a. Le roi Arthur
Des sources littéraires
Il a peut-être existé, au VIe siècle, un chef de guerre breton se nommant Arthur qui aurait repoussé les Saxons ; quelques textes historiques mentionnent son nom. Mais sa fortune littéraire commence au XIIe siècle avec le récit latin de Geoffroy DE MONMOUTH : Histoire des Rois de Bretagne (vers 1135) puis avec l'adaptation française qu'en donne WACE dans le Roman de Brut (1), quelques années plus tard (vers 1155).
Chrétien DE TROYES (XIIe siècle) est le plus célèbre romancier français du Moyen Âge. Dans les quelques romans de lui qui nous sont parvenus, il donne à Arthur une rôle particulier. Il est toujours présent, il donne des missions à ses chevaliers, il n'agit jamais, mais il est indispensable. Il est en fait le pilier central du monde de la chevalerie autour duquel tout s'agite.
Ensuite au XIIIe siècle, on attribue partiellement à Robert de BORON et Gautier MAP une longue série de romans en prose (que les spécialistes nomment le Lancelot Graal) parmi lesquels se trouvent par exemple Merlin, Lancelot ou La Mort du Roi Arthur. À eux tous, ils parcourent l'ensemble de la légende arthurienne.
Par conséquent, les emprunts à des textes vaguement historiques ainsi que les apports de la tradition orale donnent vite à ce personnage une importance exceptionnelle en faisant de lui un puissant roi.
Naissance d'une légende
Les événements qui précèdent la naissance d'Arthur ont une dimension surnaturelle presque mythologique. Le Roi Uther (ou Uter) Pendragon est amoureux d'Ygerne, la femme de son ennemi Gorlois le duc de Cornouailles. Il demande l'aide de Merlin pour assouvir sa passion. Le magicien lui donne l'apparence souhaitée, ainsi, la femme trompée croit passer la nuit avec son mari. "Cette nuit-là, elle conçut Arthur le plus illustre des hommes, qui par la suite allait acquérir une grande renommée grâce à sa prouesse" (Histoire des Rois de Bretagne, traduction de Emmanuèle BAUMGARTNER et Ian SHORT). Cet artifice rappelle celui de Zeus qui se rend auprès de la belle Alcmène sous l'apparence de son mari Amphitryon. De cette union naîtra le plus fort des demi-dieux Héraclès/Hercule. On voit comment les auteurs préparent la venue d'un personnage au destin sans pareil. Dans la version de MONMOUTH, Arthur succède naturellement à son père après sa mort. Pour avoir le portrait détaillé du héros, lisez : Le portrait du Roi Arthur dans Le Roman de Brut
Au XVIIe siècle Henry PURCELL (1659-1695) compose même un opéra, King Arthur (1691), assez éloigné des versions romanesques. On y présente les amours du Roi pour Emmeline. Écoutez la "scène du froid" l'un des passages les plus connus (Acte III) dans lequel Cupidon, le dieu de l'amour, éveille le Génie du Froid, qui est l'Esprit de l'Hiver :
Il existe plusieurs exemples de morceaux de musique reprenant la légende arthurienne. On peut citer l'exemple de la trilogie Excalibur (à partir de 1998) un immense projet d'opéra rock celtique porté par Alan SIMON. Le musicien a fait appel à des sommités comme Tri Yann, Roger Hodgson (de Supertramp), Dan Ar Braz, l'Orchestre symphonique de Prague pour récréer sur scène et en studio l'épopée bretonne. Vous y entendrez les instruments modernes (guitare électrique, synthétiseurs...), traditionnels (cornemuse, bouzouki(2)...) mêlés aux instruments symphoniques (violon, orgue) des mélodies ancestrales et des envolées plus . Les textes des chansons racontent les grand moments : "Pour l'amour de la Reine" interprétée par Tri Yann reprend la guerre menée par Uther afin de conquérir l'amour d'Igrene, The Elements chanté en anglais par Roger Hodgson évoque le pouvoir d'Excalibur au milieu de la nature... On y entend aussi des morceaux consacrés aux personnages principaux : "Morgane" chanté par Jacqui McSHEE, "The Gest of Gauvain" par FAIRPORT CONVENTION, "La complainte de Perceval" par Gabriel YACOUB ou encore "Mordred" par James WOOD.
