30 janvier 2016

"Portrait de deux femmes" (Carine Inty)

    Arabesque, jeté, pointes, pirouette. Tant de pas compliqués que Jade enchainait avec une telle légèreté et un sourire si radieux. En la voyant, on sentait qu’elle était née pour danser ; et elle aurait mérité d’éblouir toutes les scènes du monde. Pourtant celles de Paris lui suffisaient amplement. Elle avait déjà parcouru un chemin inespéré et elle en était tellement fière …

    Chahuts, pleurs, cris, hurlements. Voilà tout ce qu’elle avait dû supporter durant la journée. Et elle était enfin seule, chez elle, dans son étroit appartement. Une femme qui paraissait éternellement triste, le regard éteint, des cheveux ternes qui commençaient à devenir la proie du temps et des rides naissantes qui la rendait plus âgée.  Elle observait cette photographie posée sur une étagère, celle d’un homme qu’elle avait aimé mais qui lui avait été retiré. Cette jeune veuve de trente-quatre ans était en fait nourrice, profession qu’elle exerçait depuis moins d’une année. C’était l’unique solution qu’elle avait trouvée pour subvenir à ses besoins. 

    Jade était alors au sommet de sa carrière quand elle rencontra celui qui deviendrait son époux. Un charmant jeune homme qui portait le nom d’Adam. Il avait été enchanté par le regard et les yeux verts de Jade, par sa chevelure brune et bouclée, par sa peau bronzée, ainsi que par sa fraîcheur, par sa joie de vivre et par son esprit. Entre eux deux, ça avait été un véritable coup de foudre, semblable à ceux que l’on voit dans les films et qu’on espère secrètement vivre tout en sachant qu’il y a peu de chance que cela arrive. Ces deux tourtereaux pouvaient remercier leur bonne étoile. 

     Tout avait été si simple ; ils se comprenaient d’un seul regard. Et elle avait à peine hésité à tout quitter pour lui : sa vie parisienne, sa famille, sa carrière. Du jour au lendemain, elle le suivait jusqu’au bout du monde. Ils vécurent quelques temps ensemble, à Canberra, avant de se décider au mariage. Ainsi, à 28 ans, Jade était la plus heureuse des femmes, avec, pour l’accompagner, un mari qui l’aimait de tout cœur et qu’elle aimait à la folie.

     A la mort de son cher époux, cette jeune nourrice avait été dévastée. Tué dans un accident alors qu’il rentrait la rejoindre. Elle ne pouvait le croire. Il la laissait seule alors qu’ils s’étaient promis de toujours être présents l’un pour l’autre. A cette annonce, toute sa vie, tout son rêve s’écroula. Et tout arriva très vite, si vite qu’elle fut submerger par tant de problèmes.  Elle dut, faute d’argent, échanger leur demeure contre un modeste appartement situé dans une banlieue parisienne. Ensuite, il lui fallut chercher du travail. Un calvaire qu’elle ne connaissait pas encore, en effet son époux travaillait et elle se chargeait de leur demeure et de leurs repas. Et quand elle avait fini, elle passait ses journées la tête dans les bouquins.

     A la suite de leur heureux mariage, le jeune couple décida de retourner vivre à Paris, ville de leur rencontre. Bien sûr, Jade ne pouvait reprendre la danse après toutes ces années d’arrêt. Surtout elle ne voulait reprendre la danse. Elle qui, autrefois, illuminait la scène et éblouissait le public avait maintenant peur de ne plus être à la hauteur et de le décevoir. Mais Adam la comprenait et il allait travailler tandis qu’elle s’occupait du reste. Ils vivaient ainsi, simples et heureux au milieu de leur quotidien si calme.

     La jeune veuve se leva, alla chercher la photographie, s’assit. Elle se rappelait tout ce qu’elle avait enduré, tout ce qu’elle avait ressenti, tout ce qu’elle avait perdu. Et le chagrin coula sur ses joues. Quelques minutes plus tard, alors qu’elle commençait à sécher ses larmes elle reçut un appel. Elle décrocha : « Allo, Pourrais-je parler à Mme Jade s’il vous plait ? » questionna la personne au bout du fil, et elle répondit simplement «  Je vous écoute ».

