Tout au long de l'histoire culturelle, littéraire et artistique, nous pourrons assister à cette représentation hésitant entre bénédiction et malédiction. L'être humain n'en demeure pas moins toujours l'instrument d'une puissance supérieure. Quelle que soit l'intention du créateur, la créature vient au monde pour accomplir une mission :
1) Servir
La Bible indique comment Dieu s'y prend pour faire l'homme. Selon une formule aujourd'hui très célèbre, Dieu dit : "Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance et qu'il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre" (Genèse I, 26). Puis, "Le seigneur Dieu modela l'homme de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l'haleine de vie, et l'homme devint un être vivant." (Genèse II, 7). D'abord informe, l'homme (âdâm en hébreu) est tiré de la terre (âdâmâ en hébreu).
Dans la sculpture ci-dessus, due à Tadeusz KOWALSKI, observez l'attitude paternelle de Dieu, il enlace sa créature, ses mains soutiennent Adam comme un enfant qui vient de naître. L'homme est littéralement tiré de la terre. Faites attention à ses pieds et à ses mains qui ne sont pas encore achevées. L'être humain, créé à la fin, est le sommet de la création, placé dans le monde pour y commander.
La fresque de la Création (1512) de Michel-Ange (Michelangelo di Lodovico Buonarroti Simoni 1475-1564), visible à la Chapelle Sixtine, est la représentation la plus connue. Dans ce détail, nous assistons à la création d'Adam. Dieu, vieil homme vénérable sur la droite, est élevé, aérien, céleste. Adam, jeune homme sur la gauche, est à moitié allongé, proche du sol dont il a été tiré. Leurs doigts sont sur le point de se toucher, établissant ainsi un lien sacré et éternel entre l'humain et le divin (1).
Et pour compléter son œuvre, "Le Seigneur Dieu dit : "il n'est pas bon pour l'homme d'être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée.[…] Le Seigneur Dieu fit tomber dans une torpeur l'homme qui s'endormit ; il prit l'une de ses côtes et referma les chairs à sa place. Le Seigneur Dieu transforma la côte qu'il avait prise à l'homme en une femme qu'il lui amena. L'homme s'écria : "Voici cette fois l'os de mes os et la chair de ma chair[…]"(Genèse II, 18-23). Le texte insiste sur le lien très fort qui unit l'homme et la femme et leur origine commune, pas de hiérarchie ici.
Quant à OVIDE (43 av. J.C. -17 ap J.C.), dans le premier livre des Métamorphoses, il reste imprécis sur l'identité réelle du créateur. Il emprunte à plusieurs traditions à la fois, faisant ou de la Terre ou bien de Prométhée le créateur de l'Homme.
"Un être manquait encore plus marqué du sceau divin, dépositaire plus qualifié d'une intelligence pénétrante, et qui pût exercer sa domination sur le reste de la création. L'homme naquit, soit que le dieu créateur, auteur d'un monde meilleur, l'eût formé de la semence divine, soit que la terre dans sa nouveauté, récemment dégagée des couches profondes de l'éther, eût conservé quelque germe de son frère le ciel, et que cette terre, le fils de Japet, en la mélangeant aux eaux de pluie, l'ait façonnée à l'image des dieux, modérateurs de toutes choses. Et, tandis que les autres animaux, penchés vers le sol, n'ont d'yeux que pour lui, à l'homme, il donna un visage tourné vers le ciel, dont il lui proposa la contemplation, en l'invitant à porter vers les astres ses regards levé sur eux. Et c'est ainsi que la terre, naguère encore masse grossière et indistincte, prit forme et se modela en figures nouvelles d'êtres humains."
Plus loin, dans le troisième livre, pour relater la fondation de Thèbes, en Grèce, OVIDE raconte comment le héros Cadmus, sur les conseils de Minerve (Athéna), plante dans le sol les dents d'un dragon qui prendront la forme des premiers habitants de la ville. Les récits mythologiques servent aussi à légitimer l'origine personnages illustres. Comme s'il fallait prouver qu'ils appartiennent bien à la terre qui les a vus naître et inversement.
Snorri TURLUSON (XIIIe s), dans son Edda, chapitre 5 de Gylfaginning, le répète en d'autres termes :
"Quand les fils de Burr allèrent le long du rivage de la mer, ils trouvèrent deux souches d'arbres et les prirent et en façonnèrent des êtres humains ; le premier donna souffle et vie, le second, conscience et mouvement, le troisième physionomie, parole, ouïe et vue. Ils leur donnèrent des habits et un nom : l'homme fut appelé Askr et la femme, Embla. et par eux fut engendré la race des hommes qui put vivre et habiter dans Midgardr". Un arbre est bien un être issu du sol.