Excalibur, l'épée magique : symbole du pouvoir
Dans le roman Merlin attribué à Robert de BORON (XIIe-XIIIe siècle), Arthur ignore d'abord ses origines. Il est élevé par Antor, comme simple écuyer jusqu'à ce qu'il retire l'épée de la pierre dans un épisode resté célèbre.
Découvrez ce passage : Arthur retire l'épée dans la roche, extrait de Merlin de Robert de BORON
Seul vainqueur de l'épreuve, il lui faut tout de même lutter contre les seigneurs jaloux avant d'imposer son règne. Un peu plus tard dans le roman Merlin, on voit Arthur dégainer cette épée : "c'était l'épée qu'il avait prise au perron ; et les lettres qui y étaient inscrites disaient qu'elle s'appelait Escalibor : c'est un nom qui signifie en hébreu : 'Tranche-fer, et acier, et bois'".
Dans d'autres versions il est à noter que l'épée n'est pas magique et ne porte pas de nom particulier. C'est l'épreuve qui est surnaturelle dans le but de désigner le nouveau roi. L'épée magique qu'on nomme Excalibur, Caliburn et en gallois Caledwlch, n'intervient que plus tard. Selon les romans, on la présente comme une arme ancienne forgée par des moyens merveilleux dans un lieu extraordinaire. Thomas MALORY (XVe s.) dans Le Morte d'Arthur (premier livre, chapitre XXV), une version très appréciée en Grande Bretagne, raconte comment Merlin aide Arthur à se procurer une nouvelle épée : Arthur reçoit Excalibur de la Dame du Lac.
Cette scène emblématique montre à la fois le motif de la promesse contraignante, mais elle illustre aussi le merveilleux médiéval. Elle sera magistralement portée à l'écran dans le film Excalibur (1981) de John BOORMAN et magnifiée par les choix musicaux.
Un accessoire souvent oublié est le fourreau qui accompagne l'épée. Merlin affirme qu'il "vaut dix épées comme celle-ci. Tant que vous l'aurez sur vous, vous ne verserez nulle goutte de sang ni ne serez gravement blessé" (premier livre, chapitre XXV). Plus tard Morgane s'empare du fourreau et le jette dans un lac (quatrième livre, chapitre XV). C'est aussi dans un lac que l'épée devra retourner à la fin du récit, même si on voit qu'il est difficile pour le chevalier envoyé par Arthur de s'en séparer.
Les armes magiques qui portent des noms appartiennent à une très ancienne tradition. On trouve déjà chez MONMOUTH la mention suivante concernant les armes d'Arthur :
Arthur lui-même revêtit une cuirasse digne d'un grand roi comme lui ; sur sa tête il mit un casque doré orné d'une décoration gravée en forme de dragon, et à son épaule une targe [=bouclier] connue sous le nom de Pridwen sur laquelle il y avait une image peinte de la Vierge Marie [...] ; il ceignit son excellente épée, nommée Caliburn, forgée en Avalon ; sa main droite s'orna d'une lance qui s'appelait Ron : lance haut dressée, au tranchant large, elle convenait au grand carnage"(Histoire des Rois de Bretagne, traduction de Emmanuèle BAUMGARTNER et Ian SHORT).
Terence Hanbury WHITE (1906-1964) avec La Quête du roi Arthur(3) relate de façon très originale et humoristique la légende arthurienne et la transpose au XIIe siècle. Le premier volume intitulé Excalibur, l'épée dans la pierre (1938), raconte les premiers jours du futur roi Arthur. C'est alors un jeune garçon que l'on surnomme avec mépris "La Verrue" élevé par Messire Auctor avec son fils Keu. Pour le héros, Merlin est un précepteur, une sorte de professeur qui raconte des histoires étranges mais riches d'enseignements. Les aventures insolites d'Arthur, comme ses rencontres avec Robin des bois et Marianne, ses transformations en divers animaux (poisson, oiseau, fourmi et blaireau), constituent surtout un apprentissage :
"L'éducation c'est l'expérience, et l'essence de l'expérience, c'est l'indépendance", explique le magicien lorsqu'il le change une première fois en poisson (chapitre V).
