Claude Duverney, Lire Kant, Visite guidée de la « Critique de la raison pure », 196 p., Slatkine Érudition, Genève 2015, lu par Martine Louis

 

 

kant_lire.jpg
 
 

Dans l’avant-propos, l’auteur part d’un dire de Kant, extrait de la « Préface à la première édition de la Critique de la raison pure (1781), annonçant la difficulté de compréhension de son ouvrage. Il va s’agir de retracer le parcours poursuivi par Kant pour favoriser la compréhension de celle-ci, notamment en faisant des références aux Prolégomènes à toute métaphysique future. Pour cela, l’auteur précise avant tout, ce que n’est pas son ouvrage, à savoir un énième ouvrage sur Kant (commentaire), mais bien plutôt une introduction à la Critique de la raison pure qui se veut adaptée au lycéen, au lecteur novice. D’où une méthode alliant des explications et des citations extraites des deux versions de la Critique elle-même et des Prolégomènes. Il insiste sur le fait que son ouvrage reste une introduction et n’a pas la prétention à être autre chose.

  Introduction : la problématique de la Critique de la raison pure

  1. L’objectif de la CRP

Pour introduire son ouvrage, l’auteur en rappelle l’objet. Il est question de retracer le mouvement réflexif mené par Kant, produisant la problématique de la Critique de la raison pure. Pour arriver à cette dernière,  il la décompose en objectif et motif.

Le but de la Critique de la raison pure est de réformer la méthode de la métaphysique à l’imitation des sciences. Ceci est précisé par une explicitation de chaque terme de la formule en lien avec le contexte philosophique du « moment » d’écriture de la Critique de la raison pure. L’auteur dresse un état des lieux en rappelant que la méthode de la métaphysique prévalant à cette époque, est le rationalisme dogmatique auquel s’oppose l’empirisme. Son but est d’inscrire la Critique de la raison pure dans l’histoire de la philosophie, afin d’en faciliter la compréhension.

1.1 Rationalisme versus empirisme.

Ici, l’auteur rappelle les raisons pour lesquelles Kant se détourne, à la fois, du rationalisme et de l’empirisme en s’appuyant sur une citation extraite de la Critique de la raison pure (CRP). Il fait référence à la formation initiale de Kant enseigné par Wolff, héritier de la philosophie de Leibniz, avec qui, finalement, il prendra ses distances.

Pour comprendre cet éloignement kantien, l’auteur, Claude Duverney, rappelle la thèse principale des rationalistes et leur méthode, notamment en imitant le modèle mathématique, qualifiée de « méthode sévère de l’illustre Wolff ». Cependant, dans un souci d’éclaircissement et parce qu’il convient que la philosophie de Wolff n’est pas forcément connu par son lecteur, l’auteur renvoie à Descartes et à la manière dont il reconstruit, à partir de la certitude première qu’est le cogito, tout l’édifice du savoir. C’est la démonstration de l’existence de Dieu qui parachève l’illustration de la méthode déductive, à laquelle il assortit un tableau synoptique récapitulant la méthode. Cette démonstration rappelée dans ses grandes étapes argumentatives est reliée à l’interrogation kantienne émergeant à ce moment précis : « suffit-il d’être logique pour dire vrai ? ». Puis, il rappelle les différentes influences d’autres auteurs (Newton (1755, Hume 1760) en énonçant la thèse empirique qu’il assoit sur des citations extraites de l’Enquête sur l’entendement humain de Hume. Ces influences ont eu pour conséquence de le détacher du dogmatisme de Leibniz et de Wolff. L’auteur en profite pour exposer, sous forme de tableau synoptique, la méthode inductive, rappelant, à l’occasion,les distinctions conceptuelles posées par Hume entre « impression » et « idée » d’une part et d’autre part, l’élément déclencheur, qui est l’attention portée par Kant au concept de « cause-effet ».

1.2  Méthode physique et métaphysique.

Il va s’agir de montrer de quelle manière Kant s’y prend pour calquer la méthode des sciences sur celle de la métaphysique, de telle sorte que, comme le dit l’auteur, il s’avère possible de considérer la Critique de la raison pure comme une véritable « épistémologie des sciences ». Pour illustrer ce point de vue, l’apport de Newton est présenté dans un tableau synoptique de la loi de la gravitation. Il est à noter que l’auteur s’attache, à chaque fois, à indiquer chaque élément participant de l’évolution de la pensée kantienne dans un tableau synoptique afin d’en récapituler la place occupée au sein même de l’écriture de la Critique de la raison pure. Il précise aussi le paradoxe soulevé à imiter méthode de la science physique par la métaphysique en partant de la définition de cette dernière.

