13 avril 2010

La mort de madame bovary (extrait du roman)

Introduction:

Dans cet extrait de Madame Bovary, qui rend compte de sa mort par empoisonnement à l'arsenic, j'ai souligné tous les passages qui correspondent aux effets de l'ingestion de ce poison, tels qu'ils sont décrits, scientifiquement, dans un article d'encyclopédie que j'ai joint à la suite. Cela prouve bien que l'écrivain Flaubert s'est documenté de façon de très précise pour rédiger son roman.

                                 LA MORT DE MADAME BOVARY

Elle sortit. Les murs tremblaient, le plafond l'écrasait ; et elle repassa par la longue allée, en trébuchant contre les tas de feuilles mortes que le vent dispersait. Enfin elle arriva au saut-de-loup devant la grille ; elle se cassa les ongles contre la serrure, tant elle se dépêchait pour l'ouvrir. Puis, cent pas plus loin, essoufflée, près de tomber, elle s'arrêta. Et alors, se détournant, elle aperçut encore une fois l'impassible château, avec le parc, les jardins, les trois cours, et toutes les fenêtres de la façade.

Elle resta perdue de stupeur, et n'ayant plus conscience d'elle-même que par le battement de ses artères, qu'elle croyait entendre s'échapper comme une assourdissante musique qui emplissait la campagne. Le sol sous ses pieds était plus mou qu'une onde, et les sillons lui parurent d'immenses vagues brunes, qui déferlaient. Tout ce qu'il y avait dans sa tête de réminiscences, d'idées, s'échappait à la fois, d'un seul bond, comme les mille pièces d'un feu d'artifice. Elle vit son père, le cabinet de Lheureux, leur chambre là bas, un autre paysage. La folie la prenait, elle eut peur, et parvint à se ressaisir, d'une manière confuse, il est vrai; car elle ne se rappelait point la cause de son horrible état, c'est-à-dire la question d'argent. Elle ne souffrait que de son amour, et sentait son âme l'abandonner par ce souvenir, comme les blessés, en agonisant, sentent l'existence qui s'en va par leur plaie qui saigne.

La nuit tombait, des corneilles volaient.

Il lui sembla tout à coup que des globules couleur de feu éclataient dans l'air comme des balles fulminantes en s'aplatissant, et tournaient, tournaient, pour aller se fondre sur la neige, entre les branches des arbres. Au milieu de chacun d'eux, la figure de Rodolphe apparaissait. Ils se multiplièrent, et ils se rapprochaient, la pénétraient ; tout disparut. Elle reconnut les lumières des maisons, qui rayonnaient de loin dans le brouillard.

Alors sa situation, telle qu'un abîme, se représenta. Elle haletait à se rompre la poitrine. Puis, dans un transport d'héroïsme qui la rendait presque joyeuse, elle descendit la côte en courant, traversa la planche aux vaches, le sentier, l'allée, les halles, et arriva devant la boutique du pharmacien.

Il n'y avait personne. Elle allait entrer ; mais, au bruit de la sonnette, on pouvait venir ; et, se glissant par la barrière, retenant son haleine, tâtant les murs, elle s'avança jusqu'au seuil de la cuisine, où brûlait une chandelle posée sur le fourneau. Justin, en manches de chemise, emportait un plat.

- Ah ! ils dînent. Attendons.

Il revint. Elle frappa contre la vitre. Il sortit.

- La clef ! celle d'en haut, où sont les...

- Comment ?

Et il la regardait, tout étonné par la pâleur de son visage, qui tranchait en blanc sur le fond noir de la nuit. Elle lui apparut extraordinairement belle, et majestueuse comme un fantôme ; sans comprendre ce qu'elle voulait, il pressentait quelque chose de terrible.

Mais elle reprit vivement, à voix basse, d'une voix douce, dissolvante :

- Je la veux ! donne-la-moi.

Comme la cloison était mince, on entendait le cliquetis des fourchettes sur les assiettes dans la salle à manger.

Elle prétendit avoir besoin de tuer les rats qui l'empêchaient de dormir.

- Il faudrait que j'avertisse monsieur.

- Non ! reste !

Puis, d'un air indifférent :

- Eh ! ce n'est pas la peine, je lui dirai tantôt. Allons, éclaire.moi !

Elle entra dans le corridor ou s'ouvrait la porte du laboratoire. Il y avait contre la muraille une clef étiquetée capharnaüm..

- Justin ! cria l'apothicaire, qui s'impatientait.

- Montons !

Et il la suivit.

La clef tourna dans la serrure, et elle alla droit vers la troisième tablette, tant son souvenir la guidait bien, saisit le bocal bleu, en arracha le bouchon, y fourra sa main, et, la retirant pleine d'une poudre blanche, elle se mit à manger à même.

- Arrêtez ! s'écria-t-il en se jetant sur elle.

- Tais-toi ! on viendrait...

Il se désespérait, voulait appeler.

- N'en dis rien, tout retomberait sur ton maître !

Puis elle s'en retourna subitement apaisée, et presque dans la sérénité d'un devoir accompli.

 

Quand Charles, bouleversé par la nouvelle de la saisie, était rentré à la maison, Emma venait d'en sortir. Il cria, pleura, s'évanouit, mais elle ne revint pas. Où pouvait-elle être ? Il envoya Félicité chez Homais, chez M. Tuvache, chez Lheureux, au Lion d'or, partout ; et, dans les intermittences de son angoisse, il voyait sa considération anéantie, leur fortune perdue, l'avenir de Berthe brisé ! Par quelle cause ?... pas un mot ! Il attendit jusqu'à six heures du soir. Enfin, n'y pouvant plus tenir, et imaginant qu'elle était partie pour Rouen, il alla sur la grande route, fit une demi-lieue, ne rencontra personne, attendit encore et s'en revint.

Elle était rentrée.

- Qu'y avait-il ?... Pourquoi ?... Explique-moi !...

Elle s'assit à son secrétaire, et écrivit une lettre qu'elle cacheta lentement, ajoutant la date du jour et l'heure. Puis elle dit d'un ton solennel :

- Tu la lires demain ; d'ici là, je t'en prie, ne m'adresse pas une seule question !... Non, pas une !

- Mais...

- Oh! laisse-moi !

Et elle se coucha tout du long sur son lit.

Une saveur âcre qu'elle sentait dans sa bouche la réveilla. Elle entrevit Charles et referma les yeux.

Elle s'épiait curieusement, pour discerner si elle ne soufrait pas. Mais non rien encore. Elle entendait le battement de la pendule, le bruit du feu, et Charles, debout près de sa couche, qui respirait.

- Ah ! c'est bien peu de chose, la mort ! pensait-elle ; je vais m'endormir, et tout sera fini !

Elle but une gorgée d'eau et se tourna vers la muraille.

Cet affreux goût d'encre continuait.

