17 avril 2016

Le 8 mars, journée internationale de la femme en Chine comme ailleurs...

- Quelqu'un a posé des rouleaux de papier pour les  toilettes sur mon bureau...

- Quelqu'un a posé une serviette et de la crème de soin sur mon bureau!

- Oh, venez-voir! Quelqu'un a posé de la lessive sur mon bureau!

     Ainsi célèbre t-on la journée de la femme ici à Pékin... Certaines se sont même vu remplacer par leurs collègues masculins... hommage ou oh rage!?

     De toute façon, ici, on n'a rien vu de tout ça, et bien sûr, on peut pense que cette école ne fait rien pour le bien être des professeures; mais n'est-elle pas tout simplement en avance dans le domaine de l'égalité des sexes ou bien, n'a t-elle, elle, pas renoncé à l'égalité des sexes prônée du temps de Mao, avant les faux ongles et les chaussures à talons?

Faire son cours en public, critique bienveillante ou surveillance générale?

     Depuis cette année, mes collègues sont invités à organiser des séances publiques de cours auxquelles sont priés d’assister les autres professeurs ainsi que le cameraman officiel de l’école. Les collègues prennent des notes et s’inspirent ou disent ce qui va/ne va pas dans le cours pendant que le cameraman filme.

     Cette nouveauté pédagogique est présentée comme une avancée dans le domaine par l’administration, elle doit permettre aux uns et aux autres d’échanger leurs pratiques et de s’amé-liorer. En effet, la pédagogie n’est pas enseignée ici et les échanges de pratique sont rares, il n’y a pas d’inspecteurs ni de méthode canonique, sauf celle qui consiste à suivre le manuel.

     Cependant, on peut douter de la bienveillance du dispositif. En effet,

  • Ici tout est filmé et enregistré; par exemple il y a une caméra dans votre salle, par exemple les réunions sont photographiées pour empêcher les participants d’y dormir, les cours aussi, au débotté, par exemple les téléphones portables sont brouillés lors des réunions plénières, par exemple si vous perdez votre carte de cantine, on vous fera visionner une vidéo sur laquelle vous pourrez voir la personne qui l’utilise…
  • Ici, la bienveillance n’existe pas vraiment, on doit plutot parler de surveillance généralisée; si vous passez un film ou un extrait de film on le saura et on vous le reprochera, si vous ne pointez pas à l’heure (7h20, il faut signer) on vous le reprochera aussi, des surveillants sillonnent les couloirs pour relever les actions non conformes au règlement.

Donc, on peut légitimement se demander si ces séances sont inspirées par un désir d’échange fructueux ou bien sont des succédanés de critique collective…

 

16 décembre 2015

Hiérarchie et surveillance en Chine

La connaissance la plus utile à acquérir quand on travaille en Chine, c’est la connaissance de la hiérarchie et de « qui fait quoi » sinon, on ne parvient jamais à rien et on reste isolé et désœuvré…

En effet, les tâches sont très compartimentées, et sans doute un étranger en dirait-il autant dans une école en France mais, en France, je n’ai pas l’impression d’être aveugle…

Ainsi donc si vous demandez un renseignement concernant un domaine particulier (intendance, pédagogie, date de vacances, ressources…) à une personne qui n’est pas qualifiée, comme elle ne vous dira jamais qu’elle n’est pas qualifiée, votre requête restera lettre morte. Ce qu’il y a d’embarrassant, c’est que si, par contre, vous ne respectez pas la « chaîne de commandement », vous risquez de froisser et de vous mettre à dos tous ceux dont vous aurez ignoré l’existence sans le savoir.

Et puis il y a la contrainte du nombre et la conception de l’espace mental et géographique. Chaque salarié ne s’occupe que de son secteur d’activité et du temps présent donc, si vous cherchez quelqu’un qui n’est pas dans la sphère de la personne à qui vous demandez, les recherches risquent d’être longues ou fastidieuses, de même si la personne travaille dans un autre bâtiment, chaque « unité de travail » étant considérée comme un univers à part entière avec sa propre hiérarchie et ses propres coutumes, son propre calendrier…

Un autre argument récurrent est celui du temps, en effet mes collègues adorent paraître débordés, c’est très valorisant (comme envoyer des messages professionnels à minuit en France ?) et donc, que répondre à quelqu’un à qui vous demandez un « service » professionnel ou personnel et qui vous répond qu’il n’a pas le temps alors que c’est visiblement une fable ?

