Les Calligrammes ou les belles lettres

Guillaume APOLLINAIRE (1880-1918) peut être considéré l'auteur majeur du chaînon manquant entre la poésie et le monde des images avec son recueil de Calligrammes (1918). Ce mélange entre l'écriture et le dessin, entre la calligraphie et les idéogrammes, apporte une pierre supplémentaire à l'édifice de la création artistique.

En voici le texte remis en forme :

Reconnais-toi

Cette adorable personne c'est toi

Sous le grand chapeau canotier

Œil Nez

La bouche

Voici l'ovale de ta figure

Ton cou exquis Voici enfin l'imparfaite image de ton buste adoré vu comme à travers un nuage

Un peu plus bas c'est ton cœur qui bat.

D'une case à l'autre

La bande dessinée aussi s'organise avec l'OuBaPo (Ouvroir de bande dessinée potentielle) sur le modèle de l'OuLiPo vu précédemment. En voici quelques exemples :

99 exercices de style (2006)par l'Américain Matt MADDEN, publié par l'Association  en 2006 et revendiquant en toutes lettres l'appartenance à l'OuBaPo. A partir de la planche n°1 intitulée "Matrice", l'auteur propose des variations répondant à chaque fois à une nouvelle contrainte : uniquement des images, uniquement du texte, changement de point de vue, mêmes postures mais autres personnages, un maximum de détails ou un minimum de détails... Les propositions ne manquent pas.

Les aventures de Michel Swing (coureur automobile) (2006) par Pascal JOUSSELIN et BRÜNO. Des épisodes rassemblés écrits "à quatre mains". Les auteurs alternent la réalisation des pages, sans concertation, tout en s'obligeant à garder de la cohérence. Les auteurs s'ajoutent la contrainte du dé (épisode 41), il faudra faire autant de cases que le décidera le dé à 12 faces ! Sur fond de courses automobiles, de blagues de potaches, d'enquête, les auteurs prennent un plaisir communicatif à raconter les aventures du pilote.

Une affaire de caractères (2014), par François AYROLES est un jeu sur les lettres. Les caractères dans le titre sont tout autant les caractères des personnages que les caractères d'imprimerie. Une affaire de meurtre secoue la petite ville de Bibelosse (comprenez Biblos, en grec, "le livre"). L'enquête menée vous permettra de faire connaissance avec des personnages singuliers : celui qui a le visage de Georges Pérec, les jumeaux dont les bulles doivent être lues ensemble pour avoir du sens, la famille qui emploie des mots dont chaque syllabe contient toujours la même voyelle (soit le E, soit le A, etc). Un jeu de références qui prouve aussi la virtuosité de celui qui écrit.

Coups de pinceaux

Dans le domaine de la peinture, il faut citer le travail de l'Italien Giuseppe  ARCIMBOLDO (1527-1593) et sa représentation des quatre saisons (1573) exposées au Musée du Louvre.

 

L'ensemble a d'abord une dimension politique. Il s'agit d'une œuvre de commande de Maximilien de Habsbourg, qui règne sur l'Empire romain germanique et qui veut remercier l'un de ses électeurs : Auguste de Saxe. Mais c'est son aspect amusant qui nous touche aujourd'hui. On commence avec l'Hiver qui marque le début de l'année jusqu'à l'Automne, un homme d'âge mûr. Les végétaux choisis ont une dimension symbolique, le lierre de l'Hiver est un symbole d'éternité, l'artichaut qui apparaît sur l’Été rappelle l'étendue du règne impérial jusqu'en Méditerranée d'où ce légume vient d'être importé... Mathilde HUET livre une analyse très claire sur le Portail des collections des Musées de France : http://www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/decouvrir/zoom/zoom-arcimboldo.htm.

