Michel Chabot, Réflexion sur Qu’est-ce que les lumières ?, Bréal 2017, lu par Eric Delassus

Michel Chabot, Réflexion sur Qu'est-ce que les Lumières ? de Kant, collection Réflexions (im)pertinentes, éditions Bréal, 2017 (158 pages). Lu par Éric Delassus.

 

Loin d’être un commentaire de l’opuscule de Kant, le livre de M. Chabot se veut être une réflexion sur notre situation contemporaine à partir de la pensée de Kant.

 

Si Qu’est-ce que les Lumières ? est un texte daté qui fut rédigé dans un contexte historique et politique bien précis, peut-être est-il néanmoins en mesure de nous aider à mieux penser notre présent ? C’est d’ailleurs ce qui fait toute la puissance d’un texte que de pouvoir dépasser les conditions historiques de son élaboration pour nourrir une réflexion sur des questions qui ne sont pas de son époque.

 

La première partie du livre présente les grandes lignes de la position kantienne.

La question, qui est au cœur de ce livre, est celle de la manière dont un peuple peut accéder à la démocratie, car le problème est que trop souvent les peuples qui se révoltent contre des tyrans abandonnent un peu trop vite la liberté pour laquelle ils se sont soulevés en installant un pouvoir autoritaire à la place du précédent, remplaçant ainsi un despote par un autre. Ne faut-il pas voir dans ce paradoxe la conséquence, non seulement d’une précipitation dans la conquête de la liberté, mais aussi et surtout d’un manque de « lumières » chez ces peuples qui auraient certainement dû être plus à l’écoute du message kantien et faire preuve d’une plus grande prudence ? La prudence que M. Chabot présente d’ailleurs comme le leitmotiv de la pensée politique de Kant.

S’initiant dans une période de despotisme éclairée, cette pensée a dû subir les contraintes d’une certaine censure lorsque la Prusse est revenue vers un absolutisme plus affirmé. S’efforçant sans relâche de combattre l’obscurantisme, il lui a fallu affronter l’opposition à l’idéal des Lumières du Sturm und Drang qui remettait en cause l’universalisme et la puissance de la raison. La complexité des conditions dans lesquelles se construit la pensée politique de Kant est certainement l’une des raisons expliquant la prudence dont il fait preuve dans ses écrits sans pour autant faire de concessions au sujet des valeurs qu’il défend.

Kant est en effet un philosophe des Lumières, c’est-à-dire un penseur qui s’oppose à l’obscurantisme, en d’autres termes, à la domination des hommes par des « tuteurs » qui les maintiennent dans l’ignorance, dans une cécité intellectuelle que seule la culture de la raison peut empêcher. M. Chabot souligne d’ailleurs que le terme allemand d’Aufklärung exprime mieux que celui de Lumières en quoi consiste ce mouvement puisqu’il évoque non seulement l’idée d’éclairer les esprits, mais aussi de les élever dans une dynamique de progrès consistant dans la sortie de l’état de tutelle. La principale tutelle à laquelle s’attaque Kant est celle des autorités religieuses qui entretiennent l’obscurantisme, c’est-à-dire le maintien du peuple dans l’ignorance pour mieux le dominer. Or, le peuple n’a pas besoin d’être guidé par une élite qui lui imposerait de croire en un dogme, en revanche tous les hommes sont dotés de dispositions naturelles qu’il faut cultiver pour leur permettre d’accéder à la raison et de développer leur autonomie de jugement. C’est ici le rôle du philosophe d’être cet éducateur, non pour imposer une pensée, mais pour enseigner à chacun ce que signifie penser par soi-même.

