Rencontre avec M. Huitorel, metteur en scène de Bérénice de Racine
au théâtre de La-Celle-Saint-Cloud
Le jeudi 27 mars, M. Huitorel, metteur en scène de la tragédie Bérénice de Racine, a rendu visite à notre classe pour répondre à nos questions portant sur ladite pièce, son métier et son parcours personnel. En effet, une représentation a eu lieu au théâtre de La-Celle-Saint-Cloud le vendredi 4 avril, une semaine plus tard.
Voici donc un compte-rendu de cette rencontre, qui nous a permis de mieux appréhender la pièce.
La pièce Bérénice a été écrite au XVIIème siècle, par l’un des plus grands dramaturges de l’époque, Racine. M. Huitorel a longuement parlé de l’auteur, dont il qualifie l’écriture de « sublime ».
Jeune et ambitieux, Racine a vécu sous le règne de Louis XIV, dont il était très proche, et écrit plusieurs pièces à sa gloire. Il était également un contemporain de Corneille et Molière. Le trio de dramaturges, à l’origine très proches les uns des autres, s’est disloqué et une forte rivalité s’est peu à peu installée entre Racine et Corneille ; celui-ci a d’ailleurs écrit une tragédie du nom de Tite et Bérénice quelques années avant la Bérénice de Racine. Ce dernier, cependant, eut plus de succès que son aîné.
Outre cette pièce, on retrouve parmi ses œuvres les célèbres Phèdre, Andromaque, Iphigénie, toutes inspirées de la mythologie grecque (contrairement à Bérénice, pièce se déroulant dans la Rome antique). Mais il a également écrit des pièces religieuses, notamment pour les pensionnaires de Saint-Cyr.
Pour effectuer sa mise en scène, M. Huitorel a beaucoup travaillé sur l’Empire romain, sur Louis XIV, sur Racine. Il explique qu’il ne s’inspire jamais du travail d’autres metteurs en scène, qu’il essaie au contraire d’avancer avec son propre regard.
Bérénice s’inscrit dans le répertoire des tragédies classiques. Ses thèmes principaux sont le déchirement, le désespoir amoureux, l’opposition entre la raison d’état et la passion amoureuse. Elle raconte l’amour impossible entre Titus, Empereur romain, et Bérénice, reine de Palestine. Titus va être confronté à un dur choix, celui d’épouser Bérénice ou de rester au pouvoir. En effet, depuis le viol de Lucrèce par l’un des fils du roi Tarquin le Superbe, la monarchie est interdite à Rome, et Titus ne peut se marier avec une reine sans subir la colère du peuple.
Cependant, si la fin est malheureuse, c’est la seule tragédie de Racine où le sang ne coule pas.
Il ne se passe presque rien dans la pièce, mais les émotions ressenties sont très fortes ; c’est en partie ce qui a attiré l’attention du metteur en scène. L’intime l’intéressait beaucoup, ainsi que le paradoxe du lieu : le cabinet où se déroule la pièce est à la fois un endroit propice aux discussions intimes et un lieu de passage, car il se situe entre l’appartement de Bérénice et celui de Titus.
Au XVIIème siècle, Bérénice fut dite « un succès de larmes ». Conformément à cela, M. Huitorel déclare qu’il souhaite émouvoir le public.
Cette pièce, comme il le fait remarquer, est intemporelle : il y a encore de nos jours des choses qu’on aimerait réaliser malgré leur difficulté, et qui nous amènent à faire des choix, choix qui vont bien souvent provoquer frustration et culpabilité. Parfois, la vie publique prend le pas sur la vie privée, et inversement.
Le metteur en scène apprécie cette pérennité des pièces classiques, et la force qu’elles transmettent. Il aime également le fait qu’elles racontent des histoires complètes, de la scène d’exposition jusqu’au dénouement, contrairement aux pièces contemporaines qui peuvent n’être que de simples scénettes. « Avec le théâtre classique, on est dans la couleur des choses », affirme-t-il.