24 janvier 2016

"Vengeance toxique" (Leyla Benhadji)

     Le 5 septembre 1998 était une belle journée. Les oiseaux chantaient, le soleil brillait, le ciel était d’un bleu éclatant. Oui, c’était une magnifique journée, c’est pourquoi, Charles décida que c’était la journée idéale pour commettre son meurtre ou plutôt ses meurtres. Cinq victimes qu’il empoisonnerait avec la plus grande satisfaction. Bien sûr, ses victimes n’étaient pas choisies au hasard. Toutes étaient des connaissances de lycée, qui s’étaient acharnées contre lui pendant des années. Des taquineries sur son étourderie, sa naïveté et sa stupidité. Depuis, l’envie de revanche de Charles avait pris des allures de meurtre. Son plan était d’une grande simplicité : il avait loué sous un faux nom un appartement pour la soirée, où il empoisonnerait  ses « amis ». Il partirait ensuite pour une destination lointaine. Normalement, la police ne devait pas faire le lien avec lui, mais dans le cas contraire, il serait déjà bien loin. Il avait ensuite contacté ses anciens camarades avec un téléphone jetable, et les avait invités pour l’apéritif, en prétextant de joyeuses retrouvailles. Tous, impatients de se retrouver comme au bon vieux temps, avaient accepté. Ils se rappelaient avoir taquiné Charles, mais ce n’était que l’illustration d’une certaine affection pour lui.

     À sept heures, tout était prêt : petits fours, amuse-bouches et champagne. Ils n’y verraient que du feu. Rien n’avait été laissé au hasard, pas même le costume que Charles porterait en ce grand jour. Vingt minutes plus tard, les invités arrivèrent. Si les anecdotes racontées faisaient rire de bon cœur, elles confortaient Charles dans ses désirs assassins. Chacun expliqua ce qu’il était devenu. Jacques était un avocat réputé et marié avec deux enfants. Christine était médecin dans un des meilleurs hôpitaux de la capitale. Sylvie était mère au foyer et s’occupait de ses cinq enfants. Pour finir, Marc possédait  une grande chaîne d’hôtels et était fiancé.

     A huit heures trente, les quatre convives plongèrent dans un sommeil dont ils ne se réveilleraient pas. Le poison avait fait son effet. Ils étaient morts. L’heure était venue de tout nettoyer. Chaque empreinte, chaque trace de chaussures, devait être effacée. Il frotta les tables, les poignées, les verres, la cuisine, la salle de bain et les toilettes. Il pensait à ce qu’il aurait pu oublier. A dix heures, il eut terminé.

     Il s’assit ensuite sur le canapé, en prenant soin de ne rien toucher. Il repensa à la suite de son plan machiavélique. Il avait un vol demain matin à onze heures pour Rio de Janeiro. Il partirait avec le strict nécessaire. Là-bas, il trouverait un emploi facilement et se servirait de ses économies pendant les premiers mois. Il regarda ensuite ses victimes et prit conscience de son acte. Pas le moindre remord effleura son esprit. Ses soi-disant amis l’avaient persécuté pendant des années. Il avait tenté d’oublier, il aurait pu leur pardonner. Mais méritaient-ils vraiment de mener une vie insouciante et impunie ?

     Il avait appelé un taxi pour le ramener chez lui. En attendant, et pour fêter sa victoire, il se servit un verre de champagne tout en contemplant les corps, presque translucides sous la lumière artificielle. Puis soudain, ses yeux s’ouvrirent dans un élan de lucidité. Le champagne, encore pétillant sous sa langue, avait l’amertume d’une erreur, fatale.

23 janvier 2016

"Idées noires sur fond blanc" (Cécile Ferrand)