M. Chabot insiste ici sur le fait que, pour Kant, les facultés humaines, et principalement la raison qui est source de liberté, ne sont pas données achevées, mais doivent être cultivées par l’éducation. On comprend donc mieux ce qui conduit Kant à blâmer ceux qui, au nom de la religion, maintiennent leurs ouailles dans un état de minorité. Ils vont, en effet, à l’encontre de la destination naturelle de l’homme, c’est-à-dire de la volonté divine ou de la Providence qui destine l’homme à la liberté. On comprend mieux ici ce qui peut apparaître comme un paradoxe dans la pensée politique de Kant qui, s’il pose comme horizon l’idéal républicain, considère cependant la monarchie éclairée comme une étape nécessaire dans l’accession du peuple à la majorité. Il y a donc une prudence kantienne en politique qui repose sur l’idée qu’à vouloir aller trop vite sur le chemin de la liberté, on risque fort de remplacer un despotisme par un autre régime autoritaire, autrement dit de recourir à un remède pire que le mal lui-même. L’intérêt que porte Kant à la monarchie éclairée relève donc d’une prudence qui n’est pas celle du philosophe qui craint la censure, mais celle du sage qui a compris que le chemin pour accéder aux Lumières est ardu et qu’en conséquence, il faut avancer à petits pas vers la république et la démocratie. Aussi, tout en préconisant le respect de la liberté d’expression de la part de ceux qui exercent le pouvoir, Kant recommande-t-il au peuple de toujours respecter, autant qu’il est possible, la loi de l’Etat. Car la difficulté pour avancer vers les Lumières n’est pas seulement due au caractère despotique des pouvoirs en place, elle procède également de ces deux défauts inhérents à la nature humaine que sont, selon Kant, la paresse et la lâcheté qui pourraient conduite à un mauvais usage des libertés. Les hommes semblent préférer être sous la domination d’un tuteur plutôt que de penser par eux-mêmes. D’où la fameuse formule introduisant l’opuscule « sapere aude ». Il faut donc inciter les hommes à faire usage activement de leur liberté dans le domaine politique. Il s’agit, certes, de penser et agir par soi-même, mais avec et pour les autres, c’est pourquoi le meilleur antidote aux préjugés est la liberté d’expression et la confrontation des idées.

M. Chabot souligne l’apparente contradiction qui semble caractériser la pensée de Kant qui, tout en affirmant la nécessité de rendre les hommes plus libres, se refuse à réclamer que cette liberté leur soit donnée d’emblée. En effet, Kant fait l’apologie de la sortie de l’état de tutelle, mais tout en soulignant que le danger de sortir d’un tel état « n’est pas si grand », il manifeste une certaine réticence à l’idée que le peuple, peu ou mal éclairé, puisse bénéficier d’une plus grande liberté. Alors qu’il juge que l’opinion qui prétend que certains peuples ne sont pas mûrs pour la liberté n’est qu’un alibi pour différer la fin de toute tutelle, il répète à l’envi que la nature humaine n’est pas spontanément disposée à la vie démocratique.

Selon M. Chabot, ces paradoxes sont levés dès que l’on prend conscience que le maître-mot de la pensée politique de Kant est la prudence. Il faut éclairer progressivement le peuple pour parvenir à l’instauration d’une république stable et durable. Kant serait donc plus réformiste que révolutionnaire, car il prendrait le terme de révolution dans son sens astronomique et craindrait qu’un tel mouvement ramène à son point de départ et n’aboutisse qu’à remplacer un despotisme par un autre. Il faudrait donc d’abord éclairer le peuple pour qu’il puisse ensuite s’émanciper. Mais, pour cela, il faudrait franchir les obstacles qui empêchent le progrès des Lumières et, principalement, l’action de certains tuteurs qui maintiennent le peuple dans l’ignorance pour arguer ensuite de son incapacité à se gouverner lui-même. Aussi, s’il faut amener le peuple lentement à la démocratie par l’éducation, la question se pose des modalités d’un tel progrès. Ici, Kant fait jouer aux philosophes un rôle déterminant, celui d’éclairer les puissants. D’où la nécessité de pouvoir rendre leur propos public, afin qu’ils puissent atteindre l’oreille des dirigeants politiques. Reste à savoir si ces derniers sont disposés à les entendre.

