Charlotte Perriand et Fernand Léger

L'amitié de Charlotte Perriand et Fernand Léger

Peinture, architecture et design

 

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Fernand Léger 1881-1955 Charlotte Perriand 1903 - 1999. Joies essentielles, plaisirs nouveaux. Pavillon de l’Agriculture, Exposition Internationale des Arts et Techniques dans la Vie Moderne, Paris. 1937 / 2011. Photo collage, acrylique et papier imprimé. Reproduction faite en 2011, avec Jacques Barsac, fondée sur les couleurs utilisées par Fernand Léger en 1937. 350 x 941 cm. Madrid, Musée de la Sofia.

 

Créatrice d’objets et d’aménagements intérieurs, Charlotte Perriand participe depuis 1930 aux différents mouvements, expositions et salons, qui ont marqué la modernité en France. Sa carrière embrasse les divers courants d’aménagements intérieurs du XXe  siècle.

Charlotte Perriand a travaillé notamment avec Fernand Léger, l’ami et artiste avec qui elle aima travailler « dans un flot de couleurs et d’humour ». Depuis leur rencontre, en 1930, jusqu’à la mort du peintre en 1955.

Charlotte Perriand fait partie de ces créateurs qui ont marqué le XXe siècle. Nous lui devons une nouvelle approche de l’art d’habiter, ouverte, faite de jeux et de flexibilité, toujours en rapport harmonieux avec l’homme et son milieu.

 

Cette photo de Charlotte Perriand, torse nu devant la montagne, avec ses gants de ski, ses cheveux courts, et son collier réalisé à partir d'un roulement à billes, illustre bien sa liberté. Le collier a été réalisé à partir d'un dessin de Fernand Léger.

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Liée aux mouvements d’avant-garde des années 1930, à Fernand Léger et Jean Prouvé, mais surtout célèbre pour sa collaboration avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret, Charlotte Perriand a signé avec eux une série de meubles révolutionnaires qui sont devenus de grands classiques.

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« La France Industrielle », panneau réalisé par Charlotte Perriand et Fernand Léger pour l’Exposition universelle

Paris, 1937. ADAGP, PARIS, 2019/ACHP

Animée par une insatiable curiosité, elle a voyagé à travers d’autres cultures (Japon, Indochine, Brésil) qui ont influencé son œuvre, notamment le très zen “Espace de Thé “ de l’UNESCO (1993).

Dans une autobiographie, elle nous fait partager le destin d’une femme hors du commun qui a toujours su concilier une extraordinaire exigence de rigueur avec un amour de la vie, de la nature et de la liberté.

 L’Exposition internationale de Bruxelles, 1935

" Pour l’Exposition internationale de Bruxelles de 1935, Maurice Dufresne fut nominé responsable de la section française. II n’oubliait pas ces jeunes dissidents qui, en 1929, démissionnèrent du Salon des artistes décorateurs. Peut-être qu’à l’époque il ne désapprouvait pas totalement notre désir de nous exprimer ensemble afin d’affirmer notre modernité. Il proposa à René Herbst, à Louis Sognot et à moi-même un programme auquel j’associai Le Corbusier et Pierre Jeanneret: « La maison du jeune homme ».

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La salle d'étude de la maison du jeune homme, 1935. Cet appartement avait été confié à Charlotte Perriand, René Herbst et Sognot. L'atelier Le Corbusier et P. Jeanneret n'intervient que fragmentairement. Au mur, un tableau de Fernand Léger

Pour une fois, les crédits nécessaires à la réalisation étaient prévus. C’est ainsi qu’à l’exemple de 1928, pour la deuxième fois, nous pouvions prouver qu’il était possible de faire groupe, d’un commun accord, une création homogène, tout en gardant notre liberté d’expression et nos différences. Nous avions comme points communs des fonctions à satisfaire, des techniques à respecter, une harmonie dans les rapports.

Comment définir le programme ?

