De l'autre côté du miroir

Il semble important de marquer les frontières des mondes, comme pour mieux mettre en valeur le passage de l'un à l'autre. L'enfant qui entre dans l'autre monde accomplit un acte majeur qui donne naissance à l'aventure extraordinaire. Est-ce un rêve ou une réalité, la réponse varie en fonction des auteurs.

  • Alice au pays des merveilles

Les Aventures d'Alice au pays des merveilles (1865) et De l'autre côté du miroir (1871) de Lewis CARROLL (1832-1898) sont, de ce point de vue, des références.

Les illustrations d'Arthur RACKHAM (1867-1939) ainsi que celles de John TENNIEL (1820-1914), qui accompagnent certaines éditions, ont marqué des générations de lecteurs et de dessinateurs.

Alice au pays des merveilles, les cartes
Alice au pays des merveilles, les cartes

La jeune Alice, qui s'ennuie, aperçoit soudain un lapin blanc qui craint d'être en retard. Elle le suit dans son terrier et après une chute interminable, elle se retrouve dans un monde imaginaire. Là, les souris et les chenilles parlent, on change de taille en prenant certains aliments ou boissons, les chats disparaissent, les cartes à jouer sont vivantes... Ses aventures qui peuvent passer pour un simple rêve, jouent avec des situations cocasses et absurdes. Confrontée à ces bizarreries, Alice doit néanmoins conserver ses bonnes manières et faire preuve de courage et d'intelligence.

Alice au Pays des merveilles, la chenille qui fume
Alice au Pays des merveilles, la chenille qui fume ; John TENNIEL
  • Le Magicien d'Oz
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Le Magicien d'Oz, illustration de Coliandre

Un autre monde de rêve est celui développé dans Le Magicien d'Oz (1900) de Lyman Frank BAUM (1856-1919). L'auteur affirme en introduction avoir voulu écrire un récit de pur divertissement et pas un outil de morale. Le petite Dorothy vit au Kansas dans la ferme de son oncle Henry et de sa tante Em. Un cyclone emporte la maison dans laquelle elle s'était réfugiée avec son chien Toto et la dépose dans un pays magnifique. En retombant, la maison a écrasé la Méchante Sorcière de l'Est, délivrant ainsi le peuple des Munchkins.  Dorothy veut retrouver le chemin du Kansas, aussi, la gentille Sorcière du Nord lui indique de se rendre auprès du Magicien Oz, dans sa Cité d'Émeraude. Lui seul doit pouvoir l'aider. Chaussée des magiques Souliers d'Argent pris à la Méchante Sorcière, elle s'engage sur la route de briques jaunes. Elle fera ensuite la connaissance d'un Épouvantail sans cervelle, d'un Bûcheron de Fer-blanc sans cœur, puis d'un Lion sans courage. Tous espèrent obtenir l'aide du mystérieux magicien.

"Oz est un grand magicien et peut adopter toutes les apparences qu'il souhaite. Aussi certains affirment-ils  qu'il ressemble à un oiseau, d'autres à un éléphant,  d'autres encore à un chat. Il en est même qui le comparent à une jolie  fée, à un lutin, ou à n'importe quelle forme  qu'il lui plaît de revêtir. Mais aucun être vivant ne peut dire quel est son visage véritable ni qui est le vrai Oz".

Chapitre 10 : "Le gardien des portes"  (traduction de Didier SÉNÉCAL)

Wizard of Oz/Le Magicien d'Oz (1939),  Affiche du film de Victor FLEMING
Wizard of Oz/Le Magicien d'Oz (1939), Affiche du film de Victor FLEMING

L'histoire a été adaptée au cinéma par Victor FLEMING (1883-1949) dans Le Magicien d'Oz (1939). Ce film musical, très apprécié du public, a la particularité d'avoir été tourné dans deux formats, la partie du "monde réel" est tournée en noir et blanc tandis que la partie magique est en couleurs, afin de rendre son aspect attrayant et extraordinaire. L'une des chansons "Somewhere Over the Rainbow" fait référence à ce pays magique, au-delà de l'arc-en-ciel. En outre, le scénario et la mise en scène prennent le parti de créer le doute sur la réalité de l'aventure de Dorothy.

A livre ouvert...

