« Vérité en deçà, erreur au-delà »

Avant de démarrer mon billet, voici la même vue de jour à deux moments différents ...




















"Les questions de l’intérêt pédagogique de dénoncer et de l’autorité".

Bonjour,

Si il est bien deux choses dont nous sommes certains en ce moment dans notre éducation nationale en France, c’est que la délation est une chose horrible et que l’autorité doit être restaurée…

En Chine, au moins ici dans mon quartier à Pékin, c’est tout le contraire ! L’école dans laquelle je travaille se pique d’être à l’avant-garde des méthodes éducatives, les parents payent très cher pour inscrire leur enfant dans un système alternatif au système traditionnel chinois, très axé sur l’élitisme et la compétition. Du coup, on sent sourdre ici l’influence confucéenne traditionnelle, cependant elle est mâtinée de théories sur lesquelles nous sommes revenus, ils viennent de « tomber dedans »… On verra ce que ça donnera.

Donc, ce que nous appelons la délation et ne pouvons supporter pour une part à cause des dénonciations qui ont eu lieu pendant la seconde guerre mondiale est ici considérée comme une pratique saine et courante. Par exemple, les élèves ont un cahier officiel dans lequel ils consignent les heures d’arrivée des professeurs (combien de minutes de retard ou d’avance, il faut préciser qu’après plus de trois retards on peut être renvoyé(e) précise notre contrat). Ils consignent également qui a fait l’andouille et a été puni. Il y a aussi un cahier dans lequel un élève est chargé de noter qui ne fait pas bien ses exercices de relaxation… C’est très perturbant de constater que même une valeur aussi cardinale peut n’être pas reconnue comme universelle et cela pose la question de la morale individuelle par rapport à l’intérêt collectif. C’est pas beau de dénoncer cependant qui en France dans nos collèges et nos lycées n’a pas été confronté(e) à un genre d’omerta suite à un vol ou une agression et ne s’en est pas trouvé exaspéré ? L’horreur de la délation l’emporte sur toute autre considération et l’intérêt personnel ou du micro groupe sur l’intérêt général.

Mais j’ai aussi promis d’aborder de la question d’envisager l’autorité…

Donc nous pensons tous que l’école en Chine est un long chemin de croix et que les jeunes y sont traités comme dans nos collèges au moyen-âge. Et bien ici, il n’en est rien ! J’ai déjà eu l’occasion de raconter les collégiens qui courent et braillent dans les couloirs, envahissent les bureaux collectifs déjà bruyants des professeurs avec lesquels ils sont très familiers, utilisent leurs ordinateurs et leur téléphone… Je n’ai pas encore raconté ma collègue qui me tance car je demande aux 6èmes d’écouter et de se taire (ça pourrait les traumatiser, sic), ni le fait que quand on leur fait une remarque elle glisse sur leurs plumes. J’ai omis de dire la façon grossière dont ils traitent une jeune assistante en lui touchant le corps et les fesses et en insistant sur son embonpoint. Il faut aussi que je raconte que j’ai dû me fâcher car ils arrivent en retard en classe et entrent sans frapper. J’ai aussi déplacé plusieurs fois un élève dans un cours (en quatrième) car il bavardait sans cesse, forcé un autre à prendre un stylo…

Une jeune femme qui est ici assistante de direction et a placé son enfant dans cette école, quand je lui ai posé des questions sur ce sujet, m’a répondu qu’elle souhaite que son enfant soit épanoui, libre et heureux. J’ai rencontré cet enfant, je ne sais pas comment il se comporte en classe mais, à cinq ans, il se comporte déjà en société comme le centre du monde…

Je ne sais pas ce que tout cela signifie….

  • Que je suis perturbée par l’ébranlement de mes certitudes et de mes valeurs sans doute.

  • Que je me pose la question des critères d’adoption d’un point de vue comme moral certainement.

  • Que j’ai l’impression d’assister à ce que j’imagine qu’il a dû se passer en France dans les années 70, avant que nous ne perdions le contrôle dans nos classes (voir l’article de Philippe Meyrieu où il parle de « pédagogie de garçon de café ») et ne nous mettions sérieusement à réfléchir sur la question de l’autorité, sûrement.

On verra bien.

Le séminaire.

J’aurais pu passer deux jours et deux nuits à lire le dernier livre de Maylis de Kerangal, ou à préparer de Powerpoints pour montrer des images de la belle France à mes élèves assoupis, j’aurais pu aller visiter le palais d’été (très joli) ou retourner voir l’installation d’Ai Weiwei au 798 (très émouvante), mais je suis allée à un séminaire (de semen, graine…) et on peut dire que nous avons bourgeonné !

Participer à un séminaire, c’est comme passer deux jours dans un sous-marin ou à un repas de famille...même si, depuis l’avènement des téléphones portables, on peut s’échapper virtuellement voire communiquer avec les autres « séminaristes » dont nous sommes éloignés par le hasard du plan de table.

Première chose à savoir : il faut être initié ; car il y a des codes à ne pas enfreindre si l'on ne veut pas se sentir en pays étranger, doublement étranger donc. Il faut s’arrêter de parler de temps à autre pour laisser le pauvre traducteur traduire par exemple, ce que l’on dit compte moins que le fait d’être là pour vérifier sa position dans l'assemblée…

Il y a un décor aussi, un peu comme pour un mariage ; les serveurs comme à l’hôtel de Balbec, chorégraphie impeccable, un maître de cérémonie, la table en U, la nappe blanche, les noms sur les tables, le petit sachet de dragées et la bouteille d’eau, les petits cadeaux à la gloire de la francophonie...

Les accessoires ? Un vidéo projecteur (jaloux!), un micro qu'on promène d’une bouche à une autre comme dans les émissions télévisées…

Et puis on mange… mais pas pour le plaisir, non, c’est un petit déjeuner/ déjeuner/ dîner (12 plats quand même) de TRAVAIL , donc on travaille : « on pourrait faire un atelier théâtre ? », « que pensez-vous de notre école ? » (Je dîne à côté de la vice proviseure), « je vais vous présenter l’inspecteur/ DAREIC/ IG/ IPR/ attaché de ceci ou cela… ». Bref : vous avez la tête qui tourne, vous souriez bêtement, vous collectez les cartes de visite avec un drapeau bleu, blanc, rouge dans le coin …

…Quand l’apnée cesse retour à la réalité. Vous laissez l’envolée d’inspecteurs… prendre son bus et vous vous dirigez vers le métro en vous ébrouant, vous avez des cours à préparer.

                                                                                     L'œuvre de Ai Weiwei...

                                                              Mon école sous la neige ...