L'homme chauve qui rit
Lorsque le XIXe siècle réinvente la chevalerie, il l'enrobe de tous ses rêves. Chez Victor HUGO, dans La Légende des Siècles (1859), les chevaliers sont gagnés par les ténèbres. Ces quelques lignes des "Chevaliers errants" devraient vous en convaincre.
"Ils flamboyaient ainsi que des éclairs soudains,
Puis s'évanouissaient, laissant sur les visages
La crainte, et la lueur de leurs brusques passages ;
[…]
Les spectres de l'honneur, du droit, de la justice;
Ils foudroyaient le crime,
[…] ces magistrats sinistres de l'épée.
Malheur à qui faisait le mal! Un de ces bras
Sortait de l'ombre avec ce cri : Tu périras!
[…]
Ils erraient dans la nuit ainsi que des lumières.
[…]
Ils étaient justes, bons, lugubres, ténébreux;
[…]
Le peuple en leur présence avait l'inquiétude
De la foule devant la pâle solitude
Ils passaient effrayants, muets, masqués de fer."
Ils représentent la justice, mais ils font peur ; ils apportent la paix, mais ils sont sombres, ils défendent les faibles, mais ils sont impitoyables. Lorsque l'on observe les termes que HUGO emploie pour les qualifier, on ne peut s'empêcher de penser à un autre justicier sombre : Dark Knight, (le chevalier des ténèbres, le chevalier noir) surnom du Caped Crusader (le Justicier Masqué, le Croisé à la cape, en croisade contre l'injustice) encore une référence au chevalier. Batman, l'homme chauve-souris créé par Bob KANE et Bill FINGER dans le magazine DC Comics en 1939 est l'un des tout premiers super-héros. Ses caractéristiques empruntent beaucoup aux paladins du poète français. Avec notamment le travail de Frank MILLER qui a réalisé les comics Dark Knight, l'aspect sombre du héros a été mieux mis en valeur avant d'être porté à l'écran dans la trilogie de Christopher NOLAN.
Victor HUGO est de plus l'auteur du roman L'Homme qui rit (1869). Le héros, un jeune homme nommé Gwynplaine a été atrocement défiguré pour devenir une bête de foire : on lui a coupé les commissures des lèvres jusqu'à ce qu'il porte un bien involontaire et sanglant sourire sans joie. C'est une image forte, bien connue, qu'on retrouve surtout chez le personnage du Joker (celui qui plaisante). La tentation est grande d'y voir un lien de parenté.
Les héros de nos récits contemporains doivent beaucoup aux chevaliers, tels qu'ils nous ont été dépeints par les artistes.Toute un lignée de justiciers masqués verra la jour, à voir dans l'article BAS LES MASQUES 2/3.
Héros d'un autre monde
Même en les transposant dans un univers de science-fiction comme Star Wars, on retrouve chez les chevaliers Jedi un mélange d'influences d'anciennes traditions. Ils emploient un sabre (laser) plutôt que des armes à feu et portent des vêtements en tissu ample. Ils doivent faire preuve de sagesse et respectent un code d'honneur. Ils ont pour mission de maintenir la paix dans la galaxie. Ils rappellent peut-être plus des guerriers japonais médiévaux que leurs équivalents européens, mais on peut tous les regrouper sous l'appellation de chevaliers.
C'est encore du côté du Japon que l'on peut se tourner pour observer l'influence de l'univers des chevaliers avec Les Chevaliers du Zodiaque de Masami KURUMADA. Il s'agit d'un manga (bande dessinée japonaise) de type shōnen (récit pour garçons adolescents). Le récit, qui se trouve dérivé ensuite en série télévisée de plusieurs saisons et en divers longs-métrages, met en scène des jeunes gens chargés de la protection de la déesse Athéna. Comme souvent, des sources multiples sont nécessaires à la création d'un univers original : on croise à la fois les mythologies grecques et scandinaves, les influences européennes et asiatiques.
Au départ, les jeunes héros, alors simples chevaliers de bronze, participent à des tournois. Chacune de leurs armures, gagnée au terme d'un entraînement intensif, figure une constellation. Ils sont par ailleurs dotés de pouvoirs de combat. Ils évoluent au fil de leurs victoires contre des ennemis toujours plus puissants et mal intentionnés. Ils développent un esprit de sacrifice hors du commun et, cela est cher au public, ils n'abandonnent jamais. Ils défendent leurs idéaux, mettent l'amitié au dessus de tout. Leur devoir est un bien précieux et ils repoussent sans cesse les limites du possible. Plus d'une fois, l'un d'eux est au seuil de la mort, mais se relève pour faire triompher le justice. Cet ensemble de caractéristiques compose un genre qu'en japonais on nomme nekketsu ("sang brûlant"). Si toutes ces péripéties montrent généralement une opposition simpliste entre le Bien et le Mal, elles transmettent néanmoins au public des valeurs positives.
Chevaliers du ciel
La modernisation des chevaliers va plus loin qu'on ne saurait le dire. En troquant leurs armures contre des combinaisons militaires et leur montures contre des avions de chasse, Tanguy et Laverdure deviennent Les Chevaliers du Ciel. Une bande dessinée créée par Jean-Michel CHARLIER et Albert UDERZO, puis adaptée en série télévisée dans les années 60 avant de sortir sur grand écran en 2005 dans un long-métrage de Gérard PIRÈS raconte les aventures de deux pilotes de chasse français.
Alex ALICE, dans sa très belle série Le Château des étoiles (2014-2015) (voir DÉPEINDRE LES QUATRE ÉLÉMENTS 4/4 : À tous les vents, b. Voler sans ailes ?) nous présente ses "Chevaliers de l'éther", surnom donné aux explorateurs du XIXe siècle réinventé qui partent à l'assaut des secrets de la Lune. Dans les combinaisons qui leur servent d'armure, ils sont en quête d'un nouveau Graal représenté par les mystères lunaires. Le héros Séraphin a pour nom de famille Dulac, comment ne pas y voir une allusion à Lancelot du Lac ? L'éthernef, l'engin volant qu'ils utilisent, a l'aspect d'un cygne qui fait référence à Lohengrin le chevalier au cygne rendu célèbre par l'opéra de Richard WAGNER. Enfin, le roi s'adresse une fois à Séraphin en l'appelant Perceval. Tous ce éléments mettent en évidence la portée des récits de chevaliers.
Tous les héros présentés ici, défenseurs du bien, nous aident à comprendre pourquoi on garde une image positive des chevaliers d'autrefois. Aujourd'hui, il est toujours bienvenu d'être chevaleresque, c'est le signe d'une certaine courtoisie, une démonstration de courage et de respect des autres.
Le mois prochain, vous lirez BAS LES MASQUES, l'art de la dissimulation...
N. THIMON
Mes remerciements à Michel BORDERIE pour le fan art de Batman.