La méconnaissance du milieu d’accueil peut aussi rendre légèrement paranoïaque. En effet il y a parmi le personnel de l’école des personnes chargées de surveiller et de rendre compte. On dirait que ça ne dérange personne, mais il est troublant de voir débarquer dans votre classe une personne dont vous ne connaissez ni l’identité ni la fonction, qui « fait un tour », pose quelques questions, et repart… L’enquête sérieuse que vous mènerez par la suite vous apprendra que son rôle est de surveiller élèves et professeurs afin qu’ils ne dérogent pas aux règles (ne pas porter de tenue dénudée, ne pas montrer de film en classe, arriver en avance…). De la même façon, les cours que vous ferez seront supervisés par un(e) collègue chinois(e), et vous aurez la surprise de le/la voir venir assister à votre cours si vous lui avez annoncé que vous allez prononcer le mot « politique » en classe…

J’entends beaucoup de gens parler de la restriction des libertés publiques en France, c’est assez angoissant ; les chinois sont-ils trop nombreux pour qu’on leur permette des « fantaisies », ou bien les considère-t-on comme des enfants ?

26 novembre 2015

« La pensée We chat et Powerpoint ».

Chloé Faucillon, Pékin.

Bonjour,

Je suis à Pékin depuis deux mois maintenant, passée la gestion d’une certaine déception concernant mes conditions d’hébergement et de travail, je peux commencer à réfléchir et à penser pédagogie…

La première chose dont j’ai envie de parler, au risque « d’enfoncer des portes ouvertes » c’est de ce que j’appelle « la pensée We chat et Powerpoint ». We chat est le logiciel implanté sur tous les téléphones portables en Chine grâce auquel on communique presque exclusivement (entre collègues notamment), c’est l’équivalent de Whatsapp en France, et vous connaissez tous Powerpoint, « ce logiciel qui rend stupide » selon Franck Frommer (« La pensée PowerPoint : ce logiciel qui rend stupide », octobre 2010) que tous les professeurs chinois utilisent pour faire leurs cours.

  1. Cette application (et ce logiciel) contraignent la pensée. En effet sur Wechat il est si fastidieux de procéder à toutes les étapes précédant l’ouverture du message et d’y répondre en toutes circonstances qu’on finit par éviter d’exprimer des choses trop compliquées. Quant à Powerpoint, avez-vous essayé de faire un Powerpoint avec un logiciel en chinois ?

  2. Cette application et ce logiciel réduisent la réflexion à sa plus simple expression. En effet le temps manque souvent et la place est limitée. On évite la subordination et la coordination, les mots de liaison. Quand on écrit dans une langue étrangère, c’est pire. Enfin, quand on fait un Powerpoint, on fait du méta internet en allant piocher çà et là des images « volées ».

  3. Cette application et ce logiciel n’ont un but qu’utilitaire. On n’échange que des informations nécessaires à notre survie. Pas de beauté, pas de complexité, pas d’ambition.

  4. Cette application (et ce logiciel) ne fonctionnent que dans l’immédiateté. On ne réfléchit pas, on répond « du tac au tac ».

  5. Cette application et ce logiciel sont « chronophages ». Le téléphone sonne sans cesse pour transmettre des messages sans contenu et qui parfois sont adressés collectivement donc ne nous concernent/intéressent pas, ça devient insupportable. Les professeurs passent des heures à « faire » des Powerpoints qui hypnotiseront leurs élèves au lieu de les éveiller.

  6. Cette application (et ce logiciel) banalisent les échanges. Le langage est réduit à une fonction purement phatique ou alors la communication est tronquée et passe mal.

  7. Cette application et ce logiciel sont publics. On ne peut dire/écrire que ce que le commun des mortels peut recevoir donc ça limite et la réflexion et son expression. Toute iconoclastie est bannie. Toute remarque potentiellement politiquement incorrecte aussi car ça risquerait de ne pas être compris et d’engendrer des conflits.

  8. Les élèves n’écrivent pas, ils regardent le Powerpoint du professeur. Ils ne réfléchissent pas, ne se posent pas de problème pour y trouver une solution, ils regardent. Ils sont « hypnotisés » comme par le serpent dans « Le livre de la jungle ».

  9. Le professeur passe tout son temps à essayer de simplifier sa pensée et son cours au lieu de chercher à les développer et à les dérouler.

  10. Conclusion :

  • Ces deux outils informatiques sont les outils d’une conception exclusivement utilitaire de la langue et d’une gestion « capitalistique » (rentable) du temps, des informations, du langage, de l’enseignement.

  • Ils ne peuvent en aucun cas servir d’outil pédagogique car ils sont le contraire même de toute recherche d’innovation intellectuelle et l’ennemi de toute pensée élaborée.

