Mathieu Noury, La nanosanté. La médecine à l’heure des nanotechnologies, Liber 2017, lu par Alexandre Klein

Mathieu Noury, La nanosanté. La médecine à l’heure des nanotechnologies, Montréal, Liber, 2017, 162 p., lu par Alexandre Klein.

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Parmi les bouleversements majeurs que connaissent depuis plusieurs années maintenant la médecine et le monde de la santé, les nanotechnologies occupent une place de plus en plus importante. Promesses technologiques de soins non invasifs, de prise en charge précoce des maladies et de prévention de nombreuses affections, voire d’amélioration des capacités de l’organisme, elles dessinent un futur médical des plus riches où les interventions pourront se faire au niveau même des molécules.

Cette nanomédecine alimente aujourd’hui les rêves les plus fous et soulève donc des intérêts croissants, tant de la part des scientifiques que des financeurs ou des gouvernants. Mais quel modèle de santé cette « médecine du futur » implique-t-elle ? Quels changements de représentations se dessinent-ils déjà derrière les promesses de cette technologie en devenir ? En quoi donc cette ère de la « nanosanté » dans laquelle nous serions déjà entrés consiste-t-elle ? Telles sont les interrogations auxquelles le sociologue Mathieu Noury a tenté d’apporter des réponses dans cet ouvrage issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2014 à l’Université de Montréal.

L’objectif de Noury est ici d’étudier ce qu’il nomme la « nanosanté », soit « les diverses dimensions sociologiques constitutives de ces [nano]technologies et […] leurs effets sur la santé et la société » (p. 15). Autrement dit, il veut analyser l’impact des nanotechnologies, et surtout de leurs promesses, sur nos représentations de la santé, de l’identité et de la société, afin de « faire apparaître l’épaisseur sociologique de la nanomédecine » (p. 29). Pour ce faire, il se propose d’étudier successivement les trois dimensions de cette « nanosanté » que sont la transversalité, l’amélioration et la globalisation. Après une courte introduction et un premier chapitre présentant succinctement la nanomédecine, et en particulier son ressort essentiellement prospectif, Noury consacre les chapitres suivants à ces trois dimensions.

La transversalité est la première caractéristique de la « nanosanté » au sens où cette dernière recoupe et absorbe les trois domaines qui sont aujourd’hui au cœur de la biomédecine contemporaine et de ses évolutions, soit la médecine prédictive, la médecine personnalisée et la médecine régénératrice. Les nanotechnologies permettent, ou du moins promettent, en effet, d’une part, de prédire l’arrivée des maladies ; elles confirment ainsi l’ancrage de la pratique biomédicale dans la gestion du risque plus que dans la prise en charge de la pathologie et dessinent à leur tour une figure du sujet de santé comme éternel « patient-en-devenir ». D’autre part, elles visent à fournir des soins extrêmement personnalisés car adaptés au fonctionnement moléculaire même de l’individu. En ce sens, elles bouleversent les modèles thérapeutiques classiques fondés sur des approches populationnelles pour offrir des interventions individuelles sur mesure. Enfin, les nanotechnologies médicales, si elles peuvent certes s’inscrire dans une démarche de soins classiques, par exemple en délivrant des médicaments au plus près de la partie atteinte, contribuent également à cette médecine régénératrice qui tente depuis plusieurs années maintenant de mettre à profit l’autorégénération du corps humain pour pallier ses dysfonctionnements biologiques effectifs ou potentiels. La contribution attendue des nanotechnologies à ces trois domaines biomédicaux d’avant-garde repose finalement, ainsi que l’analyse Noury, sur une représentation technoscientifique de l’organisme qui est également à la source de la seconde caractéristique de la « nanosanté » : l’amélioration.

Au-delà de la réparation, ou du retour à la normale, la nanomédecine viserait en effet également à permettre une amélioration de l’individu. Les nanotechnologies se présentent en effet comme les outils de choix d’une santé qui se qualifie moins par l’absence de maladie que par la possibilité d’amélioration de ses capacités biologiques et de « customisation » de son propre corps. Ce rêve de l’homme amélioré, auquel contribuent pleinement les nanotechnologies en promettant d’agir sur les ressorts mêmes de la vie biologique, dessine surtout, aux yeux de Noury, un glissement de la figure du patient vers celle d’un consommateur de santé, sans pour autant que celui-ci y gagne en autonomie ou en liberté.

