube, 2011 (lu par Irène Péreira)
Par Cyril Morana le 09 janvier 2013, 06:39 - Philosophie générale - Lien permanent
Pierre-Henri Tavoillot, Les femmes sont des adultes comme les autres, La Tour d'Aigues, Editions L'aube, 2011, 90 p.; 6,50 euros
L'ouvrage se présente comme une réflexion sur les transformations qu'ont subi l'âge et le sexe dans la modernité avancée. L'auteur ne conclut pas à la fin de ces repères, mais à leur individualisation dans le cadre d'une identité narrative. Il s'intéresse en particulier au devenir adulte des sujets. Ainsi, les transformations relatives à la place des femmes ont contribué à modifier en profondeur la notion même d'adulte.
Dans le premier chapitre, le brouillage des âges, l'auteur oppose deux scénarios: d'une part, celui d'une disparition des âges et de l'autre celui de la lutte des âges. Le second chapitre s'intéresse à une troisième hypothèse: celle d'une crise de l'âge adulte. Il ne s'agit pas cependant pour l'auteur d'une disparition de l'âge adulte, mais d'une reconfiguration de celui-ci lié à un bouleversement général des âges de la vie. Il l'examine à travers trois dimensions. L'apparition de nouveaux âges: l'adulte se trouve pris entre l'adolescent et le retraité. L'impératif d'innover désigne ce que l'on qualifie habituellement de tendance au « jeunisme » de nos sociétés. La dernière dimension est étudiée dans le troisième chapitre de l'ouvrage: il s'agit de la reconfiguration des rapports de sexe. Sur ce point, la thèse de l'auteur n'est pas celle d'une disparition des identités de genre contre les positions des théoriciennes du queer. Elle n'est pas non plus celle de luttes de reconnaissance d'une identité féminine différente. Pour l'auteur, cette transformation des rôles sociaux de genre tient au fait que « les femmes sont devenues des adultes ». Il rappelle que la République s'est constituée en considérant que l'adulte était un homme, au sens de membre du genre masculin, tandis que la femme était considérée comme mineure. L'obtention de l'égalité des droits civiques et civils pour les femmes marque leur accès au statut d'adulte. Mais de fait, elles contribuent à en modifier l'identité en y intégrant la dimension du care (sollicitude).
Une fois ces éléments posés, le quatrième chapitre porte sur une question d'éthique: comment peut-on conduire sa vie dans un tel contexte social ? L'auteur rappelle la manière dont les sociétés avaient traditionnellement répondu à la question de la bonne vie. Les sociétés traditionnelles avaient privilégiés la sécurité d'une communauté sociale qui organisait les rites de passage. Une seconde réponse qui a été celle du christianisme était d'affirmer qu'il ne s'agissait pas seulement de devenir adulte socialement, mais également spirituellement. Une troisième voie a consisté à rechercher l'harmonie entre l'individu et le cosmos. Une dernière réponse plus récente a confié à l'Etat le soin d'organiser les stades de l'existence. Dans le cinquième chapitre, l'auteur ne se range pas au constat d'une disparition des âges de la vie, même s'ils ne sont plus organisés par des institutions. Pour lui, ces stades de l'existence sont devenus des processus qui s'organisent dans le cadre d'une identité narrative, d'un récit autobiographique du sujet sur lui-même. Le processus par lequel nous devenons adultes, l'auteur propose de l'appeler la maturescence. Il distingue enfin dans le dernier chapitre de l'ouvrage trois exigences de l'être adulte aujourd'hui, à savoir: l'expérience, la responsabilité et l'authenticité. En conclusion, si l'on comprend que le devenir de l'enfant, c'est d'être adulte, celui du vieillissement est d'élargir les trois dimensions mises en place par l'âge adulte. L'ouvrage est ensuite suivi d'une discussion qui aborde différentes thématiques telles que la parité, la place des grands-parents, l'individu, l'adolescence, la vieillesse...
La réflexion de l'auteur s'inscrit dans un positionnement philosophique qui est celui d'une philosophie du sujet et de l'autonomie de l'individu dont la norme est l'adulte. Ainsi, ses positions en matière de féminisme peuvent être rattaché au courant libéral égalitaire: il existe non pas deux sexes, mais une humanité dont les individus sont libres et égaux en droit. Il prend ici position contre deux autres types d'analyse. Tout d'abord, celle des courants post-structuralistes, comme les théories queer, qui dans la lignée de Michel Foucault analysant Qu'est-ce que les Lumières de Kant ou de Gilles Deleuze parlant d'un devenir monoritaire enfant ou femme contre l'étalon majoritaire de l'homme blanc adulte, ont déconstruit les identités normatives dominantes. L'autre analyse à laquelle s'oppose l'auteur est celle matérialiste des rapports sociaux de sexe ou de génération qui considèrent que la société est divisée par des luttes de classes sociales1. Ces deux courants se revendiquent de l'héritage de Mai 68 que certains avait interprété comme lié à un conflit de génération et dans le sillage duquel est né le féminisme de la deuxième vague.
Ainsi l'analyse que l'auteur fournit des brouillages des catégories d'âge et de sexe s'inscrit dans le cadre d'une philosophie de l'herméneutique du sujet issue de Paul Ricoeur et dans le sillage des analyses qui de Louis Dumont à François de Singly ou Jean-Claude Kaufmann insistent sur le processus d'individuation qui caractériseraient nos sociétés modernes.
Irène Péreira
1Voir à ce propos Roland Pfefferkorn, « Articuler les rapports sociaux. Rapport de classe, de sexe, de racisation », Congrès AFPS Strasbourg 2011. Disponible sur: http://www.afsp.info/congres2011/sectionsthematiques/st22/st22pfefferkorn.pdf