2. Le motif de la Critique de la raison pure

kant_kritik.jpg
 

Après l’objectif de la CRP, l’auteur met en évidence le motif, soit les raisons pour lesquelles il est apparu nécessaire à Kant d’écrire cette Critique. Outre, la nécessité de la réforme de la méthode, indiquée par le péril en la demeure qu’est le scepticisme, c’est la production d’antinomies, - terme qu’il prend le soin de définir au préalable-, notamment quand est fait, par Kant lui-même, le parallèle avec les mathématiques, dont le degré de scientificité atteint est vu comme une promesse. Ces faits constatés par le philosophe des Lumières justifient son entreprise, ce qu’appuie le commentateur en soulignant clairement le paradoxe de l’usage de la raison qui revêt d’un côté une apparence de savoir (métaphysique) et, de l’autre, est savoir (science).

L’auteur pose de nombreuses questions rhétoriques, sollicitant une interactivité avec le lecteur, ceci, dans le but de faire saisir en quoi cette critique peut être considérée, à juste titre, comme « le tribunal de la raison » qui se convoque elle-même afin de réformer la métaphysique selon la formule même de Kant. Car, comme rappelé, la CRP est la reprise de l’entreprise humienne, telle qu’elle se présente dans l’Enquête sur l’entendement humain, amenant Kant, à partir du problème posé par la notion composée « cause-effet », à en rechercher la provenance. En s’appuyant sur l’exemple l’illustrant du « soleil (qui) chauffe la pierre », exemple dont l’analyse servira tout le long de l’ouvrage, l’auteur peut, ainsi, retracer à grands traits le problème rencontré par Kant : tout en présentant la conclusion à laquelle aboutit Hume, il montre que cette conclusion jugée insatisfaisante aux yeux de Kant l’oblige à en effectuer une nécessaire reprise dès l’instant que le philosophe écossais ne peut justifier les succès de la science. Il est ainsi possible de saisir, comme le fait l’auteur, que « la route critique de Kant se fraye un chemin entre les méthodes dogmatique et sceptique, soit entre Wolff et Hume. »

3. La révolution copernicienne 

De plus, ce sont ces mêmes succès observés par les sciences qui poussent Kant à se demander non plus si elles sont des sciences mais bien plutôt comment elles ont conquis leur scientificité. Ce déplacement de la question, noté par l’auteur, oriente la réponse impliquant une révolution de méthode - la révolution copernicienne -, celle consistant, notamment, en un changement d’attitude. C’est en s’attachant à faire revivre le parcours intellectuel kantien par le lecteur, le mettant pour ainsi dire à sa portée que l’auteur peut faire comprendre en quoi consiste cette révolution copernicienne. Il s’assure de sa compréhension en prenant la précaution de rappeler sa signification symbolique et en renvoyant à la  figure de Copernic, du changement de méthode, dont il a été l’instigateur, ainsi qu’aux honneurs que Kant lui adresse pour sa hardiesse. C’est d’ailleurs, comme le fait remarquer l’auteur, cette audace dont Kant se réclame qui va permettre une rupture avec l’ancienne attitude intellectuelle. Cette posture liée à la révolution copernicienne fait l’objet d’un bilan quant aux positions de Hume et de Wolff, en indiquant ce qu’elle gagne et perd. L’auteur en profite pour préciser la possibilité d’une confusion liée à la terminologie kantienne entre pur a priori et a priori risquant d’aboutir à une mécompréhension du texte et à sa mauvaise interprétation.

4- Les jugements synthétiques a priori

Le deuxième constat, décisif après celui du succès des sciences, est celui portant sur les « jugements synthétiques a priori », dans la mesure où ils se caractérisent comme étant la forme des connaissances scientifiques. C’est aussi l’occasion, dans cette partie, de les définir et de les distinguer des jugements analytiques, tout en mettant au jour, pour chaque type, leur défaut et leur qualité respectifs. Une attention particulière est accordée aux jugements synthétiques a priori dès lors qu’ils sont ceux qui peuvent rendre compte de l’universalité de la science, en dépassant l’expérience en tant que conditions de la connaissance. La terminologie kantienne est indiquée et le terme transcendantal est défini.

