La science et la fiction entretiennent depuis longtemps un rapport étroit que les prochains articles s'attacheront à démontrer. Loin de s'exclure, avec d'un côté une science qui serait « sérieuse » et de l'autre une fiction qui serait «inutile», elles ont au contraire un point commun : celui de transporter l'imagination de chacun vers des horizons lointains, si bien que, quelle que soit l'époque, chercheurs ou créateurs, scientifiques ou artistes peuvent être qualifiés d'inventeurs de rêves.
La première apparition notable du terme "science-fiction" se fait dans le magazine américain Amazing Stories au début du XXe siècle.
D'un genre à part, appartenant à une culture "populaire", elle est souvent réservée à des supports de seconde zone : films ridicules, bandes dessinées pas sérieuses, romans de bas étage... Beaucoup de discours ont voulu dénigrer(1) la science-fiction. L'histoire de la littérature donne toutefois l'impression que le genre existait avant d'être nommé et qu'il méritait déjà qu'on s'y intéresse.
I. La tête dans la lune...
a. Les lunatiques.
La Lune nous éclaire, nous intrigue, nous effraie, nous inspire. Son aspect changeant a longtemps été un mystère pour nos ancêtres, faisant même dire que les gens inconstants, anormaux, rêveurs ou fous étaient des lunatiques. Mais l'idée que la Lune puisse être un monde à part entière a fini par faire son chemin dans les esprits.
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Cyrano de Bergerac
Dès le XVIIe siècle, Hercule Savinien Cyrano de BERGERAC (1619-1655) (celui dont Edmond ROSTAND (1868-1918) fera la héros éponyme de sa célèbre pièce Cyrano de Bergerac, 1897) prétendait avoir trouvé le moyen d'aller sur la Lune et le raconte dans son roman comique États et Empires de la Lune (1657, posthume). Son but était de "faire connaître que la lune est un monde". Il explique au moyen de quelle invention il parvient à se déplacer : "J’avais attaché autour de moi quantité de fioles pleines de rosée, sur lesquelles le soleil dardait ses rayons si violemment, que la chaleur qui les attirait, comme elle fait les plus grosses nuées, m’éleva si haut, qu’enfin je me trouvai au-dessus de la moyenne région". Il décrit le lieu dans lequel il arrive comme le Paradis : "Je sentis ma jeunesse se rallumer, mon visage devenir vermeil, ma chaleur naturelle se remêler doucement à mon humide radical ; enfin je reculai sur mon âge environ quatorze ans". Les êtres qu'il croise sont tous plus invraisemblables que les autres, que ce soient des personnages bibliques comme Elie ou fictifs comme le démon de Socrate ou encore des géants qui le prennent pour une femelle à cause de sa taille. Il est par ailleurs aussi considéré comme un animal parce qu'il dit qu'il vient d'un autre monde. Les coutumes sont surprenantes : certains nobles s'expriment à travers la musique et jouent des instruments pour discuter ; ailleurs, c'est avec des poèmes qu'on paie son repas : "— Comment, des vers ? lui répliquai-je, les taverniers sont donc ici curieux de rimes ? — C’est, me dit-il, la monnaie du pays, et la dépense que nous venons de faire céans s’est trouvée monter à un sixain que je lui viens de donner". L'humour déployé par Cyrano, le jeu des inversions des valeurs, servent en réalité à démontrer sa volonté de se moquer et de contester les croyances habituelles : il est un libre penseur.
La bande dessinée saura lui rendre hommage. Nous donnerons l'exemple de la série De Cape et de crocs (1995-2012) d'Alain AYROLES et Jean-Luc MASBOU dont les tomes 6 à 12 traitent d'un voyage dans la Lune. Les moyens employés par les protagonistes pour atteindre l'astre et la vie des habitants lunaires sont, entre autres, inspirés du récit de Cyrano. Le scénariste en profite aussi pour insérer une multitude de références philosophiques, théâtrales, cinématographiques et scientifiques.
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Baron de Münchhausen
Plus tard, au XVIIIe siècle, le baron Karl Friedrich Hieronymus Freiherr von MÜNCHHAUSEN (1720-1797) obtiendra la célébrité grâce à des récits étonnants. En1785, l'écrivain allemand Rudolph Erich RASPE (1736-1794) raconte et publie ces récits en anglais, sous le titre Baron Münchhausen's Narrative of his Marvellous Travels and Campaigns in Russia (= Le récit des aventures merveilleuses du baron Münchhausen et des campagnes en Russie). Gottfried August BÜRGER (1748-1794) en donne également une version Les Aventures du Baron de Münchhausen (1786) que vous pouvez feuilleter ci-dessous :
Le personnage principal, un affabulateur, un mythomane, un menteur, raconte une série d'aventures impossibles et notamment un voyage dans la Lune. "Beaucoup de voyageurs ont l’habitude, en narrant leurs aventures, d’en raconter beaucoup plus long qu’ils n’en ont vu. Il n’est donc pas étonnant que les lecteurs et les auditeurs soient parfois enclins à l’incrédulité" (chapitre 5). Il raconte pour commencer qu'il a envoyé accidentellement sa hache dans la lune. Pour la récupérer, il plante un pois qui pousse jusqu'à l'astre, là où tout est en argent. Lors de sa quatrième aventure en mer (chapitre 9), le baron récupère à son bord un Français richement vêtu qui descend du ciel, dans un chariot attaché à un ballon. Le pilote lui raconte qu'il revient ainsi de la Lune, que son ballon lui avait fait dépasser par erreur. Au chapitre 16, il raconte comment un ouragan emporte son navire, et après six semaines, le fait arriver sur la Lune. "Tout, dans ce monde-là, est extraordinairement grand : une mouche ordinaire, par exemple, est presque aussi grosse qu’un de nos moutons". Les gens naissent dans des arbres, quand ils meurent, ils disparaissent dans l'air. Il se servent de leur ventre comme d'un sac, ils peuvent enlever leurs yeux et en changer à volonté. Le récit ne cherche aucune espèce de vraisemblance et ne vise cette fois qu'à faire rire.
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Les Sélénites