Une oeuvre des années 50 : la tristesse du roi de Matisse

La tristesse du roi, ce grand papier découpé de 1952, est souvent présenté comme le dernier autoportrait de Matisse.

(Le Roi triste)

1952

Papiers gouachés, découpés, marouflés sur toile

292 x 386 cm

Réalisée à Nice

Dossier Matisse :https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cyb4Ax/rGd6XM

Extrait du catalogue Œuvres de Matisse, catalogue établi par Isabelle Monod-Fontaine, Anne Baldassari et Claude Laugier, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1989

Dès avant sa présentation au Salon de Mai en 1952, Georges Salles, directeur des Musées de France, avait signalé avec enthousiasme le grand panneau du Roi triste1, vu dans l'atelier de Nice, à Jean Cassou, qui avait aussitôt engagé la négociation en vue d'un achat éventuel pour le Musée national d'art moderne. Cette négociation durera plus d'un an; le panneau est attribué au MNAM à la fin de l'année 1953 et aussitôt installé dans le hall du musée, au-dessus de l'escalier2.

Cette grande composition se rattache vraisemblablement à un thème biblique, mais s'agit-il d'une image liée au Cantique des cantiques (que Matisse songeait à illustrer à l'époque), ou bien de Salomé dansant devant Hérode ?

La Tristesse du roi est avant tout une réflexion sur la vieillesse et la mémoire : « Titien, Poussin et, admirés de Matisse, Rembrandt et Renoir ont connu "ce jeu de la fin de la vie". La Tristesse du roi (1952) est non seulement l'équivalent plastique des réflexions sur la vieillesse qui finalement furent retirées de Jazz mais un hommage au peintre de David et Saiil » rappelle ajuste titre Pierre Schneider3. En dépit de l'audace jubilatoire avec laquelle Matisse utilise « en grand » sa technique de gouache découpée, La Tristesse du roi serait donc selon cette interprétation, un classique et dernier autoportrait du peintre en vieillard, au milieu des « voluptés calmes [...] de l'azur, des vagues, des splendeurs » énumérées par Baudelaire dans La Vie antérieure.

L'année 1952 apparaît comme l'une des plus productives dans le domaine de la gouache découpée, Matisse cultivant cette année-là dans son atelier-jardin, parallèlement aux très grandes compositions comme La Tristesse du roi, La Piscine, L'Escargot, de multiples œuvres de dimensions plus modestes mais d'importance au moins égale, notamment les quatre Nus bleus. Plus de quarante gouaches découpées (nos 159 à 200) sont ainsi répertoriées pour la seule année 1952, dans le catalogue établi à l'occasion de l'exposition The Paper cut-outs of Henri Matisse, Washington, National Gallery of Art, septembre-octobre 1977 // Détroit, Institute of Arts, novembre 1977-janvier 1978 // Saint-Louis, Art Museum, janvier-mars 1978.Henri_Matisse__L_Escargot__1953__gouache_sur_papier__286_4_x_287_cmjpg

1. Voici la correspondance échangée entre Jean Cassou et Matisse à la suite de la visite de Georges Salles (lettres conservées dans les Archives du MNAM). Lettre de Jean Cassou à Henri Matisse, 25 mars 1952: « Cher Monsieur Matisse, Je viens de voir Madame Guynet... Elle est enthousiasmée du grand panneau décoratif que vous venez de créer. M. Georges Salles m'a parlé avec autant d'enthousiasme de votre Roi triste et j'ai pensé qu'il nous faudrait avoir de vous, au musée, un témoignage de cette technique du papier découpé à laquelle vous consacrez, depuis quelques années, votre génie d'invention. Consentiriez-vous à nous vendre un de ces deux panneaux ? Pour vastes que soient les dimensions de ces ouvrages, je trouverais pour l'un d'eux un grand mur dans la partie proprement architecturale du musée, c'est-à-dire dans le grand hall d'honneur. Voulez-vous réfléchir à la question et me dire ce que vous en pensez ? J'aimerais tant voir représentée cette partie décorative et monumentale de votre œuvre, laquelle est déjà si diverse et comporte tant de recherche dans les domaines les plus divers. » et réponse de Matisse, le 9 avril 1952: « Cher Monsieur et ami, Votre lettre concernant La Tristesse du roi me touche beaucoup car elle me confirme dans mon opinion sur ce panneau que je considère comme égal à tous mes meilleurs tableaux et c'est du même panneau que vous ont parlé M. Georges Salles et Madame Guynet. Désirant garder ce panneau le plus longtemps possible, j'ai refusé toutes les demandes d'achat, pourtant très considérables, qu'on m'a faites en ces quelques mois de son existence. Quoi vous dire quant au prix que j'en désire ? comme je viens de l'écrire, j'ai refusé des... millions pour ce panneau. Le Musée de Copenhague a payé Zulma en 1950 1 750 000 F et cette dernière, quoique de très bonne qualité, n'a ni la qualité, ni l'ampleur, ni l'expression profondément pathétique de La Tristesse du roi. Mais je sais que notre Etat est pauvre. Je ne puis donc que vous prier de me fixer le prix maximum de ses possibilités. Cher Monsieur Cassou, j'attends donc de vous lire et je vous prie de croire à l'expression de mes sentiments dévoués
2. À ce propos une autre lettre de Matisse à Jean Cassou, datée du 15 décembre 1953 (Archives du MNAM) : « Cher Monsieur Cassou et ami, J'ai appris avec plaisir que La Tristesse du roi est enfin placée au Musée d'art moderne, et très bien placée. J'en suis heureux d'autant plus qu'on me dit que le panneau "fait très bien°...» et une lettre à J. Rubow (6 juin 1954, document publié dans la catalogue The Paper cut-outs of Henri Matisse, Washington, National Gallery of Art, septembre-octobre 1977 // Détroit, Institute of Arts, novembre 1977-janvier 1978 // Saint-Louis, Art Museum, janvier-mars 1978, p. 281): «...Si vous avez eu l'occasion de passer dernièrement au Musée d'art moderne de Paris vous avez dû y voir ma grande gouache La Tristesse du roi. Comme vous avez pu le constater, sa présentation est parfaite car, après des années de recherches, des spécialistes ont finalement trouvé le moyen de coller ces gouaches en plein d'une façon impeccable, ce qui est important tant pour leur présentation que pour leur conservation...»
3. Pierre Schneider, Matisse, Paris, Flammarion, 1984, pp. 694, 698.

Références bibliographiques :

André Verdet, Prestiges de Matisse, Paris, Éditions Emile-Paul , 1952
Verve, vol. VII, n° 27 et 28, décembre 1952
Jean Cassou, Bernard Dorival, Geneviève Homolle, Musée national d'art moderne, catalogue-guide, Paris, Réunion des Musées nationaux, 1954

Isabelle Monod-Fontaine, Matisse, Paris, « Collections du Musée national d'art moderne », Centre Georges Pompidou, 1979. Le présent ouvrage en est la deuxième édition revue et augmentée.
Jean Guichard-Meili, Les Gouaches découpées de Henri Matisse, Paris,Fernand Hazan, 1983.
Pierre Schneider, Matisse, Paris, Flammarion, 1984