Quant au genre, il n’a pas de préférence, et monte des tragédies comme des comédies. Selon lui, le plus important reste le style de l’écriture.
M. Huitorel n’a jamais écrit pour le théâtre : « Peut-être un jour, je ne sais pas. »
Il a commencé sa carrière comme comédien dans une troupe d’amateurs, dans des théâtres obscurs puis dans de grands théâtres, et joue encore aujourd’hui. Il a poursuivi ses études au conservatoire de Rennes, puis dans une grande école.
Il vit maintenant de son métier de metteur en scène. C’est une grande responsabilité que de réunir les fonds pour monter le spectacle, choisir des comédiens, travailler sur la pièce elle-même…
Un spectacle coûte très cher, entre les comédiens à rémunérer, les costumes et décors à concevoir… C’est la partie la plus longue, qui peut prendre entre un an et demi et deux ans. C’est pourquoi M. Huitorel ne s’engage jamais dans un projet sans avoir réuni les moyens de le financer… et la réputation d’un metteur en scène aide alors à susciter la confiance d’un théâtre.
Ainsi, les places de spectacles pourraient coûter bien plus cher si les théâtres n’étaient pas financés par la mairie, le département ou la région, voire l’État.
Le metteur en scène doit ensuite compter six mois environ pour réaliser une synthèse du projet, et deux de plus pour le travail du jeu avec les comédiens. Il aime la mécanique, la dynamique d’une mise en scène. Il y a des moments de doute, de peur, mais d’autres merveilleux, lorsque le public assiste à la représentation et applaudit…
Pour choisir ses comédiens, M. Huitorel a deux possibilités : il peut contacter un comédien avec lequel il a déjà travaillé, ou bien passer des auditions. Celles-ci se déroulent sur trois rencontres entre le metteur en scène et le postulant. Une première pour le « feeling » ; une deuxième pour tester l’appréhension de la pièce par le comédien, et son expérience des alexandrins (il doit lire à voix haute) ; pour finir, une séance pendant laquelle un comédien déjà sélectionné joue avec le postulant.
Pour cette pièce, le metteur en scène a vu six « Bérénice » avant de trouver la bonne.
Si c’est la première fois qu’il met en scène une pièce de Racine, M. Huitorel connaît bien les alexandrins, qui sont l’une des clés de la pièce. L’un de ses objectifs principaux est de rendre la langue limpide pour les spectateurs. Racine écrivait d’abord en prose avant d’opérer la versification. La pièce est entièrement rédigée en alexandrins, et c’est la manière dont on va les prononcer qui va leur rendre leur simplicité et surtout leur clarté. Les ponctuations aident à comprendre le sens du texte, mais elles peuvent changer selon les éditions.
« Se libérer de la forme en alexandrins demande un travail à la fois immense et passionnant. Il faut bien intégrer le texte, savoir le réciter en faisant autre chose. » M. Huitorel, s’il aime l’improvisation, s’en méfie et la refuse. « Très modestement, déclare-t-il, je me sens comme un passeur. »
À une question posée, il répond qu’il ne pense pas tout le temps à Bérénice, que ce ne serait pas bien.
« Le propre des chefs-d’œuvre est qu’on ne peut en faire le tour, on découvre toujours quelque chose. Il y a une telle richesse dans Bérénice ! »
M. Huitorel peut décider de son rythme de travail. Il réunit une équipe dont il attend qu’elle le suive, se décrit lui-même comme « le capitaine d’un bateau ». Et pour que ce bateau avance sereinement, il fait en sorte de travailler avec des personnes avec lesquelles il s’entend bien. Sachant ce qu’il ne souhaite pas, il accepte toutes les bonnes propositions.
Les comédiens travaillent dans la bonne humeur, et ont pour but de donner du plaisir aux spectateurs.
Par Marie Semin, Elève de seconde 4.