Chez certains auteurs, c'est l'objet livre qui est utilisé comme seuil entre le monde réel et le monde extraordinaire. Grâce à un procédé de mise en abyme (le support se répète à l'intérieur de lui-même), le lecteur devient personnage. La lecture — et le travail d'imagination qu'elle entraîne — devient métaphoriquement le moyen de créer des mondes imaginaires dont on devient le héros.

  • L'Histoire Sans Fin

C'est ce qui est mis en place dans plusieurs romans. D'abord dans L'Histoire Sans Fin (1979) de Michael ENDE (1929-1995). En entrant précipitamment dans une boutique de livres d'occasion, Bastien Balthasar Bux tombe sous le charme d'un livre intitulé L'Histoire Sans Fin, " comme si de ce livre émanait une sorte de force magnétique qui l'attirait irrésistiblement". Le garçon de dix ou onze ans, mal dans sa peau mais passionné de lecture, vole le livre pour le lire en cachette dans le grenier de l'école. Il s'agit d'un ouvrage à la couverture bleue, figurant deux serpents, un clair et un sombre se mordant mutuellement la queue (le symbole de l'ouroboros est défini dans l'article précédent : SURNATUREL 3/4 : La fantasy, au-delà du réel). A l'intérieur, le texte est écrit en deux teintes et on comprend vite qu'il s'agit de distinguer les parties consacrées à Bastien dans le monde réel, puis celles consacrées au Pays fantastique dans le monde imaginaire. D'autre part, les titres des chapitres du roman que vous lisez correspondent à ceux du livre que lit Bastien. Quand il commence à le lire, vous commencez avec lui.

Tout est fait pour prolonger l'identification du lecteur et donner l'impression que vous êtes comme Bastien. La nouvelle édition Hachette parue en 2014, illustrée par Joseph VERNOT, va au bout de cette expérience en proposant un très beau livre à la couverture bleue, une écriture en deux teintes et des lettrines élaborées, portant le symbole des deux serpents.

L'Histoire Sans Fin (couverture) de Michael ENDE © Hachette Romans 2014

L'Histoire Sans Fin (couverture) de Michael ENDE © Hachette Romans 2014

Le premier chapitre :  "Le Pays Fantastique en péril" relate la rencontre de quatre messagers : un feu follet, un elfe nocturne, un Tout Petit et un Rogne-Roc. Ils ont été envoyés vers la Tour d'Ivoire, pour demander l'aide de la Petite Impératrice, car leurs régions respectives disparaissent progressivement à cause d'un mal indescriptible, une sorte de néant : "Quand on regarde à cet endroit-là,  c'est comme si on était aveugle, non ?" Comme la souveraine de l'Empire fantastique est malade, c'est le monde entier qui risque de disparaître. On fait donc appel au jeune héros Atréyu, un jeune garçon à la peau verte qui vit dans une plaine nommée la Mer aux Herbes. Le Centaure Cairon, porte-parole de la Petite Impératrice, lui confie la mission de trouver un remède et de sauver le Pays Fantastique. Pour cela, il lui remet  l'AURYN, un bijou sacré figurant les deux serpents, qui a le pouvoir de le protéger et de le guider dans sa quête. C'est ainsi que commence cette grande aventure. Régulièrement, l'histoire d'Atréyu est interrompue par celle de Bastien qui voit sa journée défiler, qui réagit aux situations.

De nombreux chapitres se terminent avec cette mention : "mais cela est une autre histoire, qui sera contée autrefois", afin de montrer le nombre illimité de récits possibles, le caractère infini de l'imagination et pour donner l'envie de lire...

Le Pays Fantastique est peuplé de créatures extraordinaires : des Trolls-Ecorces, Ygramul l'araignée géante, la tortue Morla la Vénérable, Fuchur le Dragon de la Fortune, Gmork le loup-garou, le lion Graograman, Seigneur du Désert des Couleurs... Peu à peu Bastien se trouve mêlé à l'histoire qu'il lit et partage les émotions des protagonistes :

Les pensées de Bastien se brouillèrent. C'était précisément le livre qu'il était en train de lire ! Il le regarda encore une fois. Oui, sans aucun doute, le livre dont il était question, c'était celui qu'il avait en main. Mais comment ce livre pouvait -il se trouver à l'intérieur de lui-même ?

Chapitre 12 : "Le vieillard de la montagne errante" (traduction revue de Dominique AUTRAND).