- J'ai soif !... oh ! j'ai bien soif ! soupira-t-elle.

- Qu'as-tu donc ? dit Charles, qui lui tendit un verre.

- Ce n'est rien!... Ouvre la fenêtre..., j'étouffe !

Et elle fut prise d'une nausée si soudaine, qu'elle eut à peine le temps de saisir son mouchoir sous l'oreiller.

- Enlève-le ! dit-elle vivement ; jette-le !

Il la questionna ; elle ne répondit pas. Elle se tenait immobile, de peur que la moindre émotion ne la fit vomir. Cependant, elle sentait un froid de glace qui lui montait des pieds jusqu'au coeur.

- Ah ! voilà que ça commence ! murmura-t-elle.

- Que dis-tu ?

Elle roulait sa tête avec un geste doux pleine d'angoisse, et tout en ouvrant continuellement les mâchoires, comme si elle eût porté sur sa langue quelque chose de très lourd. A huit heures, les vomissements reparurent.

Charles observa qu'il y avait au fond de la cuvette une sorte de gravier blanc, attaché aux parois de la porcelaine.

- C'est extraordinaire ! c'est singulier ! répéta-t-il.

Mais elle dit d'une voix forte :

- Non, tu te trompes !

Alors, délicatement et presque en la caressant, il lui passa la main sur l'estomac. Elle jeta un cri aigu. Il se recula tout effrayé.

Puis elle se mit à geindre, faiblement d'abord. Un grand frisson lui secouait les épaules, et elle devenait plus pâle que le drap où s'enfonçaient ses doigts crispés. Son pouls inégal était presque insensible maintenant.

Des gouttes suintaient sur sa figure bleuâtre, qui semblait comme figée dans l'exhalaison d'une vapeur métallique. Ses dents claquaient, ses yeux agrandis regardaient vaguement autour d'elle, et à toutes les questions elle ne répondait qu'en hochant la tête; même elle sourit deux ou trois fois. Peu à peu, ses gémissements furent plus forts. Un hurlement sourd lui échappa ; elle prétendit qu'elle allait mieux et qu'elle se lèverait tout à l'heure. Mais les convulsions la saisirent ; elle s'écria :

- Ah! c'est atroce, mon Dieu !

Il se jeta à genoux contre son lit.

- Parle ! qu'as-tu mangé ? Réponds, au nom du ciel!

Et il la regardait avec des yeux d'une tendresse comme elle n'en avait jamais vu.

- Eh bien, là..., là !... dit-elle d'une voix défaillante.

Il bondit au secrétaire, brisa le cachet et lut tout haut : Qu'on n'accuse personne... Il s'arrêta, se passa la main sur les yeux, et relut encore.

- Comment!... Au secours ! à moi!

Et il ne pouvait que répéter ce mot: « Empoisonnée ! empoisonnée ! » Félicité courut chez Homais, qui l'exclama sur la place ; Mme Lefrançois l'entendit au Lion d'or; quelques-uns se levèrent pour l'apprendre à leurs voisins, et toute la nuit le village fut en éveil.

Éperdu, balbutiant, près de tomber, Charles tournait dans la chambre. Il se heurtait aux meubles, s'arrachait les cheveux, et jamais le pharmacien n'avait cru qu'il pût y avoir de si épouvantable spectacle.

Il revint chez lui pour écrire à M. Canivet et au docteur Larivière. Il perdait la tête ; il fit plus de quinze brouillons. Hippolyte partit à Neufchâtel, et Justin talonna si fort le cheval de Bovary, qu'il le laissa dans la côte du bois Guillaume, fourbu et aux trois quarts crevé.

Charles voulut feuilleter son dictionnaire de médecine ; il n'y voyait pas, les lignes dansaient.

- Du calme ! dit l'apothicaire. Il s'agit seulement d'administrer quelque puissant antidote. Quel est le poison ?

Charles montra la lettre. C'était de l'arsenic.

- Eh bien, reprit Homais, il faudrait en faire l'analyse.

Car il savait qu'il faut, dans tous les empoisonnements, faire une analyse ; et l'autre, qui ne comprenait pas, répondit :

- Ah! faites ! faites ! sauvez-la...

Puis, revenu près d'elle, il s'affaissa par terre sur le tapis, et il restait la tête appuyée contre le bord de sa couche, à sangloter.

- Ne pleure pas ! lui dit-elle. Bientôt je ne te tourmenterai plus !

- Pourquoi ? Qui t'a forcée?

Elle répliqua :

- Il le fallait, mon ami.

- N'étais-tu pas heureuse ? Est-ce ma faute ? J'ai fait tout ce que j'ai pu pourtant !

- Oui..., c'est ainsi..., tu es bon, toi !

Et elle lui passait la main dans les cheveux, lentement. La douceur de cette sensation surchargeait sa tristesse ; il sentait tout son être s'écrouler de désespoir à l'idée qu'il fallait la perdre, quand, au contraire, elle avouait pour lui plus d'amour que jamais ; et il ne trouvait rien ; il ne savait pas, il n'osait, l'urgence d'une résolution immédiate achevant de le bouleverser.

Elle en avait fini, songeait-elle, avec toutes les trahisons, les bassesses et les innombrables convoitises qui la torturaient. Elle ne haïssait personne, maintenant ; une confusion de crépuscule s'abattait en sa pensée, et de tous les bruits de la terre Emma n'entendait plus que l'intermittente lamentation de ce pauvre coeur, douce et indistincte, comme le dernier écho d'une symphonie qui s'éloigne.

- Amenez-moi la petite, dit-elle en se soulevant du coude.

- Tu n'es pas plus mal, n'est-ce pas ? demanda Charles.

- Non ! non !

L'enfant arriva sur le bras de sa bonne, dans sa longue chemise de nuit, d'où sortirent ses pieds nus, sérieuse et presque rêvant encore. Elle considérait avec étonnement la chambre tout en désordre, et clignait des yeux, éblouie par les flambeaux qui brûlaient sur les meubles. Ils lui rappelaient sans doute les matins du jour de l'an ou de la mi-carême, quand, ainsi réveillée de bonne heure à la clarté des bougies, elle venait dans le lit de sa mère pour y recevoir ses étrennes, car elle se mit à dire :

- Où est-ce donc, maman ?

Et comme tout le monde se taisait :

- Mais je ne vois pas mon petit soulier !

Félicité la penchait vers le lit, tandis qu'elle regardait toujours du côté de la cheminée.

- Est-ce nourrice qui l'aurait pris ? demanda-t-elle.

Et, à ce nom, qui la reportait dans le souvenir de ses adultères et de ses calamités, Mme Bovary détourna sa tête, comme au dégoût d'un autre poison plus fort qui lui remontait à la bouche. Berthe, cependant, restait posée sur le lit.

- Oh ! comme tu as de grands yeux, maman ! comme tu es pâle, comme tu sues !...

Sa mère la regardait.

