Pouvez-vous nous définir précisément votre métier et vos activités ?

 

Je suis avant tout libraire spécialisé en science-fiction, fantasy et fantastique, et ce depuis 2004. Scylla vend du neuf et de l’occasion en romans, nouvelles et un peu de BD (environ 10 % de mon offre aujourd’hui). J’y travaille tout seul.

 

 

 

 

 

Ensuite, depuis presque 10 ans, je participe à l’activité d’une petite structure à but non lucratif : les éditions Dystopia(1). Je m’y occupe du choix des textes, de la coordination des différents intervenants en amont (auteur, traducteur, illustrateur, correcteur, maquettiste, imprimeur…), mais aussi, une fois que le livre existe, de sa diffusion (le placement dans les librairies de notre petit réseau) et sa distribution (la logistique et la comptabilité : l’envoi des livres, la facturation, le suivi des règlements, etc.).

 

 

Affiche Dystopia réalisée par Stéphane Perger

Affiche Dystopia réalisée par Stéphane Perger

 

 

Aujourd’hui nous sommes quatre à investir du temps dans Dystopia : Laurence Jonard, Olivier Tréneules, Anaïs Vilcocq et moi-même. Tous les quatre, nous faisons le choix des textes que nous allons publier, entre 2 et 3 par an. Ils m’aident aussi sur la partie administrative.

 

Et enfin, depuis 6 ans, j’interviens en tant que formateur sur les littératures de l’imaginaire à l’Institut National de Formation de la Librairie (INFL). J’y donne des cours à une centaine d’apprentis libraires qui sont tous en alternance et qui suivent un BP, CAP ou Licence pro.

J’interviens aussi dans les bibliothèques avec ces formations ou des conférences sur le genre.

 

Donc, je vends des livres, j’en publie et je forme d’autres libraires et bibliothécaires à (mieux) vendre et défendre cette littérature.

 

Quelles sont les études, ou la formation, requises pour y parvenir ?

 

Aucune pour ma part. Je n’ai pas suivi la très bonne formation de l’INFL qui allie la théorie une semaine par mois et la pratique le reste du temps en librairie (rythme sur 2 ans du Brevet Professionnel).

Libraire n’est pas un métier compliqué. En revanche, il faut une certaine culture pour être pertinent. Donc avoir beaucoup lu, lire, et lire encore…

 

Combien de temps y consacrez-vous/quels sont vos horaires ?

 

Pour Scylla, comme c’est une librairie spécialisée, je peux me permettre des plages d’ouverture atypiques. Aujourd’hui, j’ouvre le jeudi et le vendredi de 12 h à 20 h et le samedi de 10 h à 20 h non-stop. Quand on ajoute le travail sur le stock d’occasions, la rédaction des billets qui nourrissent le blog de la librairie, un peu de compta (tout ça réalisé en dehors des heures d’ouverture), ça représente entre 35 h et 40 h par semaine.

 

Pour Dystopia, j’y consacre le reste de la semaine et souvent les matinées avant d’ouvrir, donc entre 20 h et 30 h hebdomadaires de plus.

 

Pour l’INFL, en 2018/2019, j’ai donné un peu plus de 110 heures de cours. L’administration prend en compte mes contraintes et fixe ces interventions sur les lundis, mardis et mercredis. 

 

J’essaie autant que possible de conserver le dimanche de repos, même s’il y a toujours quelques urgences à régler, et une fois par mois, j’anime un club de lecture avec une demi-douzaine d’habitués de la librairie.

 

Quelles sont les principales contraintes selon vous ?

 

Pas assez de temps pour tout faire !

Ces dernières années, moins de temps pour lire. Ce que j’essaie de contrebalancer en fermant la librairie aux périodes les plus creuses et en continuant à travailler uniquement avec le site internet. En 2019, ça représente 3 semaines de bascule en librairie virtuelle en mai ainsi qu’en juillet et en août.

Là encore, je peux me permettre ce rythme de par ma spécialité et du fait que je vende des livres d’occasion (ils dégagent plus de marge que le livre neuf sur lequel un libraire gagne entre 30 et 40 % du prix de vente public). Beaucoup sont épuisés et permettent de toucher un autre type de clients : les collectionneurs.

