Georges Bataille, D’un monde à l’autre, Critique, Janvier-Février 2013, Tome LXIX-N°788-789, lu par Astrid Silvan

Georges Bataille, d’un monde à l’autre, Critique, Janvier-Février 2013, Tome LXIX-N°788-789.

Un numéro de la revue Critique qui veut rappeler les apports de Bataille, ses amitiés si particulières, de Caillois à Leiris, la portée de sa pensée en Russie, en Allemagne, dans le monde anglo-saxon, en Italie, son héritage.Ce qui caractérise cet ouvrage est la part importante qu’il octroie à la réflexion sur le sacré.

 

  1. Le sacré et l’émergence du totalitarisme :

La première  analyse met ainsi en relation le sacré et l’émergence du totalitarisme.  Ce dernier ne serait-il pas en quelque sorte une nouvelle forme de religion ? N’en appelle-t-on pas au sacrifice de l’individu? Ne retrouve-t-on pas  certaines caractéristiques des rites sacrificiels ? Quel rôle donner à ce niveau à l’art, à l’image ? C’est alors que se joue une certaine ambiguïté manifeste dans les articles qui s’interrogent sur l’attitude du Collège « Face au nazisme ». La « colère oubliée » laisse place à une fascination que l’on retrouve dans l’article intitulé  « Caillois  la mort aux trousses». Le sacrifice de soi doit chez lui conduire à la communion qui est à l’origine d’une communauté élective, sélective, inquiétante.  Quant à la guerre, elle est synonyme de jeu, de dépense, de transgression. Elle donne le vertige. Elle permettrait aussi la reconnaissance d’êtres supérieurs, de laisser le champ libre aux plus aptes. Mais comment soutenir un tel discours après la guerre sans reconstruire une mythologie ? Comment faire pour que la société ne  tende pas vers sa mort, sa dislocation ? Est-ce seulement possible ?

 

  1. La société et le sacré :

Il convient alors de s’interroger sur le rapport que peut entretenir la société au sacré et à ce qui est religieux et c’est pour cette raison que « les jésuites au Collège » trouvent leur place. La conférence du 19 mars 1938 veut rappeler qu’il est temps de s’interroger sur ce qu’il peut advenir de sociétés ayant connu des révolutions anéantissant le monde religieux qui leur assurait leur fondement.

L’urgence est ainsi de « penser au moment du danger ». A quoi tient-il ? A « ce mensonge politique qui dispense des arguments rationnels pour donner à comprendre une logique purement irrationnelle : la destruction prochaine des peuples. » La société moderne est à rapprocher de celle primitive. Ainsi elle fabrique ses mythes. Le mythe devient la fiction capable de provoquer l’émotion collective. Comment alors ne pas penser au rôle de l’image dans le fascisme, le nazisme et ne pas comprendre les réflexions de Benjamin sur l’orientation des recherches de membres du Collège de sociologie ?

Si « les traces sont des présages » il faudrait les interroger alors même qu’un monde s’effondre.

C’est à cette fin que sont reproduites certaines lettres de Walter Benjamin, d’Edith Boissonnas rappelant toute l’ambiguïté de « constructions fallacieuses » et malgré tout, la fascination provoquée. Ainsi Leiris peut-il affirmer que « le mal est une manière de se divertir. »


  1. Bataille dans le monde :

« Georges Bataille au Japon » représente encore toute cette ambigüité, de celle qui a pu nourrir Mishima aux recherches menées sur ce que peut produire la fin de toute certitude et ce qui peut attendre une société désacralisée.

« George Bataille en Russie » présente celui qui fut tout d’abord un indésirable,  paradoxalement à cause de son amour de la révolution, avant de donner  naissance à une anthropologie analytique et à des recherches sur ce qui sépare le désir chez l’homme de l’animal, sur le caractère ambigu de la violence qui peut œuvrer pour instaurer autre chose. Ainsi l’interrogation peut se porter sur les conséquences d’une telle pensée. Sans doute est-ce la fin d’une « hétérologie de la réception » concernant « Bataille en Allemagne »

Quant au « champs de Bataille dans le monde anglo-saxon », il correspond à un recensement des problèmes ouverts par la pensée de Bataille. A quoi conduit notamment une éthique en l’absence de dieu ? Que peut-il advenir de la souveraineté d’un peuple ? Qu’est-ce que cette « fraternité virile » à laquelle on peut en appeler ? Que penser de cette esthétisation de la politique qui confère à certaines valeurs une dimension sacrée ?

Quant à l’avenir de « Bataille en Italie », des recherches sont menées sur ce qu’il peut y avoir d’indicible, d’impossible dans la communication, l’expression de ce qu’Heidegger aurait appelé le Dasein.

Finalement c’est toute l’ambiguïté d’une œuvre et d’un Collège qui est dans le numéro de cette revue mise à jour. Comme le signifie très bien Dominic Marion : comment être relativement «  à une écriture qui avance des notions qui se dévaluent à même leur formation ? » Comment aussi ne pas s’interroger sur une telle œuvre collective alors même qu’en observant le monde, on peut s’interroger sur ce qui relie encore les hommes, sur ce qui peut leur être commun.


Astrid Silvan