  • Ces deux outils nuisent à la transmission de savoirs et de compétences et transforment le professeur en outil, en machine.

(Déjà posté: La délation considérée comme un outil pédagogique et l’autorité questionnée; « vérité en deçà, erreur au-delà » !)

Les professeurs déblaient la neige


25 novembre 2015

" L’impact de la conception du temps sur la pédagogie" ,


 Bonjour,

 

Personne ne sera étonné(e) du fait que “les chinois” (pour autant que je puisse en juger) n’ont pas la même conception du temps que nous (en France?, en occident?, dans les pays de tradition judéo-chrétienne?); il me semble que nous allons vers “la fin du temps” (d’où angoisse) alors qu’ici, c’est plus circulaire, rien ne s’arrête vraiment.

J’ai déjà eu l’occasion de parler de l’apparente “désorganisation” qui règne ici, ou en tout cas du fait que rien n’est planifié comme nous aimons le faire. Les dates des vacances sont connues au dernier moment, les horaires des cours varient en fonction de tout un tas d’impératifs notamment admistratifs…

En conséquence de quoi la pédagogie s’en trouve affectée, je ne sais si c’est en bien ou en mal…

  • Le cours ne s’inscrit pas dans une continuité temporelle, on ne demande pas ce qu’on a fait la dernière fois par exemple.

  • Je pense que les jeunes n’anticipent pas les cours qu’ils auront, ils se contentent de sortir le cahier qui correspond en fonction du professeur qui arrive dans leur classe (comme dans mon lycée en France d’ailleurs).

  • Ils n’ont pas d’agenda, pas de calendrier, ils attendent que les choses surviennent.

  • Le temps, et l’espace aussi d’ailleurs, est circonscrit a l’instant présent, rythmé par des musiques différentes qui poussent les jeunes comme le joueur de flute vers le stade, la cantine, la salle d’ étude…

  • L’impact sur la pédagogie est foudroyant, car, comme nous ne jurons que par les objectifs, les progressions et l’acquisition progressive de compétences, ici les éves ne savent même pas quelle compétence on veut leur faire acquérir ni où ils en sont dans l’acquisition de celle ci, c’est su ou pas, c’est tout, et de toute facon on passe à la suite. En conséquence de quoi dans une classe de 20 élèves de “4eme” seuls 4 enfants ont acquis la compétence “savoir reconnaitre et conjuguer le passé composé”, ce qui ne nous empêche pas d’avancer…

05 novembre 2015

« Vérité en deçà, erreur au-delà »

Avant de démarrer mon billet, voici la même vue de jour à deux moments différents ...




















"Les questions de l’intérêt pédagogique de dénoncer et de l’autorité".

Bonjour,

Si il est bien deux choses dont nous sommes certains en ce moment dans notre éducation nationale en France, c’est que la délation est une chose horrible et que l’autorité doit être restaurée…

En Chine, au moins ici dans mon quartier à Pékin, c’est tout le contraire ! L’école dans laquelle je travaille se pique d’être à l’avant-garde des méthodes éducatives, les parents payent très cher pour inscrire leur enfant dans un système alternatif au système traditionnel chinois, très axé sur l’élitisme et la compétition. Du coup, on sent sourdre ici l’influence confucéenne traditionnelle, cependant elle est mâtinée de théories sur lesquelles nous sommes revenus, ils viennent de « tomber dedans »… On verra ce que ça donnera.

Donc, ce que nous appelons la délation et ne pouvons supporter pour une part à cause des dénonciations qui ont eu lieu pendant la seconde guerre mondiale est ici considérée comme une pratique saine et courante. Par exemple, les élèves ont un cahier officiel dans lequel ils consignent les heures d’arrivée des professeurs (combien de minutes de retard ou d’avance, il faut préciser qu’après plus de trois retards on peut être renvoyé(e) précise notre contrat). Ils consignent également qui a fait l’andouille et a été puni. Il y a aussi un cahier dans lequel un élève est chargé de noter qui ne fait pas bien ses exercices de relaxation… C’est très perturbant de constater que même une valeur aussi cardinale peut n’être pas reconnue comme universelle et cela pose la question de la morale individuelle par rapport à l’intérêt collectif. C’est pas beau de dénoncer cependant qui en France dans nos collèges et nos lycées n’a pas été confronté(e) à un genre d’omerta suite à un vol ou une agression et ne s’en est pas trouvé exaspéré ? L’horreur de la délation l’emporte sur toute autre considération et l’intérêt personnel ou du micro groupe sur l’intérêt général.

