Le Dieu architecte (1794) de William BLAKE (1757-1827) est une gravure qui exprime parfaitement cette idée. Le personnage est sommet du monde, enfermé dans un cercle solaire à la lumière toute-puissante. Il est en train de chasser les nuages et, par extension, la nuit du néant. Nu comme une puissance primitive, vieux comme devraient l'être les gens pleins de sagesse, il est à genoux au-dessus du monde encore invisible. Ses doigts écartés dessinent une équerre lumineuse ou un compas, symboles de l'architecte dessinant son œuvre à venir : la terre.

Le vide se remplit, le désordre s'organise, le chaos devient alors cosmos.

C'est ce que raconte le Grec HÉSIODE (VIIIe VIIe s. av J.C.) dans la Théogonie  : 
"D'Abîme naquirent Erèbe et la noire Nuit. Et de Nuit, à son tour, sortirent Éther et Lumière du Jour. Terre, elle d'abord enfanta un être égal à elle-même, capable de la couvrir tout entière, Ciel Étoilé, qui devait offrir aux dieux bienheureux une assise sûre à jamais. Elle mit aussi au monde les hautes Montagnes, plaisant séjour des déesses, les Nymphes, habitantes des monts vallonnés. Elle enfanta aussi la mer inféconde aux furieux gonflements, Flot - sans l'aide du tendre amour. Mais ensuite, des embrassements de Ciel, elle enfanta Océan aux tourbillons profonds..." (traduction de Paul Mazon, éditions des Belles Lettres).

Personne d'autre pour intervenir, mais on voit les êtres tous personnifiés, déifiés,  se reproduire, se multiplier comme le mouvement de cellules qui, petit à petit, donnent forme à un corps complexe.



Un autre cas, plus ancien, doit attirer notre attention, celui de la Mésopotamie, une vaste région au milieu (meso en grec ancien) de deux fleuves (potamos en grec ancien) que sont le Tigre et l'Euphrate. Cette zone très riche a vu naître d'importants textes fondateurs comme ceux de l'Enuma Elish (XIIe siècle avt J.C.). Ce texte épique raconte entre autres la création du monde. Même si ce récit n'est pas connu de la plupart des gens, il contient les motifs qui seront plus tard repris par les rédacteurs de la Bible. Au commencement du monde, tout est est partagé entre Apsu, l'eau douce (le mâle) et Tiamat, l'eau salée (la femelle). De leur lointaine descendance viendra le turbulent Marduk. Ce dernier, après un conflit contre ses ancêtres, tue Tiamat (parfois représentée sous la forme d'un dragon) et découpe son corps pour fabriquer le monde : le ciel, les astres, les montagnes. Dès le commencement, il faut assassiner. On remarquera que d'une certaine façon, l'eau est le point de départ de la vie et que la séparation des membres est nécessaire à la fabrication de l'univers.



















Chez les Scandinaves, Snorri TURLUSON (XIIe siècle) dans son Edda, chapitre 5 de Gylfaginning garde une dimension épique à la création de l'univers :

"Les fils de Burr tuèrent le géant Ymir […]. Ils prirent Ymir et le placèrent au milieu de Ginnungagap et firent de lui la terre, de son sang, la mer et les lacs ; la terre fut faite de sa chair, les montagnes, de ses os, les amas de pierres et les cailloux, de ses dents et des condyles [extrémité sphérique d'un os] qui s’étaient brisés […]. Ils prirent aussi son crâne et en firent le ciel, le posèrent  au-dessus  de la terre, sur quatre coins, et sous chaque coin, ils placèrent un nain : ceux-ci s'appellent  Est, Ouest, Nord, Sud. ensuite, ils prirent les étincelles et les scories qui passaient alentour et avaient été projetés hors de Muspellheimr, et les jetèrent au milieu de Ginnungagap dans le ciel à la fois vers le haut et vers le bas pour éclairer le ciel et la terre." (traduction de Régis BOYER).

Le Latin OVIDE  (43 av. J.C. -17 ap J.C.) dans les Métamorphoses  présente les choses ainsi:

"Un dieu, aidé  du progrès  de la nature, mit fin à ce conflit en séparant du ciel la terre, de la terre l'eau, en dissociant de l'éther fluide l'air dense. Ces éléments une fois démêlés et arrachés à la confusion de la masse, il établit entre eux , en assignant à chacun sa place distincte, l'harmonie et la paix. Le feu vivace et impondérable  de la voûte céleste s'alluma au sommet même de l'édifice du monde. L'air, presque aussi léger, est son voisin le plus proche ; la terre, plus dense que l'un et l'autre entraîna les éléments consistants et se tassa par son propre poids. L'eau, enveloppant le tout, occupa la place restante et emprisonna l'orbe de la masse solide."