L’accès aux Lumières relève donc d’un processus difficile dans un monde que les esprits éclairés, bien que minoritaires, doivent marquer de leur présence en faisant entendre leur voix. Mais l’espoir réside dans la présence de ces quelques hommes pensant par eux-mêmes qui peuvent éveiller la disposition naturelle des hommes au progrès et à la liberté. Cet éveil doit, selon Kant, précéder la naissance de droits nouveaux, faire l’inverse en politique serait « mette la charrue avant les bœufs ». L’humanité se caractérise donc par une certaine ambivalence. Son aspiration à la liberté se trouvant étouffée par un certain goût pour la servitude. M. Chabot y reconnaît l’influence de Rousseau pour qui la perfectibilité humaine peut être tout autant cause de progrès que de régression. Les despotes sont des hommes et possèdent cette capacité de penser par soi-même qui peut les conduire à vouloir accompagner leur peuple sur le chemin de la liberté, mais ils ont le plus souvent tendance à faire un mauvais usage de cette liberté pour satisfaire leur goût du pouvoir. Chez les puissants et dans le peuple, le goût pour la liberté a du mal à s’exprimer, les uns et les autres préférant la facilité, celle de gouverner un peuple d’ignorants pour les premiers, celle de se laisser guider par d’autres pour le second. M. Chabot établit d’ailleurs, à ce sujet, un parallèle avec le prisonnier de la caverne qui se révolte contre son libérateur. De même, pour Kant, ce n’est pas tant la force répressive du pouvoir politique qui fait obstacle aux Lumières que la résistance de ceux qu’il faut libérer. Néanmoins, chez certains esprits, les Lumières font leur chemin et l’on peut espérer qu’ils soient suffisamment convaincants pour essaimer auprès d’un public de plus en plus large et pour ouvrir l’esprit de quelques dirigeants politiques ou religieux. Seul cet essaimage est porteur d’espoir, ce qui explique la lenteur du processus qui nécessite, aux dires de Kant lui-même, « une durée indéfinie ».

 

Tandis que la première partie du livre de M. Chabot s’achève sur ses considérations d’un optimisme plutôt limité, la seconde partie aborde l’actualité du texte de Kant.

Il voit d’abord, dans le texte de Kant, un remède nous garantissant de toute forme de démocratie ou de théocratie. Kant refuse d’admettre qu’une élite puisse, sous prétexte qu’elle détiendrait le seul vrai savoir, prétendre exercer un pouvoir sur les esprits et sur les corps et se considérer en droit de diriger les autres hommes. De nombreux exemples montrent malheureusement qu’aujourd’hui cette tentation n’a pas disparu et que nous sommes encore confrontés à des forces dont le projet est d’imposer la primauté du religieux sur le politique. Cela est vrai de certains Etats qui se disent ouvertement théocratiques, mais cela menace aussi les démocraties à l’intérieur desquelles de telles forces voudraient s’imposer en refusant, par exemple, de respecter les lois de l’Etat sous prétexte qu’elles seraient contraires aux lois de Dieu.

La démarche de M. Chabot ne consiste pas, bien évidemment, à plaquer de manière anachronique le texte de Kant sur l’actualité et d’en faire le modèle explicatif de notre présent. Il s’agit plus modestement de montrer en quoi ce texte peut nous fournir des éléments de réflexion en en dégageant des enseignements qui sont encore d’actualité. Parmi ces enseignements, la nécessité de cultiver chez chaque individu et citoyen le goût de la réflexion personnelle en instaurant les conditions d’un débat public fécond est considérée comme fondamentale. Sans cela, les hommes, empêchés de faire un usage personnel de leur propre raison, sont enfermés dans la minorité, ce qui constitue un « crime contre la nature humaine ». Cela vaut tant dans le domaine des croyances religieuses que dans celui des opinions politiques, d’autant que, le plus souvent, le maintien des hommes dans l’hétéronomie sur le plan religieux sert de tremplin pour s’opposer à l’autonomie politique. Aussi, si l’on ne peut faire de Kant un défenseur de la laïcité, on peut néanmoins considérer qu’il lui ouvre la voie en défendant la primauté du politique sur le religieux. M. Chabot retient donc de Kant cette idée qui est au cœur du mouvement des Lumières, idée selon laquelle les peuples ne sont maintenus dans la servitude que par l’ignorance et l’obscurantisme et ne peuvent conquérir leur liberté qu’en osant penser par eux-mêmes et faire un usage public de leur propre entendement. Reste à définir les modalités d’accession aux Lumières. Comment éveiller à la raison ceux qu’un pouvoir autoritaire maintient plus ou moins insidieusement dans l’ignorance et la soumission ?

