13 avril 2010

Manon Lescault: la sensualité de la scène

L’auteur appuie sur le fait que leur amour était  un amour sensuel et un amour passionné :  le chevalier du Grieux est nu,étendu sur sa bien aimée. Ce qui nous conduit à supposer que le Chevalier du Grieux a envie d’elle, alors, même qu'elle est morte, ce qui est très audacieux.

Mais nous pouvons croire à un amour passionnel car le Chevalier du Grieux brise son épée pour lui creuser une tombe et finit par creuser sa tombe à la main alors qu’il est à bout de force. " Je rompis mon épée, pour m'en servir à creuser, mais j'en tirai moins de secours que de mes mains. J'ouvris une large fosse "

De plus il y fait apparaître des hyperboles pour montrer à quel point le Chevalier du Grieux aime Manon Lescaut " Je demeurai plus de vingt-quatre heures " 

Cette scène est une sorte de paradoxe entre le bonheur du coup de foudre, le ravissement amoureux et le malheur qui va lui succéder. La passion amoureuse est présentée à la fois comme une ivresse et un danger. Ce roman considéré comme libertin met cependant en garde contre le libertinage

La mort de Manon Lescaut: son côté pathétique

MANON LESCAUT

Je demeurai plus de vingt-quatre heures la bouche attachée sur le visage et sur les mains de ma chère Manon. Mon dessein était d'y mourir; mais je fis réflexion, au commencement du second jour, que son corps serait exposé, après mon trépas, à devenir la pâture des bêtes sauvages. Je formai la résolution de l'enterrer et d'attendre la mort sur sa fosse. J'étais déjà si proche de ma fin, par l'affaiblissement que le jeûne et la douleur m'avaient causé, que j'eus besoin de quantité d'efforts pour me tenir debout. Je fus obligé de recourir aux liqueurs que j'avais apportées. Elles me rendirent autant de force qu'il en fallait pour le triste office que j'allais exécuter. Il ne m'était pas difficile d'ouvrir la terre, dans le lieu où je me trouvais. C'était une campagne couverte de sable. Je rompis mon épée, pour m'en servir à creuser, mais j'en tirai moins de secours que de mes mains. J'ouvris une large fosse. J'y plaçai l'idole de mon coeur, après avoir pris le soin de l'envelopper de tous mes habits, pour empêcher le sable de la toucher. Je ne la mis dans cet état qu'après l'avoir embrassée mille fois, avec toute l'ardeur du plus parfait amour. Je m'assis encore près d'elle. Je la considérai longtemps. Je ne pouvais me résoudre à refermer la fosse. Enfin, mes forces recommençant à s'affaiblir, et craignant d'en manquer tout à fait avant la fin de mon entreprise, j'ensevelis pour toujours dans le sein de la terre ce qu'elle avait porté de plus parfait et de plus aimable. Je me couchai ensuite sur la fosse, le visage tourné vers le sable, et fermant les yeux avec le dessein de ne les ouvrir jamais, j'invoquai le secours du Ciel et j'attendis la mort avec impatience. Ce qui vous paraîtra difficile à croire, c'est que, pendant tout l'exercice de ce lugubre ministère, il ne sortit point une larme de mes yeux ni un soupir de ma bouche.Aussi, ne demeurai-je pas longtemps dans la posture où j'étais sur la fosse, sans perdre le peu de connaissance et de sentiment qui me restait.

 

Le pathétique

En quoi cet extrait a t-il une tournure pathétique ?

Nous somme dans une situation pathétique. C’est une situation de malheur durable et irréparable puisque Manon Lescaut est morte et elle ne reviendra pas à la vie. En effet, nous assistons à l’enterrement de Manon, le chevalier (amant de Manon) est en situation de faiblesse car il est fou amoureux d’elle et qu’il ne peut rien faire pour la ressusciter, il est désarmé et il subit passivement son malheur. De plus c’est lui qui l’enterre c'est-à-dire qu’il devient le fossoyeur de son amour.

On a toute une description de la procédure de l’enterrement: "il ne m’était pas difficile d’ouvrir la terre, j’ouvris une large fosse." Le narrateur insiste sur la notion de durée de la tache: "Au commencement du second jour... longtemps... ensuite." Enfin le narrateur met en avant certains détails de l’enterrement. En effet le chevalier n’a pas de pelle pour creuser alors il utilise son épée qui est le symbole de son appartenance a la noblesse et il va même jusqu’à la rompre pour plus de commodité, ce qui signifie qu'il a même perdu son titre .Pour finir, au summum de la déchéance, il creuse la terre par lui-même à mains nues. "Je rompis mon épée, pour m’en servir à creuser, mais j’en tirai moins de secours que de mes mains".

