Le voyageur romantique - John Ruskin (1819-1900) et Les pierres de Venise
Par F. Huard le 06 décembre 2021, 20h24 - Le voyage des artistes en Italie (XVIIe-XIXe siècles) - Lien permanent
Écrivain, critique d'art et réformateur social, Ruskin eut une influence considérable sur le goût de l'Angleterre victorienne (1937-1901) Ses réflexions sur l'art furent accueillies avec enthousiasme et respect. De 1843 à 1860, inspiré par le ne-gothique, il publia les cinq volumes de Modern Painters, qui eut un succès considérable dans lequel il défend la peinture de W. Turner. Ruskin voyagea plusieurs fois en Italie avec ses parents et seul à Venise en 1845. Les Pierres de Venise (The Stones of Venise) publiée en 1851-1853 « ont pour sujet principal le rapport de l'art de Venise et de son tempérament moral » (Préface de l’auteur) et le livre est à la fois une œuvre théorique sur les éléments d’architecture, un pamphlet philosophico-politique sur la grandeur du gothique et la corruption de la Renaissance, un livre d’art illustré et un guide touristique à l’usage de la nouvelle bourgeoisie victorienne.
Dans le chapitre VIII sur les tombeaux Ruskin compare plusieurs d’entre-eux situés dans la plus grande basilique gothique de Venise, San Zanipolo sur le campo Santi Giovannni e Paolo.
Ci dessous des extraits de John Ruskin, Les pierres de Venise, chapitre VIII, la voie des tombeaux, 1851-1853 pour l’édition originale, édition abrégée par Ruskin en 1881, traduction M. Crémieux en 1906. [Disponible en ligne]
Ci-contre Vue des tombeaux sur le mur gauche de la nef de la basilique San Zanipolo
« Parmi les documents qu’apporte, sur le caractère national, l’art si varié du XVe siècle, aucun n’est aussi intéressant, aussi sérieux que celui qui sort des tombeaux. À mesure que grandissait l’insolent orgueil de la vie, la crainte de la mort devenait plus servile, et la différence apportée dans la décoration des monuments funéraires par les hommes de jadis et ceux de cette époque témoigne d’une différence encore plus grande dans leur manière d’envisager la mort. Pour les uns, elle venait comme la consolatrice, l’amie, apportant le repos et l’espérance ; pour les autres, elle apparaissait comme le dominateur humiliant, le spoliateur, le vengeur. Nous trouvons donc les anciennes tombes simples et gracieuses d’ornements, sévères et solennelles d’expression, reconnaissant la toute-puissance de la mort, acceptant franchement, joyeusement, la paix qu’elle apportait et marquant, par des symboles, l’espérance dans la Résurrection, toujours attestée par ces simples paroles du mort : « Je m’étendrai en paix et je prendrai mon repos, car c’est sur Toi seul, Seigneur, que je m’appuie avec sécurité. »
Les tombes des siècles suivants témoignent du lugubre combat engendré par un misérable orgueil et une basse terreur ; les hommes dressent les Vertus autour de leur tombe qu’ils déguisent sous de délicates sculptures ; ils polissent les périodes pompeuses de l’épitaphe et donnent à la statue une animation forcée ; d’autres fois, ils font apparaître, derrière le rideau, soit un crâne renfrogné, soit un squelette, soit quelque autre image, plus terrible, de l’ennemi contre lequel ils élèvent, comme un défi, la pâleur du sépulcre brillant sur la pâleur des cendres. »
A gauche, Tombeau du doge Michel Morosini, 1382, choeur
A droite, Tombeau du doge Andrea Vendramin, 1480, choeur
« En face de cette tombe est le plus riche monument de la période gothique à Venise, celui du doge Michel Morosini. Tous les plus beaux ornements de l’art gothique y sont rassemblés ; la statue couchée du doge est très noble ; son visage maigre et sévère est vigoureusement sculpté, mais la délicatesse de ses traits princiers est délicieusement reproduite. Le sarcophage est orné de feuillages très travaillés ; les sept statues de la façade qui devaient représenter les vertus cardinales et théologiques sont malheureusement brisées. »
« Le tombeau du doge Andrea Vendramin (Saints-Jean-et Paul) sculpté en 1480, excita l’admiration générale par le prix qu’il coûta et par la délicatesse et la précision de sa sculpture : c’est pourtant un des mauvais produits de l’École; il ne montre ni invention, ni pensée, ses Vertus lui apportent leur grâce froide ; elles sont vêtues comme des déesses païennes ; les dragons ont de superbes écailles, mais n’inspirent aucun effroi ; les oiseaux ont de charmants plumages, mais on sent qu’ils ne savent pas chanter; quant aux enfants, quoique gracieux, ils n’ont rien de l’enfance. »
montrez que le voyage de J. Ruskin à Venise lui inspire une critique au goût romantique de la Renaissance et une glorification de l’art gothique.