M. Chabot souligne qu’en la matière la voie du paternalisme n’est pas celle que Kant préconise, celle-ci ayant le défaut de considérer les membres d’un Etat comme des enfants que seule une autorité paternelle est en mesure de protéger d’eux-mêmes, ce qui équivaut à les maintenir dans un état de minorité. Il voit dans cette opposition un message à transmettre à ceux qui pourraient de nos jours céder à la tentation de laisser le pouvoir à un chef providentiel qui prétendrait détenir les solutions de tous les problèmes que rencontrent nos sociétés.

Le problème soulevé ici est finalement celui de savoir s’il faut attendre qu’un peuple soit mûr pour la liberté pour lui permettre d’y accéder ou si, au contraire, c’est en lui accordant cette liberté qu’il parviendra à cette maturité. La difficulté se trouve d’ailleurs soulignée aujourd’hui par le fait que des peuples, étant parvenus à la démocratie parfois depuis de nombreuses années, n’hésitent pas à porter aux plus hautes responsabilités des personnages dont on peut dire que les respects des libertés fondamentales n’est pas leur souci majeur. La progression, ces dernières années, de ces régimes que certains appellent « démocratures » est une source de réelle inquiétude renouvelant la problématique soulevée par la pensée kantienne. Selon M. Chabot, les réflexions de Kant sur l’éducation comme cheminement progressif vers les Lumières pourraient nous offrir des pistes de solution. Peut-être est-ce oublier que notre époque est celle où les instances éducatives se trouvent concurrencées par un pouvoir médiatique disposant d’une force de séduction avec lequel le discours rationnel a du mal à rivaliser.

M. Chabot revient donc ensuite sur la question de la prudence dans le domaine du changement politique en traitant de l’alternative entre réforme et révolution. Contre la tendance à vouloir instaurer la démocratie à marche forcée, qu’il qualifie de démocratisme, et qui n’est jamais à l’abri de retourner vers un type de régime proche de ceux que l’on a renversé, il voit dans la pensée kantienne un appel à la prudence et au réformisme. Si l’on peut parfois douter qu’il y ait toujours une appétence des peuples pour la démocratie et si l’on peut malheureusement constater que les révolutions enfantent trop souvent de nouvelles dictatures, la position réformiste n’en est pas moins problématique dans la mesure où elle suppose que celui qui exerce un pouvoir autoritaire accepte de voir celui-ci se réduire progressivement. Cette question mériterait d’être abordée de manière plus développée dans ce livre.

Michel Chabot s’interroge donc sur les raisons des difficultés qui jalonnent le chemin vers la république et la démocratie et qui les menacent toujours, même lorsqu’elles sont instituées de longue date. Or, si l’on peut à juste titre incriminer une minorité qui cherche à exercer le pouvoir afin de satisfaire ses seuls intérêts particuliers, il faut également prendre en considération cette tendance des peuples « à préférer se donner des chefs plutôt que des maîtres », pour parler comme Rousseau. Comme l’a bien souligné Kant, des défauts comme la lâcheté et la paresse ont tôt fait de jeter les peuples dans les bras de la servitude volontaire.

