Les avant-gardes en danse et en musique au début du XXème siècle

 

La danse -Matisse- Танец
Henri Matisse (1869-1954), La danse, 1909. Huile sur toile, 260 x 391 cm
Saint-Petersbourg, Musée de l'Ermitage

Les avant-gardes en danse et en musique au début du XXème siècle

Les premières années du XXème siècle correspondent à une période très riche pour tous les arts. Les avant-gardes concernent aussi bien la peinture que la littérature, le cinéma tout jeune, comme la musique et la danse. De nombreux courants, qui explorent de nombreuses possibilités créatrices et innovent en cherchant dans des directions multiples, voient le jour. En peinture, on peut citer autour de 1905-1906 : le Fauvisme, représenté surtout par Henri Matisse et André Derain, qui rompt avec les représentations réalistes, ose des grands aplats de couleurs, l’Expressionnisme, qui comme son nom l’indique « exprime » les sentiments tels que l’angoisse, le Cubisme, représenté principalement par Georges Braque et Pablo Picasso, qui peint Les Demoiselles d’Avignon en 1907, ou encore le Futurisme, représenté surtout en Italie, et qui concerne tous les arts, la poésie, le théâtre, le cinéma, la danse, la peinture, l’architecture : il s’agit pour Marinetti, auteur du Manifeste futuriste, de rompre violemment avec le passé et de glorifier la vie moderne, les machines, l’industrie, la vitesse. A la veille de la Première guerre mondiale, Kandinsky peint ses premières toiles abstraites. Les avant-gardes entre 1905 et 1913 – sur une période de 8 ans seulement – sont considérables et concernent les différents arts qui se sont tous profondément renouvelés, du recueil d’Apollinaire, Alcools, sans ponctuation, aux audaces picturales de Picasso, Matisse, Kandisnky, et aux révolutions musicales de Stravinsky, Bartok et Schoenberg.

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Danse Siamoise de Vaslav Nijinsky, © Getty / © Getty

 

 

Dans ce contexte d’avant-gardes, d’ébullition artistique et intellectuelle, la danse joue un rôle particulier. Tout d’abord le spectacle de ballet réunit à la danse, la musique bien sûr, mais aussi la peinture, les chorégraphes faisant appel à des peintres pour les décors, et à des poètes parfois pour les textes : Ainsi, le ballet créé sur la musique de Debussy, Prélude à l’après-midi d’un faune de réunit-il, dans une même œuvre la poésie, la danse, et la peinture. En 1917, le ballet Parade associe-t-il le musicien Erik Satie au poète Jean Cocteau et à Picasso qui a réalisé les décors. A Paris, les ballets russes de Serge Diaghilev ont joué un rôle central, avec le danseur de génie Nijinski.

 

Evidemment, les ballets d’avant-garde vont susciter des scandales : le plus important et le plus célèbre est celui qui eut lieu lors de la représentation du Sacre du printemps de Igor Stravinsky, le 29 mai 1913 au Théâtre des Champs-Élysées à Paris, par les Ballets russes de Serge Diaghilev, sur une chorégraphie de Vaslav Nijinski, des décors et costumes de Nicolas Roerich et sous la direction de Pierre Monteux.

Voir le dossier en suivant ce lien : https://edutheque.philharmoniedeparis.fr/0743340-le-sacre-du-printemps-de-igor-stravinski.aspx

 

Le danseur génial qui renouvelle totalement la danse s’appelle Vaslav Nijinski. On peut le considérer comme à l’origine de la danse moderne :

 

Vaslav Nijinski

 

« Visionnaire, Vaslav Nijinski éclaire la danse par une carrière fulgurante. Étoile à la virtuosité saisissante, chorégraphe à scandales, il bouleverse son époque et l’amène vers la modernité. Ses idées révolutionnaires déchaînent les passions et témoignent d’un génie (trop) en avance sur son temps. » écrit Antoine Betillouloux. (https://www.francemusique.fr/musique-contemporaine/vaslav-nijinski-la-legende-a-l-origine-de-la-danse-moderne-82935)

Et il ajoute : « Dès 1912, Nijinski devient chorégraphe. Sa première mise en scène, L’Après-midi d’un faune est un ballet en un acte, sur la musique du Prélude à l’après-midi d’un faune, composée par Debussy. Grâce à son système de notation, ce ballet est le premier du XXe siècle entièrement noté.  La chorégraphie est révolutionnaire, (trop) osée pour l’époque : l’une des scènes suggère un orgasme. En 1913, il se consacre à la création du Sacre du printemps L’œuvre est brutale, à l’encontre des représentations traditionnelles. 

