Pouvez-vous définir précisément votre métier ?

Les métiers qui composent un tournage cinématographique sont nombreux et durant mon apprentissage sur le terrain j’ai eu l’occasion d’en occuper plusieurs. Certains métiers sont très techniques et d'autres plus proches de la création même. Pour moi la technique et l'art ne sont pas deux choses distinctes, l'un ne fonctionne pas sans l'autre. Lorsque je travaille j'ai tendance à occuper des postes techniques qui correspondent à mes études : j'assiste les directeurs de la photographie qui conçoivent l'image d'un film en fonction de leur sensibilité, des contraintes artistiques (du réalisateur), techniques et financières. Ça peut être du côté de la caméra en tant que second assistant caméra (mise en place des configurations de la caméra et des écrans de visionnage, sauvegardes des images tournées,..) ou bien de la lumière en tant qu'électricien (mise en place des lignes électriques, installations et réglages des projecteurs,...).

De mon côté, lorsque je ne travaille pas, j'utilise mon expérience des tournages professionnels pour m'exprimer. Je réalise des vidéos (court-métrage, vidéos expérimentales, clips, ...), j'écris des histoires, je fais du montage, j'aide des réalisateurs sur leurs projets,...

 

Quelles sont les études ou la formation requises pour y parvenir ?

Il y a énormément d'écoles qui proposent d'accéder aux métiers du cinéma. Concernant les métiers de l'image que l'on vient d'évoquer les deux écoles publiques les plus réputées en France sont la Fémis(1) et Louis Lumière. Elles sont accessibles uniquement sur Bac+2. Par contre ces écoles n'exigent pas que vous ayez effectué ces deux années post-bac dans un cursus relatif au cinéma. Néanmoins on vous le conseillera toujours, par exemple au travers d'une faculté de cinéma, d'un BTS audiovisuel, d'une Khâgne option cinéma, etc... Il n'y a donc pas de Bac déterminé non plus, j'ai connu des gens qui avaient passé un Bac littéraire puis une Khâgne, d'autres un Bac scientifique et un BTS audiovisuel...

Il y a aussi les écoles privées post-bac comme l'ESRA(2) ou l'ESEC(3).

Il faut savoir que ce sont des métiers qui s'apprennent beaucoup “sur le tas”, au contact des professionnels du milieu et que les études de cinéma ne sont pas l'unique voie d'accès.

Combien de temps y consacrez-vous ? / Quels sont les horaires ?

 Tout dépend du projet, un long métrage peut vous occuper à temps plein pendant plusieurs mois. Un court métrage, seulement quelques semaines mais quasiment nuit et jour, une publicité, une ou deux journées... Ce sont des métiers très instables au niveau des horaires, c'est très mouvant. Parfois trois journées de tournage demandent deux mois de préparation, c'est le cas du projet sur lequel je travaille actuellement ; le réalisateur nous demande de recréer une vision subjective d'une personne atteinte du syndrome de Charles Bonnet (visions hallucinatoires). Il faut alors de longues journées de tests et de concertation pour déterminer la manière de filmer la scène pour rendre compte au mieux de ce phénomène physiologique. Quelle caméra utiliser ? Dans quel format ? Avec quels objectifs ? Où et comment la placer ? Comment éclairer le décor ? Faudra-t-il des effets spéciaux et comment les mettre en œuvre ? Etc.

 

Quelles sont les principales contraintes selon vous ?

L'organisation, le temps. On peut être appelé d'un jour à l'autre pour travailler sur un projet et parfois cumuler plusieurs projets à la fois. C'est très prenant et il est parfois difficile de conjuguer vie professionnelle et vie personnelle. A la fois c'est très excitant car on ne sait jamais ce qui nous attend, mais l'homme à besoin de se projeter un minimum. Financièrement c'est parfois compliqué aussi car les salaires dépendent des projets et de leur fréquence.

Quels sont les plaisirs ?

Ils sont multiples. Sur les tournages on est au cœur de la genèse d'une œuvre, il y a une alchimie très particulière entre tous les corps de métiers qu'ils soient techniques ou non. Tout le monde donne le meilleur de soi pour arriver à donner vie aux intentions artistiques du réalisateur. Humainement c'est formidable, on rencontre énormément de personnalités, c'est très enrichissant. On apprend constamment, chaque tournage possède ses propres contraintes, son lot de situations inconnues.

Tout cela me nourrit et me permet ensuite de réaliser mes propres projets avec l'expérience accumulée dans le cadre professionnel.

 

 Quels sont les principaux métiers associés à votre profession ?

Un film comporte beaucoup de métiers, c'est une énorme machine, je citerai donc les principaux, sans reparler de ceux cités plus haut.