    Cinq heures venaient de sonner au sombre clocher de l’église. Le petit village russe se trouverait prestement plongé dans l’obscurité. La vieille femme, adossée à la cheminée, s’occupait soigneusement de son tricot. Elle se trouvait seule, veuve depuis plusieurs années et sans enfants. Elle songeait, regardant au dehors, qu’elle ne pourrait plus sortir avant plusieurs jours tant le climat hivernal était rude. L’atmosphère était pesante près de l’âtre et seul le crépitement du feu laissait entendre sa vaine complainte. Soudain, une brusque secousse eut lieu dans le village. La vieille femme en fut ébranlée mais reprit rapidement son ouvrage. Le fauteuil dans lequel elle s’était assise se balançait alors dans un grincement inhabituel. C’était maintenant des cris qu’on percevait de l’extérieur ; quelques braves gens avaient dû être surpris et essayaient de trouver un abri.  La neige s’était mise à tomber. C’était une neige lourde et abondante qui déferlait d’un ciel menaçant à présent. C’était une véritable tempête à laquelle ils étaient confrontés. Mais elle en avait connu d’autres. Les secousses étaient bien plus inquiétantes. En effet, les habitations  du village n’avaient pas été conçues pour résister aux tremblements et  elles risquaient de s’effondrer si la tempête ne s’atténuait pas. De plus, les provisions ne dureraient probablement pas et la faim les emporterait tous. Une atmosphère de panique s’installait. La neige étouffait les bruits mais la vieille femme distinguait malgré tout des visages d’horreur dont les traits avaient été durcis par le froid. Le feu s’était brusquement éteint et l’habitacle se refroidissait. Elle avait posé son ouvrage, ayant pris conscience du danger qui grandissait en silence tel un prédateur tapi dans l’ombre. Ainsi, s’était-elle décidée à rester blottie à l’intérieur, ne venant en aide à personne et tentant tant bien que mal de survivre  au froid.

    Puis, elle fut prise de remords. Elle ne pouvait pas laisser ces malheureux mourir ainsi. Quant à elle, elle mourrait de froid s’il lui fallait attendre sans bouger le retour du beau temps. Elle alla donc chercher le vieux manteau de fourrure dans la malle de l’entrée, s’en couvrit et franchit courageusement le pas de la porte. La vieille femme ne voyait rien. Son visage se trouvait durement fouetté par les flocons tournoyant avec agressivité. Elle n’avait plus que ses oreilles pour la guider. De faibles voix lui parvenaient mais il était vain d’en chercher la provenance. Elle continua d’avancer tandis que de fréquentes turbulences la faisaient vaciller. Elle crut cependant distinguer un visage. Elle

voulut appeler mais ses lèvres sèches la brûlaient. Il lui faudrait retrouver un abri ou elle courait à sa perte. C’était d’ailleurs une région de Russie où les loups étaient nombreux et par les temps qui couraient, ils étaient sans aucun doute affamés. L’angoisse ne cessait de croître, laissant place à la panique. Elle essayait de se remémorer les rues et emplacements qu’elle avait connus et qu’il lui était impossible d’identifier dans ces conditions. Il lui sembla qu’elle se trouvait à un croisement et que les habitations étaient donc à proximité. Elle poursuivit son chemin dans la direction que lui indiquait son instinct, se débattant avec opiniâtreté contre les nuages de glace qui la tourmentaient. Elle se sentait seule, abandonnée par ses forces. Elle avait besoin d’aide. Les secours ne pourraient pas intervenir et, quand bien même, ils ne parviendraient pas jusqu’à elle et les villageois ne sortiraient plus par cette tempête. Que fallait-il faire maintenant ? Les secousses reprirent de plus belle, la projetant contre un mur. La vieille femme respirait difficilement. Elle était fébrile, étendue au milieu de cette immensité blanche. Le froid la gagnait et elle ne s’en sortirait pas.

     Puis plus rien. La terre avait cessé de trembler. Il n’y avait plus un bruit. Mais…il ne neigeait plus… C’était donc fini ?

     Une voix s’éleva soudain : «  Cela suffit mon enfant ! Vas –tu cesser avec ton jeu pathétique ? Comment peux-tu inventer des histoires si horribles ? » La petite fille reposa à regret la boule à neige qui suscitait chez elle tant de débordements imaginaires.

"A un cheveu près..." (Léanna Pauly)