L'adaptation au cinéma par Wolfgang PETERSEN, L'Histoire sans fin (1984), a connu un certain succès, même si elle ne raconte que le début du roman. La chanson du générique, interprétée par LIMAHL, a contribué à cette réussite  : "Written on the pages, is the answer to a never ending story" (la réponse à cette histoire sans fin se trouve écrite dans les pages).

  • Cœur d'encre
    Coeur d'encre, Cornelia FUNKE © Gallimard Jeunesse
    Cœur d'encre, Cornelia FUNKE © Gallimard Jeunesse

Le roman Cœur d'encre (2009 en France) de l'Allemande Cornelia FUNKE (née en 1958) reprend un concept assez proche. C'est l'oeuvre d'une amoureuse des livres. Chaque chapitre porte la citation d'un autre classique de la littérature (Le Seigneur des Anneaux, Le Vent dans les Saules, Le livre de la Jungle, Oliver Twist, L'Île au trésor...). De plus, de nombreuses situations permettent aux protagonistes de rappeler ce qui se passe dans tel ou tel livre qu'ils ont lu : une invitation, pour les lecteurs que nous sommes, à aller voir ce que d'autres ont écrit.

En voici l'histoire. Meggie, douze ans, vit avec son père Mo (pour Mortimer) et partage avec lui le goût de la lecture. Un soir, l'arrivée de Doigt de Poussière, un personnage aussi mystérieux que le nom qu'il porte, fait basculer  la vie de l'héroïne. Un certain Capricorne, cruel et dangereux, voudrait récupérer un objet. Meggie et son père se rendent chez la tante Elinor, propriétaire jalouse d'une bibliothèque personnelle exceptionnelle. La jeune fille découvre que l'objet en question est un roman intitulé Cœur d'encre. "Il s'appelle Cœur d'encre parce qu'il parle de quelqu'un dont le cœur est noir de méchanceté" (chapitre 34 : "Secrets) ; mais ce n'est pas un livre comme les autres :

C'est Mo le père de Meggie qui l'explique ici : Cœur d'encre de Cornelia FUNKE : les pouvoirs du livre

Grâce à ce genre de romans, des auteurs arrivent à conjuguer la passion de la lecture avec l'impression de l'action.

D'un monde à l'autre

Les récits mettent aussi en scène les incursions du surnaturel dans le monde réel ou alors un va-et-vient entre les univers.

Le compositeur français Maurice RAVEL (1875-1937), d'après un livret de COLETTE (1873-1954), a composé cet opéra (ou fantaisie lyrique) en deux actes : L'enfant et les sortilèges (1925). Un petit garçon cruel se voir attaqué par des objets devenus vivants pour le punir de sa méchanceté. C'est donc son quotidien qui se voit bouleversé par des éléments surnaturels.

  • La Quête d'Ewilan

Le mélange va encore plus loin dans la trilogie de La Quête d'Ewilan (2003-2006) de Pierre BOTTERO (1964-2009). Le premier tome, D'un monde à l'autre, s'ouvre in medias res, c'est-à-dire en pleine action : Camille évite de justesse un camion et se retrouve temporairement dans un autre monde, le temps d'échapper à un monstre et de récupérer une pierre précieuse. A son retour, la jeune surdouée de treize ans sent qu'elle ne peut pas se confier à ses parents adoptifs, M. et Mme Duciel, des caricatures de la bourgeoisie hautaine plutôt antipathiques ;  elle préfère en parler à son ami Salim. Très rapidement, elle prend conscience du bouleversement extraordinaire de son quotidien. Des créatures monstrueuses surgissent et s'en prennent à elle ; lorsqu'elle visualise une scène, celle-ci se réalise ; sans prévenir, elle passe d'un monde à l'autre...

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La Quête d'Ewilan de Pierre Bottero, illustration de Jean-Louis Thouard ©Rageot Editeur

C'est là-bas, dans l'univers de Gwendalavir qu'elle apprend qu'elle se nomme Ewilan. Elle fait la rencontre d'Edwin, un chevalier qui lui explique ce qui lui arrive :

— Bon... Un dessinateur peut rendre réel ce qu'il imagine. Pour ce faire, son esprit passe dans une dimension qui s'appelle l'Imagination et y progresse grâce à des chemins, les Spires. Plus le dessinateur est puissant, plus il va loin dans les Spires et plus il peut jouer avec la réalité. Les plus doués parviennent à imaginer qu'ils sont ailleurs qu'à l'endroit où ils sont réellement et à s'y transporter instantanément. C'est le pas sur le côté. L'être à qui tu as pris la pierre, Camille, est un Ts'lich, une redoutable créature versée dans l'Art du dessin et dans celui de la guerre. Il est heureusement incapable  de passer d'un monde à l'autre, bien qu'il puisse parfois faire de petits pas sur le côté. Un petit pas est similaire à un grand, sauf qu'il s'exécute dans un même monde et qu'il est plus facile à réaliser. C'est certainement le Ts'lich qui a envoyé les marcheurs à tes trousses pour récupérer son bien.