5- La problématique de la CRP

Après avoir rappelé le motif d’écriture de la CRP et  résumé le progrès réalisé par Kant, l’auteur peut énoncer la problématique élaborée : comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? Ce qu’il décline selon la science envisagée faisant correspondre le questionnement au plan de la CRP. Afin d’entrée en douceur dans l’œuvre maîtresse de Kant, l’auteur propose au préalable une visite guidée des Prolégomènes, tout en indiquant la différence avec le plan de la CRP.

Première partie : Esthétique transcendantale ou la possibilité des jugements synthétiques a priori

1. L’enjeu de l’Esthétique transcendantale

L’auteur précise l’objet de l’Esthétique transcendantale et pose les principales définitions de la terminologie kantienne (intuition /phénomène/forme). Il met ainsi au jour ce qu’établit Kant dans cette première partie de la CRP, à savoir l’émergence des deux formes a priori de la sensibilité que sont l’espace et de le temps, tout en les liant à la problématique de l’œuvre. De plus, en dévoilant la structure architecturale de cette dernière, l’auteur rappelle l’opposition à Hume et la position intuitionniste des mathématiques  dont Kant reste tributaire et qui le conduit à établir que l’espace et le temps, en tant que formes a priori universelles, rendent possibles les synthèses a priori de la mathématique.

  1. La possibilité des jugements synthétiques a priori en mathématiques

L’auteur déroule le plan suivi par Kant, débutant par l’analyse de l’espace tout en précisant la raison pour laquelle le temps prime par rapport à l’espace, en tant que condition d’appréhension de tout phénomène. Puis, il énumère les différents arguments établissant le caractère pur a priori de l’espace pour finir par ceux exposant la nature de représentation ou de cadre pur de l’espace. Le bilan de la démonstration sur l’espace est tiré et lié à la possibilité des jugements synthétiques a priori, en renvoyant à leur condition de possibilité. Ce premier acquis est élargi au temps qui reprend la même disposition argumentative. 

3. Conséquence de l’Esthétique transcendantale : la distinction des phénomènes et de la chose en soi.

L’auteur retrace les étapes de l’argumentation et le gain obtenu par une telle démonstration puis il termine par le résultat obtenu.

Deux conséquences majeures apparaissent :

  1. L’idéalité transcendantale ou formelle de l’espace et du temps.
  2. Leur réalité empirique.

Ces conclusions débouchent sur la distinction radicale entre « phénomène » et « chose en soi » et l’auteur en profite pour faire un rapprochement avec les Prolégomènes à toute métaphysique future pour éclairer cette distinction fondamentale et indiquer ainsi les limites d’investigation de la raison qui doit se cantonner aux simples objets de l’expérience , y compris le « moi ».

Deuxième partie : Analytique transcendantale ou la possibilité des jugements synthétiques a priori en physique.

  1. L’enjeu de l’Analytique transcendantale

L’auteur précise la place qu’occupe l’Analytique transcendantale dans la Logique transcendantale et le lien avec l’entendement, rappelant, d’une part, que les deux sources de la connaissance sont la sensibilité et l’entendement et, d’autre part, leur nécessaire complémentarité en s’appuyant sur la très célèbre citation extraite de la CRP : « des pensées sans contenu sont vides, des intuitions sans concepts aveugles ». Il note aussi que la Logique est qualifiée de transcendantale dans la mesure où il s’agit d’une investigation de l’entendement au point de vue seulement des conditions de nos connaissances a priori en ce qu’elle se centre sur les concepts purs ou originaires de notre pouvoir de comprendre.

Par la suite, il donne les raisons des deux subdivisions de la Logique en Analytique et en Dialectique. Dans la première (Analytique), il s’agit de répondre à la question de la possibilité des jugements synthétiques a priori en physique pour la  comprendre comme une logique de la vérité, tandis que, dans la seconde (Dialectique), envisagée comme une logique de l’apparence, l’accent est mis sur le rôle de la raison, notamment sur ses excès. La dialectique est dévolue à la question des conditions de possibilité des jugements synthétiques en métaphysique.

L’Analytique transcendantale est présentée à partir de l’analyse de l’exemple du jugement « le soleil chauffe la pierre » permettant ainsi d’illustrer le principe selon lequel tout ce qui arrive est déterminé par une cause. L’auteur poursuit en faisant le lien avec les Prolégomènes afin de mettre en évidence la complexité de l’exploration de l’entendement proposée par l’Analytique, qui est elle-même dédoublée en analyse de ses concepts purs et celle de ses principes ou jugement synthétiques purs a priori. Afin de faciliter la compréhension de la notion de concepts purs a priori, l’auteur met en place une analogie avec les emporte-pièces utilisés en pâtisserie, analogie dont il montrera par la suite les limites.