René Herbst pratiquait le canoë avec des amis ; ensemble nous louions le jeudi la piscine du Claridge pour nager, nous ébattre, jouer au water-polo. A notre image, le jeune homme de cette maison serait sportif. René Herbst conçut une salle de culture physique animée par une grande peinture de Fernand Léger à la gloire du sport.

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Fernand Léger, Projet de décoration de « stade culture physique », 1935, gouache et crayon sur papier, 24,5 x 36,1 cm, donation de Nadia Léger et Georges Bauquier, musée national Fernand Léger.Photo : RMN-GP / Gérard Blot © ADAGP, Paris, 2021.

Pour empêcher les ballons de se répandre, un grand filet la séparait de la salle d’étude. Le corps et l’esprit : un symbole, de même que notre meuble manifeste qui formait écran devant le filet tendu de la salle de gymnastique. II était composé de trois casiers juxtaposés en tôle laquée, fabriqués dans les ateliers de la maison Flambo, producteur de mobilier de bureau. Mais pourquoi « manifeste » ?

Corbu eut l’idée de la doter de « clichés traits » pour évoquer les « Temps Nouveaux » (les traits apparaissaient brillants sur fond noirci). L’un, encastré dans la porte du milieu, représentait le Plan voisin, l’autre, posé sur le flanc du meuble, était un très beau dessin à la gloire de Paris, en hommage à Gustave Eiffel, père de la belle dame ; un signal dans le ciel porteur de messages sans le savoir.

Que je regrette qu’il soit perdu, suite à une inondation dans un atelier d’architecte à Bruxelles ! Un meuble unique, lourd d’intentions. L’un des murs était en ardoise. Je traçai à la craie le plan de « La maison du jeune homme » en indiquant le nom des différents créateurs avec leurs appartenances au ClAM et à L’UAM, non pas pour nous mettre en valeur mais pour attirer l’attention sur ces mouvements de combat qui groupant les disciples de notre métier pour une réflexion commune, orientée vers un avenir favorable à l’évolution de nos sociétés, à notre art de bâtir, à un nouvel art de vivre. La table de travail était composée d’un piétement en fonte, support d’un très lourd plateau d’ardoise sur lequel on pouvait écrire à la craie des messages ; un rectangle creusé retenait plumes et crayons. Le tout était gravé selon un tracé régulateur qui délimitait les fonctions d’utilisation de la table et donnait à notre jeune homme la notion de la beauté des nombres. Il était assis sur un fauteuil en bois paillé, matériau de la nature.

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Charlotte Perriand (1903-1999). Bout de bois roulé par la mer, Silex et lampe, Arête de poisson, Rognon de silex cerné (trouvé en Maurienne), Carcasse de poulet, Vertèbre de poisson, Crâne, Chaussure roulée par la mer, 1933. 

Tirages d’exposition au charbon. Archives Charlotte Perriand.

Un mur de présentation d’objets de collection était constellé de rivets métalliques, noyés dans la masse, qui assuraient l’ancrage et la mobilité d’une petite quincaillerie, supports de tablettes, présentoirs d’objets dont une vertèbre de baleine et un silex de montagne, beauté des formes créées par la nature.

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Fernand Léger (1881-1955). Silex blanc sur fond jaune, 1932. Plume et encre de Chine sur papier, 51,0 x 71,0 cm. Belfort, Musée d’art moderne - Donation Maurice Jardot. © Adagp, Paris, 2019. © Musée d’art moderne, Donation Maurice Jardot, Belfort.

Je posai le problème de l’art mural à Fernand Léger et lui proposai de faire un essai de fresque.

