Un haut lieu de l'art : le Théâtre des Champs-Elysées

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Théâtre des Champs-Elysées

Façade d'Auguste et Gustave Perret 

Bas-relief d'Antoine Bourdelle

 Crédits : Hartl Meyer

 

Un lieu de l’art : le théâtre des Champs Elysées à Paris

 

  1. Un haut-lieu de la vie culturelle parisienne

 

Le Théâtre des Champs-Elysées a été construit au 15 de l’avenue Montaigne, dans le très bourgeois et très luxueux huitième arrondissement de Paris, là où l’on trouve les boutiques des grands couturiers, à quelques enjambées de la plus belle avenue du monde, l’avenue des Champs-Elysées. Malgré cet emplacement, ce théâtre a été un théâtre de révolution : le lieu des avant-gardes, en musique, en danse.

 

« C’est un théâtre, écrit Charles Dantzig[1], qui a été construit dans un quartier sans théâtres et qui malgré ce théâtre est resté un quartier non théâtral et malgré cela le théâtre a du succès. Au tout début du XXème siècle, un entrepreneur de spectacles, Gabriel Astruc, décide d’investir dans la construction d’un théâtre. Le quartier à la mode, à ce moment-là, se situe sur les boulevards. Et aussi bien le plus grand des théâtres musicaux, l’opéra de Paris, y avait été inauguré vingt-cinq ans auparavant, en 1875. Vingt-cinq ans, c’est une génération. Une génération, c’est un dégoût, un rejet, une rénovation. On a de la tendresse pour le style de nos grands-parents, mais le style de nos parents nous paraît risible et, d’une certaine façon, plus vieux. L’opéra de Paris et les théâtres, c’était les boulevards ? On construira près de la Seine, non loin du pont de l’Alma. L’opéra de Paris, c’était Garnier et son style éclectique, mêlant l’Empire, le médiéval et le Renaissance ? On construira une épure, blanche, en béton armé recouvert de marbre. La musique adorée, c’était Tchaïkovski et les danseuses en tutu pour vieux messieurs lubriques fumant le cigare au foyer ? On promouvra Stravinski et les danseuses en tunique cachant cuisses et aplatissant seins. »

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La salle du théâtre des Champs-Elysées

 Crédits : Hartl Meyer

 

 

 

C’est un Théâtre qui a été conçu par un groupe d’artistes, l’architecte Auguste Perret et son frère Gustave, le sculpteur Antoine Bourdelle et le peintre symboliste Maurice Denis ainsi que le peintre nabi – de ce courant d’avant-garde du début du XXème siècle – Edouard Vuillard. C’est le premier théâtre construit en béton armé, en 1913. Et c’est la première grande construction d’Auguste Perret. Plus tard, il réalisera une autre salle de concerts, la salle Cortot, des villas d’artiste, comme l’atelier de la sculptrice Chana Orloff, villa Georges Seurat, dans le XIVème arrondissement de Paris, et surtout il se chargera de la reconstruction du Havre en 1945 où il réalisera l'Hôtel de ville.

Fils d’un tailleur de pierre communard, Auguste Perret (1874-1954) a créé avec ses deux frères, Gustave et Claude, une structure de production novatrice composée d’une agence d’architecture et d’une entreprise de bâtiment. Lecteur passionné de Viollet-le-Duc et brillant élève de Julien Guadet à l’École des beaux-arts de Paris, il s’est affirmé, dès 1903, avec l’immeuble de la rue Franklin, puis en 1913, avec le Théâtre des Champs-Élysées, comme un constructeur exceptionnel, pionnier du béton armé. Il a réalisé en 1923, dans la continuité de ses hangars industriels, ce parangon d’économie de matière qu’est l’église de Notre-Dame du Raincy.

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Auguste et Gustave Perret. 1910-1913. Théâtre des Champs-Élysées,

15 avenue Montaigne, Paris 8e

Vue de la façade principale en hiver. Cliché Chevojon.

Non daté. 22,4 x 29,4 cm. Tirage NB

© Chevojon, © Fonds Perret, Auguste et Perret frères.

CNAM/SIAF/CAPa/Archives d'architecture du XXe siècle/
Auguste Perret/UFSE/SAIF/2014. 535 AP 652


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Auguste et Gustave Perret 1910-1913.

Théâtre des Champs-Élysées,

Vue de la marquise d'entrée. Cliché Chevojon.

Non daté. 35,5 x 27 cm. Tirage NB contrecollé sur carton

© Chevojon, © Fonds Perret, Auguste et Perret frères.

CNAM/SIAF/CAPa/Archives d'architecture du XXe siècle/
Auguste Perret/UFSE/SAIF/2014. 535 AP 652

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Théâtre des Champs-Elysées a été le lieu de créations mémorables et il est associé au plus important scandale musical du XXème siècle qui s’est produit lors de la création, en 1913, lors de la création du Sacre du printemps d’Igor Stravinski, avec les Ballets russes et le génial danseur Nijinski, auteur de la chorégraphie.