Il énumère les étapes par lesquelles Kant passe pour mettre au jour le fonctionnement de l’entendement afin de répertorier tous les concepts purs, d’en dresser une liste exhaustive qu’il peut ainsi justifier.

Après avoir répondu aux questions de savoir quels sont-ils et à quoi servent-ils, l’auteur s’attelle à la question de savoir comment doivent-ils être utilisés, élucidant le rôle des schèmes et des principes.

  1. L’Analytique des concepts : la validité des concepts purs de l’entendement.

La première étape répertoriée par l’auteur consiste en un dressage d’un catalogue des formes a priori, qui revient, si l’on s’appuie comme il le fait sur l’analogie avec la pâtisserie, à trouver les emporte-pièces.

2.1 La recherche des concepts purs de l’entendement.

Le problème repéré est celui de leur évidence, car il va s’agir de trouver la méthode de recherche d’où la nécessité d’un fil conducteur ou d’un principe directeur. L’auteur montre comment le philosophe élabore cette liste en partant de la définition de l’entendement en tant que capacité de penser et de juger. Cette corrélation entre les formes de jugements et les concepts purs a priori a pour conséquence d’éliminer la fantaisie et l’arbitraire et en même temps de garantir l’exhaustivité de cette dernière. Pour mieux faire comprendre cette étape dans la construction du système kantien, l’auteur explique cette méthode de recherche en faisant référence à l’analogie de la forme du gâteau et de l’emporte-pièce qui lui a donné sa forme particulière. Il montre ainsi pourquoi le philosophe en recense douze et indique la raison pour laquelle celui-ci utilise le vocable de « catégorie ».

Par la suite, l’auteur se focalise sur l’analyse d’une forme particulière de jugement, celui de la relation, constituée de trois concepts. Cette analyse permet à l’auteur de mettre en lumière l’usage, soit la légitimité de ces concepts purs a priori.

2.2 La Déduction des concepts purs de l’entendement.

 L’auteur resitue cette étape dans la construction du système kantien, en rappelant brièvement où l’on en est à ce moment précis de la Logique et la nécessaire distinction à faire entre Déduction transcendantale et Déduction empirique. Ici, il s’agit de légitimer le principe d’un usage objectif de tels concepts purs a priori, il faut, par conséquent, indiquer le droit et la nécessité de mettre en œuvre des concepts issus de l’entendement pur dans l’expérience sensible, afin d’obtenir une connaissance objective et a priori. C’est ainsi l’occasion de rappeler le sens que Kant accorde au terme déduction et l’importance que revêt cette question portant sur la légitimité de l’application des concepts purs de l’entendement aux phénomènes est cruciale et délicate.

L’auteur insiste sur la difficulté de ce chapitre et le plan suivi pour l’aborder en deux temps : premièrement les Prolégomènes puis la CRP (édition de 1787).

2.2.1 La Déduction transcendantale des Prolégomènes

La distinction entre les jugements de perception et les jugements d’expérience est indiquée ainsi que le sens accordé au terme « subsomption ». Les jugements de perception sont subjectifs et contingents alors que les jugements d’expérience sont à comprendre comme des jugements synthétiques a priori.

2.2.2 La Déduction transcendantale de 1787 (2ème édition)

L’auteur revient sur la Déduction de la CRP après cet éclairage autorisé par celle des Prolégomènes. Il met à jour ainsi cinq moments clés.

Pour suivre le fil de la progression de la construction du système kantien, ce dernier rappelle la distinction kantienne entre intuitions sensibles et synthèses intellectuelles, mettant ainsi en avant le rôle synthétique joué par l’entendement ayant pour fonction de lier le divers des intuitions.

Le premier moment, §16, concerne l’unité de l’aperception. Après avoir rappelé que Kant récuse le fait que la conscience de soi équivaut à la connaissance de soi dans la mesure où celle-là n’est que la représentation intellectuelle de l’existence du sujet pensant, l’auteur s’interroge quant à l’essence de cette aperception et la démarque de la conscience empirique en précisant ce qu’elle est, soit le dénominateur commun des divers intuitions empiriques qu’on qualifie de miennes. Pour se faire comprendre il fait un rapprochement avec la confection d’un puzzle.

