Fabriquée à partir du mot "nègre" qui a longtemps eu une résonance péjorative, la négritude est un mouvement culturel, né de la rencontre de trois hommes :


  • Léon Gontran DAMAS

Le Guyanais Léon Gontran DAMAS (1912-1978), dans son texte poétique Pigments (1937),  affirme le premier, avec une certaine virulence, son refus d'être assimilé à la culture des colonisateurs. Le frontispice(1) de son recueil, en noir et blanc, a été réalisé par Frans MASEREEL (1889-1972), un graveur belge. Il représente un jeune homme noir qui sort d'un smoking. Symboliquement, le peuple noir se libère des attributs du peuple blanc. A l’arrière-plan, de part et d'autre, l'opposition se répète avec d'un côté les palmiers et de l'autre les gratte-ciels d'une ville moderne.

"Blanchi" dans le recueil Pigments de Léon Gontran DAMAS

Pigments est donc, dès le titre, une suite de textes revendiquant la couleur. Cet esprit va gagner d'autres auteurs et prendre de l'ampleur.

  • Aimé CÉSAIRE

Aimé CÉSAIRE, lorsqu'il publie son Cahier d'un retour au pays natal en 1939 propose bien plus qu'un long poème, il s'agit d'un manifeste virulent qui lui permet d'afficher avec fierté sa couleur noire, d'accuser avec violence les esclavagistes et les colonialistes.

"Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir"

Il mélange la prose et le vers libre, emploie un langage parfois obscur mais toujours très recherché, il semble même refuser certaines contraintes d'écriture comme pour mieux affirmer sa liberté. Voyez l'extrait ci-dessous :

la négraille assise
inattendument debout
debout dans la cale
debout dans les cabines
debout sur le pont
debout dans le vent
debout sous le soleil
debout dans le sang
      debout
            et
               libre    

Toute la colère contenue dans le texte jaillit au visage du lecteur. L'identité de la négritude se construit dans l'opposition, l'affrontement, le refus de l'assimilation et de la ressemblance.

  • Léopold Sedar SENGHOR

Léopold Sedar SENGHOR (1906-2001), un Sénégalais, fait de prestigieuses études littéraires aux côtés de CÉSAIRE. Pendant la seconde guerre mondiale, il fait partie de la Résistance, puis sa carrière politique l'amène à devenir président du Sénégal en 1960. Ses poèmes cherchent à faire honneur au peuple noir et le sortir de l'indifférence dans laquelle on l'a parfois abandonné.

"Poème liminaire" de Léoplod Sedar SENGHOR


  • David DIOP

D'autre part, David DIOP (1927-1960) a été l'élève de SENGHOR pendant ses études de lettres. Dans son recueil Coups de pilon (1973), il a lui aussi voulu dénoncer l'humiliation du peuple africain.  Lisez un de ses poèmes les plus connus  "Afrique" : 

Poème "Afrique" de David DIOP


Tous ces auteurs ont contribué à faire sortir le Noir des stéréotypes dans lesquels on veut l'enfermer (voir l'article précédent LA ROUTE DE L'ESCLAVE 1/3 : les esclaves d'hier). Ils sont par conséquent les représentants d'une poésie engagée, qui cherche non pas à divertir, mais à défendre une cause. Les jeux de langage, les figures de style et tous les ornements littéraires servent à porter un message à dimension politique.


La fin dans une semaine avec LA ROUTE DE L'ESCLAVE 3/3 : enfin libres ? a.retour en Afrique.

Le mois prochain vous lirez DÉPEINDRE LES QUATRE ÉLÉMENTS, quand l'art imite la Nature avant de la défier...






NOTES :
1 : Frontispice : illustration en début d'ouvrage. Découvrez son analyse détaillée (texte et vidéo) en suivant ce lien : http://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?analyse_id=825

N. THIMON