M. Chabot manifeste cependant une certaine réticence dans le recours à la notion de peuple qui reste assez floue dans la mesure où elle recouvre une telle diversité d’individus et de conditions qu’elle a tendance à gommer les tensions qui peuvent la traverser. Cette diversité peut néanmoins être un avantage, si, dans le peuple, se développe une élite éclairée susceptible d’éveiller les esprits aveuglés par ceux qui les maintiennent dans l’obscurité. Il souligne même l’ambivalence de cette notion qui, lorsque l’on élude son hétérogénéité, peut désigner une masse indistincte dont il est aisé ensuite de prétendre qu’elle doit être dirigée de manière autoritaire. Il faut donc tenir compte de la diversité d’un peuple et du fait que ceux de ses membres peu cultivés n’en sont pas moins éducables et qu’en eux peut être éveillés ce que Kant nomme « le penchant à la pensée libre ». Si ces germes de liberté ne sont pas cultivés en amont, le risque est grand, après une révolution, de voir ceux que le despotisme a maintenu dans l’ignorance amener au pouvoir des dirigeants tout aussi peu sensibles à la démocratie que les précédents. Et M. Chabot de citer de nombreux exemples empruntés à une actualité plus ou moins récente.

On pourrait rétorquer à M. Chabot que la tentation de se jeter dans les bras d’un pouvoir fort n’est pas le « privilège » des peuples soumis à la dictature et qu’elle concerne aussi nos démocraties dans lesquelles elle gagne du terrain. A cela, il répond que cette attirance vers l’avènement d’un pouvoir fort tire également son origine d’une certaine ignorance partagée par de nombreux citoyens, celle qui concerne l’économie, dont certes Kant ne parle pas, mais qui selon M. Chabot occupe une place déterminante dans la vie politique contemporaine. Ainsi, de nombreux citoyens, peu éclairés en ce domaine, peuvent se laisser abuser par les promesses intenables de nombreux démagogues.

M. Chabot souligne d’ailleurs la difficulté que rencontrent pour se maintenir les démocraties naissantes, lorsqu’elles ne parviennent pas à répondre rapidement aux aspirations matérielles d’une population trop longtemps spoliée par ceux qui l’ont dirigée auparavant. Il n’y a pas, selon lui, de vertu miraculeuse de la démocratie et il ne suffit pas de l’instaurer pour que les individus se transforment en citoyens libres et soucieux de l’intérêt général. L’augmentation de l’abstentionnisme, tant dans les démocraties installées de longue date que dans celles à peine sortie du totalitarisme, semble confirmer ce jugement.

Il semble donc, à lire M. Chabot, qu’en ce qui concerne l’avènement de la démocratie, le principe du « tout, tout de suite » ne soit pas toujours porteur d’effets positifs.

Pour que la démocratie fonctionne, il est nécessaire qu’elle s’appuie sur les principes de la république, d’où la nécessité de distinguer ces deux termes que l’on a parfois tendance à confondre, la république se définissant comme une démocratie éclairée à l’intérieur de laquelle tous seraient égaux devant la loi. Cela passe principalement par l’éducation à la citoyenneté qui seule est en mesure de vaincre la paresse et la lâcheté dénoncées par Kant chez ceux qui se complaisent dans l’état de tutelle, mais qui se confronte trop souvent soit à l’inertie de despotes plus ou moins éclairés, soit aux valeurs que promeut la société de consommation et qui tendent à transformer la démocratie en dictature de l’opinion. Ce que M. Chabot diagnostique comme un déclin du respect pour les principes républicains le conduit d’ailleurs à quelques considérations plutôt pessimistes au sujet de l’avenir des démocraties.

 

Toute la difficulté tient en ce que les hommes ne sont pas spontanément citoyens et la problématique de ce livre tient dans la tension entre la dénonciation kantienne de l’argument des despotes qui prétendent que leur peuple n’est pas mûr pour la liberté, alors qu’ils le maintiennent dans un état de tutelle, et la tentation révolutionnaire d’instaurer immédiatement la démocratie, au risque que le terme de révolution ne se résume alors à son sens astronomique et n’aboutisse qu’à un retour au point de départ. Ce que décrit et analyse ici M. Chabot, c’est le chemin difficile situé sur la ligne de crête séparant la tentation révolutionnaire et le réformisme sans cesse freiné, quand il n’est pas étouffé, par les tenants du pouvoir en place soucieux de maintenir l’ordre établi.

 

                                                                                                                                                                         Eric Delassus