De nos jours, on reproche souvent aux locuteurs français d'employer trop de mots anglais, au risque de dénaturer et d'affaiblir notre bonne vieille langue française.  En parallèle de l'étude sur les chevaliers, SOUS LE HEAUME DES CHEVALIERS 3/4 : Chevaliers solitaires, b. L'héritage d'Ivanhoé, on peut observer quelques pages éloquentes de la littérature.

Le roman historique Ivanhoé  (1819) de Walter SCOTT (1771-1832), est d'un précieux secours pour comprendre le lien entre nos deux langues européennes.

L'action se déroule au XIIe siècle, à la fin du règne de Richard Cœur de Lion. Depuis la bataille d'Hastings racontée sur les tapisseries de Bayeux, les seigneurs locaux, descendants des Normands de Guillaume le Conquérant, tyrannisent les Saxons qui sont pourtant natifs des lieux. Toutes sortes de lois viennent tuer leurs libertés et l'un des instruments du pouvoir est le langage.

Lisez : Extrait d'Ivanhoé de W. SCOTT : les lois normandes sur le langage

"la langue franco-normande était la seule en usage; dans les tribunaux, les plaidoyers et les arrêts étaient prononcés dans la même langue ; bref, le franco-normand était la langue de l'honneur, de la chevalerie et même de la justice; tandis que l'anglo-saxon, si mâle et si expressif, était abandonné à l'usage des paysans et des serfs, qui n'en savaient pas d'autre".

Deux serviteurs se plaignent donc des mots qu'on leur impose d'employer :

- Eh bien, reprit Wamba, comment appelez-vous ces animaux grognards, qui courent là-bas sur leurs quatre jambes ?
Des pourceaux, bouffon, des pourceaux, dit Gurth ; le premier idiot venu sait cela.
- Et pourceaux, c'est du bon saxon, dit le railleur. Mais comment appelez-vous la truie, quand elle est écorchée et coupée par quartiers et suspendue par les talons comme un traître ?
Du porc, répondit le pâtre.
[…]
- Oh je puis t'en dire davantage encore, fit Wamba sur le même ton. Vois ce vieux bailly-ox, il continue à porter son nom saxon tant qu'il est sous la garde de serfs et d'esclaves tels que toi; mais il devient beef, c'est-à-dire un fougueux et vaillant Français, quand on le place sous les honorables mâchoires qui doivent le dévorer ; monsieur calf aussi devient monsieur le veau de la même façon; il est Saxon tant qu'il lui faut nos soins et nos peines, et il prend un nom normand aussitôt qu'il devient un objet de régal.

Ce passage met en évidence les liens entre le français et l'anglais, à une époque où c'est le français qui influence l'anglais. On comprend aussi pourquoi il existe deux mots pour désigner le même animal sheep/mutton, snake/serpent, pig/pork, ox/beef... le mot français est toujours le plus soutenu, car il vient de la noblesse d'origine française.

Il est vrai que partout en Europe, mais aussi sur d'autres continents, le français a longtemps eu un parfum de luxe. Bien connaître et maîtriser sa langue n'empêche pas d'accueillir les mots qui viennent d'ailleurs.

N. THIMON