- J'ai peur ! dit la petite en se reculant.

Emma prit sa main pour la baiser; elle se débattait.

- Assez ! qu'on l'emmène, s'écria Charles, qui sanglotait dans l'alcôve.

Puis les symptômes s'arrêtèrent un moment ; elle paraissait moins agitée ; et, à chaque parole insignifiante, à chaque souffle de sa poitrine un peu plus calme, il reprenait espoir. Enfin, lorsque Canivet entra, il se jeta dans ses bras en pleurant.

- Ah ! c'est vous ! merci ! vous êtes béni mais tout va mieux. Tenez, regardez-la...

Le confrère ne fut nullement de cette opinion, et, n'y allant pas, comme il le disait lui-même, par quatre chemins, il prescrivit de l'émétique, afin de dégager complètement l'estomac.

Elle ne tarda pas à vomir du sang. Ses lèvres se serrèrent davantage. Elle avait les membres crispés, le corps couvert de taches brunes, et son pouls glissait sous les doigts comme un fil tendu, comme une corde de harpe près de se rompre.

Puis elle se mettait à crier, horriblement. Elle maudissait le poison, l'invectivait, le suppliait de se hâter, et repoussait de ses bras roidis tout ce que Charles, plus agonisant qu'elle, s'efforçait de lui faire boire. Il était debout, son mouchoir sur les lèvres, râlant, pleurant, et suffoqué par des sanglots qui le secouaient jusqu'aux talons ; Félicité courait ça et là dans la chambre ; Homais, immobile, poussait de gros soupirs, et M. Canivet, gardant toujours son aplomb, commençait néanmoins à se sentir troublé.

- Diable !... cependant... elle est purgée, et, du moment que la cause cesse...

- L'effet doit cesser, dit Homais ; c'est évident.

- Mais sauvez-la ! exclamait Bovary.

Aussi, sans écouter le pharmacien, qui hasardait encore cette hypothèse : « C'est peut-être un paroxysme salutaire », Canivet allait administrer de la thériaque, lorsqu'on entendit le claquement d'un fouet ; toutes les vitres frémirent, et une berline de poste qu'enlevaient à plein poitrail trois chevaux crottés jusqu'aux oreilles, débusqua d'un bond au coin des halles. C'était le docteur Larivière.

L'apparition d'un dieu n'eût pas causé plus d'émoi. Bovary leva les mains, Canivet s'arrêta court et Homais retira son bonnet grec bien avant que le docteur fût entré.

Il appartenait à la grande école chirurgicale sortie du tablier de Bichat, à cette génération, maintenant disparue, de praticiens philosophes qui, chérissant leur art d'un amour fanatique, l'exerçaient avec exaltation et sagacité ! Tout tremblait dans son hôpital quand il se mettait en colère, et ses élèves le vénéraient si bien, qu'ils s'efforçaient, à peine établis, de l'imiter le plus possible ; de sorte que l'on retrouvait sur eux, par les villes d'alentour, sa longue douillette de mérinos et son large habit noir, dont les parements déboutonnés couvraient un peu ses mains charnues, de fort belles mains, et qui n'avaient jamais de gants, comme pour être plus promptes à plonger dans les misères. Dédaigneux des croix, des titres et des académies, hospitalier, libéral, paternel avec les pauvres et pratiquant la vertu sans y croire, il eût presque passé pour un saint si la finesse de son esprit ne l'eût fait craindre comme un démon. Son regard, plus tranchant que ses bistouris, vous descendait droit dans l'âme et désarticulait tout mensonge à travers les allégations et les pudeurs. Et il allait ainsi, plein de cette majesté débonnaire que donnent la conscience d'un grand talent, de la fortune, et quarante ans d'une existence laborieuse et irréprochable.

Il fronça les sourcils dès la porte, en apercevant la face cadavéreuse d'Emma, étendue sur le dos, la bouche ouverte. Puis, tout en ayant l'air d'écouter Canivet, il se passait l'index sous les narines et répétait:

- C'est bien, c'est bien.

Mais il fit un geste lent des épaules. Bovary l'observa : ils se regardèrent ; et cet homme, si habitué pourtant à l'aspect des douleurs, ne put retenir une larme qui tomba sur son jabot.

Il voulut emmener Canivet dans la pièce voisine. Charles le suivit.

- Elle est bien mal, n'est-ce pas ? Si l'on posait des sinapismes ? je ne sais quoi ! Trouvez donc quelque chose, vous qui en avez tant sauvé !

Charles lui entourait le corps de ses deux bras, et il le contemplait d'une manière effarée, suppliante, à demi pâmé contre sa poitrine.

- Allons, mon pauvre garçon, du courage ! Il n'y a plus rien à faire.

Et le docteur Larivière se détourna.

- Vous partez ?

- Je vais revenir.

Il sortit comme pour donner un ordre au postillon, avec le sieur Canivet, qui ne se souciait pas non plus de voir Emma mourir entre ses mains.

Le pharmacien les rejoignit sur la place. Il ne pouvait, par tempérament, se séparer des gens célèbres. Aussi conjura-t-il M. Larivière de lui faire cet insigne honneur d'accepter à déjeuner.

On envoya bien vite prendre des pigeons au Lion d'or, tout ce qu'il y avait de côtelettes à la boucherie, de la crème chez Tuvache, des oeufs chez Lestiboudois, et l'apothicaire aidait lui-même aux préparatifs, tandis que Mme Homais disait, en tirant les cordons de sa camisole :

- Vous ferez excuse, monsieur ; car dans notre malheureux pays, du moment qu'on n'est pas prévenu la veille...

- Les verres à patte ! ! ! souffla Homais.

- Au moins, si nous étions à la ville, nous aurions la ressource des pieds farcis.

- Tais-toi !... A table, docteur ! Il jugea bon, après les premiers morceaux, de fournir quelques détails sur la catastrophe :

- Nous ayons eu d'abord un sentiment de siccité au pharynx, puis des douleurs intolérables à l'épigastre, superpurgation, coma.

- Comment s'est-elle donc empoisonnée ?

- Je l'ignore, docteur, et même je ne sais pas trop où elle a pu se procurer cet acide arsénieux.

Justin, qui apportait alors une pile d'assiettes, fut saisi d'un tremblement.

- Qu'as-tu ? dit le pharmacien.

Le jeune homme, à cette question, laissa tout tomber par terre, avec un grand fracas.

- Imbécile ! s'écria Homais, maladroit ! lourdaud ! fichu âne !

Mais, soudain, se maîtrisant:

- J'ai voulu, docteur, tenter une analyse, et primo, j'ai délicatement introduit dans un tube...

- Il aurait mieux valu, dit le chirurgien, lui introduire vos doigts dans la gorge.