Paola était une belle jeune fille, allant sur ses vingt-trois ans. Elle avait un corps digne d’une vraie championne athlétique, un visage en forme de cœur, la peau aussi blanche qu’une poupée de porcelaine (visage qu’elle ne valorisait point cependant à l’aide d’un quelconque maquillage), de grand yeux bleus surplombés de sourcils bien dessinés, un petit nez retroussé et de fines lèvres roses. Un vrai visage d’ange ! Mais on la remarquait surtout parce qu’elle était chauve… Et cela la préoccupait énormément. Sa face de carême faisait un étrange contraste avec sa beauté hors du commun et ses grands yeux bleus étaient toujours prêts à verser une larme. Il est vrai qu’elle ne pouvait sortir sans être regardée de travers par les passants et ce depuis son plus jeune âge. Ses parents se faisaient des cheveux blancs et commençaient à désespérer de la voir un jour heureuse et épanouie. Ils avaient néanmoins eu recours à diverses techniques médicales mais, - demandez-vous pourquoi -, aucune ne fonctionnait. De nombreux spécialistes avaient également été contactés mais il semblait que tous s’accordaient, lui prescrivant le même « traitement» : une perruque ! Paola n’avait pas écarté cette solution et un beau jour, elle décida de se rendre chez le perruquier en compagnie de ses parents, afin de choisir la moumoute qui pourrait la libérer à jamais de cet embarras existentiel. Pendant de longues heures, elle la chercha parmi celle de tout poil et fini par la trouver : de somptueux et soyeux cheveux blonds, légèrement ondulés avec de nombreux reflets couleur or : le fruit de sa délivrance. Le vendeur lui expliqua qu’elle pouvait faire toutes sortes de coiffures sans crainte de les casser car ils étaient conçus avec les composants les plus résistants au monde. Il lui offrit même un magazine pour qu’elle y trouve son bonheur. Paola était aux anges ! Après avoir payé, elle s’empressa de se coiffer de cette merveille mais ressenti aussitôt une douleur aigue au crâne suivie de nombreuses démangeaisons. Elle enleva à contre cœur sa crinière et demanda au vendeur, non sans agressivité, ce qui lui arrivait. Il lui répondit que, oui, vraiment, c’était bien la première fois que ce genre de spectacle s’offrait à lui. Il la pria de revenir le lendemain et l’informa qu’entre-temps il aurait fait appel à l’un de ses amis qui pourrait sûrement comprendre et expliquer ce phénomène. Elle revint donc le lendemain et, après s’être faite longuement auscultée par l’ami du vendeur, ce dernier lui expliqua qu’elle était intolérante un composant de la chevelure. Quelle excuse tirée par les cheveux ! La pauvre Paola retomba dans la dépression. Et dire qu’elle avait été si proche du bonheur… Le monde était vraiment trop injuste. Elle savait pourtant que cela ne servait à rien de se lamenter sur son sort et décida de se reprendre en main. En l’espace d’une semaine elle reprit du poil de la bête ! On aurait dit une petite fleur fanée qui refleurissait ! Un jour qu’elle se rendait chez le coiffeur pour la énième fois -là encore demandez-vous pourquoi - ,un jeune stagiaire vint à elle et lui demanda avec ironie ce qu’elle désirait. Horripilée et voyant qu’il se moquait d’elle, elle rétorqua : - « Si vous parvenez à ce que j’aie ne serait-ce qu’autant de cheveux que vous en possédez, je vous paierais immédiatement  cent mille euros. Je tiens juste à vous prévenir que les meilleurs spécialistes, coiffeurs et médecins ont tous échoué ! » L’effronté stagiaire réfléchit à s’en couper les cheveux en quatre, puis s’exclama : - « Marché conclu ! J’espère seulement que vous apprécierez le résultat final ! » Et sous les grands yeux bleus ébahis de Paola, il commença à se raser la tête.

 

22 janvier 2016

"Au mauvais endroit, au mauvais moment" (Antoine Corre)

C'était un magnifique matin d'été. Il faisait doux et la brise soufflait sur la plage dorée dans la lumière du soleil levant.

Un jogger en tenue orange courait sur le sable tandis qu'une jeune femme en maillot violet fluo se baignait dans les flots scintillants. Des vacanciers prenaient leur petit-déjeuner sur les terrasses des villas avoisinantes.

Non loin de la baie paradisiaque se trouvait une forêt luxuriante qui dormait encore malgré l'aube naissante. Il y avait dans cette forêt des campeurs qui commençaient à émerger de leur sommeil. Ils sortirent de leur tente qu'ils avaient plantée dans une petite clairière et remballèrent leurs affaires pour se rendre au port. Comme ils étaient fumeurs, ils fumèrent malgré l'heure matinale. Lors de leur départ de la clairière qui les avait abrités une nuit, l'un des campeurs jeta malencontreusement sa cigarette par terre.

Quelques instants plus tard, aidé par la sécheresse de l'été et de la brise matinale, un feu prit naissance et enveloppa la forêt de ses bras brûlants.

Les pompiers furent vite déployés sur la zone et encerclèrent l'incendie. Cependant, ils ne parvinrent pas à le maîtriser suffisamment vite et firent appel à un canadair.