En effet, celui qui règne sur tout un peuple doit connaître avec précision la condition de tous les êtres, même les plus faibles et inhabituels ; il doit tirer des enseignements de tous ceux qui l'entourent.
A la fin du roman, lorsque meurt le roi Uter Pendragon, l'épée apparaît, plantée dans une enclume, devant une église. Une inscription dit ce ceci : "Qui tirera cette épée de cette pierre et de cette enclume est bien né pour régner sur toute l'Angleterre" (chapitre XXII). C'est grâce aux conseils de animaux qu'il a rencontrés qu'il parvient au bout de la troisième fois à retirer l'épée (chapitre XXIII).
C'est donc ce roman qui est à son tour adapté par Walt DISNEY dans Merlin L'Enchanteur en 1963 (voir AUTOUR DU HOBBIT 2/3 : Enchanteur, magicien ou sorcier les trois visages d'un personnage emblématique).
La Table Ronde : symbole d'unité
Les conseils de Merlin lui seront toujours d'un grand secours pour gouverner avec sagesse sur les deux Bretagnes : La Grande-Bretagne (Angleterre, Pays de Galles...) et la "petite" Bretagne de France, dans ses trois résidences Carduel, Carleon et Camelot. C'est de la sagesse de Merlin qu'est issue la Table Ronde qu'on trouve dans le château de Camelot.
"C’est pour les nobles preux seigneurs qui l’entouraient et qui tous se croyaient meilleurs les uns que les autres — et l’on aurait eu bien du mal à désigner le pire — qu’Arthur fit la Table ronde, cette table sur laquelle les Bretons racontent tant de fables. C’est là que prenaient place, dans la plus parfaite égalité, les nobles seigneurs. Ils siégeaient autour de la Table dans l’égalité la plus parfaite, et c’est dans la plus parfaite égalité qu’ils étaient servis. Aucun d’eux ne pouvait se vanter d’être mieux placé que son égal : tous siégeaient aux places d’honneur, aucun ne se trouvait relégué à l’écart" (Roman de Brut, traduction de Emmanuèle BAUMGARTNER et Ian SHORT).
Dans Les Premiers Faits du roi Arthur (qui est la suite de Merlin), le magicien conseille à Arthur d'épouser Guenièvre la fille du roi Léodagan de Carmélide qui, "sans les chevaliers de la Table Ronde qui défendent son royaume contre les géants aurait perdu toute sa terre depuis longtemps déjà". Léodagan annonce, pour le mariage "Je lui ferai don de la Table Ronde, qu'Uter Pendragon m'a offerte. Quand elle est entièrement garnie, y prennent place cent cinquante chevaliers" (MALORY, Livre premier, chapitre II). Une fois que la table rejoint son palais, Arthur fait appel à l'archevêque de Cantorbéry qui bénit les sièges. Puis "Merlin sur chacun des sièges grava en lettres d'or le nom du chevalier qui était assis là. Seuls deux sièges restaient vides" (vous saurez pourquoi en lisant l'article SOUS LE HEAUME DES CHEVALIERS 2/4 : La Quête du Graal)
Les versions divergent sur le nombre de chevaliers assis cette table mais on retiendra qu'elle est réservée aux meilleurs d'entre eux. Les compagnons de la Table Ronde se rendent célèbres à de nombreuses reprise en menant des batailles extraordinaires. On peut citer par exemple celle contre le roi Rion et ses géants, particulièrement épique racontée dans Les Premiers Faits du roi Arthur. Une réplique de cette Table Ronde est visible en au Royaume Uni à Winchester, depuis le XIVe siècle.
