Kostas Papaioannou, Hegel, Belles Lettres 2012, lu par Pierre Arnoux

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Kostas Papaioannou, Hegel (avec un choix de textes traduits par l’auteur), édition par François Bordes et Laurie Catteeuw, collection Le Goût des idées, Les Belles Lettres, 2012 (240 pages). Lu par Pierre Arnoux.

Cet ouvrage se veut une introduction claire et pédagogique à l’ensemble de la pensée hégélienne, qui nous est présentée comme une pensée en mouvement, grâce notamment à l’accent mis sur les écrits de jeunesse et aux références à la vie de Hegel.

Kostas Papaioannou, philosophe spécialiste de Marx et Hegel, est surtout connu aujourd’hui pour sa traduction du recueil La raison dans l’Histoire aux éditions 10/18 en 1965. Hegel est la réédition de son ouvrage Hegel. Présentation, choix de textes, bibliographie (Paris, Seghers) publié en 1962. Les deux éditeurs y ont ajouté une préface et placé, en fin d’ouvrage, deux textes de K. Papaioannou. Le premier est inédit et le second a été antérieurement publié à titre de postface à la traduction par l’auteur des Écrits Politiques de Hegel (Paris, Champ libre, 1977).

Après la préface, qui trace en quelques lignes la vie de Papaioannou et la réception de son ouvrage, l’auteur présente l’œuvre et la vie de Hegel (p. 15-98). Suit un choix de textes du philosophe allemand (p. 99-196) ; l’ouvrage se poursuit avec les deux textes précédemment cités. Une bibliographie introductive, mise à jour, clôt le volume. 

L’introduction se consacre d’abord (Ch. 1 – 4) à l’exposé de l’origine et de la formation de la pensée hégélienne, qui trouve sa première formulation dans la Phénoménologie de l’esprit (Ch. 5). Après avoir présenté la « scission » comme le problème fondamental du jeune Hegel (Ch. 2), l’auteur s’attarde notamment sur les « écrits de jeunesse » et les différentes figures par lesquelles Hegel va tenter de penser le dépassement de la scission telle qu’elle affecte le monde depuis l’Antiquité grecque. L’histoire doit dès lors se comprendre, selon l’auteur, comme la succession des figures de l’aliénation de l’homme, explicitée en référence à l’analyse postérieure de Feuerbach (Ch. 3-4). Après avoir présenté la Phénoménologie de l’esprit et sa dynamique, Papaioannou introduit aux deux premières sections de l’Encyclopédie (Ch. 6), s’attachant plus longuement à la section « Esprit » (Ch. 7) et insistant en fin de chapitre sur la question du temps et de l’histoire. Le Ch. 8 se penche plus précisément encore sur l’histoire, nécessaire tragédie et aliénation de l’esprit. Papaioannou marque la différence qui sépare la conception hégélienne de l’histoire telle qu’elle apparaît dans la Phénoménologie (« circulaire et tragique ») et dans l’Encyclopédie (« rectiligne », p. 78). Enfin (Ch. 9), après avoir rapidement explicité la réconciliation de l’individu avec la « Chose même » qu’inaugure la Révolution, Papaioannou indique une différence dans l’état d’esprit de Hegel, plein d’espérance en une nouvelle religion rationnelle à l’époque de la Phénoménologie, pessimiste et résigné à partir de la Logique de 1812. Ce dernier Hegel s’exprime au mieux dans sa description du travail et de l’économie moderne, essentiellement dans lesPrincipes de la Philosophie du Droit. K. Papaioannou cite enfin quelques phrases de Hegel sur l’Amérique, pays de l’histoire à venir – par quoi l’auteur peut conclure que Hegel n’a pas pensé l’histoire comme achevée, mais comme marquant un temps d’arrêt, prélude à une nouvelle « jeunesse de l’esprit ».

 

Le choix de texte est ordonné par le même fil directeur, partiellement historique, que l’introduction. Les deux premiers chapitres regroupent des textes antérieurs à laPhénoménologie ; le Ch.3 s’attache à la « Situation du système dans l’histoire de la philosophie » et contient des textes de l’Encyclopédie illustrés par des extraits tirés desLeçons sur histoire de la philosophie. Le Ch.4 présente des extraits formant une synthèse de la préface de la Phénoménologie de l’esprit, suivi d’une introduction à la logique (Ch. 5 « Aspects de la logique ») composée de textes du « Concept préliminaire » de l’Encyclopédie et la Logique. Le Ch.6, « L’homme », présente l’homme, relu à travers laGenèse comme étant essentiellement scission et devant retrouver une unité perdue, mais sous une forme plus haute, à travers l’histoire, que présente le Ch.7, constitué de textes plus tard repris dans La raison dans l’Histoire.

Enfin, dans « Hegel et la révolution française » l’auteur récuse en quelques pages l’idée d’un Hegel unilatéralement révolutionnaire ou réactionnaire, tandis que l’article « La Raison et la croix du présent. Note sur les fondements de la politique hégélienne » propose une sorte de condensé des chapitres introductifs. Ici le fil est plus assuré, Papaioannou suit la progression des premiers chapitres de la Phénoménologie pour exposer les bases sur lesquelles s’édifie la vie politique comme moment du développement du concept et insiste, à partir de textes relativement peu connus, sur la technique et le travail, avant de parcourir les dernières sections des Principes de la Philosophie du droit consacrées à l’Etat.

Cet ouvrage se veut une introduction claire et pédagogique à l’ensemble de la pensée hégélienne. Le style de l’auteur est très clair, sans aucun jargon ; de nombreuses citations, parmi les plus connues, parsèment les chapitres introductifs et la pensée hégélienne nous est présentée comme une pensée en mouvement, grâce notamment à l’accent mis sur les écrits de jeunesse et aux références à la vie de Hegel. C’est ici clairement la Phénoménologie de l’esprit qui sert d’axe à l’interprétation que propose l’auteur, étape charnière où Hegel ordonne ses problématiques de jeunesse sans donner à sa pensée la forme moins foisonnante et plus stricte qui sera celle de la Logique et de l’Encyclopédie – qui ne sont pas pour autant dévalorisées ici.

Papaioannou choisit de n’exposer dans leur contenu précis que certains points de la pensée hégélienne, à savoir la détermination de l’homme comme être de technique et de travail, comme être historique enfin. Sans faire de la pensée hégélienne une anthropologie – les références à la vie, à l’esprit, ainsi que les choix de textes dans les sections 1 à 6 assurent une vision globale de l’œuvre – Papaioannou assume en certains endroits un angle d’approche bien précis, inspiré de thèmes marxistes. Ce choix l’amène, sans jamais forcer ni sur-interpréter les textes, à prendre le risque, parfois et sur certains points, de gommer les distinctions entre Hegel et ses successeurs (Feuerbach et Marx, ponctuellement et presque toujours explicitement évoqués).

On pourra enfin regretter, hors les points précisément étudiés, un certain formalisme, revers sans doute nécessaire d’une introduction très condensée, tentant d’embrasser la totalité de l’œuvre hégélienne, et à l’intention d’un public peu familier du philosophe allemand. Le choix de textes, dans une traduction sans notes mais très claire, comparable en cela à celle de J. Hyppolite, constitue également un point d’entrée tout à fait satisfaisant dans l’œuvre. Les textes choisis sont la plupart du temps très accessibles (plus particulièrement à partir du Ch. 3) ; on les retrouve aujourd’hui dans diverses éditions de poche. Cette initiation pourra être prolongée par les ouvrages classiques proposés dans la bibliographie (non commentée).

                                                                             Pierre Arnoux (08/02/2013).