I. Un conte tout bête
C'est en 1757 que Jeanne Marie LEPRINCE DE BEAUMONT (1711-1780) publie son conte La Belle et la Bête.
Mais il semble qu'elle se soit elle-même inspirée d'un récit plus ancien encore que l'on trouve dans L'Âne d'or ou Les Métamorphoses d'APULÉE (123-170) (voir LES BELLES ET LES BÊTES 3/3).
Le récit de Mme LEPRINCE DE BEAUMONT commence par ces mots et rappelle en tous points les contes pour enfants auxquels Charles PERRAULT a habitué le public dès le siècle précédent :
"Il y avait une fois un marchand qui était extrêmement riche. Il avait six enfants, trois garçons et trois filles ; et, comme ce marchand était un homme d’esprit, il n’épargna rien pour l’éducation de ses enfants, et leur donna toutes sortes de maîtres. Ses filles étaient très belles ; mais la cadette, surtout, se faisait admirer, et on ne l’appelait, quand elle était petite, que La belle enfant ; en sorte que le nom lui en resta ; ce qui donna beaucoup de jalousie à ses sœurs."
La situation initiale présente rapidement les personnages et leurs bonnes conditions de vie. Toutefois, on observe également l'annonce des difficultés avec l'indication de la jalousie des sœurs. Peu après, l'élément perturbateur vient rompre cet équilibre :
"Tout d’un coup le marchand perdit son bien, et il ne lui resta qu’une petite maison de campagne, bien loin de la ville."
A partir de ce moment, la Belle et ses frères sont obligés de travailler pour subvenir à leurs besoins tandis que ses sœurs refusent de fournir le moindre effort, persuadées qu'elles épouseront bientôt un homme riche. Les péripéties commencent ainsi et font planer une menace sur le marchand qui était sorti la nuit :
"comme il fallait passer un grand bois, avant de trouver sa maison, il se perdit. Il neigeait horriblement ; le vent était si grand, qu’il le jeta deux fois en bas de son cheval, et, la nuit étant venue, il pensa qu’il mourrait de faim ou de froid, ou qu’il serait mangé des loups, qu’il entendait hurler autour de lui".
C'est une façon pour l'auteur de mettre en avant le danger, de préparer les événements extraordinaires qui s'annoncent. Le marchand entre dans un palais où il peut se restaurer et se reposer, croyant ainsi recevoir la grâce d'une bonne fée, mais, en repartant, "comme il passait sous un berceau de roses, il se souvint que la Belle lui en avait demandé, et cueillit une branche où il y en avait plusieurs. En même temps, il entendit un grand bruit, et vit venir à lui une Bête si horrible, qu’il fut tout prêt de s’évanouir. « Vous êtes bien ingrat, lui dit la Bête, d’une voix terrible ; je vous ai sauvé la vie, en vous recevant dans mon château, et, pour ma peine, vous me volez mes roses que j’aime mieux que toutes choses au monde. Il faut mourir pour réparer cette faute" Le seul moyen d'en échapper est de livrer l'une de ses filles en échange. Néanmoins, en dépit de sa monstruosité, la Bête fait preuve d'une certaine noblesse puisqu'elle permet au marchand de partir avec une grande quantité d'or. Il est ici le type de même de la créature effrayante et surnaturelle qui garde en captivité la belle héroïne (voir AUTOUR DU HOBBIT (3/3) : La représentation symbolique du dragon dans la culture occidentale).
La Belle accepte de gagner le palais du monstre pour délivrer son père qu'elle aime tant, montrant ainsi les qualités qui font défaut à ses sœurs (ces dernières se montrent hypocrites, font semblant de pleurer en se passant des oignons sous les yeux). Elle est accueillie au palais avec toute la magnificence réservée aux personnes de haut rang que l'on veut satisfaire. La Bête lui fait toutes sortes de compliments jusqu'à ce que la Belle s'habitue à sa présence. Régulièrement, le monstre demande à la jeune fille si elle consent à l'épouser.
" Je pourrais bien vous promettre, dit-elle à la Bête, de ne vous jamais quitter tout-à-fait ; mais j’ai tant d’envie de revoir mon père, que je mourrai de douleur si vous me refusez ce plaisir. — J’aime mieux mourir moi-même, dit ce monstre, que de vous donner du chagrin. Je vous enverrai chez votre père ; vous y resterez, et votre pauvre Bête en mourra de douleur. — Non, lui dit la Belle en pleurant, je vous aime trop pour vouloir causer votre mort. Je vous promets de revenir dans huit jours".
Grâce aux pouvoirs magiques - simplement suggérés - de la Bête, le Belle qui s'est endormie au palais se réveille chez son père. Elle constate que ses sœurs ont fait un mauvais mariage. Après avoir rassuré son père sur son propre sort, elle se retrouve de nouveau au palais. La Bête commençait à s'y laisser mourir :
"Non, ma chère Bête, vous ne mourrez point, lui dit la Belle, vous vivrez pour devenir mon époux ; dès ce moment je vous donne ma main, et je jure que je ne serai qu’à vous. Hélas ! je croyais n’avoir que de l’amitié pour vous ; mais la douleur que je sens me fait voir que je ne pourrais vivre sans vous voir. À peine la Belle eut-elle prononcé ces paroles qu’elle vit le château brillant de lumière (...)."
C'est la résolution qui permet de mettre fin aux péripéties et rétablit l'équilibre. La fin heureuse est donc racontée dans la situation finale :
"Quelle fut sa surprise ! la Bête avait disparu, et elle ne vit plus à ses pieds qu’un prince plus beau que l’Amour, qui la remerciait d’avoir fini son enchantement". La fée qui avait transformé le jeune homme apparaît et change les deux méchantes sœurs en statues pour qu'elles assistent impuissantes au bonheur de la Belle. Celle-ci épouse le prince et ils vivent heureux.
La morale est sauve : les gentils sont récompensés, les méchants sont punis. Le récit s'impose comme une histoire visant à rassurer les futures épouses, promises à des maris inconnus, inquiétants, non aimés. La crainte des mariages de raison, qui a lieu notamment parmi la noblesse du XVIIIe siècle, ajoute au conte une dimension politique et sociale. En outre, l'histoire offre une sorte de métaphore qui met en avant l'importance de la beauté intérieure (voir CŒUR D'HOMME, PEAU DE BÊTE 4/4: Sales bêtes !).
Le compositeur français Maurice RAVEL (1875-1935) a transposé une partie de ce conte dans Les entretiens de la Belle et la Bête (1912), c'est le quatrième des cinq mouvements de la suite intitulée Ma Mère l'Oye (d'abord prévus pour un piano joué à quatre mains, c'est aussi une référence aux contes de PERRAULT). Pour marquer les caractères opposés des personnages, la Belle est interprétée par le son léger d'une clarinette et celui de la Bête par le son grave d'un contrebasson.
La force du conte réside dans sa capacité à raconter de manière simple une histoire à la fois merveilleuse et universelle.
La suite dans une semaine avec LES BELLES ET LES BÊTES 2/3 : La bête fait son cinéma.
N. THIMON
Commentaires
bien :-)
charline