Son confrère se taisait, ayant tout à l'heure reçu confidentiellement une forte semonce à propos de son émétique, de sorte que ce bon Canivet, si arrogant et verbeux lors du pied-bot, était très modeste aujourd'hui; il souriait sans discontinuer, d'une manière approbative.

Homais s'épanouissait dans son orgueil d'amphitryon, et l'affligeante idée de Bovary contribuait vaguement à son plaisir, par un retour égoïste qu'il faisait sur lui-même. Puis la présence du Docteur le transportait. Il étalait son érudition, il citait pèle-mêle les cantharides, l'upas, le mancenillier, la vipère.

- Et même j'ai lu que différentes personnes s'étaient trouvées intoxiquées, docteur, et comme foudroyées par des boudins qui avaient subi une trop véhémente fumigation ! Du moins, c'était dans un fort beau rapport, composé par une de nos sommités pharmaceutiques, un de nos maîtres, l'illustre Cadet de Gassicourt !

Mme Homais réapparut, portant une de ces vacillantes machines que l'on chauffe avec de l'esprit-de-vin ; car Homais tenait à faire son café sur la table, l'ayant d'ailleurs torréfié lui-même, porphyrisé lui-même, mixtionné lui-même.

- Saccharum, docteur, dit-il en offrant du sucre.

Puis il fit descendre tous ses enfants, curieux d'avoir l'avis du chirurgien sur leur constitution.

Enfin, M. Larivière allait partir, quand Mme Homais lui demanda une consultation pour son mari. Il s'épaississait le sang à s'endormir chaque soir après le dîner.

- Oh! ce n'est pas le sens qui le gêne.

Et, souriant un peu de ce calembour inaperçu, le docteur ouvrit la porte. Mais la pharmacie regorgeait de monde ; et il eut grand peine à pouvoir se débarrasser du sieur Tuvache, qui redoutait pour son épouse une fluxion de poitrine, parce qu'elle avait coutume de cracher dans les cendres ; puis de M. Binet, qui éprouvait parfois des fringales, et de Mme Caron, qui avait des picotements ; de Lheureux, qui avait des vertiges ; de Lestiboudois, qui avait un rhumatisme ; de Mme Lefrançois, qui avait des aigreurs. Enfin les trois chevaux détalèrent, et l'on trouva généralement qu'il n'avait point montré de complaisance.

L'attention publique fut distraite par l'approbation de M. Bournisien, qui passait sous les halles avec les saintes huiles.

Homais, comme il le devait à ses principes, compara les prêtres à des corbeaux qu'attire l'odeur des morts ; la vue d'un ecclésiastique lui était personnellement désagréable, car la soutane le faisait rêver au linceul, et il exécrait l'une un peu par épouvante de l'autre.

Néanmoins, ne reculant pas devant ce qu'il appelait sa mission, il retourna chez Bovary en compagnie de Canivet, que M. Larivière, avant de partir, avait engagé fortement à cette démarche ; et même, sans les représentations de sa femme, il eût emmené avec lui ses deux fils, afin de les accoutumer aux fortes circonstances, pour que ce fût une leçon, un exemple, un tableau solennel qui leur restât plus tard dans la tête.

La chambre, quand ils entrèrent, était toute pleine d'une solennité lugubre. Il y avait sur la table à ouvrage, recouverte d'une serviette blanche, cinq ou six petites boules de coton dans un plat d'argent, près d'un gros crucifix, entre deux chandeliers qui brûlaient. Emma, le menton contre sa poitrine, ouvrit démesurément les paupières ; et ses pauvres mains se traînaient sur les draps, avec ce geste hideux et doux des agonisants qui semblent vouloir déjà se recouvrir du suaire. Pâle comme une statue, et les yeux rouges comme des charbons, Charles, sans pleurer, se tenait en face d'elle, au pied du lit, tandis que le prêtre, appuyé sur un genou, marmottait des paroles basses.

Elle tourna sa figure lentement, et parut saisie de joie à voir tout à coup l'étole violette, sans doute retrouvant au milieu d'un apaisement extraordinaire la volupté perdue de ses premiers élancements mystiques, avec des visions de béatitude éternelle qui commençaient.

Le prêtre se releva pour prendre le crucifix ; alors elle allongea le cou comme quelqu'un qui a soif, et, collant ses lèvres sur le corps de l'Homme-Dieu, elle y déposa de toute sa force expirante le plus grand baiser d'amour qu'elle eût jamais donné. Ensuite, il récita le Misereatur et l'Indulgentiam, trempa son pouce droit dans l'huile et commença les onctions : d'abord sur les yeux, qui avaient tant convoité toutes les somptuosités terrestres; puis sur les narines, friandes de brises tièdes et de senteurs amoureuses ; puis sur la bouche, qui s'était ouverte pour le mensonge, qui avait gémi d'orgueil et crié dans la luxure ; puis sur les mains, qui se délectaient aux contacts suaves, et enfin sur la plante des pieds, si rapides autrefois quand elle courait à l'assouvissance de ses désirs, et qui maintenant ne marcheraient plus.

Le curé s'essuya les doigts, jeta dans le feu les brins de coton trempés d'huile, et revint s'asseoir près de la moribonde pour lui dire qu'elle devait à présent joindre ses souffrances à celles de Jésus-Christ et s'abandonner à la miséricorde divine.

En finissant ses exhortations, il essaya de lui mettre dans la main un cierge bénit, symbole des gloires célestes dont elle allait tout à l'heure être environnée. Emma, trop faible, ne put fermer les doigts, et le cierge, sans M. Bournisien, serait tombé à terre.

Cependant elle n'était plus aussi pâle, et son visage avait une expression de sérénité, comme si le sacrement l'eut guérie.

Le prêtre ne manqua point d'en faire l'observation ; il expliqua même à Bovary que le Seigneur, quelquefois, prolongeait l'existence des personnes lorsqu'il le jugeait convenable pour leur salut ; et Charles se rappela un jour où, ainsi près de mourir, elle avait reçu la communion.

- Il ne fallait peut-être pas se désespérer, pensa-t-il.

En effet, elle regarda tout autour d'elle, lentement, comme quelqu'un qui se réveille d'un songe ; puis, d'une voix distincte, elle demanda son miroir, et elle resta penchée dessus quelque temps, jusqu'au moment où de grosses larmes lui découlèrent des yeux. Alors elle se renversa la tête en poussant un soupir et retomba sur l'oreiller.

Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. La langue tout entière lui sortit hors de la bouche ; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampe qui s'éteignent, à la croire déjà morte, sans l'effrayante accélération de ses côtes, secouées par un souffle furieux comme si l'âme eût fait des bonds pour se détacher. Félicité s'agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets, tandis que M. Canivet regardait vaguement sur la place. Bournisien s'était remis en prière, la figure inclinée contre le bord de la couche, avec sa longue soutane noire qui traînait derrière lui dans l'appartement. Charles était de l'autre côté, à genoux, les bras étendus vers Emma. Il avait pris ses mains et il les serrait, tressaillant à chaque battement de son coeur, comme au contrecoup d'une ruine qui tombe. A mesure que le râle devenait plus fort, l'ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche.

Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d'un bâton ; et une voix s'éleva, une voix rauque, qui chantait :

Souvent la chaleur d'un beau jour
fait rêver fillette à l'amour.

Emma se releva comme un cadavre que l'on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.

Pour amasser diligemment
Les épis que la faux moissonne
Ma Nanette va s'inclinant
Vers le sillon qui nous les donne.

- L'Aveugle ! s'écria-t-elle.

Et Emma se mit à rire, d'un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.

Il souffla bien fort ce jour-là
Et le jupon court s'envola

Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s'approchèrent. Elle n'existait plus.
          

                         Source:http://pagesperso-orange.fr/jb.guinot/pages/mortBovary.html

                                     

                                EFFETS INGESTION ARSENIC


L’intoxication par l’Arsenic tue par inhibition allostérique des enzymes indispensables au métabolisime, conduisant à la mort par défaillance organique multiple. Il inhibe principalement les enzymes exigeant la présence d'acide lipoïque comme cofacteur, tels que la pyruvate et l'alpha-ketoglutarate déshydrogénase. Pour cette raison, les substrats produits avant l’étape de la déshydrogénase comme le pyruvate (et le lactate) s'accumulent. Il affecte en particulier le cerveau, provoquant des troubles neurologiques et la mort.



Symptômes
Les symptômes comprennent de violentes douleurs abdominales dues à des spasmes intestinaux; une sensibilité et une tension de l’abdomen; des nausées; une salivation excessive; vomissements; une sensation de sécheresse et de constriction de la gorge, de la soif, une raucité de la voix et des difficultés de la parole, les vomissures sont verdâtres ou jaunâtres, parfois striées de sang; une diarrhée, du ténesme; parfois des excoriations de l'anus; une atteinte de l’appareil urinaire est possible avec de violentes douleurs à type de brûlures; des convulsions et des crampes; des sueurs froides; des lividités des extrémités; des traits tirés; des yeux rouges et brillants; puis le délire et la mort. Certains de ces symptômes peuvent être absents lorsque l'intoxication est la conséquence d’une inhalation, sous forme de trihydrure d'arsenic.
Les symptômes de l'empoisonnement par l'arsenic débutent insidieusement avec des céphalées et peuvent s’aggraver avec apparition d’étourdissements et, en général si la maladie n'est pas traitée, aboutir à la mort.
L'empoisonnement par l'arsenic peut provoquer une grande variété de troubles, allant du cancer de la peau à l’hyperkératose des pieds

                       Source:http://fr.wikipedia.org/wiki/Intoxication_%C3%A0_l%27arsenic


Cette images représente les mains d'une personne empoisonnée à l'arsenic

Présentation de l'auteur de Manon Lescaut: L'Abbé Prévost

Biographie de l'abbé Prévost

Antoine François Prévost, plus connu sous son titre d'abbé Prevost, est né ler avril 1697, à Hesdin (Pas de Calais actuel). C'était un romancier français connu principalement pour deux de ses œuvres : L'Histoire du chevalier des Grieux et Manon Lescaut. Mais Prévost était également un homme d'Eglise ayant fait des études chez les jésuites entre 1715 et 1717.

En 1721, il entre chez les bénédictins de l'abbaye de Saint-Wandrille, et les 7 années qui suivirent passa par différentes autres maisons. Il obtient une approbation pour les deux premiers tomes de Mémoires et aventures d'un homme de qualité qui s'est retiré tu monde, cependant ayant quitté son monastère dans autorisation en 1728, il fuit à Londres où il acquiert une large connaissance de l'histoire et de la culture anglaise.

Un an plus tard, Prévost part pour la Hollande et rencontre Hélène Eckhardt qui publie quatre tomes de Philosophe anglais ou Histoire de Monsieur Cleveland.

C'est à cette période que l'écrivain se donne le nom « d'exiles » en référence à ses nombreux périples à travers l'Europe.

Il publie Manon Lescaut en 1731, qui raconte les sentiments du marquis de Renoncour voué quatre années durant à la jeune Manon. Décidé à profiter de ses charmes dans une époque où la dissolution des mœurs donne partout de détestables exemples, Manon amène son jeune amant à assumer jusqu'au déshonneur la passion absolue qu'il lui voue: rien ne pourra fléchir Des Grieux dans ce sacrifice.

Quelques années plus tard, il retourne en Angleterre très endetté. Il parvient à fonder le Pour et le contre, journal principalement consacré à la culture anglaise qu'il continuera d'éditer jusqu'en 1740.

Il finit par négocier son retour chez les bénédictins, au monastère de La-Croix-Saint-Leufroy avant de devenir l'aumônier du prince de Conti, près d'Évreu

Il écrit encore de nombreuses œuvres, puis passera la fin de sa vie à Paris. Prévost meurt d'une crise d'apoplexie le 25 novembre 1763, à Courteuil.

La mort de Mme de Bovary

Albert Auguste Fourié                                                                                                                                                                                                                                                                                          est né en 1854 à Paris et est mort en 1937 était un peintre français.

Albert Auguste Fourié a commencé sa carrière comme sculpteur . Il a abandonné la sculpture pour devenir peintre . Son style de portraitiste de femmes au bain, et paysages lui a valu plusieurs médailles du Salon de Paris, y compris la médaille d'or de 1889 . C'est lui l'auteur de cet œuvre(en tout cas de la peinture).

Manon Lescault: la sensualité de la scène

L’auteur appuie sur le fait que leur amour était  un amour sensuel et un amour passionné :  le chevalier du Grieux est nu,étendu sur sa bien aimée. Ce qui nous conduit à supposer que le Chevalier du Grieux a envie d’elle, alors, même qu'elle est morte, ce qui est très audacieux.