Chapitre 9.

Le pouvoir de l'imagination, par le biais du "dessin", est très clairement mis en avant ; d'ailleurs, imaginer signifie mettre en image. Le romancier suggère que la capacité de se représenter mentalement les choses est un atout ; c'est une façon de donner vie à ses idées et à ses rêves. Accompagnée de Salim, Edwin puis Ellana, Camille va devoir apprendre à maîtriser ses dons, découvrir son identité et mesurer à quel point elle est importante pour ce monde magique. L'écriture très vivante de BOTTERO parvient à mêler humour, action et références culturelles.

  • Le Monde de Narnia

Clive Staples LEWIS (1898-1963) — ami de TOLKIEN pendant une période — a lui aussi imaginé un vaste univers dans Le Monde de Narnia (1950-1956). Il s'agit une série de sept romans pour enfants. Bien qu'ils aient été écrits dans le désordre, les éditions plus tardives leur ont rendu leur cohérence. Dans le premier tome écrit, Le Lion, la Sorcière blanche et l'Armoire magique, nous suivons le parcours de quatre frères et soeurs (Peter, Susan, Edmond et Lucy) qui découvrent dans une armoire un passage vers le monde extraordinaire de Narnia. Le professeur Kirke, chez qui les enfants ont été recueillis, donne son avis sur la question :

"S'il y a réellement, dans cette maison, une porte qui conduit vers un autre monde (et je dois vous avertir que cette maison est très étrange, et que, même moi, je la connais très mal) si donc, je le répète, Lucy a pénétré dans un autre monde, je ne serais pas du tout surpris de découvrir que cet autre autre monde a un temps séparé, qui lui est propre ; si bien que quelle que soit la durée d'un séjour là-bas, cela ne prendra jamais une seconde de notre temps."

Chapitre 5 : "Retour de ce côté de la porte" (traduction de Anne-Marie DALMAIS).

Narnia, un univers d'apparence médiévale, emprunte à nos légendes et à nos mythes des créatures comme les faunes, centaures et les licornes, des animaux qui parlent, des géants et même la connaissance d'Adam et Eve. Les illustrations de Pauline BAYNES (1922-2008) ont longtemps accompagné les éditions en livres.

Narnia, couverture originale, illustration de Pauline BAYNES
The Chronicles of Narnia, couverture originale, illustration de Pauline BAYNES

La neige recouvre tout à cause de la Sorcière Blanche qui souhaite étrendre sa domination par ce moyen. Elle n'est toutefois pas la souveraine légitime de ce royaume, elle ne fait qu'usurper le rôle du Lion Aslan dont le retour est imminent. Le projet de LEWIS est cependant d'une nature autre que le pur divertissement, il souhaite en effet proposer aux jeunes lecteurs, sous une forme imagée, une sensibilisation à la religion chrétienne. Les enfants font l'expérience du doute, de la foi et même de la passion du Christ lorsque le lion est mené en sacrifice.

Les adaptations cinématographiques ont fait le choix de suivre l'ordre dans lequel LEWIS a écrit les livres, ce qui ne correspond pas toujours à la chronologie interne de l'histoire. Le Lion, la Sorcière blanche et l'Armoire magique   (2005) d'Andrew ADAMSON a bénéficié de nouvelles technologies pour les effets spéciaux, de costumes soigneusement réalisés, de décors et accessoires préparés par une équipe expérimentée et d'un scénario à la fois fidèle et pertinent.

  • Harry Potter

Sans doute beaucoup d'entre vous ont été sensibles au succès des romans Harry Potter (1997-2007) de Joann K. ROWLING (1965-). Harry Potter, Ron Weasley et Hermione Granger, les trois héros, y opèrent régulièrement un va-et-vient entre le monde normal et le monde magique, symbolisé par Poudlard, l'école de sorcellerie. Le monde de la magie y est présenté de façon amusante (les balais y  sont de vrais moyens de locomotion) même si l'atmosphère s'assombrit au fil des épisodes. Le collège a toutes les particularités des établissements anglais : port de l'uniforme, répartitions en maisons (Gryffondor, Serdaigle, Poufsouffle et Serpentard), valorisation du mérite, compétitions sportives — le Quidditch...