Ce théâtre, construit dans un quartier à l’époque relativement excentré par rapport au quartier de l’Opéra de Paris et des principaux théâtres des boulevards, a donc été aussitôt associé à la modernité, lors de son inauguration le 31 mars 1913, d’abord par son architecture entièrement en béton armé (c’est alors un matériau neuf), par les installations intérieures, la salle sans colonnes, offrant ainsi une bonne visibilité à tous les spectateurs, le plateau avec un monte-charge électrique, permettant des changements de décors rapides, et une programmation variée, de concerts, de ballets, d’opéras… Mais c’est surtout par sa programmation que ce théâtre est associé aux avant-gardes du début du XXème siècle. Et Le Sacre du printemps de Stravinski a bien sûr marqué durablement l’histoire de ce haut lieu de la culture. On ne l’a pas vu aussitôt parce qu’il ne l’a pas mis en avant. « Il l’a même bien caché, précise Charles Dantzig, ouvrant en 1913 par un concert de musique française comprenant une des gloires musicales bourgeoises de la France, La mer de Debussy. Il y avait aussi au programme Emmanuel Chabrier, toujours vaguement dédaigné parce qu’il est un musicien du mode mineur et que les foules ne s’impressionnent qu’au moyen du majeur et du grandiloquent. Enfin. Un mois plus tard, c’était Le Sacre du printemps, créé par les Ballets russes de Sergei Diaghilev, avec Nijinski à la chorégraphie et Pierre Monteux à la direction de l’orchestre.

 

  1. L’architecture d’Auguste Perret[1]

 

Voir l'exposition virtuelle sur le site de la Cité de l'architecture et du patrimoine :

https://expositions-virtuelles.citedelarchitecture.fr/exposition_virtuelle_perret/00-PRESENTATION-01.html

Le Corbusier raconte qu’arrivant à Paris en 1908 et cherchant des créateurs d’une architecture moderne, il lui fut répondu qu’il ne se passait rien en architecture, que tout y était complètement réactionnaire (sic). Mais « allez voir les frères Perret, ils utilisent le béton armé ». Ce n’est pas alors vraiment une nouveauté puisqu’il a été inventé en France dès 1840, mais son utilisation pour des monuments était des plus limitée. Auguste Perret a compris qu’avec le béton, coulé dans un coffrage en bois on peut allier modernité du matériau et un certain classicisme des formes.

Inauguré le 2 avril 1913, le Théâtre des Champs-Élysées, est le premier à être entièrement en béton armé, à la suite de choix architecturaux qui sont autant de manifestes esthétiques. La deuxième moitié du XIXème siècle avait vu le développement des architectures de verre et surtout de fer, avec la révolution industrielle : Cristal Palace (à Londres), les Halles à Paris, les Ponts et viaducs, la Tour Eiffel ! En 1900, pour l’exposition universelle, la verrière et la fonte du Grand Palais s’étaient parées à nouveau de pierres et de statues pour exprimer monumentalité et décor.

Imaginé d’abord en acier avant qu’Auguste Perret n’en devienne l’architecte exclusif, le Théâtre des Champs-Élysées rompt partiellement avec une telle posture, sous les coups de l’Art nouveau et avec les prémisses de l’art déco, tout en gardant des éléments classiques de nature à ne pas trop effaroucher. Sur la façade et le cadre de scène, de grands marbres blancs, les bas-reliefs, en marbre aussi de Bourdelle. Des décors peints de Maurice Denis ou d’Edouard Vuillard. Et un ensemble de verres et de cristaux signés René Lalique. C’est donc un concentré de l’art français de ce début du siècle.

Le concert d’inauguration est aussi un concentré du meilleur de la musique française. Camille Saint-Saëns passe le relais à Claude Debussy, à Paul Dukas, à Vincent d’Indy. Mais le vrai événement musical, celui que le scandale apporte, sera le 19 mai, avec la première du Sacre du Printemps de Stravinsky. Le Théâtre des Champs-Élysées est lancé.

Inauguré quelques 40 ans auparavant, le Palais Garnier (l’opéra de Paris) était tout en courbes et en décors singuliers, tout en ors et en velours. De l’or, de la pourpre, il y en a aussi dans le Théâtre des Champs Élysées, mais au service d’une structure très différente, faite d’angles et de clarté, dans un cadre élancé.

Du béton armé, les poteaux porteurs majestueusement visibles dans le hall. Le XXème siècle en sera rempli, par Auguste Perret lui-même, par Le Corbusier, et par leurs émules dans le monde entier, jusqu’à Oscar Niemeyer, qui construisit toute une capitale – Brasilia – et aux angles droits de ses prédécesseurs, ajouta mouvements, rondeurs et légèreté !

 

 

 

[1] Texte provenant de l’émission de France culture : https://www.franceculture.fr/emissions/lannee-1913/2-avril-1913-inauguration-du-theatre-des-champs-elysees-dauguste-perret