Mais nous pouvons croire à un amour passionnel car le Chevalier du Grieux brise son épée pour lui creuser une tombe et finit par creuser sa tombe à la main alors qu’il est à bout de force. " Je rompis mon épée, pour m'en servir à creuser, mais j'en tirai moins de secours que de mes mains. J'ouvris une large fosse "

De plus il y fait apparaître des hyperboles pour montrer à quel point le Chevalier du Grieux aime Manon Lescaut " Je demeurai plus de vingt-quatre heures " 

Cette scène est une sorte de paradoxe entre le bonheur du coup de foudre, le ravissement amoureux et le malheur qui va lui succéder. La passion amoureuse est présentée à la fois comme une ivresse et un danger. Ce roman considéré comme libertin met cependant en garde contre le libertinage

La mort de Manon Lescaut: son côté pathétique

MANON LESCAUT

Je demeurai plus de vingt-quatre heures la bouche attachée sur le visage et sur les mains de ma chère Manon. Mon dessein était d'y mourir; mais je fis réflexion, au commencement du second jour, que son corps serait exposé, après mon trépas, à devenir la pâture des bêtes sauvages. Je formai la résolution de l'enterrer et d'attendre la mort sur sa fosse. J'étais déjà si proche de ma fin, par l'affaiblissement que le jeûne et la douleur m'avaient causé, que j'eus besoin de quantité d'efforts pour me tenir debout. Je fus obligé de recourir aux liqueurs que j'avais apportées. Elles me rendirent autant de force qu'il en fallait pour le triste office que j'allais exécuter. Il ne m'était pas difficile d'ouvrir la terre, dans le lieu où je me trouvais. C'était une campagne couverte de sable. Je rompis mon épée, pour m'en servir à creuser, mais j'en tirai moins de secours que de mes mains. J'ouvris une large fosse. J'y plaçai l'idole de mon coeur, après avoir pris le soin de l'envelopper de tous mes habits, pour empêcher le sable de la toucher. Je ne la mis dans cet état qu'après l'avoir embrassée mille fois, avec toute l'ardeur du plus parfait amour. Je m'assis encore près d'elle. Je la considérai longtemps. Je ne pouvais me résoudre à refermer la fosse. Enfin, mes forces recommençant à s'affaiblir, et craignant d'en manquer tout à fait avant la fin de mon entreprise, j'ensevelis pour toujours dans le sein de la terre ce qu'elle avait porté de plus parfait et de plus aimable. Je me couchai ensuite sur la fosse, le visage tourné vers le sable, et fermant les yeux avec le dessein de ne les ouvrir jamais, j'invoquai le secours du Ciel et j'attendis la mort avec impatience. Ce qui vous paraîtra difficile à croire, c'est que, pendant tout l'exercice de ce lugubre ministère, il ne sortit point une larme de mes yeux ni un soupir de ma bouche.Aussi, ne demeurai-je pas longtemps dans la posture où j'étais sur la fosse, sans perdre le peu de connaissance et de sentiment qui me restait.

 

Le pathétique

En quoi cet extrait a t-il une tournure pathétique ?

Nous somme dans une situation pathétique. C’est une situation de malheur durable et irréparable puisque Manon Lescaut est morte et elle ne reviendra pas à la vie. En effet, nous assistons à l’enterrement de Manon, le chevalier (amant de Manon) est en situation de faiblesse car il est fou amoureux d’elle et qu’il ne peut rien faire pour la ressusciter, il est désarmé et il subit passivement son malheur. De plus c’est lui qui l’enterre c'est-à-dire qu’il devient le fossoyeur de son amour.

On a toute une description de la procédure de l’enterrement: "il ne m’était pas difficile d’ouvrir la terre, j’ouvris une large fosse." Le narrateur insiste sur la notion de durée de la tache: "Au commencement du second jour... longtemps... ensuite." Enfin le narrateur met en avant certains détails de l’enterrement. En effet le chevalier n’a pas de pelle pour creuser alors il utilise son épée qui est le symbole de son appartenance a la noblesse et il va même jusqu’à la rompre pour plus de commodité, ce qui signifie qu'il a même perdu son titre .Pour finir, au summum de la déchéance, il creuse la terre par lui-même à mains nues. "Je rompis mon épée, pour m’en servir à creuser, mais j’en tirai moins de secours que de mes mains".

L’idée de la mort de Manon est présente tout au long du texte, ce qui rend l’enterrement plus triste encore avec le champ lexical de la mort. "mourir, trépas, devenir la pâture des bêtes, enterrer, proche de ma fin, fosse, ensevelis, la mort avec impatience, les yeux avec le dessin de ne jamais les ouvrir". Remarque: on pourrait presque penser que cette scène sera reprise plus tard par Victor Hugo, lorsque Quasimodo se laisse mourir de désespoir à coté du cadavre d’Esméralda.

L’utilisation de " je " de la fonction émotive du langage avec ce narrateur interne (focalisation interne) sert à s’identifier facilement à ce chevalier: on ressent sa tristesse et on se met à sa place ce qui nous permet de le comprendre profondément. Pour ces mêmes raisons, on trouve des descriptions des effets de la douleur avec la position du corps du chevalier notamment lorsqu’il attend la mort sur la tombe de Manon. "Je me suis couché ensuite sur la fosse, le visage tourné vers le sable, et, fermant les yeux avec le dessein de ne les ouvrir jamais "

Pour rendre son texte plus pathétique, le narrateur insiste sur la tristesse du personnage liée à la mort de Manon, avec le champ lexical de la souffrance. "J’étais déjà si proche de ma fin, l’affaiblissement, jeûne, douleur quantité d’efforts pour me tenir debout, mes force recommençant à s’affaiblir, j’invoquai le secours du Ciel."

On ressent la puissance de son amour envers Manon et on voit qu’il la désire toujours, bien que ce ne soit plus qu’un cadavre avec le champ lexical de la sensualité: " vingt quatre heures la bouche attachée sur le visage de et sur les mains de ma chère Manon, pris le soin de l’envelopper de tous mes habits, embrassé mille fois, tous l’ardeur du plus parfais amour, je m’assis encore près d’elle , je la considérai longtemps, je ne pouvais me résoudre à refermer la fosse, sentiment qui me restait."

Il y a des hyperboles pour amplifier et intensifier les sentiments "vingt quatre heures la bouche attachée sur le visage, l’idole de mon cœur, pris le soin de l’envelopper de tous mes habits, embrassé mille fois, tous l’ardeur du plus parfait amour, de plus parfait et de plus aimable, pour toujours. "

Le narrateur fait beaucoup d’euphémismes en effet comme il ne supporte pas cette vérité qu’est la mort de Manon il essaie de réduire l’idée de sa mort " trépas, le triste office que j’allais exécuter, fin de mon entreprise, j’ensevelis, l’exercice de ce lugubre ministère."

De plus le narrateur fait attention à ne jamais parler de morte ou de cadavre envers Manon et il la désigne comme son amour: "J’y plaçais l’idole de mon cœur."

Enfin pour donner plus de poids au texte, pour insister sur les actions du narrateur lors de cet enterrement et faire durer ces actions, longtemps il utilise des énumérations. Celles ci permettent aussi de mettre en évidence les sentiments du personnage et de nous les faire ressentir : " Mon dessein était d’y mourir ; mais je fis réflexion, au commencement du seconds jour, que son corps serait exposé, après mon trépas, à devenir la pâture des bête sauvages. "

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On trouve dans le texte un caractère religieux en effet le chevalier est si amoureux qu’il ne voit plus Manon comme une simple femme mais comme une divinité et il la traite comme une déesse. Effectivement il la surnomme son idole. On retrouve des métaphores " la bouche attachée sur le visage ", une périphrase " j’ensevelis pour toujours, dans le sein de la terre , ce qu’elle avait porté de plus parfait et de plus aimable." Même son enterrement a un caractère sacré: le chevalier recouvre Manon de ses habits pour empêcher le sable de la toucher. Enfin il devient lui-même une offrande en se sacrifiant pour elle sur sa tombe.