Le cercle, symbole de perfection, montre aussi comment cette cour idéale rayonne sur le monde. C'est autour de cette table que sont prises les grandes décisions, c'est de là que partent les chevaliers pour leurs aventures, c'est là qu'ils reviennent les raconter, c'est là qu'on assiste parfois à des grands événements durant le règne du roi Arthur. Pour autant, malgré ses qualités, Arthur se crée des ennemis intimes qui lui conduiront à mourir.
La mort du roi Arthur : la fin des temps chevaleresques
Nous connaissons deux romans qui portent ce titre tragique. L'un est anonyme et clôt le cycle attribué à Robert DE BORON, l'autre est celui de Thomas MALORY. Tous deux nous racontent la dernière bataille qui signe la fin des temps chevaleresques. Les auteurs s'accordent à présenter Mordret (ou Medraut) comme un personnage ambitieux et manipulateur. Les opinions diffèrent sur ses origines. Parfois on le présente comme le neveu d'Arthur, parfois comme son fils incestueux. Le roman Les Premiers Faits du roi Arthur, (qui est la suite de Merlin) avait choisi la seconde option : même s'il ignore l'identité de cette belle femme, "C'est ainsi qu'Arthur coucha avec sa sœur" et "c'est ainsi que Mordret fut engendré" (traduction Anne BERTHELOT et Philippe WALTER).
Des années plus tard, Mordret cherche à s'emparer du royaume et de Guenièvre. Par sa faute, ce qui restait des plus grands chevaliers disparaît. Selon les versions plus tardives de la légende, c'est Mordret, avant de mourir lui-même, qui blesse mortellement Arthur lors de la bataille de Salesbières : "C'est ainsi que le père tua le fils, que le fils blessa mortellement le père".
"Comment Mordred fut tué par Arthur" par Arthur Rackham - The Camelot Project http://www.lib.rochester.edu/camelot/images/arm&a.htm. Licensed under Public Domain via Commons.
WACE nous disait déjà : "Arthur, si l'histoire est véridique fut mortellement blessé au corps et se fit porter en Avalon(4) pour y soigner ses plaies. Il y est encore et les Bretons l'attendent, ainsi qu'ils le disent et l'espèrent. C'est de là qu'il reviendra, il se peut qu'il soit encore vivant", Nous sommes alors "en l'année cinq cent quarante deux après l'Incarnation". Mais les auteurs plus tardifs précisent que sur le bateau qui emmène Arthur, se trouvent plusieurs femmes dont Morgane la Fée (ou Morgain) et Viviane la Dame du Lac. Ce récit marque le crépuscule des temps aventureux et voit s'effondrer un univers héroïque. Toutefois, cette fin en demi-teinte est un des meilleurs moyens d'entretenir la légende et de donner l'espoir à ceux qui en besoin, pour tous les vaillants chevaliers qui cherchent à défendre des causes.
Vous découvrirez ensuite les multiples visages des héros du Moyen Âge dans SOUS LE HEAUME DES CHEVALIERS 1/4 : Des héros de légende, b. le meilleur chevalier du monde.
Le mois prochain, vous lirez BAS LES MASQUES, l'art de la dissimulation...
NOTES :
1 : Dans ce récit, Brut serait le héros Troyen dont descendent les Bretons, comme Énée est l'ancêtre des Romains dans l'Enéide VIRGILE.
2 : Le bouzouki est un instrument à cordes pincées de la famille du luth et de la guitare, très répandu en Grèce.
3 : Une tardive traduction française de The Once and Future King. Ce titre repose sur une citation tirée du roman de MALORY, livre 21, chapitre VII. Sur la tombe du roi on lit une citation latine Hic jacet Arthurus Rex, quondam Rexque Futurus : ci-gît le Roi Arthur qui fut Roi et le sera, (traduction de Pierre Goubert).
4 : Avalon - en gallois Ynys Avallach - est l'Île des Pommes, un lieu bienheureux, une sorte de paradis terrestre de la mythologie celtique, voir LE POINT SUR LES ÎLES 1/4 : L'île des mystères.
N. THIMON