  • Les producteurs s'occupent des moyens de financement du film,

  • les assistants réalisateur organisent les plannings de tournage et gèrent les acteurs et les figurants,

  • les régisseurs mettent en place toute la logistique nécessaire au bon déroulement du tournage et au confort de toute l'équipe (qui peut vite atteindre une cinquantaine de personnes pour un long-métrage),

  • les costumiers créent tous les vêtements des personnages(4),

  • les décorateurs conçoivent et construisent les décors,

  • les machinistes mettent en place les fixations de caméra (grue, pied, travelling),

  • les ingénieurs du son gèrent la prise de son des voix et des ambiances,

  • le photographe de plateau immortalise le tournage et prend des photos souvent utiles pour les affiches/dossiers de presse etc...

En aval on retrouve les métiers de post-production (montage, étalonnage, effets spéciaux, mixage, bruitage, etc...) et tous les corps de métiers destinés à sortir le film en salle (distributeurs, attachés de presse, exploitants des salles de cinéma,...)

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui voudrait faire ce métier ?

Acquérir une bonne culture cinématographique et artistique en général, développer sa sensibilité, son regard critique. S'intéresser de près aux outils de prise de vue et d'éclairage (caméras, appareils photo, optiques, projecteurs) et ne pas hésiter à s'essayer même avec un équipement rudimentaire. Avoir des bases en physique - les livres et internet regorgent de ressources dans ces domaines. Ne pas hésiter à se renseigner sur les avant-premières des films, des expositions sur des réalisateurs ou des mouvements cinématographiques, c'est l'occasion de rencontrer les équipes des films, se faire un réseau. Aujourd'hui le numérique ayant envahi le milieu cinématographique, s'intéresser à l'informatique est une bonne chose.

 

Pouvez-vous raconter un bon souvenir ?

Nous tournions une séquence de nuit dans une forêt au bord d'un étang avec un dresseur de loups. Le noir complet, silence de mort. Petit à petit nous avons installé des projecteurs répartis un peu partout ; la réalisatrice voulait quelque chose de surnaturel. La chef opératrice m'a donc demandé de colorer tous les projecteurs avec des filtres. L'endroit nous apparaissait alors comme en relief, irréel, des arbres rouges, une eau verte fluorescente, les loups violets. Le moteur est lancé, mais finalement le dresseur doit s'absenter et c'est son jeune fils d'une dizaine d'années qui le remplace. Apparaissent alors à l'écran les loups violets hurlant à la lune et ce jeune enfant, d'une timidité mystique, domptant avec sagesse ses bêtes. Les animaux se mettent à tourner autour de lui et finissent par l'enfermer dans leurs laisses. Magie de l'instant, l'imprévu sublime.

 

Un mauvais souvenir ?

Je n'ai pas de sincère mauvais souvenir, parfois il y a beaucoup de pression sur les tournages, les choses ne marchent pas toujours comme prévu et cela crée de grosses tensions au sein de l'équipe. Les contraintes financières peuvent aussi pousser les équipes au surmenage, et l'erreur, par la fatigue et le stress, peut vite arriver. Mais ce sont des états relatifs à l'instant, ça ne dure jamais indéfiniment et ce sont des expériences supplémentaires qui apportent un peu plus de recul et de maturité à chaque fois.

 

Films récents sur lesquels j'ai travaillé :

Mr. X le cinéma de Leos Carax, de Tessa Louise-Salomé, documentaire ARTE.

Gemma Bovery de Anne FONTAINE, long-métrage.

Fièvres de Hicham AYOUCH, long-métrage

Floride de Philippe LE GUAY, long-métrage

Une artiste/performeuse/plasticienne dont je filme les projets.

https://vimeo.com/user29295676

un des clips sur lequel j'ai travaillé :
https://www.youtube.com/watch?v=sAWN3oWkfhg

un projet de court-métrage que l'on vient tout juste de finir de tourner tout en studio :
https://www.facebook.com/Prod.Lemonstresacre?fref=ts

un exemple des petites interviews que je filme et monte pour ARTE (pour les plus âgés) :
http://www.arte.tv/site/fr/olivierpere/2014/12/13/pasolini-rencontre-avec-abel-ferrara/



Je remercie Paul THOMAS qui a accepté de présenter son métier.

N. THIMON

NOTES :

1 : Fémis : Fondation européenne des métiers de l'image et du son.

2 : ESRA : École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle Cinéma, Son, Film d'Animation.

3 : ESEC : École Supérieure d’Études Cinématographiques.

4 : Pour mieux connaître les costumiers, vous pouvez lire l'interview Costumiers "chaque projet est un nouveau défi".