2) Venger
D'autres textes mettent en avant le désaccord entre les dieux et les hommes. La création est alors au service d'une vengeance.
Observons par exemple L'épopée de Gilgamesh. Il s'agit du plus ancien texte épique découvert à ce jour. Ce récit extraordinaire datant de IIIe siècle avant notre ère, écrit sur des tablettes, contient en germe de nombreux motifs que l'on retrouvera dans les récits bibliques, rédigés plus tard. Le héros Gilgamesh, roi d'Uruk en Mésopotamie, est un demi-dieu, mais c'est aussi un tyran. Pour mettre un terme à ses agissements sans le tuer, les dieux décident de lui donner une bonne leçon. Les dieux Ea et Aruru gagnent notre monde et, prenant une motte de terre brute, entreprennent de modeler un être humain. La mythologie mésopotamienne rapporte comment ils avaient créé l'humanité en employant le même procédé, mais il avait également fallu le sang de l'un des leurs. Pour cette fois, un peu de salive suffira. L'être ainsi créé est fruste, grossier, mais il est le parfait rival de Gilgamesh.
L'histoire a été adaptée de façon vivante en roman pour la jeunesse par Jacques CASSABOIS dans Le premier roi du monde, l'épopée de Gilgamesh. On la retrouve également en bande dessinée par Gwenn de BONNEVAL et Frantz DUCHAZEAU dans Gilgamesh (2004 et 2005) qui reprend fidèlement les récits des tablettes en deux tomes. Mais aussi, pour les plus âgés, L’Épopée de Gilgamesh (2010) de Julien BLONDEL et Alain BRION, une version documentée et plus personnelle magnifiquement mise en couleurs. Allez découvrir la suite des aventures de ces deux personnages hors du commun.
La création racontée dans Les Travaux et les Jours d' HÉSIODE (VIIIe – VIIe s. av J.C.) est un autre cas particulier. Après le vol du feu (voir DÉPEINDRE LES QUATRE ÉLÉMENTS 3/3 : Tout feu tout flamme b. le feu céleste), Zeus veut punir les hommes et
"il commande à l'illustre Héphaistos de tremper d'eau un peu de terre sans tarder, d'y mettre la voix et les forces d'un être humain et d'en former, à l'image des déesses immortelles, un beau corps aimable de vierge".
"En hâte, l'illustre Boiteux [Héphaistos] modèle dans la terre la forme d'une chaste vierge, selon le vouloir du Cronide [Zeus]. La déesse aux yeux pers, Athéné, la pare et lui noue sa ceinture. Autour de son cou les Grâces divines, l'auguste Persuasion mettent des colliers d'or ; tout autour d'elle les Heures aux beaux cheveux disposent en guirlandes des fleurs printanières. Pallas Athéné ajuste sur son corps toute sa parure. Et, dans son sein, le Messager [Hermès], tueur d'Argos, crée mensonges, mots trompeurs, cœur artificieux, ainsi que le veut Zeus aux lourds grondements. Puis, héraut des dieux, il met en elle la parole et à cette femme il donne le nom de "Pandore", parce que ce sont tous les habitants de l'Olympe qui, avec ce présent, font présent du malheur aux hommes qui mangent le pain." (traduction de Paul MAZON)
Ici il ne s'agit que d'une seule créature, une femme, fabriquée pour causer le mal sur la terre. Pandore n'est pas ici l'être complémentaire et égal de l'homme, la mère de tous les vivants. Son rôle négatif manifeste la pensée misogyne du rédacteur. Ce qu'il faut donc retenir, c'est le motif de la terre utilisée pour fabriquer l'être humain.
Maintenant que le mythe a expliqué l'origine de l'homme, il lui reste à raconter son histoire.
Après AU MATIN DU MONDE 1/3 : Récits de création, a Le chaos des origines, et AU MATIN DU MONDE 1/3 Récits de création, b. Séparer pour mieux créer, découvrez les premiers pas de l'homme dans une semaine avec AU MATIN DU MONDE 2/3 : Le Paradis sur Terre, a. L'Âge d'or, le temps des plaisirs.
Le mois prochain vous lirez LES UTOPIES, DES MONDES MEILLEURS ?
N. THIMON
NOTES :
1 : Le geste de l'extraterrestre dans E.T. ou le logo du fabriquant de
téléphones Nokia sont peut-être un clin d’œil à ce geste si célèbre.