Pourquoi ne pas utiliser cette technique ancienne et l’incorporer à l’architecture, au service de l’expression contemporaine ? il ne reculait devant rien, Il m’apporta un superbe panneau que je présentai sur le mur de collection. Qu’est-il devenu ? "

Joies essentielles, Plaisirs nouveaux Pavillon du ministère de l’Agriculture, 1937. Une collaboration avec Charlotte Perriand. Lors de l’Exposition internationale de 1937, Fernand Léger collabore avec l’artiste Charlotte Perriand à l’élaboration du Pavillon du ministère de l’Agriculture. Proche des idéaux du Front Populaire, Perriand avait déjà orné de grands photomontages la salle d’attente de ce même ministère l’année précédente. Elle les décline cette fois-ci sur une structure en plein air en forme d’étoile conçue avec les architectes Henri Pacon et André Masson-Detourbet. Composée de 18 panneaux et déployée porte Maillot sur 110 mètres linéaires, cette réalisation est connue par des photographies noir et blanc de 1937. Des reconstitutions de certains panneaux ont été réalisées en 2011 par Jacques Barsac avec des propositions de restitutions de couleurs à partir de tableaux de Fernand Léger de la même période.
 

Charlotte Perriand poursuit :

" Fernand Léger reste pour moi un regard aigu sur chaque chose, sur chaque humain, dans la peau duquel il se mettait. C’est cet amour qui lui fera peindre plus tard Les Constructeurs pour se faire comprendre du peuple qu’il aimait tant retrouver. Comme il me le dira un jour dans son atelier, assis le bras ballant devant sa grande toile presque achevée, désespéré, pris entre ses convictions picturales et son désir d’être compris par l’ensemble des travailleurs : « Tu vois, je ne peux aller plus loin. Ce qu’ils voudraient, c’est des chromos. »

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Fernand Léger, Les Constructeurs (définitif) 1950, huile sur toile, 300 x 228 cm, donation de Nadia Léger et Georges Bauquier,
musée national Fernand Léger. Photo : RMN-GP / Gérard Blot © ADAGP, Paris, 2021.

Notre travail débuta par l’établissement du programme. Recommença alors ma course aux statistiques, aux photos, aux slogans appropriés. Je débarquais dans la remise, avec des tonnes de documents dans les bras et d’informations plein la tête. Trop de tout. II fallait faire le tri. Fernand Léger traitait les photos comme des objets. Il mettait les textes et les graphismes clairement lisibles dans les formes abstraites. La couleur et les adorables petits nuages à la Léger firent le reste.

« Takashimaya avait mis à ma disposition un grand espace, ce qui me permettait de présenter des ensembles répondant au thème « Synthèse des arts », mais aussi de faire la démonstration des vertus de la normalisation appliquée au rangement, de la penderie aux livres de poche. Dans les longues vitrines, j’exposai les composants de ma nouvelle quincaillerie, tiroirs compris, et des schémas de multiples formes qui pouvaient en découler. Tout ce qui était bois serait fabriqué au Japon, le métal et la plastique en France. J’avais opéré une sélection chez Luce pour le service de table. Gheerbrant m’avait remis la liste des ouvrages d’art (Le cirque de Léger, les papiers découpés de Matisse, les estampes de Miro, les empreintes de céramique de Picasso, des livres de Malraux, Corbu, Zervos, etc.). Lefèvre-Foinet m’avait envoyé celle des œuvres de Corbu (deux tableaux et huit pâtisseries), et de Léger (deux tableaux, une tapisserie, cinq céramiques et les maquettes des vitraux de l’église du Sacré-Cœur d’Audincourt). J’étais comblée.

De mes entretiens à Paris, il ressortait que l’ensemble des œuvres d’art serait prêté à titre gracieux, avec toutefois une garantie exigée par les artistes : achat ferme de deux tapisseries et d’un tableau pour Corbu, et d’une céramique pour Léger, payable avant le départ. Toutes ces transactions passeraient par Lefèvre-Foinet à Paris et par Takashimaya au Japon. »

 

A Méribel, un certain matin du mois d’août, j’ouvre le journal. Stupeur - chagrin. Fernand Léger nous avait quittés. Aujourd’hui encore, il est avec moi et je lui souris.