Mais j’ai aussi promis d’aborder de la question d’envisager l’autorité…

Donc nous pensons tous que l’école en Chine est un long chemin de croix et que les jeunes y sont traités comme dans nos collèges au moyen-âge. Et bien ici, il n’en est rien ! J’ai déjà eu l’occasion de raconter les collégiens qui courent et braillent dans les couloirs, envahissent les bureaux collectifs déjà bruyants des professeurs avec lesquels ils sont très familiers, utilisent leurs ordinateurs et leur téléphone… Je n’ai pas encore raconté ma collègue qui me tance car je demande aux 6èmes d’écouter et de se taire (ça pourrait les traumatiser, sic), ni le fait que quand on leur fait une remarque elle glisse sur leurs plumes. J’ai omis de dire la façon grossière dont ils traitent une jeune assistante en lui touchant le corps et les fesses et en insistant sur son embonpoint. Il faut aussi que je raconte que j’ai dû me fâcher car ils arrivent en retard en classe et entrent sans frapper. J’ai aussi déplacé plusieurs fois un élève dans un cours (en quatrième) car il bavardait sans cesse, forcé un autre à prendre un stylo…

Une jeune femme qui est ici assistante de direction et a placé son enfant dans cette école, quand je lui ai posé des questions sur ce sujet, m’a répondu qu’elle souhaite que son enfant soit épanoui, libre et heureux. J’ai rencontré cet enfant, je ne sais pas comment il se comporte en classe mais, à cinq ans, il se comporte déjà en société comme le centre du monde…

Je ne sais pas ce que tout cela signifie….

  • Que je suis perturbée par l’ébranlement de mes certitudes et de mes valeurs sans doute.

  • Que je me pose la question des critères d’adoption d’un point de vue comme moral certainement.

  • Que j’ai l’impression d’assister à ce que j’imagine qu’il a dû se passer en France dans les années 70, avant que nous ne perdions le contrôle dans nos classes (voir l’article de Philippe Meyrieu où il parle de « pédagogie de garçon de café ») et ne nous mettions sérieusement à réfléchir sur la question de l’autorité, sûrement.

On verra bien.

Le séminaire.

J’aurais pu passer deux jours et deux nuits à lire le dernier livre de Maylis de Kerangal, ou à préparer de Powerpoints pour montrer des images de la belle France à mes élèves assoupis, j’aurais pu aller visiter le palais d’été (très joli) ou retourner voir l’installation d’Ai Weiwei au 798 (très émouvante), mais je suis allée à un séminaire (de semen, graine…) et on peut dire que nous avons bourgeonné !

Participer à un séminaire, c’est comme passer deux jours dans un sous-marin ou à un repas de famille...même si, depuis l’avènement des téléphones portables, on peut s’échapper virtuellement voire communiquer avec les autres « séminaristes » dont nous sommes éloignés par le hasard du plan de table.

Première chose à savoir : il faut être initié ; car il y a des codes à ne pas enfreindre si l'on ne veut pas se sentir en pays étranger, doublement étranger donc. Il faut s’arrêter de parler de temps à autre pour laisser le pauvre traducteur traduire par exemple, ce que l’on dit compte moins que le fait d’être là pour vérifier sa position dans l'assemblée…

Il y a un décor aussi, un peu comme pour un mariage ; les serveurs comme à l’hôtel de Balbec, chorégraphie impeccable, un maître de cérémonie, la table en U, la nappe blanche, les noms sur les tables, le petit sachet de dragées et la bouteille d’eau, les petits cadeaux à la gloire de la francophonie...

Les accessoires ? Un vidéo projecteur (jaloux!), un micro qu'on promène d’une bouche à une autre comme dans les émissions télévisées…

Et puis on mange… mais pas pour le plaisir, non, c’est un petit déjeuner/ déjeuner/ dîner (12 plats quand même) de TRAVAIL , donc on travaille : « on pourrait faire un atelier théâtre ? », « que pensez-vous de notre école ? » (Je dîne à côté de la vice proviseure), « je vais vous présenter l’inspecteur/ DAREIC/ IG/ IPR/ attaché de ceci ou cela… ». Bref : vous avez la tête qui tourne, vous souriez bêtement, vous collectez les cartes de visite avec un drapeau bleu, blanc, rouge dans le coin …

…Quand l’apnée cesse retour à la réalité. Vous laissez l’envolée d’inspecteurs… prendre son bus et vous vous dirigez vers le métro en vous ébrouant, vous avez des cours à préparer.

                                                                                     L'œuvre de Ai Weiwei...

                                                              Mon école sous la neige ...

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