Deuxième moment : les §18/19 portent sur l’unité objective de la conscience. Dans le §18, est posée la distinction entre unité objective et unité subjective, la première renvoie à l’unité transcendantale et correspond au jugement d’expérience des Prolégomènes, tandis que la seconde se détermine comme l’unité empirique et contingente, obtenue par associations des représentations.

Dans le §19, ce sont les rôles de l’entendement et de l’imagination qui sont distribués.

Le troisième moment correspond au §20 dans lequel Kant tire une première conclusion quant à la nécessité des concepts purs a priori.

Quatrième moment : le §24 est dévolu à la fonction de condition de l’imagination. Revenant sur la légitimité des concepts purs a priori comme formes structurantes liées à l’imagination qui joue un rôle d’intercesseur, l’auteur souligne la place qu’occupe l’imagination, fonctionnant comme une passerelle entre les deux pouvoirs de connaissance de telle sorte qu’il ouvre la voie à la question du schématisme transcendantal.

Cinquième et dernier moment : le §26 parachève la Déduction transcendantale débouchant sur la prescription de lois de la nature, tout en faisant le lien avec les phénomènes et la possibilité de cette prescription des lois. C’est ainsi qu’il justifie la mise en œuvre des concepts purs a priori. Cette proposition de lecture pas à pas de la Déduction transcendantale permet de faciliter sa compréhension et de suivre le cheminement intellectuel de Kant lui permettant d’élaborer son système en donnant du sens à chaque étape qui apparaît comme nécessaire dans la progression de sa réflexion. L’auteur spécifie la méthode propre à Kant qui opère un renversement de perspective en rappelant les données du problème de Hume et les deux seules solutions possibles dont l’une, celle de Hume, débouche sur des conséquences absurdes, alors que l’autre, celle que propose Kant, s’avère être la seule  solution véritable mais nécessitant la restriction au champ unique de l’expérience.

3. L’Analytique des principes : le mode d’emploi des catégories.

On retrouve, encore, utilisée la comparaison des concepts purs a priori et les emporte-pièces conceptuels afin d’éclairer et justifier le rôle de l’Analytique des principes, permettant ainsi de préciser la place de cette partie dans l’Analytique transcendantale. L’objet de l’Analytique des principes est dévolu aux règles et aux critères que le jugement doit respecter dans l’usage qu’il fait des concepts purs a priori. Ceci conduit l’auteur a indiquer clairement la distinction entre l’entendement et la faculté de juger en s’appuyant sur leur fonction.

Il en profite pour rappeler la composition de l’Analytique des principes qui comporte deux volets, l’un portant sur les conditions et l’autre, sur les jugements synthétiques eux-mêmes.

3.1 Le schématisme des concepts purs ou leurs critères d’application.

L’auteur établit un lien avec le §24 tout en posant une différence avec ce dernier : il ne s’agit pas d’une redite mais bien d’une avancée dès lors qu’il s’agit de résoudre le problème que pose cette hétérogénéité des concepts et des impressions des sens. La nécessité de schématiser apparaît d’elle-même. Ce schématisme transcendantal convoqué pour résoudre le problème de l’hétérogénéité des concepts purs et des impressions des sens met en exergue le statut privilégié du temps, ce que permet de comprendre d’autant l’illustration par l’exemple du concept pour « cause-effet », par le biais du schème de la succession.

C’est ainsi que l’auteur explique ce que sont les schèmes en montrant par un exemple la condition nécessaire d’applicabilité du concept pur aux phénomènes : dans le cas du concept pur « cause-effet », il s’avère nécessaire que le phénomène présente une suite irréversible d’éléments.

Afin de garder en mémoire cette étape de la construction du système kantien, l’auteur a encore une fois recours à un tableau synoptique portant principalement sur la catégorie de la relation, exemple privilégié dès le début de l’ouvrage.

L’auteur revient sur les fonctions de l’imagination en tant qu’elle sert d’intercesseur entre l’entendement et la sensibilité, en ce qu’elle est à comprendre comme capacité de former une image correspondant à un concept ou bien de conserver l’image d’objets perçus. Ces deux aspects de l’imagination sont pris en compte pour distinguer le schème de l’image. Celui-ci, en effet, est le procédé permettant de forger des images correspondant à des concepts, ce que l’auteur met en évidence en prenant l’exemple du triangle. C’est l’occasion aussi de revenir sur le terme de transcendantal accolé à celui de schème.