 

Le réalisme de la mort de Manon Lescaut.

 

Extrait, la mort de Manon Lescaut, L'Abbé Prévost :

Je demeurai plus de vingt-quatre heures la bouche attachée sur le visage et sur les mains de ma chère Manon. Mon dessein était d'y mourir; mais je fis réflexion, au commencement du second jour, que son corps serait exposé, après mon trépas, à devenir la pâture des bêtes sauvages. Je formai la résolution de l'enterrer et d'attendre la mort sur sa fosse. d'efforts pour me tenir debout. Je fus obligé de recourir aux liqueurs que j'avais apportées. Elles me rendirent autant de force qu'il en fallait pour le triste office que j'allais exécuter. Il ne m'était pas difficile d'ouvrir la terre, dans le lieu où je me trouvais. C'était une campagne couverte de sable. Je rompis mon épée, pour m'en servir à creuser, mais j'en tirai moins de secours que de mes mains. J'ouvris une large fosse. J'y plaçai l'idole de mon coeur, après avoir pris le soin de l'envelopper de tous mes habits, pour empêcher le sable de la toucher. Je ne la mis dans cet état qu'après l'avoir embrassée mille fois, avec toute l'ardeur du plus parfait amour. Je m'assis encore près d'elle. Je la considérai longtemps. Je ne pouvais me résoudre à refermer la fosse. Enfin, mes forces recommençant à s'affaiblir, et craignant d'en manquer tout à fait avant la fin de mon entreprise, j'ensevelis pour toujours dans le sein de la terre ce qu'elle avait porté de plus parfait et de plus aimable. Je me couchai ensuite sur la fosse, le visage tourné vers le sable, et fermant les yeux avec le dessein de ne les ouvrir jamais, j'invoquai le secours du Ciel et j'attendis la mort avec impatience. Ce qui vous paraîtra difficile à croire, c'est que, pendant tout l'exercice de ce lugubre ministère, il ne sortit point une larme de mes yeux ni un soupir de ma bouche. .Aussi, ne demeurai-je pas longtemps dans la posture où j'étais sur la fosse, sans perdre le peu de connaissance et de sentiment qui me restait.

 

Gravure représentant la mort de Manon Lescaut.

 

                                La mort de Manon Lescaut est-il un passage réaliste ?

Le passage de la mort de Manon Lescaut est issu de l’œuvre de l’abbé Prévost, écrivain du XVIIIème siècle, appelée Mémoires et Aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde. Les sept volumes composant cette œuvre furent rédigés de 1728 à 1731 et firent scandale à deux reprises (1733 et 1735). Nous essaierons de voir en quoi l’on peut dire que ce passage est réaliste, d’abord en étudiant le cadre spatio-temporel puis les personnages et leurs sentiments et enfin le thème de la mort.

 

Tout d’abord, l’auteur nous place l’histoire dans un cadre spatio-temporel réaliste et accompagné de descriptions. Cette scène pathétique se déroule dans un paysage où la terre est meuble, composé de sable : « il ne m’était pas difficile d’ouvrir la terre dans le lieu où je me trouvais. C’était une campagne couverte de sable ». Ceci permet au chevalier de creuser afin d’apporter une sépulture à sa bien-aimée, et de ne pas la laisser seule face à la nature sauvage qui les entoure : « son corps serait exposer [...] à devenir la pâture des bêtes sauvages. Je formai la résolution de l’enterrer». Il s’aide de son épée puis de ses mains, celles-ci étant plus adaptées pour creuser cette « campagne couverte de sable ». De plus, des indications de temps nous sont données afin de montrer le temps que le chevalier passa auprès du cadavre : « Je demeurai plus de vingt-quatre heures », « au commencement du second jour ». Il s’agit d’une durée précise, déterminée.

 

C’est dans ce cadre spatio-temporel qu’évolue le chevalier des Grieux, au côté de Manon.

 

Le passage nous présente deux protagonistes : Manon Lescaut et le chevalier des Grieux, deux amants séparés par la mort. Ces deux personnages sont identifiables socialement : « je rompis mon épée », l’épée étant un symbole de richesse. « J’invoquai le secours du Ciel », ceci nous montre la croyance du chevalier envers Dieu.

De plus, ce personnage nous fait partager ses sentiments, ce qui installe un sentiment de compassion qui permet de s’identifier à lui. Il éprouve beaucoup d’amour pour Manon : « ma chère Manon », « l'idole de mon cœur », « après l'avoir embrassée mille fois, avec toute l'ardeur du plus parfait amour » et l’enterrer lui demande un effort considérable, afin de surmonter sa peine et sa fatigue : « Je redoublais d'efforts pour me tenir debout », « mes forces recommençant à s'affaiblir ».

Enfin, le champ lexical du corps humain est présent tout au long du texte : « bouche », « visage », « mains », « yeux », « corps », « posture ».

 

Le chevalier des Grieux se trouve en présence de Manon, sa bien-aimée décédée.

 

La mort s’inscrit tout au long du passage, côtoyant le chevalier. L’auteur utilise des champs lexicaux, celui de la mort : « mourir », « trépas », « mort » ainsi que celui de l’enterrement : « enterrer », « triste office », « creuser », « fosse », « j’ensevelis », « lugubre ministère ».

En effet, le chevalier est prêt, après avoir enterré Manon, à mourir sur sa tombe, et de la rejoindre dans le monde des morts. Ainsi, le sable est un élément repris plusieurs fois par l’auteur ; « le visage tourné vers le sable » qui comporte une grande symbolique. Il est en effet considéré par les chrétiens comme le symbole de la mort physique et du monde des morts. Le chevalier a donc son visage tourné vers la mort. Mais le sable est aussi considéré comme la ˝ materia prima˝, c'est-à-dire la terre fertile, symbole de la renaissance : en mourant, le chevalier rejoindra Manon, et un nouvel amour commencera, dans l’autre monde.

 

Toutes les indications spatio-temporelles, les descriptions des personnages ainsi que le thème de la mort font que ce passage s’inscrit dans le registre réaliste.

 

La Mort De Madame Bovary

 

Sur cette image nous pouvons remarquer que le peintre a reproduit, par rapport au texte plusieurs détails, les voici :

  • Le prêtre est présent sur cette œuvre, il est assis et semble désespéré.

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  • Madame Bovary est représentée couchée dans un lit: apparemment elle est souffrante, elle va mourir.

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  • Monsieur Bovary est représenté à côté du lit: comme dans le livre il paraît très triste et choqué. Il semble voir sa femme mourir.

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  • Il y a aussi le médecin qui est représenté assis: il semble s'être assoupi , impuissant face aux souffrances de madame Bovary.