 

 

 

 

Ensuite, la seconde contrainte principale, c’est d’arriver à vivre avec un salaire qui ne dépasse pas 1 000 € net (après impôts) et qui ne tombe pas forcément tous les mois ou juste régulièrement. Je me suis organisé bien avant d’ouvrir Scylla pour avoir le moins de besoins possible. J’ai pu très vite acheter mon studio par exemple avec mon premier emploi (j’étais commercial dans la photographie professionnelle pendant 5 ans puis j’ai fait de l’intérim), je n’ai pas de voiture. Rien qu’en supprimant le poste loyer et le poste achat, assurance et essence d’une voiture, ça allège bien les charges.

 

Comment voyez-vous le livre audio ou le livre numérique ?

 

En tant que lecteur, je ne pratique ni l’un ni l’autre, mais je n’ai vraiment rien contre.

En tant qu’éditeur, le livre numérique est un excellent nouveau vecteur pour l’œuvre. Il ne coûte rien à envoyer à son client, n’est jamais épuisé et possède une souplesse d’utilisation que n’offre pas le livre papier.

 

Le pass Culture(2) a-t-il une incidence sur vos activités ?

 

Absolument aucune. Certainement, une fois de plus, à cause de ma spécialité.

 

Quels sont les principaux métiers associés à votre profession ?

 

L’édition bien entendu. La diffusion et la distribution aussi. Et donc les livreurs et coursiers qui permettent aux livres d’arriver en libraire.

 

Mais avant tout, les auteurs. Sans eux, rien à vendre. Corollaires, tous les métiers de création périphériques qui sont de plus en plus malmenés : la traduction, la correction, la maquette, l’illustration… Sans oublier les imprimeurs qui, en France, déposent le bilan à une vitesse effrayante.

 

 

 

 

Ensuite, du côté des prescripteurs, les journalistes, blogueurs, bibliothécaires permettent de faire connaître le livre, de lui faire toucher son public.

 

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui voudrait faire ce métier ?

 

Pour libraire, lire, énormément, être curieux, savoir se spécialiser, avoir un domaine dans lequel on est particulièrement bon, à l’aise et un jour reconnu.

 

 

 

 

Pour éditeur, passer par la case libraire pour comprendre le marché et la chaine du livre.

 

Pouvez-vous raconter un bon souvenir ? Et un mauvais ?

 

Le bon, ça va être difficile, il y en a tellement… Allez : le tout premier samedi d’ouverture de la librairie Scylla, vers 11 h, un client rentre, on discute et je lui demande s’il vient de loin. Il me répond : « non, non, de Rouen ». 150 km et 2 heures de voiture quand même…

 

Le mauvais, plus simple à trouver malheureusement : la mort de Jacques Mucchielli. La perte a été triple : j’ai perdu un ami, un auteur avec qui je commençais à travailler avec Dystopia et un habitué de la librairie. Il est mort brutalement en 2011. C’était quelqu’un qui se liait très facilement, les semaines et les mois qui ont suivi son décès ont été très durs. Sa disparition a cassé quelque chose dans le Scylla de l’époque. C’était la même perte pour le noyau d’habitués de la librairie : on a tous perdu un ami, un auteur qui n’était qu’au tout début de ce qu’il avait à dire, quelqu’un qu’on aimait retrouver tous les samedis ou aux rencontres…

Il avait un an de moins que moi.

 

Pour finir, comment vous est venu le goût des lectures de l'imaginaire ? lesquelles avez-vous envie de recommander ?

Ça de Stephen King m’a donné le goût de la lecture vers 16 ans. Grâce à ce livre, je suis passé de non-lecteur à lecteur boulimique.

 

 

Sans ce roman et les autres qui ont suivi, Fondation d’Asimov, Dune d’Herbert, Des fleurs pour Algernon de Keyes, Elric de Moorcock, Le Seigneur des anneaux de Tolkien et tant d’autres qui ont suivi, je ne serais jamais devenu libraire. Science-fiction, fantasy et fantastique, tout était déjà là. Ça, c’est un peu mon patient zéro…


 


 

 

Vous aurez de plus amples informations en consultant les liens ci-dessous :

www.scylla.fr

www.dystopia.fr

www.infl.fr

 

Je remercie très chaleureusement Xavier Vernet d'avoir pris le temps de nous présenter ses activités.

 

 

NOTES :

1 : Sur les dystopies  : voir SCIENCE ET FICTION 3/5 : Un futur imparfait

2 : Le pass Culture est une application gratuite, qui révèle et relaie les possibilités culturelles et artistiques accessibles à proximité : voir https://pass.culture.fr/

N. THIMON