 

Dans Les ambassadeurs (1533), une huile sur bois, Hans HOLBEIN le Jeune (1497-1543) représente deux diplomates en pied (en entier) : Jean de DINTEVILLE et Georges de SELVE. Tout respire le luxe : les vêtements, le carrelage, les tissus. Autour d'eux, toutes sortes d'objets symboliques ou historiques : le globe terrestre qui affirme que la terre est ronde puisqu'on vient de découvrir l'Amérique ; le luth avec une corde cassée qui représente la fragilité des situations ; le crucifix qui dépasse de la tenture à l'arrière-plan gauche, qui invite à découvrir les sens cachés... Mais ce qui  est le plus marquant c'est la forme étrange au premier plan. Si vous regardez le tableau en vous plaçant à droite et en vous rapprochant (ici vous pouvez simplement tourner votre écran), vous y reconnaîtrez un crâne humain, parfaitement proportionné. Le crâne est un motif récurrent dans la peinture du XVIe siècle, il revient régulièrement rappeler aux hommes qu'ils vont mourir un jour, c'est ce qu'on nomme une "vanité"(1)

Ce procédé visuel est ce qu'on appelle l'anamorphose et qui joue sur les transformations, déformations et reformations des perspectives. La Renaissance est une période de redécouverte des lois de la perspective, utiles en architecture, et réemployées en peinture pour les rendre plus réalistes.

La vanité est reprise par exemple par Charles Allan GILBERT (1873-1929) dans All is vanity (1892) :

 

Cette jeune femme qui s'attache à se rendre belle, qui pense aux biens matériels (bijoux et parfums), fait face à une mort certaine et rien ne pourra l'en libérer.

Les jeux sur les formes vont se retrouver jusque dans le surréalisme, au début du XXe siècle, un mouvement artistique mené par André BRETON (1896-1966) et porté par des peintres comme Salvador DALÍ (1904-1989). Regardez L'image disparaît (1938) Il présente à la fois une femme qui lit (comme chez le peintre flamand VERMEER) et le portrait du peintre espagnol VÉLASQUEZ

De nombreux artistes sont passés maîtres dans l'art de créer des illusions d'optique. Que ce soient des trompe-l’œil ou des effets 3D. Voyez Échappant à la critique (1874) du Catalan Pere BORRELL DEL CASO (1835-1910)...

Pere Borrell del Caso avec Echappant à la critique (1874) :

... ou encore le street art de l'Allemand Edgar MUELLER (plus d'informations sur son site officiel : http://www.metanamorph.com/):

Quant au cinéma, il regorge d'effet visuels, depuis Georges MÉLIÈS (Le voyage dans la Lune) jusqu'à George LUCAS (Star wars), sans oublier James CAMERON (Avatar), A. et L. WACHOWSKI (Matrix) ou Peter JACKSON (Le Seigneur des Anneaux) ainsi que tous les réalisateurs friands d'effets spéciaux. On voit bien comment le 7e art aime manier le trucage et créer l'illusion. Le cinéma offre aussi parfois des occasions de bousculer l'ordre chronologique. Deux films pour public averti jouent sur les codes habituels : Memento (2000) de Christopher NOLAN raconte à rebours l'histoire d'un homme qui n'a pas de mémoire immédiate et qui enquête sur la mort de sa femme. Chaque scène qui suit montre des événements antérieurs, on commence par la fin et on termine par le début. Pulp Fiction (1994, Palme d'or du festival de Cannes, pour public averti) de Quentin TARANTINO est un film chapitré dont les séquences sont présentées dans le désordre. Cette  désorganisation volontaire crée de la confusion tant que l'on n'a pas compris à quoi se livrait le réalisateur. Pensez également au type de colorisation employé, que ce soient des filtres de couleurs ou des noirs et blancs recherchés, les auteurs cherchent à faire de leur film un objet esthétique et original, reconnaissable à son aspect visuel.

N. THIMON

NOTES :

1 : La vanité, ce qui ne vaut rien. Référence à un célèbre livre de l'Ancien Testament :  Qoheleth ou L'Ecclésiaste :

Vanité des vanités, dit Qohéleth, vanité des vanités, tout est vanité. Quel profit y a-t-il pour l’homme de tout le travail qu’il fait sous le soleil ? Un âge s’en va, un autre vient, et la terre subsiste toujours.
Ecclésiaste, Chapitre I, verset 2-4