Pouvez-vous définir précisément votre fonction ou votre métier ?
Mon métier ou ma fonction ? Ce n’est pas exactement la même chose. Ma fonction, mon intitulé de poste est directeur de la publication, c’est-à-dire que me reviennent l’ensemble des décisions concernant le choix des ouvrages à publier, des couvertures et de la forme des ouvrages. Je suis donc également l’interlocuteur de tous les autres services, en particulier commercial et marketing. Mais mon métier, c’est essentiellement d’être éditeur, c’est-à-dire considérer les ouvrages que je pense correspondre à la ligne de la maison, travailler avec les auteurs pour qu’ils soient les plus accomplis possibles et enfin, les partager, c’est-à-dire les vendre.
Quelles sont les études ou la formation requises pour y parvenir ?
Il y a des filières de formation mais je ne les connais pas, je suis venu à l’édition par hasard après des études de philo.
Combien de temps y consacrez-vous ? / Quels sont les horaires ?
C’est très fluctuant, car mes activités professionnelles incluent la lecture, les réunions au sein de l’entreprise, les rencontres avec les auteurs et les partenaires, les déplacements dans des événements en France et à l’étranger… Beaucoup de ces moments peuvent avoir lieu en dehors des heures de travail « officielles ». Un éditeur ne cesse jamais vraiment d’être actif, même lire un livre « pour le plaisir » sans perspective de le publier fait partie de son activité, car on apprend de toute lecture et je dirais même, en tant qu’éditeur de fiction, de toute histoire, toute forme narrative, aussi bien le cinéma, les séries télé, la BD que les faits divers de l’actualité.
Quelles sont les principales contraintes selon vous ?
Les auteurs et plus généralement « l’approvisionnement » pour employer un mot un peu vilain. Je veux dire par là, l’éditeur ne fait que publier les ouvrages qu’on lui propose, ou qu’il obtient d’un auteur. Il n’est qu’un intermédiaire. Il ne crée pas lui-même. Et pourtant il est un producteur. On ne propose pas du service mais des objets manufacturés. Si un ouvrage ne marche pas, on a des stocks sur les bras, de la richesse immobilisée et inutilisable.
A l’autre extrême du processus, la diffusion et la librairie : sans elles l’éditeur ne peut pas vendre ses ouvrages. La mauvaise santé économique des canaux de ventes ou leurs réticences à vendre nos ouvrages sont des contraintes majeures !
Quels sont les plaisirs ?
Ce sont surtout des satisfactions intellectuelles et culturelles. La compagnie des œuvres de l’esprit, la chance de participer à l’histoire de la littérature, le soin mis à parfaire l’histoire racontée... J’ai beau représenter la génération des geeks qui a grandi avec les jeux vidéo, l’informatique personnelle etc. et un promoteur décomplexé de la lecture numérique, je suis dans l’âme un partisan d’une certaine conception de l’art et de la culture, peut-être un peu passéiste aux yeux des générations qui me suivent, qui ne se confond pas avec la publicité, la télé-réalité et les medias de masse qui font tout pour nous abrutir et nous manipuler, alors que la culture libère et enrichit l’individu.
Mais ce n’est pas un métier solitaire que l’on ne pratiquerait que dans la compagnie spirituelle des défunts, ce sont aussi beaucoup de rencontres humaines, d’amitiés, de passions partagées et la dimension conviviale et hédoniste y est très présente.
Quels sont les principaux métiers associés à votre profession ?
Je pense que l’ONISEP vous répondra mieux que moi ! Au métier d’éditeur sont rattachées des fonctions techniques :
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correcteur,
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préparateur,
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maquettiste…
et des fonctions plus idéelles, dirais-je, qui consistent à imaginer ce qu’on va faire sans nécessairement les réaliser soi-même. Ce sont les gens qui œuvrent à l’intérieur de la maison, pour produire le contenu et la forme des ouvrages. Et puis les maisons d’édition emploient les services de gens tournés vers l’extérieur, vers les autres branches du commerce du livre ou vers le public :
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commerciaux,
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représentants,
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attachés de presse etc.
Pouvez-vous raconter un bon souvenir ?
J’en ai tant ! En 2002 Bragelonne était encore une toute petite maison, et Légende, le premier roman emblématique de Bragelonne, a reçu le prix Tour Eiffel. J’étais moi-même dans le jury qui rassemblait des gens nombreux et divers, et les voir l’un après l’autre voter pour « mon » livre était un moment exaltant et irréel. Et cela nous a permis de faire venir son auteur, David Gemmell, à Paris, et au-delà de sa dimension professionnelle, ce fut une rencontre d’une importance humaine incomparable.
Un mauvais souvenir ?
Eh bien, le décès de David Gemmell ! Et partant, de tous les auteurs et collègues que nous aimions et qui nous ont quittés au cours des années, car leur mort physique nous prive de la joie de leur présence, mais aussi de leur créativité et de leur regard sur la vie.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui voudrait faire ce métier ?
Approche les gens du métier et écoute ce qu’ils ont à te raconter. Ne te limite pas aux éditeurs, car à tous les étages d’une maison d’édition, dans toutes les branches du commerce du livre, il y a des gens passionnants et éclairants. Lis tout ce que tu peux, le plus possible. Publie ce que tu aimes, mais ce faisant, mesure son potentiel commercial sur le marché existant : se planter commercialement est inévitable mais il faut essayer de le prévoir et de comprendre pourquoi on s’est planté pour le faire le moins souvent possible.
Pouvez-vous présenter deux ou trois ouvrages qui selon vous représentent le mieux votre maison d'édition et votre idée des mondes imaginaires ?
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Légende de David Gemmell : dans un décorum de fantasy, c’est essentiellement un roman sur les valeurs morales et comme toute l’œuvre de Gemmell sur ce que signifie être un héros, sur le champ de bataille et dans la vie de tous les jours.
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Ayesha de Ange : une tragédie romanesque sur fond d’intolérance religieuse et de ségrégation raciale. Et c’est un auteur français !
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Le Nom du Vent de Patrick Rothfuss : la réinvention du roman d’initiation à la magie, avec un charme et une profondeur inégalée.
Merci beaucoup de votre aide.
Merci à vous !
De plus amples informations, d'autres visuels et d'autres histoires vous attendent sur le site officiel : http://bragelonne.fr
Je remercie Stéphane d'avoir pris le temps de répondre, merci également à ses collaborateurs César Bastos, et en particulier, Guillaume Missonnier qui ont rendu possible cet entretien. Les images ont été reproduites avec l'aimable autorisation de Bragelonne.
N. THIMON