Pouvez-vous définir précisément votre métier ?
J'ai plusieurs métiers. De formation, je suis chanteuse lyrique, c'est-à-dire chanteuse d'opéra de musique classique, on peut dire cantatrice. Dans le chant classique, il y a le chant baroque et le chant lyrique (les opéras italiens ou Mozart...). Je suis aussi comédienne dans des compagnies locales (comme Théâtre en Stock, à Cergy), où j'enseigne le théâtre, à Menucourt et à Herblay. Je mets également en scène des pièces pour enfants.
Depuis le XIXe siècle et la création de l'opéra italien, il y a plusieurs registres vocaux.
Chez les femmes il y a :
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alto
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mezzo
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mezzo soprano
Ces deux dernières comprennent mezzo léger, mezzo lyrique, mezzo colorature, Ce sont des distinctions d'agilité, de couleur vocale et de répertoire. En tant que mezzo colorature, j'interprète des œuvres de Mozart, Rossini.... La mezzo lyrique fera du grand répertoire italien (Verdi, Puccini...), souvent des rôles de sorcière ou de femme méchante. Selon nos couleurs vocales on nous attribue des rôles particuliers. Cependant, Carmen(1) est un rôle qui peut être chanté par des soprano et par des mezzo.
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soprano : c'est la voix la plus aiguë chez les femmes
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soprano lyrique
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soprano lyrique spinto
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soprano lyrique léger
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soprano colorature
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soprano léger
Chez les hommes, il y a :
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contre-ténor : ils chantent en voix de fausset, comme des femmes
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basse : la voix la plus basse
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baryton : la voix médium
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ténor : la voix haute, avec des nuances ténor léger ; ténor lyrique ; ténor de caractère qui font plutôt des opérettes.
Quelles sont les études ou la formation requises pour y parvenir ?
J'ai commencé très jeune, ce qui n'est pas obligatoire puisque le conservatoire de Paris commence à 18 ans, on peut donc commencer le chant vraiment très tard. J'ai commencé tôt en faisant ce qu'on appelle une chorale pour enfants en musique étude. Le matin j'allais à l'école à Paris et l'après-midi je chantais dans un chœur qui s'appelle la Maîtrise de Radio France. Là, c'était trop soutenu au niveau des horaires de musique, j'avais du mal à suivre, j'ai redoublé ma 3e. Mes parents ont décidé de me changer de chorale et je suis partie à la Maîtrise de Paris, où il y avait un peu moins d'heures de musique. Là, J'ai renconter un chef de chœur que j'ai beaucoup aimé, nous avons fait des tournées un peu partout dans le monde et dans des grandes salles en France, comme l'Opéra Bastille, le Théâtre du Châtelet, Pleyel, etc. C'était une jolie approche de la professionnalisation de mon métier dès le plus jeune âge.
Il y a des gens qui commencent le chant tardivement, auprès d'un professeur particulier. C'est bien d'avoir fait de la musique pour connaître le solfège. On peut aussi rentrer des conservatoires (c'est moins cher) sur audition, on y prend des cours de solfège, de chorale et de chant.
Combien de temps y consacrez-vous ?
Pour un bon entretien de la technique vocale (le chanteur est comme est instrument. si le trompettiste ne prend sa trompette tous les jours, il se démuscle les lèvres, il aura du mal à faire le son qu'il veut) Pour le chant c'est pareil, un peu moins exigeant. Si je voulais travailler tous les jours quatre heures pour arriver à obtenir un résultat, je ne pourrais pas le faire parce que ma voix se fatigue, il faut que je puisse « ménager ma monture ». Si je chante plus de deux heures par jour à plein régime, je me fatigue.Il est important de toujours chanter avec le soutien du souffle, c'est-à-dire avec une bonne expiration et une bonne inspiration. Sinon on force sur les cordes vocales et peuvent apparaître des nodules (de petits kystes). Je travaille donc ma voix tous les jours entre une heure et deux heures, mais ce n'est pas grave s'il y a un jour par semaine où je ne peux pas chanter. Il y a le travail pour se chauffer la voix mais aussi le travail de partition. Je passe beaucoup de temps à apprendre par cœur, à déchiffrer, à comprendre la musique, comprendre l'orchestration. Je passe également beaucoup de temps à écouter des disques pour entendre différentes versions, pour être inspirée par des grands. Je regarde aussi beaucoup de vidéos pour comprendre certaines mises en scène. Si je dois reprendre une mise en scène qui a déjà été faite, je dois travailler avec la vidéo pour mémoriser les mouvements. Le premier jour de répétition il faut connaître sa partition par cœur, on peut n'avoir que trois jours de répétition pour intégrer la mise en scène. Il y a de plus en plus de mises en scène « très placées » où le metteur en scène a déjà une idée très précise de ce qu'il veut que l'on fasse.
Quels sont les principaux métiers associés à votre profession ?
Il y a énormément de corps de métiers, c'est ce qui très intéressant dans cette profession.
Il y a de la technique :
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les régisseurs son,
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les régisseurs lumière,
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les régisseurs plateau, ils sont avec nous derrière sur le plateau pour nous passer les accessoires quand on n'a pas le temps, pour changer les décors.
Il y a les gens qui s'occupent de nos costumes :
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des habilleurs/habilleuses qui nous aident à nous habiller lorsqu'il y a des changements rapides
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des créateurs costumes : des gens qui viennent voir nos répétitions et qui, avec le metteur en scène décident de la façon dont on va être habillé
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des personnes qui s'occupent de la couleur des costumes, d'autres qui viennent les coudre, surtout dans les grandes maisons (Opéra de Lyon ou Opéra Bastille)
- des maquilleurs/maquilleuses
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des femmes de ménage, qui entretiennent nos loges
La musique
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un pianiste, qui nous fait répéter avant que l'orchestre n'arrive
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des musiciens d'orchestre
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un chef d'orchestre
Et aussi
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les placeurs/placeuses dans les théâtres, qui placent les spectateurs
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des journalistes
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des bénévoles qui viennent accompagner des groupes
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des professeurs de français qui emmènent leurs élèves
Quelles sont les principales contraintes selon vous ?