On retrouve ici le théorie des quatre éléments traitée dans une thématique précédente (DÉPEINDRE LES QUATRE ÉLÉMENTS 1 à 4). Leur caractère fondamental ressurgit puisqu'ils sont présents dès le début du monde.

[Illustrations des Métamorphoses] / H. Abbe, Ab. Diepenbeke, dess. ; Martin Bouche, Paul Bouche, Frederick Bouttats, F. Clouwet, grav. ; Ovide, aut. du texte
[Illustrations des Métamorphoses] / H. Abbe, Ab. Diepenbeke, dess. ; Martin Bouche, Paul Bouche, Frederick Bouttats, F. Clouwet, grav. ; Ovide, aut. du texte
Source: gallica.bnf.fr

"Quand le dieu, quel qu'il fût,  eut divisé et ordonné de la sorte cet amas informe et, la division faite, donné la cohésion à ses parties, tout d'abord, pour éviter que la terre ne présentât une inégalité sur quelque côté, il lui donna la forme arrondie d'un immense disque[…]Et de même que le ciel est découpé en zones, deux à droite, autant à gauche, une cinquième entre ces groupes, plus brûlante qu'aucun d'eux, de même, la masse pesante de la terre qu'il enveloppe fut, par les soins du dieu, divisée  en autant de zones correspondant en nombre égal sur le sol à celles qui les surplombent."

Le poème se fait ici l'écho des théories scientifiques de l'Antiquité.

Mais c'est la Bible qui offre le récit le plus célèbre et qui rapporte que le monde a été créé en six jours.

Dieu dit  : "Que la lumière soit!" Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne. Dieu sépara la lumière de la ténèbre. Dieu appela la lumière "jour" et la ténèbre "nuit". Dieu dit  : "Qu'il y ait un firmament au milieu des eaux et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux !"Dieu fit le firmament et il sépara les eaux inférieures au firmament d'avec les eaux supérieures. Il en fut ainsi. Dieu appela le firmament "ciel". […] Dieu dit  : "Qu'il y ait des luminaires au firmament du ciel  pour séparer le jour de la nuit, qu'ils servent de signes tant pour les fêtes que pour les jours et les années, et qu'ils servent de luminaires au firmament du ciel pour illuminer la terre".

Ce nombre, ainsi que l'ordre dans lequel les éléments sont créés, sont symboliques :

  1. la lumière
  2. le ciel
  3. la terre
  4. les astres
  5. les animaux
  6. l'être humain

Le septième et dernier jour est consacré au repos. Encore aujourd’hui, notre semaine compte sept jours et le "dimanche" qui signifie le "jour du Seigneur" est le jour où l'on peut ne pas travailler.

Le récit de la création en 6 jours d'après la Genèse dans la Bible

Vous remarquerez que la lumière existe avant la création des luminaires que sont le soleil, le lune et les étoiles. Les rédacteurs veulent démontrer qu'on ne peut ni ne doit vénérer les astres qui ne sont que des "outils", c'est Dieu qui est à l'origine de tout. C'est sa parole qui permet de créer, la puissance créatrice est contenue dans les mots. Nommer c'est créer, c'est affirmer son pouvoir sur quelque chose. C'est pourquoi dans les grandes religions monothéistes, on ne nomme pas Dieu, son vrai nom reste secret.


La force divine intervient ici pour mettre le monde en forme, la division est aussi une répartition, chaque chose trouve sa place et doit y rester pour que la vie suive son cours. Au lieu d'être un affaiblissement, la séparation est ici un acte créateur, source d'enrichissement. Mais il manque encore la touche finale.

Après AU MATIN DU MONDE 1/3 : Récits de création, a Le chaos des origines, allez jusqu'à l'aboutissement de la création avec la suite AU MATIN DU MONDE 1/3 : Récits de création, c. Né de la terre.

Le mois prochain vous lirez LES UTOPIES, DES MONDES MEILLEURS ?

N. THIMON