3.2 Les principes comme règles du jugement

Il s’agit, ici, d’indiquer le mode d’emploi de ces règles du jugement, soit de préciser les directives pour l’application judicieuse des catégories. Pour éclairer ce moment, l’auteur fait encore appel à un tableau synoptique reprenant le lien des concepts purs et des schèmes transcendantaux pour élaborer les principes de l’entendement à partir de la table des catégories.

L’auteur peut ainsi tirer la conclusion que les principes de l’entendement pur sont les règles de la subsomption puisqu’ils fournissent à la faculté de juger les consignes d’application des catégories en conditionnant leur usage aux critères restrictifs indiqués par leurs schèmes respectifs. Ainsi, il est possible d’admettre que les principes de l’entendement pur répondent à la question : « comment la physique pure est-elle possible ? ». Ce qui, du même coup, permet, d’une part, de constituer une connaissance principielle de la nature, et, d’autre part, d’exposer d’avance les lois fondamentales auxquelles tous les jugements synthétiques portant sur les phénomènes particuliers devront se conformer, définissant ainsi, a priori, le cadre d’une expérience possible.

En précisant l’enchainement rigoureux des trois tables (des jugements, des catégories et des principes), l’auteur indique pas à pas le cheminement réflexif de la construction du système kantien où chaque apport conceptuel vient le compléter et lui apporter une solidité. Pour justement monter que les lois empiriques de la nature ne sont pas à comprendre comme des lois pures et universelles, l’auteur va s’arrêter sur les analogies de l’expérience, les déployant une à une.

3.2.2 Les trois Analogies de l’expérience.

L’auteur passe en revue chacune des trois analogies en commençant, comme Kant, par celle de la permanence. Mais, il choisit de s’arrêter, dans un deuxième temps sur la troisième, envisagée comme principe de communauté pour terminer par la deuxième en tant que principe de production. La deuxième analogie fait l’objet d’un développement plus conséquent que les deux autres puisqu’elle renvoie à l’expérience des liaisons causales et donc au concept pur a priori de « cause-effet » que l’auteur a choisi pour expliciter la démarche kantienne. Il emprunte à Kant deux exemples d’application judicieuse de concept, notamment l’appréhension des parties d’une maison et la descente d’une rivière effectuée par un bateau pour montrer que les concepts purs a priori ne peuvent pas structurer aveuglément et par forçage une matière brute ou indifférenciée, mais bien plutôt qu’ils nécessitent de faire appel à des principes qui en règlent l’usage. Ce qui permet ainsi de limiter la comparaison avec l’emporte-pièce.

Pour éclairer ceci, l’auteur fait référence à un passage des Prolégomènes, exposant étape par étape le travail de discernement de la faculté de juger, assorti d’un tableau synoptique.

4. Conséquence de l’Analytique transcendantale : Penser n’est pas connaître.

Dans cette partie, l’auteur revient sur le point par lequel Kant s’accorde avec Hume : celui de la nécessaire référence à l’expérience comme point d’ancrage de la connaissance ; mais aussi sur le point de désaccord : la référence aux principes a priori de liaison causale. Il fait ainsi le point sur ce qu’apporte la conception kantienne de la relation causale par rapport à Hume et ce qu’elle autorise du point de vue de la science - sa possible et légitime élaboration - et ce qu’elle implique : la distinction des noumènes, choses en soi, d’avec les phénomènes, qui, contrairement à ces derniers, ne peuvent être que pensés et non connus.

L’auteur fait la part des choses en accordant, à chaque pouvoir de connaissance, le rôle qui lui convient, mettant en relation le pouvoir de l’entendement et la notion d’expérience. Ainsi, il s’avère possible d’établir le résultat de cet arpentage des pouvoirs de l’entendement et d’admettre la conclusion imposée par la CRP : ne pas dépasser les limites de l’expérience possible.

Ceci le conduit, pour finir, à appréhender le rôle de la raison qui compromet les catégories dans de prétendues connaissances portant sur des noumènes (l’âme, l’univers/ le monde et Dieu).

La Dialectique transcendantale ou la possibilité des jugements synthétiques a priori en métaphysique.