La romancière a su assimiler une grande culture littéraire pour la remodeler à sa manière et avec humour. Le jeune Harry est un orphelin, maltraité par son oncle et sa tante qui l'ont recueilli, à la demande du grand sorcier Dumbledore. Il est contraint de vivre dans un réduit sous les escaliers et n'a rien quand son cousin a tout ; il s'inscrit dans la lignée des enfants malheureux comme la Cosette de Victor HUGO ou la Cendrillon de Charles PERRAULT. La cicatrice qu'il porte sur le front lui a été infligée par le Seigneur des Ténèbres, à qui il a survécu de justesse, mais c'est aussi la marque distinctive, le signe qui permet d'identifier le héros  (comme les pieds enflés d'Œdipe ou la cicatrice d'Ulysse). L'extrait suivant présente Harry encore bébé et emploie de nombreux verbes au conditionnel afin de créer un effet d'annonce :

Une brise agitait  les haies bien taillées de Privet Drive. La rue était propre et silencieuse sous le ciel d'encre. Jamais on n'aurait imaginé que des événements extraordinaires puissent  se dérouler dans un tel endroit. Harry Potter se retourna sous ses couvertures sans se réveiller. Sa petite main se referma sur la lettre posée  à côté de lui et il continua de dormir sans savoir qu'il était un être exceptionnel, sans savoir  qu'il était déjà célèbre, sans savoir non plus que dans quelques heures, il serait réveillé par le cri de Mrs Dursley qui ouvrirait  la porte pour sortir les bouteilles de lait et que pendant des semaines, il serait piqué et pincé par son cousin Dudley... Il ne savait pas davantage qu'en ce moment même, des gens s'étaient rassemblés en secret dans tout le pays et qu'ils levaient leur verre en murmurant : "A la santé de Harry Potter. Le survivant !"

Harry Potter, Chapitre 1 : "Le survivant" (traduction de Jean-François MENARD).

Harry Potter (fanart) © Julie Rouviere ; reproduti avec l'aimable autorisation de la dessinatrice ; http://julierouviere.tumblr.com/

Harry Potter (fan art) © Julie Rouvière ;

reproduit avec l'aimable autorisation de la dessinatrice ;

http://julierouviere.tumblr.com/

Par ailleurs, les noms de certains des personnages principaux sont inspirés des mythologies européennes  : Minerva Mc Gonagall est l'équivalent de Minerve la déesse de la sagesse ; Remus Lupin fait allusion à Remus et Romulus, fondateurs légendaires de Rome nourris par la louve ; Fenrir Greyback rappelle le loup Fenrir des mythes vikings. J.K. ROWLING pioche également dans les langues française et latine lorsqu'elle nomme certains protagonistes : Voldemort, Malefoy ou Fleur Delacour ; Albus (blanc) Dumbledore, Rubeus (rouge) Hagrid ou Argus (nom d'un gardien doté de cent yeux) Rusard.

Dans ses romans, on s'amuse, on pleure et on meurt. Elle rend le récit captivant en lui donnant souvent la forme d'une enquête. Elle aborde aussi des sujets aussi variés que les peines de cœur ou la discrimination. Parallèlement, tous les codes et personnages surnaturels sont réinvestis : épées magiques, formules, potions, grimoires, gobelins, trolls, dragons, géants, sirènes, centaures, loups-garous... D'autre part, le lecteur peut s'identifier au personnage de Harry, mis au centre de ces conflits de grande envergure ; on découvre avec lui le monde insolite de la magie et des sorciers. Le destin qu'on lui annonce, confirmé par la Prophétie dans le 5e tome (L'Ordre du Phénix), fait de lui un personnage qui doit s'élever de sa condition de départ, comme dans les contes. Il lui faudra donc vaincre Voldemort, "Celui-qu'on -ne- doit-pas-nommer", un puissant sorcier qui manipule la magie noire et qui veut asservir les uns et détruire les autres.

Enfin, la romancière a su créer des personnages attachants malgré leurs défauts respectifs, elle leur donne ainsi une grande vraisemblance psychologique visible dans leurs relations et leur comportement. Les sept volumes, se concentrant à chaque fois sur une année scolaire, ont permis aux jeunes lecteurs d'évoluer en même temps que leurs héros.

