Alain Boyer, Chose promise. Etude sur la promesse à partir de Hobbes et de quelques autres, Puf, 2014, lu par Jonathan Racine

Alain Boyer, Chose promise. Etude sur la promesse à partir de Hobbes et de quelques autres, Puf, 2014. 

Qu’en est-il du respect des pactes ? Qu’est-ce qui conduit les hommes à respecter leurs promesses ?

            La thèse que l’auteur défend dans cet ouvrage est clairement présentée dès l’introduction : « la promesse et ses avatars sont au cœur du lien social. Le secret de la culture ». Le principe selon lequel les pactes doivent être respectés pourrait bien être « le principium principiorum de la société des hommes » (p. 28)

            La thèse qu'Alain Boyer défend dans cet ouvrage, Chose promise. Etude sur la promesse à partir de Hobbes et de quelques autres, est clairement présentée dès l’introduction : « la promesse et ses avatars sont au cœur du lien social. Le secret de la culture ». Le principe selon lequel les pactes doivent être respectés pourrait bien être « le principium principiorum de la société des hommes » (p. 28)

            Quant à la façon dont elle sera exposée, le titre nous indique la réponse : la discussion est menée à partir de la figure centrale de Hobbes, des difficultés intrinsèques de son argumentation, ou des objections qu’elle peut susciter chez tel ou tel auteur.

  •  La première partie est essentiellement consacrée à la thèse de Hobbes selon laquelle les hommes doivent logiquement sortir de l’état de nature pour contracter – mais sont-ils ensuite tenus de respecter ce contrat ? Cela semble évident, et pourtant, c’est le point de départ d’un problème crucial. Il s’agit ainsi pour l’auteur d’examiner cette thèse dans le moindre détail : quel est l’état de nature dont nous parlons ? Admet-il des formes d’association élémentaire ? Cela permet de soulever un certain nombre d’objections, et notamment celle que constituerait un insensé qui affirmerait : ‘l’obligation de respecter les pactes n’existe pas’ (ou du moins je ne m’y sens pas tenu).
Cette objection est approfondie à travers plusieurs figures et situations. Au chapitre 3, l’auteur examine ce qu’il nomme l’hypothèse César (chapitre 3) ; aux chapitres 4 et 5, c’est ‘l’hypothèse Machiavel’ qui est discutée (le prince peut-il ne pas respecter ses promesses ? Peut-on appeler cela de la vertu, en quelque sens que ce soit ?) ; et au chapitre 6, il se penche sur la situation des promesses faites aux brigands : celles-ci nous engagent-elles ? C’est principalement Montaigne qui est ici discuté. Les chapitres 7 et 8 reviennent, en conclusion de la première partie, sur la structure de l’argument de Hobbes.
  •   La deuxième partie s’ouvre sur l’intérêt d’utiliser la théorie des jeux et plus particulièrement le dilemme du prisonnier pour décrire l’état de nature hobbesien (chapitre 9). Comment, par essais et erreurs lors d’une suite de situations du type ‘dilemme du prisonnier’, les hommes en viennent-ils à intérioriser le principe que les serments doivent être respectés ? Tel est l’objet du chapitre 10, que prolongera le chapitre 12 sur « l’invention de la promesse ». Le chapitre 11 examine la discussion, par Locke et Rousseau, du risque tyrannique que représente le souverain hobbesien. Les chapitres 13 et 14 abordent la question du resquillage et des tricheurs : la perspective n’est pas exactement la même que dans la première partie, lorsqu’il s’agissait de se confronter à ‘l’hypothèse Machiavel’ par exemple, dans la mesure où on prend en compte l’importance du passage à de grands nombres – ce que Hume aurait été le premier à mettre en évidence (p. 256). Alors que le chapitre 13 est en grande partie consacré aux objections que Hume soulève à l’égard de Hobbes, et à sa généalogie de la société, le chapitre 14 revient à Rousseau et au problème d’une volonté particulière qui se démarquerait de la volonté générale. Cette seconde partie se conclut sur une référence à l’Essai sur le don, en vue de tester l’hypothèse générale de l’ouvrage, concernant l’importance du respect des pactes dans l’histoire humaine. Certes, il est tentant d’insister sur les différences entre les pratiques décrites par Mauss, et notamment le potlatch, et une perspective contractualiste guidée par l’intérêt individuel ; mais l’auteur met au jour une interprétation ‘hobbesienne’ plausible, permettant de conforter l’hypothèse selon laquelle c’est le PSS (pacta sunt servanda), plus que le don, qui est au principe des sociétés humaines.

 

  •             La troisième et dernière partie, « la confiance et le sacré », aborde la question de la religion, dans la mesure où « garantir le PSS » a été une de ses grandes fonctions. Le chapitre 16 défend l’idée que ce n’est pas le serment qui est à l’origine de la promesse, mais l’inverse (p. 303), et qu’il intervient avant tout comme « solennisation et fortification des pactes » (p. 308). Les chapitres suivants (17 à 19) se penchent respectivement sur le sacrifice, le bouc émissaire et le rachat de l’humanité par le sacrifice du Christ, et travaillent à intégrer ces notions – qui semblent bien loin de la notion de pacte ou de promesse – dans l’hypothèse générale de l’auteur. L’idée est que le religieux est « un ensemble de pratiques d’alliances et de négociations » (p. 359). Autrement dit, « le modèle du pacte avec les dieux » apparaît « très important pour comprendre le religieux, et il présuppose le PSS » (p. 360).

 

L’auteur ne semble pas avoir pour projet d’élaborer progressivement sa thèse : comme on l’a noté, cette thèse – relativement simple dans sa formulation – est affirmée d’emblée, et l’ouvrage se construit en tournant autour de celle-ci, si j’ose dire, en approfondissant la lecture des textes, en particulier ceux de Hobbes. Telle est du moins notre impression, car la structure ne nous a pas semblé toujours très claire (par exemple, pourquoi le contenu du chapitre 7, qui expose la théorie de Hobbes dans ce qu’elle peut avoir de mieux connu, est-il séparé de la première étape de la discussion que constituent les chapitres 1 et 2 ?).

Concernant ces analyses de détail, le lecteur ne peut qu’admirer la minutie de l’auteur à ‘décortiquer’ la structure des arguments et la précision avec laquelle il formule ses objections.

Néanmoins, certains trouveront peut-être la lecture de cet ouvrage quelque peu ardue : outre une structure qui n’est pas complètement évidente, le style d’écriture me semble une faiblesse de cet ouvrage. En effet, l’auteur juge utile de multiplier les sigles d’une façon peut-être parfois exagérée. Ainsi, outre le PSS qui concentre la thèse, on voit intervenir, par exemple p. 148, l’ENA (état de nature atomique), l’ENM (état de nature moléculaire), l’ESP et l’EPO ; auxquels s’ajouteront la GTT (guerre de tous contre tous), la DP, la CM, la CU, la DM, la DU, la LI, la LIT, la LIL… En outre, les très nombreuses notes ont tendance à être plus amples que le texte principal. Celles-ci témoignent d’une érudition souvent impressionnante (et de nombreux lecteurs en feront certainement leur miel !), mais elles peuvent aussi apparaître, par leur caractère digressif, comme un obstacle à une lecture fluide des analyses proposées.