« La pensée We chat et Powerpoint ».

Chloé Faucillon, Pékin.

Bonjour,

Je suis à Pékin depuis deux mois maintenant, passée la gestion d’une certaine déception concernant mes conditions d’hébergement et de travail, je peux commencer à réfléchir et à penser pédagogie…

La première chose dont j’ai envie de parler, au risque « d’enfoncer des portes ouvertes » c’est de ce que j’appelle « la pensée We chat et Powerpoint ». We chat est le logiciel implanté sur tous les téléphones portables en Chine grâce auquel on communique presque exclusivement (entre collègues notamment), c’est l’équivalent de Whatsapp en France, et vous connaissez tous Powerpoint, « ce logiciel qui rend stupide » selon Franck Frommer (« La pensée PowerPoint : ce logiciel qui rend stupide », octobre 2010) que tous les professeurs chinois utilisent pour faire leurs cours.

  1. Cette application (et ce logiciel) contraignent la pensée. En effet sur Wechat il est si fastidieux de procéder à toutes les étapes précédant l’ouverture du message et d’y répondre en toutes circonstances qu’on finit par éviter d’exprimer des choses trop compliquées. Quant à Powerpoint, avez-vous essayé de faire un Powerpoint avec un logiciel en chinois ?

  2. Cette application et ce logiciel réduisent la réflexion à sa plus simple expression. En effet le temps manque souvent et la place est limitée. On évite la subordination et la coordination, les mots de liaison. Quand on écrit dans une langue étrangère, c’est pire. Enfin, quand on fait un Powerpoint, on fait du méta internet en allant piocher çà et là des images « volées ».

  3. Cette application et ce logiciel n’ont un but qu’utilitaire. On n’échange que des informations nécessaires à notre survie. Pas de beauté, pas de complexité, pas d’ambition.

  4. Cette application (et ce logiciel) ne fonctionnent que dans l’immédiateté. On ne réfléchit pas, on répond « du tac au tac ».

  5. Cette application et ce logiciel sont « chronophages ». Le téléphone sonne sans cesse pour transmettre des messages sans contenu et qui parfois sont adressés collectivement donc ne nous concernent/intéressent pas, ça devient insupportable. Les professeurs passent des heures à « faire » des Powerpoints qui hypnotiseront leurs élèves au lieu de les éveiller.

  6. Cette application (et ce logiciel) banalisent les échanges. Le langage est réduit à une fonction purement phatique ou alors la communication est tronquée et passe mal.

  7. Cette application et ce logiciel sont publics. On ne peut dire/écrire que ce que le commun des mortels peut recevoir donc ça limite et la réflexion et son expression. Toute iconoclastie est bannie. Toute remarque potentiellement politiquement incorrecte aussi car ça risquerait de ne pas être compris et d’engendrer des conflits.

  8. Les élèves n’écrivent pas, ils regardent le Powerpoint du professeur. Ils ne réfléchissent pas, ne se posent pas de problème pour y trouver une solution, ils regardent. Ils sont « hypnotisés » comme par le serpent dans « Le livre de la jungle ».

  9. Le professeur passe tout son temps à essayer de simplifier sa pensée et son cours au lieu de chercher à les développer et à les dérouler.

  10. Conclusion :

  • Ces deux outils informatiques sont les outils d’une conception exclusivement utilitaire de la langue et d’une gestion « capitalistique » (rentable) du temps, des informations, du langage, de l’enseignement.

  • Ils ne peuvent en aucun cas servir d’outil pédagogique car ils sont le contraire même de toute recherche d’innovation intellectuelle et l’ennemi de toute pensée élaborée.

  • Ces deux outils nuisent à la transmission de savoirs et de compétences et transforment le professeur en outil, en machine.

(Déjà posté: La délation considérée comme un outil pédagogique et l’autorité questionnée; « vérité en deçà, erreur au-delà » !)

Les professeurs déblaient la neige