1. L’enjeu de la Dialectique transcendantale.

L’auteur précise ici l’objet de la Dialectique transcendantale, en ce qu’elle se présente comme une critique et un désaveu de la raison. Pour se faire, il rappelle la place qu’occupe cette partie dans la Logique transcendantale, en tant que seconde division.

La Dialectique consiste à dénoncer une logique de l’apparence et c’est la raison pour laquelle elle se différencie de la première division dévolue à la logique de la vérité. L’auteur fait remarquer qu’ici le sens du mot « critique » est modifié et est à comprendre comme une disqualification, une destitution.

L’auteur se pose un certain nombre de questions rhétoriques auxquelles il répond successivement. Dans un premier moment, il prend la précaution de distinguer les fonctions et les rôles de l’intelligence, de la faculté de juger et la raison, pour révéler que la Dialectique est naturelle et inévitable. En effet, celle-ci est le résultat d’une tendance naturelle de la raison humaine qui aspire à l’unité, à la complétude, ou à l’achèvement, d’où des illusions engendrées spontanément par elle, ce qui le conduit à distinguer l’office spécifique de la raison le démarquant de celui de l’entendement : l’entendement est le pouvoir des règles, alors que la raison est le pouvoir des principes.

L’auteur spécifie que l’examen kantien se fait en deux temps, d’abord la genèse des concepts de la raison pure, ou idées transcendantales, puis les raisonnements dialectiques qui leur correspondent.

2. Les idées de la raison pure

L’auteur revient sur la terminologie kantienne en définissant les Idées transcendantales. L’auteur en dénote la caractéristique propre : elles ne peuvent être un objet des sens. Il retrace ainsi la genèse des idées en distinguant les deux principes de la raison précédemment indiqués.

Pour permettre une meilleure compréhension de cette partie, un tableau est représenté retraçant les liens des trois sortes de raisonnement (les catégoriques, les hypothétiques, et les disjonctifs) avec leur inconditionné respectif visé et l’idée transcendantale leur correspondant. On note qu’il y a trois idées (âme/univers et Dieu) qui font chacune l’objet d’un chapitre. Ainsi la psychologie rationnelle portera sur le raisonnement qui aboutit aux paralogismes, celui sur la cosmologie rationnelle, aux antinomies, et le dernier, celui sur la théologie rationnelle, à l’idéal.

3. Les raisonnements dialectiques de la raison pure.

La raison déploie, pour chacune de ces trois idées transcendantales, trois espèces de raisonnements dialectiques pour conclure nécessairement à ces trois inconditionnés. L’auteur les passe en revue une à une, correspondant à chaque subdivision de cette partie.

3.1 Les paralogismes de la raison pure et la critique de la psychologie rationnelle.

Ici il s’agit d’indiquer comment Kant s’y prend pour dénoncer les paralogismes contenus dans l’idée de sujet. Pour cela, l’auteur définit ce qu’est un paralogisme et ce qu’est la psychologie rationnelle. Le premier paralogisme de la raison pure est illustré par une reprise du cogito cartésien déjà indiqué dans l’introduction, ceci afin d’en démasquer la subreption fautive. Ceci est alimenté par des citations extraites de la CRP, mises en parallèle avec l’analyse kantienne présentée dans les Prolégomènes.

3.2 L’antinomie de la raison pure et la critique de la cosmologie rationnelle.

L’auteur note que les conclusions contradictoires auxquelles aboutit la raison a pour conséquence de réveiller le dogmatique le plus léthargique tout en menaçant la philosophie du péril sceptique.

L’auteur énumère les quatre idées cosmologiques correspondant à chacune des quatre catégories en tant qu’elles sont à appréhender comme la série absolue des conditions subordonnées et non coordonnées. La conception de l’inconditionné peut être entrevue de deux façons possible : soit comme ensemble inconditionné d’une série régressive infinie de conditions, soit comme élément inconditionné premier d’une série de conditions subséquentes. Cette distinction, notée par l’auteur, autorise à mieux comprendre le fait que Kant qualifie les deux premières antinomies de « mathématiques » et les deux suivantes de « dynamiques ». Cette antithétique est présentée sous la forme d’un tableau répertoriant les quatre antinomies, faisant clairement apparaître que la raison est divisée en elle-même.

Après cette présentation, l’auteur en aborde la critique, précisant l’argument directeur sur lequel elles reposent toutes, mettant au jour le vice de forme qui produit l’antinomie et la solution facile- qui permet de la résoudre 

3.3 L’idéal de la raison pure et la critique de la théologie rationnelle.

Ici l’auteur s’attache à la troisième espèce de raisonnement dialectique en soulignant cette fois-ci qu’il s’agit d’un idéal plutôt que d’une idée puisqu’elle implique l’existence (supposée) d’un être singulier, appréhendé comme étant Dieu.