L’idée de la mort de Manon est présente tout au long du texte, ce qui rend l’enterrement plus triste encore avec le champ lexical de la mort. "mourir, trépas, devenir la pâture des bêtes, enterrer, proche de ma fin, fosse, ensevelis, la mort avec impatience, les yeux avec le dessin de ne jamais les ouvrir". Remarque: on pourrait presque penser que cette scène sera reprise plus tard par Victor Hugo, lorsque Quasimodo se laisse mourir de désespoir à coté du cadavre d’Esméralda.

L’utilisation de " je " de la fonction émotive du langage avec ce narrateur interne (focalisation interne) sert à s’identifier facilement à ce chevalier: on ressent sa tristesse et on se met à sa place ce qui nous permet de le comprendre profondément. Pour ces mêmes raisons, on trouve des descriptions des effets de la douleur avec la position du corps du chevalier notamment lorsqu’il attend la mort sur la tombe de Manon. "Je me suis couché ensuite sur la fosse, le visage tourné vers le sable, et, fermant les yeux avec le dessein de ne les ouvrir jamais "

Pour rendre son texte plus pathétique, le narrateur insiste sur la tristesse du personnage liée à la mort de Manon, avec le champ lexical de la souffrance. "J’étais déjà si proche de ma fin, l’affaiblissement, jeûne, douleur quantité d’efforts pour me tenir debout, mes force recommençant à s’affaiblir, j’invoquai le secours du Ciel."

On ressent la puissance de son amour envers Manon et on voit qu’il la désire toujours, bien que ce ne soit plus qu’un cadavre avec le champ lexical de la sensualité: " vingt quatre heures la bouche attachée sur le visage de et sur les mains de ma chère Manon, pris le soin de l’envelopper de tous mes habits, embrassé mille fois, tous l’ardeur du plus parfais amour, je m’assis encore près d’elle , je la considérai longtemps, je ne pouvais me résoudre à refermer la fosse, sentiment qui me restait."

Il y a des hyperboles pour amplifier et intensifier les sentiments "vingt quatre heures la bouche attachée sur le visage, l’idole de mon cœur, pris le soin de l’envelopper de tous mes habits, embrassé mille fois, tous l’ardeur du plus parfait amour, de plus parfait et de plus aimable, pour toujours. "

Le narrateur fait beaucoup d’euphémismes en effet comme il ne supporte pas cette vérité qu’est la mort de Manon il essaie de réduire l’idée de sa mort " trépas, le triste office que j’allais exécuter, fin de mon entreprise, j’ensevelis, l’exercice de ce lugubre ministère."

De plus le narrateur fait attention à ne jamais parler de morte ou de cadavre envers Manon et il la désigne comme son amour: "J’y plaçais l’idole de mon cœur."

Enfin pour donner plus de poids au texte, pour insister sur les actions du narrateur lors de cet enterrement et faire durer ces actions, longtemps il utilise des énumérations. Celles ci permettent aussi de mettre en évidence les sentiments du personnage et de nous les faire ressentir : " Mon dessein était d’y mourir ; mais je fis réflexion, au commencement du seconds jour, que son corps serait exposé, après mon trépas, à devenir la pâture des bête sauvages. "

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On trouve dans le texte un caractère religieux en effet le chevalier est si amoureux qu’il ne voit plus Manon comme une simple femme mais comme une divinité et il la traite comme une déesse. Effectivement il la surnomme son idole. On retrouve des métaphores " la bouche attachée sur le visage ", une périphrase " j’ensevelis pour toujours, dans le sein de la terre , ce qu’elle avait porté de plus parfait et de plus aimable." Même son enterrement a un caractère sacré: le chevalier recouvre Manon de ses habits pour empêcher le sable de la toucher. Enfin il devient lui-même une offrande en se sacrifiant pour elle sur sa tombe.

 

Le réalisme de la mort de Manon Lescaut.

 

Extrait, la mort de Manon Lescaut, L'Abbé Prévost :

Je demeurai plus de vingt-quatre heures la bouche attachée sur le visage et sur les mains de ma chère Manon. Mon dessein était d'y mourir; mais je fis réflexion, au commencement du second jour, que son corps serait exposé, après mon trépas, à devenir la pâture des bêtes sauvages. Je formai la résolution de l'enterrer et d'attendre la mort sur sa fosse. d'efforts pour me tenir debout. Je fus obligé de recourir aux liqueurs que j'avais apportées. Elles me rendirent autant de force qu'il en fallait pour le triste office que j'allais exécuter. Il ne m'était pas difficile d'ouvrir la terre, dans le lieu où je me trouvais. C'était une campagne couverte de sable. Je rompis mon épée, pour m'en servir à creuser, mais j'en tirai moins de secours que de mes mains. J'ouvris une large fosse. J'y plaçai l'idole de mon coeur, après avoir pris le soin de l'envelopper de tous mes habits, pour empêcher le sable de la toucher. Je ne la mis dans cet état qu'après l'avoir embrassée mille fois, avec toute l'ardeur du plus parfait amour. Je m'assis encore près d'elle. Je la considérai longtemps. Je ne pouvais me résoudre à refermer la fosse. Enfin, mes forces recommençant à s'affaiblir, et craignant d'en manquer tout à fait avant la fin de mon entreprise, j'ensevelis pour toujours dans le sein de la terre ce qu'elle avait porté de plus parfait et de plus aimable. Je me couchai ensuite sur la fosse, le visage tourné vers le sable, et fermant les yeux avec le dessein de ne les ouvrir jamais, j'invoquai le secours du Ciel et j'attendis la mort avec impatience. Ce qui vous paraîtra difficile à croire, c'est que, pendant tout l'exercice de ce lugubre ministère, il ne sortit point une larme de mes yeux ni un soupir de ma bouche. .Aussi, ne demeurai-je pas longtemps dans la posture où j'étais sur la fosse, sans perdre le peu de connaissance et de sentiment qui me restait.