  • Vous pouvez suivre avec profit le mot-clé Harry Potter sur ce blog.

 

Les pays imaginaires

L'histoire de Peter Pan se déroulait dans le Pays imaginaire (voir LE POINT SUR LES ÎLES 4/4 : L'île aux enfants). A sa suite, de multiples récits ont imaginé des enfants qui venaient d'ailleurs.

  • À la croisée des mondes
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Dans sa trilogie À la croisée des mondes (1995-2000),  Philip PULLMAN (1946-) développe l'idée d'univers parallèles.

L'adaptation cinématographique  A la croisée des mondes, La Boussole d'Or (2007) de Chris WEITZ s'est attachée à rendre cette esthétique à la fois proche et familière. On y reconnaît une sorte de XIXe siècle déformé, propre au genre steampunk (voir la définition dans SCIENCE ET FICTION 3/4b : L'irréel du passé).

Avec le premier tome, Les Royaumes du Nord, dans un environnement semblable au nôtre, PULLMAN présente l'héroïne, la jeune Lyra Belacqua. Véritable garçon manqué, ses façons rebelles ne lui attirent pas les bonnes grâces des Érudits du Jordan College d'Oxford où elle vit sous la protection de son oncle Lord Asriel. Celui-ci compte monter une expédition dans le Grand Nord pour étudier et prouver l'existence de la Poussière, une substance mystérieuse qui anime toutes sortes de débats religieux sur Dieu et la pluralité des mondes. 

Malgré des ressemblances évidentes, le monde de Lyra n'est pas le nôtre ; en effet, les humains sont toujours accompagnés d'un daemon, un animal indissociable qui représente leur caractère. Le Maître de l'université remet à la jeune fille un aléthiomètre, une sorte de boussole qui indique la vérité, si on sait poser la question. Cet outil précieux sera l'objet de nombreuses convoitises.

Quand son ami Roger est enlevé par les Enfourneurs, Lyra se lance à sa poursuite, malgré les menaces de Mme Coulter, une Érudite charmante mais mystérieuse et dominatrice. Son aventure l'amène à rencontrer les gitans, les Sorcières du Nord ou encore les Ours en armure de Svalbard. Mais après sa rencontre avec Will et son poignard subtil, dans le deuxième tome, Lyra va pouvoir passer dans d'autres mondes et rencontrer les anges, parcourir le monde des morts et croiser les Spectres...

— Quand un Spectre attrape un adulte, ce n'est pas beau à voir. Il lui mange toute la vie à l'intérieur, en quelques secondes. Je n'ai pas envie de devenir grande, vous pouvez me croire. Au début, quand ils comprennent ce qui se passe, les adultes ont peur, ils hurlent, ils pleurent, ou ils essayent de regarder ailleurs, pour faire comme si ce n'était pas vrai. Mais c'est déjà trop tard. Et personne ne veut s'approcher pour les aider ; ils sont tout seuls. Au bout d'un moment, ils deviennent tout pâles et ils ne bougent plus. Ils sont toujours vivants, mais c'est comme si on les avait dévorés de l'intérieur. Quand on les regarde dans les yeux, on voit l'arrière de leur crâne. C'est tout vide.

À la croisée des mondes, tome 2 : La Tour des Anges, chapitre 3 : "Un monde d'enfants" (traduction de Jean ESCH).

 

Ces romans sont particulièrement riches et complexes, ils offrent des pistes de réflexion très poussées et interrogent les lecteurs sur leur propre état d'esprit et leurs croyances. La question de la religion y est traitée sur un mode opposé à celui de C.S. LEWIS dans Narnia, les frontières entre le bien et le mal sont floues, les trahisons et les révélations se multiplient, les motivations de certains personnages ne se laissent pas saisir facilement...

 

  • L'Apprenti Épouvanteur

Des récits pour la jeunesse qui veulent ressembler à ceux pour les adultes, avec des personnages sombres et des scènes terribles, c'est ce que l'on peut trouver aussi avec L'Apprenti Épouvanteur (2004), de l'Anglais Joseph DELANEY (né en 1945). On a pu en voir une version sur grand écran : Le Septième Fils (2014) de Sergey BODROV.

