Le théâtre des années 50

En 1948, Samuel Beckett rédige "En attendant Godot", pièce expérimentale qui emmène le spectateur dans un monde absurde dessiné par l'auteur, où deux vagabonds se retrouvent pour attendre ensemble Godot, un homme inconnu dont ils ne savent rien... Qu'attend-on vraiment dans "En attendant Godot" ?

A écouter, l'émission de France culture sur l'attente :

https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/lattente-24-en-attendant-godot-de-samuel-beckett

 

D'octobre 1948 à janvier 1949, quand Samuel Beckett (1906-1989) rédige en Français une de ses pièces de théâtre emblématiques, En attendant Godot, c'est dans un contexte d'après-guerre. À cette époque, les pièces absurdes n'étaient pas comprises, trop expérimentales. La pièce dure deux heures et donne à vivre l'expérience des personnages, leur attente-même. Contre toute attente, En attendant Godot fut l'un des plus grands succès du théâtre d'après-guerre, traduit dans une vingtaine de langues et joué dans le monde entier.
C'est avec cette pièce que Beckett est enfin reconnu.

La pièce comprend deux actes. Les personnages principaux sont deux vagabonds, Vladimir et Estragon, qui se retrouvent sur une route de campagne pour rencontrer Godot, un homme qu’ils ne connaissent pas, et dont ils ne savent rien... Se joignent à eux deux autres personnages, Pozzo et Lucky.
De Godot, nous n'apprendrons rien, et nous ne le rencontrerons pas.

Quel est ce courant de pensée d'après-guerre dit de l'absurde qu'on rapproche de En attendant Godot ? Beckett avait-il un projet philosophique en écrivant cette pièce ?

L'invité du jour :

Bruno Clément, professeur émérite au département littérature de l’Université Paris 8 et ancien président du collège international de philosophie.

L'équivocité de Beckett

Il ne peut y avoir de discours univoque en littérature, qui fait profession d’équivocité. On l’observe particulièrement chez Beckett, on ne peut pas seulement parler d’attente, il y a forcément des enjeux poétiques, de fabrication des textes et des objets liés au mot attente.  
Bruno Clément

Malmener ce qui existe

Beckett écrit "En attendant Godot" à une époque où il s’agit de malmener ce qui existe, en littérature, pour essayer de faire quelque chose de nouveau. Au risque de paraître un peu paradoxal, choisir pour une pièce de théâtre le thème de l’attente, c’est aller dans ce sens-là. Bien sûr, c’est impossible de dire qu’il n’y a aucune dimension existentielle dans la pièce, mais je voudrais donner l’idée que l’attente est la manière idéale pour un dramaturge qui est dans la disposition d’esprit de Beckett à cette époque-là, pour défaire ce qui existe. Qu’est-ce qu’une pièce de théâtre ? C’est un drame, une action, or annoncer dès le début qu’il n’y a pas d’action signifie que dans la tradition théâtrale occidentale, on va être complètement en porte à porte-à-faux pendant la pièce.  
Bruno Clément

L'attente du spectateur

Chez Beckett, le temps de la représentation correspond exactement au temps de l’action qui est sur la scène… Ça commence en fin d’après-midi comme le début du spectacle et ça se termine quand la nuit arrive. On est en plan-séquence, en temps réel, le temps dure au spectateur comme aux deux personnages…  
Je pense que l’absence d’action, l’ennui, fonctionne aussi de cette façon : l’adhésion ou le rejet (dans les premières représentations ce fut d’abord un rejet) tient au fait que la vraisemblance est absolument parfaite. Ce qui peut expliquer aussi la tendance forte que les critiques ont eu de tirer le texte du côté de ce qui est dit dans la scène : « on s’ennuie… » .  
C’est une réussite du point de vue de Beckett, il réussit à faire en sorte qu’il n'y ait absolument aucune différence entre ce qui se passe sur la scène et ce que ressentent les spectateurs, l’idéal de tout dramaturge !  
Bruno Clément