L’auteur dénombre les preuves de l’existence de Dieu,- qui sont au nombre de trois (la preuve physico-théologique, la preuve cosmologique et la preuve ontologique), puis les passe chacune d’elle en revue, en portant une attention particulière à la dernière, étant au fondement des deux autres.

Justifiant ainsi la raison pour laquelle il se focalise sur cette dernière, il s’emploie à la déployer dans les moindres détails, rappelant dans un premier moment en quoi elle consiste afin de développer, par la suite, la critique menée en trois temps par Kant, tout en faisant régulièrement référence au passage du texte concerné.

Dans un premier temps, il s’agit de savoir si une proposition d’existence est ou non analytique

Puis, dans un deuxième temps, il s’agit de démontrer que la proposition d’existence est synthétique avec l’exemple fameux du concept des « cent thalers ». Ce qui aboutit à conclure que l’être ou l’existence est la position d’une chose.

Enfin, dans le troisième et dernier temps, la conclusion est que la connaissance de l’existence d’une chose doit être donnée a posteriori. C’est aussi l’occasion de souligner que la preuve ontologique cartésienne aboutit à un jugement synthétique a priori illégitime et fallacieux.

4. Conséquence de la Dialectique transcendantale : l’usage régulateur des idées.

L’auteur rappelle le résultat principal de la Dialectique transcendantale et revient sur les acquis de l’Analytique. Pour mettre au jour l’usage régulateur des idées de la raison, l’auteur pose la question suivante : « que deviennent ces idées inadéquates et impropres à la connaissance que la critique doit par conséquent évincer de la science ? »

Soulignant le résultat négatif auquel aboutit la Dialectique transcendantale, il en précise aussi les  retombées positives et valorisantes : l’usage régulateur et non constitutif des idées qu’il explique par la suite.

C’est ainsi qu’est indiquée la manière de concevoir chaque idée dans son usage régulateur, d’abord celle de l’âme, puis celle de monde autorisant l’auteur à en insister dans une note en bas de page, à la déroute possible de son lecteur après les longs développements auxquels Kant procède, ceci dans le but de le rassurer sur la cohérence de la pensée kantienne. Ainsi, pour éviter de se perdre dans les méandres de l’argumentation kantienne, il en résume l’itinéraire tout en renvoyant à la Critique de la raison pratique.  

Enfin l’idée de Dieu est abordée. L’auteur indique la nécessité de l’envisager comme s’il existait, ouvrant soit à une investigation pratique de la raison, soit à l’écriture de la deuxième critique, mettant ainsi en perspective les différentes critiques kantiennes.

Conclusion générale : la restriction de la raison pure théorique.

Dans cette conclusion, l’auteur revient sur le bilan dressé par Kant à la fin de la CRP. Il en retrace les grandes lignes en partant de son objectif jusqu’à la conclusion à laquelle elle aboutit tout en la reliant à la Critique de la raison pratique. Il récapitule point par point chaque moment de son ouvrage en mettant au jour le gain obtenu. Il rappelle la place accordée à la raison spéculative et à celle de la raison pratique et leur domaine d’application grâce à la distinction des phénomènes et des choses en soi. Pour finir, il revient sur le double fait constaté par Kant et la réponse qu’il y apporte, le qualifiant véritablement de philosophe des Lumières.

 

Conclusion

Cet ouvrage de Claude Duverney autorise une entrée en matière dans le kantisme tout à fait adaptée au néophyte, comme le souhaitait l’auteur. En effet, en reprenant notamment chaque élément, en le situant dans le système et en montrant sa nécessité à ce moment précis de la réflexion du philosophe, en tant qu’il est confronté à un certain nombre de problèmes auquel il apporte une solution, la sienne, il permet au le lecteur de suivre facilement cette construction à laquelle il participe activement pour ainsi dire. De plus, l’utilisation fréquente des tableaux, accompagnant chaque élément clé de l’avancée de la construction du système kantien, permet de saisir d’une seule vue, facilitant ainsi leur repérage, les concepts kantiens et les comprendre. Le pari est ainsi tenu et il est à recommander à celui qui veut découvrir la CRP.

                                                                                                              Martine Louis