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Les mythes gréco-latins connaissent plusieurs personnages au nom identique qui seraient à l'origine de ce majestueux volatile. OVIDE (43 av. J.C. - 17 ap. J.C.), dans les Métamorphoses, raconte comment  Cygnus (ou encore Cycnus ou Cycnos) le roi de Ligurie pleure la mort de Phaéton, foudroyé par Jupiter (voir DÉPEINDRE LES QUATRE ÉLÉMENTS 3/4 : Tout feu tout flamme, b. Le feu céleste).

[…] soudain, sa voix s'affaiblit, des plumes blanches cachent ses cheveux, son cou s'allonge, à distance de sa poitrine, ses doigts rougissent  et des membranes les relient, un plumage vêt ses flancs, sa bouche est pourvue d'un bec sans pointe. Cygnus devient un oiseau nouveau […] il gagne les étangs, les vastes lacs, et, plein de l'horreur du feu, pour séjour il choisit les fleuves, ennemis de la flamme.

Métamorphoses, livre II (traduction de Joseph CHAMONARD).

VIRGILE (70 -19 av. J.C.), dans l'Enéide, confirme cette version en précisant que le héros chantait de tristesse au moment de sa transformation. Voici donc comment serait né cet oiseau dont le chant accompagnerait la mort.

Par ailleurs, la mythologie grecque nous rapporte l'étrange union de  Zeus et Léda. Le roi de dieux, cherchant comme souvent une amante humaine, prend la forme d'un cygne pour s'approcher discrètement de la belle jeune femme.

Léda et le Cygne, illustration de Léonard de Vinci ; source BNF/Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84186835/f1.item.r=

Léda et le Cygne, illustration de Léonard de Vinci ;

source BNF/Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84186835/f1.item.r=

Zeus s'unit à Léda sous l'aspect d'un cygne et, la même nuit, s'unit aussi à elle son époux Tyndare. Léda eut Pollux et Hélène de Zeus ; et Castor et Clytemnestre de Tyndare.

Bibliothèque d'APOLLODORE, III, 10, 7. (traduction de Ugo BRATELLI :

http://ugo.bratelli.free.fr/Apollodore/Livre3/III_10_4-7.htm)

Léda et le Cygne, tableau de Franceso MELZI d'après une illustration de Léonard de Vinci
Léda et le Cygne, tableau de Francesco MELZI d'après une illustration de Léonard de Vinci
  • Sur les représentations ci-dessus, les artistes de VINCI et MELZI ont établi une synthèse des différents moments du mythe : Léda encore nue enlace le cygne amoureux, les œufs dont elle a accouché viennent d'éclore et les quatre enfants sont prêts à se déplacer.

C'est ainsi que naissent les fameux jumeaux Castor et Pollux — qu'on surnomme les Dioscures — ainsi qu'Hélène, "la plus belle femme du monde" (voir HÉROÏNES DE TOUJOURS 2/4 : Femmes de guerre, b. ...Et celles pour qui on se bat). La transformation est donc ici un acte volontaire, accompli sur soi-même dans le but de tromper la vigilance de certains.

C'est aussi le cas dans le Conte du Tsar Saltan (1831), un conte pour enfant adapté par l'écrivain russe Alexandre POUCHKINE (1799-1837). Gvidon, le fils du Tsar Saltan, vit loin de son père qui, trompé par une fausse accusation, était persuadé que  son enfant était monstrueux. Le jeune homme sauve un cygne attaqué par un vautour.

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Il découvre alors que l'oiseau blanc est en fait une princesse et que le rapace est un magicien maléfique. Cette princesse dispose de pouvoirs magiques et viendra en aide au héros à plusieurs occasions, notamment en le changeant en bourdon (ce célèbre passage est repris en musique par Nikolaï RIMSKI-KORSAKOV dans le Vol du Bourdon ; voir l'analyse). Cette fois encore, la métamorphose est volontaire et sert le dessein d'un personnage puissant.

Il en va autrement dans d'autres récits, à commencer par Les six cygnes, un des contes des frères Jacob GRIMM (1785-1863) et Wilhelm GRIMM (1786-1859). Un roi épouse en secondes noces la fille d'un sorcière, bien malgré lui. Craignant que sa nouvelle femme ne s'en prenne à ses enfants nés d'un précédent mariage, il décide de les cacher dans une autre de ses demeures La jeune reine, jalouse de ses beaux-enfants, décide de s'en débarrasser. Par chance, elle ne voit que les six frères et pas la dernière sœur :

Alors elle jeta sur chacun d'eux une des petites chemises et dès qu'elle leur toucha le corps, ils se changèrent en cygnes et prirent leur envol au-dessus de la forêt.

(Traduction de Marthe ROBERT)

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Pour contrer le sort, la petite sœur devra rester six ans sans parler ni rire et coudre six chemises avec des fleurs étoilées. Le moindre son qui sortirait de sa bouche anéantirait son travail. On retrouve ainsi la contrainte magique habituelle dans le conte, une sorte d'épreuve qui permet au personnage principal de s'affirmer. La transformation, un ensorcellement, empêche des relations normales mais conserve aux personnages une forme de sympathie.