C’est ce que confirme le sociologue en abordant la troisième caractéristique de la « nanosanté » qui est de s’inscrire dans un modèle global dit techno-économique. Les nanotechnologies apparaissent en effet surtout comme un moteur économique majeur et le support d’une bio-économie aux accents fortement biopolitiques. Selon ce modèle, la science se fait avant tout en vue d’une innovation qui doit servir des enjeux financiers et contribuer à l’économie mondiale, se pliant ainsi à des intérêts capitalistiques et néolibéraux qui n’entrent pas nécessairement en résonnance avec ses engagements idéaux. C’est ce que précise le cinquième et dernier chapitre qui aborde les implications de ce modèle bioéconomique émergeant auquel participe la nanomédecine. Il montre que cette dernière contribue à la création d’un marché individualisé de la santé qui voit notamment se transformer les modalités d’expérimentations biomédicales au profit d’une innovation trouvant, entre autres, dans le bio-colonialisme l’une des sources de son dynamisme. Ainsi, loin des promesses d’un futur radieux, la nanomédecine serait le point d’achoppement d’une logique néolibérale qui inquiète les chercheurs comme de nombreux commentateurs.

Au final, le rêve semble donc se transformer en cauchemar tant la « nanosanté » paraît ici rimer avec inégalité, danger et inhumanité. Sans être proprement techno-critique, l’auteur insiste en effet dans ces pages sur les coûts humains inhérents aux développements de ces technologies et sur les bouleversements qu’elles impliqueraient de représentations et de pratiques perçues comme traditionnelles ou fondamentales. Il rejoint en ce sens une critique sociologique et anthropologique de la biomédecine largement répandue - et auquel sa directrice de thèse et préfacière Céline Lafontaine n’est pas étrangère - qui envisage d’abord les risques et les dérives des technologies sans toujours prendre en compte les espaces de subjectivation qu’elles créent pourtant nécessairement. Le constat, tout à fait juste par ailleurs, d’une transformation de nos modèles à l’aune d’enjeux économiques et politiques néolibéraux, est ainsi toujours perçu comme une sorte de transgression d’une humanité qui trouverait ses fondements identitaires dans son existence biologique plus que dans ce qu’elle peut faire avec ce corps ; lecture qui s’appuie ici notamment sur une vision assez erronée de l’histoire de la médecine qui voudrait que le marché de la santé et le patient consommateur de soins soient des caractéristiques contemporaines ou que les médecins du passé n’envisageaient jamais leur activité comme un travail d’amélioration mais seulement de réparation. Mais le problème fondamental de cet ouvrage n’est pas là.

Il est surtout dans le fait que la promesse d’étudier la nanomédecine et ses enjeux sociaux, en se fondant notamment sur une série d’entretiens faits avec des scientifiques du domaine, laisse rapidement place à une analyse qui se contente de reprendre les grandes lignes de cette critique sociologique actuelle des biotechnologies pour l’appliquer, parfois à gros traits, aux nanotechnologies médicales. Autrement dit, s’il présente habilement certains des enjeux inhérents aux développements actuels de la biomédecine, cet ouvrage n’apporte finalement que peu d’éléments nouveaux à cet égard. La spécificité du domaine de recherche étudié disparait en effet dans la volonté de l’auteur de vouloir faire entrer les nanotechnologies médicales dans les cadres d’une analyse qui a été développée depuis la molécularisation engendrée par le génie génétique et qui s’applique donc à la majorité des technologies biomédicales contemporaines. Loin du nouveau paradigme biomédical annoncé en introduction (p. 13), la nanomédecine reste bien, dans l’analyse qu’en produit l’auteur, « la poursuite de l’orientation amorcée par la génétique et la génomique » (p. 57), et, de ce fait, son étude ne parvient pas à renouveler ou enrichir réellement une analyse sociologique des biotechnologies déjà bien connue et établie. Dès lors, il s’agit moins ici d’une étude originale de la « nanosanté » - concept qui aurait pourtant pu s’avérer pertinent s’il avait été développé et construit - que d’une exploration, somme toute assez classique pour l’école sociologique dans laquelle s’inscrit Noury, des modifications engendrées par le développement des biotechnologies sur les conceptions du corps, de l’identité et de la société. On retrouve ainsi dans ces pages les principaux éléments de la critique habituelle de la technoscience médicale développée notamment par Lafontaine ou David Le Breton, depuis la marchandisation du corps jusqu’à l’objectivisation de l’individu en passant par le devenir consommateur du patient, la financiarisation de la recherche scientifique et l’accentuation des inégalités sociales, et ce sans que la singularité de nanomédecine ne soit réellement mise de l’avant. Ses pratiques effectives sont d’ailleurs peu explicitées (peut-être aussi parce qu’elles restent, dans les faits, encore assez peu développées au-delà des effets d’annonces des laboratoires et des start-ups spécialisées) dans cet ouvrage qui laisse davantage la place à l’exposition de théories empruntées, voire parfois quelque peu plaquées sur le sujet abordé. Au final, La nanosanté laisse un peu sur sa faim le lecteur intéressé par les nanotechnologies médicales et par le développement d’une réflexion originale sur les transformations spécifiques, et importantes, engendrées par ces dernières dans le domaine sanitaire. Il a néanmoins la qualité d’inaugurer, en nommant un nouveau concept, le champ vaste et ouvert des études francophones en sciences humaines et sociales sur la « nanosanté ».

                                                                                                                                                                                                                    Alexandre Klein