Jacques Lacan, Le Séminaire. Livre XII (1964-1965), Champ Freudien & Seuil 2025

Jacques Lacan, Le Séminaire. Livre XII. Problèmes cruciaux pour la psychanalyse (1964-1965), J.-A. Miller éd., Champ Freudien & Seuil, 2025 (406 p.).

Séminaire de toutes les ruptures, le livre XI s’efforçait de rétablir les fondements de la psychanalyse en mobilisant les notions classiques d’inconscient, de répétition, de transfert et de pulsion. Séminaire de toutes les audaces, le livre XII veut la refonder par une formalisation plus conceptuelle, empruntée à la science topologique. Intitulé Problèmes cruciaux pour la psychanalyse, ce livre est la transcription de seize séances tenues à l’École normale supérieure en 1964-1965.

Partant du rapport du sujet au langage, se développant sur le rapport du sujet au réel et au symptôme, il se conclut sur le rapport au désir avec le concept d’objet a. « Le terme d’homme, résume Lacan (p. 109-110), comment ne serait-il pas ambigu ? – puisque le sujet n’en a point épuisé le sens, et que, plus que jamais en ce tournant historique où nous sommes, il vit ce sens en vacillant. Il lui faut donc suivre des chemins contournés sur eux-mêmes, passer par des tours et des retours, par l’expérience initiale du semblable, et par l’aliénation, et par l’inconnu de la demande, avant de conclure à l’identification du Je suis un homme ».  

La recherche de cette identification correspond précisément à la structure dialectique du séminaire. Les cinq premières séances (p. 11-121), s’ouvrant sur une discussion des Structures syntaxiques de Chomsky, traitent du sujet relativement au langage et énonce le principe que « c’est dans le rapport au langage que le sujet détermine sa structure » (p. 108). Dans un deuxième temps, « la topologie [étant jugée] essentielle à la structure du langage » (p. 30), les séances VI à XI (p.125-249) analysent « le sujet dans son rapport au signifiant et à l’objet a » par l’intermédiaire d’éléments topologiques : bande de Möbius, bouteille de Klein, le trou, le tore et autres concepts semblables. Les cinq dernières séances (p. 253-338) reviennent sur l’expérience analytique elle-même à partir de la triade « sujet, savoir et sexe » : « Être psychanalyste est une position responsable, la plus responsable de toutes. Le psychanalyste est, en effet, celui à qui est confiée l’opération d’une conversion éthique radicale, celle qui introduit le sujet à l’ordre du désir – ordre dont (…) il est resté exclu. Il est à savoir quelles sont les conditions qui sont requises pour que quelqu’un puisse se dire : Je suis psychanalyste » (p. 253).

Au texte du Séminaire s’ajoutent des annexes comportant le dialogue qu’eut Lacan avec ses auditeurs lors des séminaires dits fermés, le compte rendu du séminaire pour l’annuaire de l’H.P.H.E. et une notice de Milner sur les surfaces topologiques (395-398).  

Critique des traditions psychologiques et philosophiques, pratique psychanalytique, relectures étonnantes de Platon et de Descartes, de Russell et de Husserl, lecture de La Pensée sauvage de Lévi-Strauss, invention de concepts inspirée de la topologie, etc., ce séminaire est d’une richesse qui fait comprendre la fascination que Lacan put exercer sur son auditoire – fascination d’autant plus grande qu’il exposait l’intelligence qu’il avait lui-même des limites de son entreprise théorique : « Dans la voie de la formalisation, ce qu’on cherche à exclure, c’est le sujet. Seulement nous, analystes, notre visée doit être exactement contraire, puisque le sujet est le pivot de notre praxis » (p. 20-21).