Une forme semblable peut s'observer dans Le Lac des cygnes (1877) le célèbre ballet de Piotr Illitch TCHAÏKOVSKI (1840-1893).

1960 Ballet Le Lac des cygnes - Jean-Paul Andreani et Claire Motte sur la scène de l'Opéra de Paris ; photo de Christjeudi10

Ballet Le Lac des cygnes (1960) ; 

Jean-Paul Andreani et Claire Motte sur la scène de l'Opéra de Paris ;

photo de Christjeudi10

Le jeune et insouciant prince Siegfried découvre dans un forêt le Lac des cygnes. A sa grande surprise, l'un des oiseaux prend la forme d'une jeune fille : Odette. Les oiseaux sont en fait des jeunes filles victimes des maléfices de Rothbart : cygnes le jour et femmes la nuit. Seul un serment sincère de fidélité éternelle fait à Odette pourrait les arracher à ce sort. Les morceaux font partie des plus célèbres dans le monde de la musique et de la danse avec le "pas de deux" : une structure chorégraphiée dans laquelle les deux danseurs accomplissent une suite de figures techniques, selon des rythmes variés. Des images sont disponibles sur le site Numéridanse (http://www.numeridanse.tv/fr/video/230_le-lac-des-cygnes) ou celui de l'INA (http://www.ina.fr/video/I00016873).

 

Le dernier exemple de ce type porte sur Lohengrin (1850), un opéra en trois actes de Richard WAGNER (1813-1883).

Lohengrin (carte postale ves 1900)
Lohengrin (carte postale, vers 1900)

S'inspirant de légendes médiévales, ainsi que des écrits du poète Wolfram von ESCHENBACH (XIIe-XIIIe s.), le compositeur a réécrit l'histoire du Chevalier au cygne. Il raconte d'abord comment un mystérieux chevalier arrive par le fleuve, dans une nacelle tirée par un cygne. A la fin de l'histoire, le chevalier avoue son nom, Lohengrin, fils de Parsifal le roi du Graal (voir SOUS LE HEAUME DES CHEVALIERS 2/4 : La Quête du Graal), et le cygne reprend la forme de Godefroid, un prince que l'on croyait assassiné.

La blanche colombe du Graal descend au-dessus de la nacelle. Lohengrin l'aperçoit, avec un regard reconnaissant il se relève et délivre le cygne de sa chaîne, sur quoi celui-ci sombre aussitôt. A sa place, Lohengrin fait sortir du fleuve un beau jeune homme dans un habit d'argent étincelant : Godefroid

Lohengrin, Acte III, didascalie (traduction  Anne SERVANT, DECCA 1987).

Claudio Abbado - Richard Wagner - Ouverture de Lohengrin

Le prince, même sous une forme animale conserve une sorte de noblesse. Ainsi, pour de nombreux personnages, prendre la forme d'un cygne dure le temps d'une agréable transition. Une épreuve, certes, mais aussi une façon d'être associé à une créature fascinante et appréciée.

Conclusion

Rapprocher l'homme de l'animal semble correspondre à un besoin perpétuel auquel l'art répond. A partir de 1983, une série télévisée américaine voit le jour : Manimal. Le héros, Jonathan Chase, détient le pouvoir de se transformer à volonté en animal. Il emploie son don pour résoudre des enquêtes.Tandis que le Livre de la Jungle (1894) de Rudyard Kipling (1865-1936) raconte l'histoire de Mowgli élevé par les loups et que Tarzan chez les singes (1926 en France) de Edgar Rice BURROUGHS (1875-1950) montre un héros élevé par les singes, L'île du Docteur Moreau de H.G. WELLS place le sujet au niveau de la science-fiction avec des animaux fabriqués à l'image de l'homme (voir SCIENCE ET FICTION 4/5 : A l'image de l'homme ?). La planète des singes de Pierre BOULLE joue sur l'inversion des valeurs puisque dans un avenir éloigné, ce sont les hommes qui sont considérés comme des animaux alors que les singes sont des êtres intelligents (voir aussi l'article SCIENCE ET FICTION 4/5 : A l'image de l'homme ?). D'autres auteurs ont recours à la métaphore pour  représenter la bestialité de l'être humain. George ORWELL (1903-1950) dans  La Ferme des animaux (1945)  transpose et critique l'histoire de la montée du régime totalitaire communiste en dépeignant la révolution menée par les cochons de la ferme du Manoir. Émile ZOLA (1840-1902), avec La Bête humaine (1890), décrit un homme qui n'arrive pas à retenir ses pulsions meurtrières et ne vaut donc pas mieux qu'un animal sauvage. Finalement, la magie ou la science sont-elles nécessaires à la métamorphose ? C'est la question que pose Paul Bäumer, le narrateur du roman A l'ouest rien de nouveau  (1929) de Erich Maria REMARQUE (1898-1970) : à cause de la guerre "nous sommes devenus des animaux dangereux" (chapitre 6) .

 

N. THIMON