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  • Il y a aussi plusieurs détails représentés comme la croix de Jésus Christ sur la table: cela prouve la croyance de ces personnages .

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Description d'un tableau de Girodet




Dans ce texte nous pouvons voir que la mort n'est pas si néfaste , qu'on peut le penser. Celle-ci peut, de temps à autres, nous apparaître plus belle qu'elle ne l'est réellement.

Le rayon de lune qui illumine le corps mort d'Atala met en valeur sa féminité,sa virginité et donne un sens à sa mort. Il nous fait comprendre que cette mort là est belle car la jeune femme s'est suicidée pour de bonnes raisons. Le fait que le jeune homme incline sa tête sur les genoux de la demoiselle nous montre qu'il y a une part de tristesse dans ce tableau,car celui-ci est triste de savoir que sa bien-aimée est morte alors qu'ils devaient se marier. De plus, cet homme a une certaine satisfaction car il sait que si sa demoiselle est morte elle ira au paradis car elle a respecté sa promesse de chasteté.

La croix se trouvant sur la colline , traversée par le rayon, joue un rôle de miroir car il fait poursuivre son rayon jusqu'à la poitrine de la jeune Fille , lieu ou un autre crucifix se trouve. Le rayon va réunir les deux croix crucifiées; la première se trouvant sur la colline et la deuxième sur la poitrine de la morte.

Mort d'Atala

                               La mort d’ Atala

Les funérailles d’Atala:

 

le peintre Girodet 1808:

Embellissement de la mort :

"   les tintements de la cloche qui appelait les voyageurs, se mêlaient à ces chants funèbres, " 

" et l'on croyait entendre dans les Bocages de la mort le coeur lointain des décédés, qui répondait à la voix du solitaire. "

"cette lune qui brille à présent sur nos têtes se lassera d'éclairer les solitudes du Kentucky  "

" La lune prêta son pâle flambeau à cette veillée funèbre  "

"la vieillesse et la mort ralentissaient également nos pas "

 

observation:

Nous pouvons remarquer que le peintre Girodet joue avec les couleurs, des couleurs sombres pour montrer une situation de tristesse et surtout de mort.Le corps de la femme est mis en valeur, en étant montré tout vêtu de blanc. En arrière-plan nous pouvons remarquer une croix pouvant exprimer une certaine ambiance étant reliée à la religion et une autre croix montrée au premier plan posée sur le corps de la jeune femme. La mort est montrée de manière mélancolique avec le mélange de couleurs, entre le sombre et le clair. 

texte 1768-1848:

François René, vicomte de (1768-1848) est né à Saint-Malo le 4 septembre 1768. À partir de 1777, il vécut dans le château familial de Combourg. Destiné d'abord à la carrière de marin, conformément à la tradition familiale, il était par tempérament tenté bien davantage par la prêtrise et par la poésie. A 16 ans, il traverse, auprès de sa soeur préférée Lucile, une période fiévreuse et exaltée et prend un brevet de sous-lieutenant (1786), est présenté au roi Louis XVI à Versailles et fréquente les salons parisiens. À Paris, il assiste aux premiers bouleversements de la Révolution ; est d'abord séduit par les débats d'idées mais prend en horreur les violences qu'elle engendre. En avril 1791, par goût de l'aventure, il s'embarque pour l'Amérique et y voyage quelques mois. Il en rapporte de volumineuses notes qui allaient nourrir ses œuvres littéraires, notamment son Voyage en Amérique (1826). Revenu à Saint-Malo au début de l'année 1792, il se marie puis, émigre et rejoint en Allemagne l'armée contre-révolutionnaire. Blessé, malade, il se réfugie ensuite en Angleterre (1793) où il passe sept années d'exil et de misère. C'est à Londres qu'il publie son Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes, considérées dans leurs rapports avec la Révolution française (1797) où, il expose la douleur de sa situation d'exilé. De retour en France en 1800, Chateaubriand, affecté par la mort de sa mère et de l'une de ses soeurs, se tourne vers la foi catholique dont il s'était écarté. Dans cet état d'esprit parait, les Natchez : Atala, ou les Amours de deux sauvages dans le désert (1801), dans le cadre de la Louisiane, l'histoire funeste de l'Indien Chactas et de la vierge chrétienne Atala, qui préfère mourir plutôt que de trahir sa foi en épousant Chactas.

La cousine Bette de Balzac

a partir de "- Monsieur, dit Victorin à Bianchon, espérez-vous sauver M. et Mme Crevel ?" jusqu'à

"Eh bien, j’étais prophète !... Ne joue pas avec les choses sacrées, Lisbeth ! Si tu m’aimes, imite-moi, repens-toi "

Classes sociales :
-Le prêtre, ( religieux membre de l’église ), avec les rites de l’époque.
                      
- des bourgeois, qu’on reconnaît grâce a leurs appartement, leurs domestiques ..
                     
- Les docteurs, avec leurs jargon médical. Ces médecins sont enthousiastes à l’idée d’avoir une maladie aussi rare, et belle pour eux  « grâce » à Valérie.

- Les domestiques, qui appellent leurs employeurs "maîtres": cela témoigne bien que c’est dans une certaine époque.


 Remarques :

1 La pensée religieuse est très présente dans cette partie de  texte, on parle beaucoup de se repentir pour les péchés commis, de ne pas ou plus en commettre.
Je pense qu’à l’époque de la publication de ce roman, l’idée de Balzac était d’effrayer les gens, pour qu’ils aient «  peur » d’avoir la même maladie grave et rare de la pauvre Valérie, et de les empêcher de faire des fautes puis de se repentir.
C’est une dimension moralisatrice, Balzac étant très catholique et royaliste il voulait monter ‘’ l’exemple’’.
                      
                     
 2 Le texte est beaucoup dans l’exagération, on note beaucoup d’hyperboles pour appuyer sur le fait que Valérie est vraiment «  laide « , et qu’on ne pourra plus la sauver, que la mort est très proche. Cela prend aussi  un dimension fantastique car on note l’impuissance de la science face à cette maladie et le surnaturel prend le dessus, avec le corps de cette pauvre femme qui, dans cette description se décompose à une vitesse impressionnante.



Info BONUS :c’est un roman réaliste, paru pour la première fois en feuilleton dans le Constitutionnel d’octobre à décembre 1846. Publié en volume en 1847, il fait partie des Scènes de la vie parisienne, section Les Parents pauvres de la Comédie humaine.

Conclusion: C'est un texte réaliste qui propose une mort plutôt laide, affreuse, avec la description du corps grotesque de la pauvre Valérie, contrairement à des textes comme celui de Chateaubriand "La mort d'Atala", où là, on montre une mort sous une forme plus belle. En même temps, la dimension religieuse, la caractère hyperbolique du texte, la visée moralisatrice de Balzac nous éloignent de l'idée de réalisme.


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