Il y a des contraintes quand je suis en production de chant lyrique. Je dois me coucher tôt, ne pas boire d'alcool. Je suis séparée de mes enfants quand je pars loin, plusieurs semaines. Je ne peux pas parler beaucoup ; dans les journées avant de chanter, je dois faire très attention à ma voix, à mon corps, à mon esprit. Il faut arriver sur le plateau avec un maximum de concentration, ne pas être trop angoissée, gérer tout cela. Je vais donc travailler la respiration, faire du yoga, marcher un quart d'heure mais pas vingt minutes sinon peut-être que je serai trop fatiguée... Cela demande une préservation et une canalisation de l'énergie. Il y a beaucoup de chanteurs qui viennent quatre heures avant la représentation. On ne fait que ça quand on est production.
Quels sont les plaisirs ?
Quand on a l'impression d'être complètement dedans. On croit que le comédien sur scène est tout le temps dans son rôle mais parfois il pense à son lave-vaisselle qu'il a oublié de lancer ! Le jeu est tellement répété qu'il est parfois mécanique, ça devient terrible. Ce qui est vraiment beau dans ce métier, c'est quand il y a cette espèce de magie, qu'on est en connexion avec son personnage et avec le spectateur. Le temps s'arrête, les gens sont à l'écoute, on peut leur offrir tout ce qu'on a mis en place pour leur faire plaisir. Le but, c’est qu'il y ait ce moment d'adhésion entre les gens qui sont sur le plateau et ceux qui sont dans la salle. Le spectateur a une vraie importance. Quand on a un public à l'écoute, c'est là qu'on est le meilleur. Si le public veut voir un beau spectacle il faut qu'il soit à l'écoute, cela nous échappe mais cela nous nourrit beaucoup.
Pouvez-vous raconter un bon souvenir ?
J'ai un souvenir fort de rencontre avec le public. Nous avions chanté du théâtre musical dans une banlieue de Toulouse et les adolescents en Bac Pro cuisine étaient persuadés que c'étaient des voix enregistrées. Nous avons eu toute une discussion là-dessus, il y a eu cette découverte du possible humain, ce n'était plus la machine. Une très belle rencontre parce qu'ils étaient attentifs et ils ne pensaient pas apprécier un jour ce genre de musique. Cela a été fort, parce qu'ils étaient sidérés par la production vocale. C'était beau et cela a pu inspirer d'autre gens qui se sont peut-être autorisés à faire des choses en chant.
Sur scène, j'ai eu un bonheur fou à rencontrer un personnage : Magdalena dans Rigoletto de Verdi. J'ai eu la chance d'avoir une super metteur en scène qui m'a mise en valeur dans un personnage de « Marylin Monroe » (chose que je ne pensais pas possible de faire un jour et d'assumer). J'ai été très bien accompagnée, c'était un beau personnage dont nous avons fait quelque chose de poétique alors que c'est la méchante de l'histoire (les mezzo sont souvent les méchantes).
J'ai un souvenir plus drôle à Avignon. Je chantais dans la pièce L'Ecole des maris, j'étais sur le côté. Arrive la personne qui faisait le rôle du commissaire et en jeu se coince la perruque dans un classeur où il fallait faire signer Sganarelle ! Elle est restée coincée toute la fin de la pièce et elle a continué à jouer alors que tout le monde riait, sans se démonter, pendant les dix minutes qui restaient.
Un mauvais souvenir ?
Le moment le plus difficile c'est quand je chantais à l'Opéra de Lyon. Beaucoup de pression : c'est une grande maison d'opéra, il y a toujours des journalistes qui sont dans la salle, des agents et des personnes importantes pour la continuation de notre carrière. A plusieurs reprises, nous avions coupé la musique parce que le metteur en scène voulait à ce moment un tour de magie. L'orchestre s'arrêtait et il fallait que je reprenne a capella, dans une vocalise. La fin de mon chant devait donner la note à la soprano et à l'orchestre. Il ne fallait pas que mon oreille faillisse, malheureusement, elle n'était pas toujours très fiable après cinq minutes à faire autre chose. Une fois on a entendu que j'étais décalée de deux tons, le chef d'orchestre, pas très sympathique, m'a fait la tête et un geste un peu agressif. J'ai passé un très mauvais moment.
Une autre fois, en tournée, un remplaçant sur L'Ecole des maris, à son premier jour, a eu au bout de trois minutes de spectacle un trou de mémoire monumental qui a duré cinq minutes. On ne savait pas quoi faire pour l'aider et pour sauver la pièce. On a l'impression dans ces moments-là que le spectacle est un château de cartes qui peut s'effondrer. Finalement l'autre comédien a sauté quatre pages et a réussi à reprendre.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui voudrait faire ce métier ?
Je conseille de trouver un bon professeur de chant, d'être patient, d'avoir une solide formation musicale, de prendre des cours de théâtre, d'écouter beaucoup de musique et d'aller souvent aux spectacles.
Vous pouvez désormais consulter le site officiel : http://www.elisebeckers.com/
Je remercie très chaleureusement Madame BECKERS qui a pris le temps de présenter un métier exigeant.
N. THIMON
NOTES :
1 : Sur Carmen, voir la thématique HÉROÏNES DE TOUJOURS 4/4 : Carmen la femme fatale.