Les danseurs sont courbés, de profil, pieds en dedans. Sa représentation au Théâtre des Champs Elysées provoque un tollé général. Le public s’indigne, hue, si bien qu’il devient impossible d’entendre l’orchestre jouer. Même Stravinsky, à l’origine de la musique du ballet, s’indigne. »

Stravinsky écrit : « [J’ai] quitté la salle dès les premières mesures du prélude, qui tout de suite soulevèrent des rires et des moqueries. J’en fus révolté. Ces manifestations, d’abord isolées, devinrent bientôt générales et, provoquant d’autre part des contre-manifestations, se transformèrent très vite en un vacarme épouvantable. »

 

Le scandale du Sacre du printemps

 

Le ballet de Stravinsky Le Sacre du printemps est sous-titré « Tableaux de la Russie païenne ». Le Sacre du printemps se déroule en deux parties, sans véritable histoire ni intrigue : « L’adoration de la terre » puis « Le sacrifice ». Le public assiste à un rite païen célébrant l’arrivée du printemps en Russie, et au cours duquel une jeune adolescente est cruellement sacrifiée pour remercier les dieux.

1913, c’est la cinquième saison des Ballets russes de Serge de Diaghilev. Réputée dans toute l’Europe, la troupe ne s’attend pas au scandale provoqué par Le Sacre au soir de sa première, et qui marque à jamais l’histoire de la musique. Si la générale du spectacle se déroule dans le plus grand calme face à RavelDebussy, et toute la presse parisienne, le lendemain – soir de la première représentation publique –  c’est le scandale : au bout de quelques mesures à peine, la musique est inaudible tant le public crie, siffle, hurle. L’œuvre est rebaptisée « massacre du printemps ». Ce serait Diaghilev qui aurait (malgré lui) créé ce formidable scandale. Par peur de la réaction du public, il aurait engagé des individus pour crier des « bravos ! » depuis la foule. Ce qui encourage les autres spectateurs à se défouler à leur tour et à couvrir de leurs cris la musique. C’est la panique : Stravinsky quitte son fauteuil pour se réfugier dans les coulisses, depuis lesquelles Nijinski crie aux danseurs leurs mouvements, car ils ne peuvent plus entendre l’orchestre ! Quant à Diaghilev, il allume et éteint frénétiquement la lumière de la salle pour tenter de calmer le tumulte…

 

Une danse païenne et bestiale

 

La chorégraphie de Nijinski fait scandale, tant les codes de la danse classique en sont éloignés. Sacrifice humain, vieillards souffreteux... le public de la bonne société parisienne est choqué par tant de bestialité, et les chroniqueurs se moquent d'une sauvage « danse des Caraïbes » où l’on rampe « à la manière des phoques ».

La musique de Stravinsky rompt avec le passé par son abandon du lyrisme et un certain archaïsme, celui du passé païen de la Russie. Paradoxalement, cela lui permet d’explorer un monde musical nouveau, sauvage et cruel, mais toutefois très savamment construit. En témoigne l'ouverture du Sacre. On pense au Prélude à l’Après-midi d’un faune de Debussy (que Nijinski dansa un an tout juste avant la création du Sacre) dans lequel un solo de flûte lève le rideau. Le choix est audacieux ? Stravinsky va plus loin, et décide de faire commencer l’œuvre sur un solo de basson, dans son registre le plus aigu, au son tendu. Ce solo est répété de nombreuses fois, avec une voix supplémentaire à chaque répétition. Du côté de la danse, Nijinski multiplie les mouvements saccadés, renonce à la disposition symétrique des danseurs et aux figures répétées, pour faire des danseurs tantôt des pantins désarticulés, tantôt des créatures primitives d’apparence presque bestiale. Quant à la musique de Stravinsky, la partition multiplie les nouveaux rythmes, à un, deux, trois et cinq temps. Ces rythmes inhabituels pour la musique occidentale et encore plus pour la musique de ballet sont aussi un détournement en forme d’hommage (parfois grinçant) à la musique folklorique slave. (Extrait de Alice Boccara : https://www.francemusique.fr/musique-classique/tout-ce-que-vous-avez-toujours-voulu-savoir-sur-le-sacre-du-printemps-de-stravinsky-34830)

 

C’est donc parce que la musique et la danse rompent avec les codes, les rythmes, les gestes, bref nos habitudes que ce ballet a suscité le plus important scandale musical du XXème siècle.

 

 

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Gestes saccadés, pieds rentrés et mains désarticulées,

Nijinski bouscule tous les codes du ballet dans Le Sacre

(reconstitution de la version de 1913 à l'Opéra Garnier, 1991)

 © photographie de Daniel Cande © Gallica-BnF