L'Apprenti de l'Epouvanteur, Joseph DELANEY, © Bayard Jeunesse
L'Apprenti Epouvanteur, Joseph DELANEY, © Bayard Jeunesse

Le narrateur, le jeune Thomas Ward, âgé de treize ans, est le septième fils d'un septième fils. Les bons emplois étant déjà pris, il est alors confié comme apprenti à l'Épouvanteur, qui le formera pendant cinq ans :

Je devrais apprendre à protéger les fermes et les villages de créatures qui surgissent à la faveur de la nuit ; affronter goules, démons et autres monstruosités serait mon lot quotidien. Car telle est la tâche de l'Épouvanteur, et j'allais, semblait-il, devenir son apprenti.

Chapitre 1 : "Un septième fils" (traduction de Marie-Hélène DELVAL).

Le maître explique à son disciple qu'ils ont "le don de voir ce que les autres ne voient pas" (Chapitre 2 : "En chemin"). Ce récit volontiers horrifique donne l'occasion d'évoquer régulièrement des choses effrayantes, des bruits inquiétants dans la nuit, des angoisses sourdes... Des enlèvements, des meurtres, des sorcières cruelles (la Mère Malkin...) seront les ennemis à abattre. Dans ce récit d'initiation, on remarquera une grande quantité de discours explicatifs ou de phrases injonctives qui reproduisent une situation d'apprentissage. Le personnage et le lecteur découvrent ensemble les secrets de ce monde à la fois étrange et familier : la différence entre les ombres et les fantômes, pourquoi et comment enterrer une sorcière, de quelle façon reconnaître et entraver les gobelins... 

- Nous ne sommes pas des magiciens, mon garçon. Nos outils de travail se nomment bons sens, courage et mémoire, car nous devons tirer les leçons du passé. Et surtout nous ne croyons pas aux prophéties, car l'avenir n'est pas défini.

Chapitre 4 : "La lettre".

Belle leçon pour le lecteur. Il y a encore tant de récits qui prennent les enfants ou de jeunes gens pour héros. Par exemple Les Chevaliers d'Émeraude (2003-2008 au Québec) de la Québécoise Anne ROBILLARD (née en 1955) montre l'importance de Kira, la fille de l'Empereur noir pour réaliser la prophétie et sauver le monde. Entre intrigues et rebondissements, les chevaliers magiciens auront des batailles à livrer contre des monstres et des ennemis redoutables.

Les Chevaliers d'Emeraude, Anne ROBILLARD,© Michel Lafon
Les Chevaliers d'Emeraude, Anne ROBILLARD,© Michel Lafon

Tiburce OGER, habitué au monde médiéval fantastique avec Gorn,  en a commencé l'adaptation en bande dessinée : Les Chevaliers d'Émeraude dont les superbes planches matérialisent comme il se doit un monde féérique.

Le célèbre jeu vidéo La légende de Zelda, développé à partir de 1986 par le groupe Nintendo, donne la possibilité au joueur d'incarner le tout jeune Link. Costume vert de type médiéval, épée et bouclier, le héros, en s'aidant de la Triforce, doit sauver la princesse Zelda et vaincre le seigneur maléfique  Ganondorf.  La quête, un des motifs habituels de la fantasy, est au cœur de l'action aux côtés des donjons, des énigmes et des créatures magiques. Le jeu ne cesse d'évoluer jusqu'à aujourd'hui.

Zelda, dessin pour T-shirt sur http://mykrhaine2010.deviantart.com/art/ZELDA-T-SHIRT-347762341
Zelda, dessin pour T-shirt sur http://mykrhaine2010.deviantart.com/art/ZELDA-T-SHIRT-347762341

 

 

La fantasy offre donc des formes toujours plus diversifiées :  tournée vers les enfants qu'elle aide à grandir,  orientée vers les adultes qu'elle divertit, elle reste un genre précieux, mais difficile. Le recours à la magie peut vite tomber dans le ridicule, l'invraisemblable et empêche parfois d'adhérer à l'histoire. Que faut-il en retenir ? C'est un genre qui pose nos rêves devant nos yeux et se prête à tous les supports : illustration, jeux vidéos, bandes dessinées, cinéma et même musique. Il y en a forcément pour chacun d'entre nous.

 

 Munis de tous ces moyens d'évasion, vous n'avez plus qu'à voler de vos propres ailes.

 

Je remercie très chaleureusement Julie Rouvière pour son aimable participation.

 

N. THIMON