 

Gravure représentant la mort de Manon Lescaut.

 

                                La mort de Manon Lescaut est-il un passage réaliste ?

Le passage de la mort de Manon Lescaut est issu de l’œuvre de l’abbé Prévost, écrivain du XVIIIème siècle, appelée Mémoires et Aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde. Les sept volumes composant cette œuvre furent rédigés de 1728 à 1731 et firent scandale à deux reprises (1733 et 1735). Nous essaierons de voir en quoi l’on peut dire que ce passage est réaliste, d’abord en étudiant le cadre spatio-temporel puis les personnages et leurs sentiments et enfin le thème de la mort.

 

Tout d’abord, l’auteur nous place l’histoire dans un cadre spatio-temporel réaliste et accompagné de descriptions. Cette scène pathétique se déroule dans un paysage où la terre est meuble, composé de sable : « il ne m’était pas difficile d’ouvrir la terre dans le lieu où je me trouvais. C’était une campagne couverte de sable ». Ceci permet au chevalier de creuser afin d’apporter une sépulture à sa bien-aimée, et de ne pas la laisser seule face à la nature sauvage qui les entoure : « son corps serait exposer [...] à devenir la pâture des bêtes sauvages. Je formai la résolution de l’enterrer». Il s’aide de son épée puis de ses mains, celles-ci étant plus adaptées pour creuser cette « campagne couverte de sable ». De plus, des indications de temps nous sont données afin de montrer le temps que le chevalier passa auprès du cadavre : « Je demeurai plus de vingt-quatre heures », « au commencement du second jour ». Il s’agit d’une durée précise, déterminée.

 

C’est dans ce cadre spatio-temporel qu’évolue le chevalier des Grieux, au côté de Manon.

 

Le passage nous présente deux protagonistes : Manon Lescaut et le chevalier des Grieux, deux amants séparés par la mort. Ces deux personnages sont identifiables socialement : « je rompis mon épée », l’épée étant un symbole de richesse. « J’invoquai le secours du Ciel », ceci nous montre la croyance du chevalier envers Dieu.

De plus, ce personnage nous fait partager ses sentiments, ce qui installe un sentiment de compassion qui permet de s’identifier à lui. Il éprouve beaucoup d’amour pour Manon : « ma chère Manon », « l'idole de mon cœur », « après l'avoir embrassée mille fois, avec toute l'ardeur du plus parfait amour » et l’enterrer lui demande un effort considérable, afin de surmonter sa peine et sa fatigue : « Je redoublais d'efforts pour me tenir debout », « mes forces recommençant à s'affaiblir ».

Enfin, le champ lexical du corps humain est présent tout au long du texte : « bouche », « visage », « mains », « yeux », « corps », « posture ».

 

Le chevalier des Grieux se trouve en présence de Manon, sa bien-aimée décédée.

 

La mort s’inscrit tout au long du passage, côtoyant le chevalier. L’auteur utilise des champs lexicaux, celui de la mort : « mourir », « trépas », « mort » ainsi que celui de l’enterrement : « enterrer », « triste office », « creuser », « fosse », « j’ensevelis », « lugubre ministère ».

En effet, le chevalier est prêt, après avoir enterré Manon, à mourir sur sa tombe, et de la rejoindre dans le monde des morts. Ainsi, le sable est un élément repris plusieurs fois par l’auteur ; « le visage tourné vers le sable » qui comporte une grande symbolique. Il est en effet considéré par les chrétiens comme le symbole de la mort physique et du monde des morts. Le chevalier a donc son visage tourné vers la mort. Mais le sable est aussi considéré comme la ˝ materia prima˝, c'est-à-dire la terre fertile, symbole de la renaissance : en mourant, le chevalier rejoindra Manon, et un nouvel amour commencera, dans l’autre monde.

 

Toutes les indications spatio-temporelles, les descriptions des personnages ainsi que le thème de la mort font que ce passage s’inscrit dans le registre réaliste.