Le pilote du fameux avion se préparait. Il irait, comme d'habitude, chercher l'eau dans la mer, puis reviendrait sur la forêt pour y lâcher le précieux liquide.

Quelques instants plus tard, il décolla et rasa la surface de l'eau pour en stocker dans le réservoir de l'avion. Il eut l'impression fugace de heurter un rocher, mais ce ne fut qu'une impression car rien ne changea par rapport à ses vols habituels. Il finit son vol avec fierté lorsqu'il déversa l'eau salvatrice dans les flammes pour aider les pompiers.

Il fut étonné d'entendre l'oiseau de métal grincer d'une étrange manière lorsque l'eau du réservoir fut projetée dans les flammes, mais n'y prêta pas grande attention, totalement absorbé par sa mission.

Dans la forêt, les pompiers plissèrent les yeux sous le soleil pendant le passage du canadair et furent, eux, stupéfaits de voir une sorte de tache violette tomber sur le feu en même temps que les centaines de litres d'eau de mer.

"Un jour de Messe" (Léa Mattei)

Ce dimanche matin, comme tous les dimanches matins, Pierre et Marie Lefevre se préparaient pour aller à la messe. Leur immeuble ne se situait qu’à quelques minutes de marche de l’église, ce qui permettait au vieux couple de ne pas prendre leur voiture – trouver une place de parking s’avérait bien difficile dans leur quartier.

Tandis que Marie finissait de coiffer son chapeau, son mari était déjà en train de descendre les premières marches de l’escalier.

« Minouchatte, dépêche-toi, la pressa-t-il. Nous allons être en retard.

- Détends-toi un peu, Minouchat. J’arrive », lui répondit sa femme, tout en réprimant un soupir.

Elle verrouilla leur porte d’entrée et se dirigea vers l’escalier. Ce faisant, elle passa devant la porte de leur unique voisin à cet étage, Mohamed, et entendit un bruit qui la fit se figer. C’était un son ténu, une sorte de détonation. Comme un coup de feu étouffé.

Alarmée, Marie regarda autour d’elle et avisa la porte devant laquelle elle se trouvait. Elle s’en approcha et y colla son oreille, juste à temps pour entendre Mohamed s’écrier, de l’autre côté de la porte :

« Tu as gâché une balle ! Imbécile, va ! C’est moi qui vais devoir nettoyer tout ça, après ! »»

Ecarquillant les yeux, Marie se tourna vers son mari, qui la regardait, les sourcils froncés devant son étrange comportement, tapant impatiemment du pied.

« Minouchat, tu as entendu ? Il y eu un coup de feu ! chuchota-t-elle en indiquant frénétiquement la porte. Le voisin a un pistolet ! Non, même une mitraillette ! C’est sûr, il va commettre un crime ! »

Pierre réajusta ses lunettes, se demandant de quoi sa femme pouvait bien parler. Elle avait souvent tendance à exagérer et voyait des complots partout.

« Qu’est-ce que tu racontes ? Je n’ai rien entendu de tel.

- C’est normal, tu es sourd comme un pot !

- Il a dû faire tomber quelque chose, pas la peine de dramatiser. Allons-y, sinon nous serons tout derrière. »

Mais sa femme resta où elle était. Elle colla de nouveau son oreille contre la porte et entendit cette fois une voix qui lui était inconnue. Elle était grave et profonde, une voix d’homme, assurément.

« … facile, tu le sais bien. Et puis, de toute manière, c’est pas c’qui manque, des balles ! T’inquiète, en cas de pépin, j’connais un bon magasin où on peut en avoir pour pas cher. »

Marie porta une main à sa bouche et fit signe à son mari d’approcher. Ce dernier, agacé, décida de céder à ses caprices. Plus vite ils en auraient fini, plus vite ils pourraient aller à la messe. Obéissant aux gestes de sa femme, il l’imita et colla son oreille contre la porte.

« Bon, il ne te reste plus qu’à recharger maintenant, fit Mohamed de l’autre côté. Il ne manquerait plus que cette balle manquante te fasse tuer. »

Pierre soupira et entraîna sa femme à l’écart.

« Minouchatte, il est évidemment en train de jouer à un jeu vidéo. Les jeux de combats sont très populaires de nos jours, chez les jeunes comme Mohamed, et certains sont très violents. Ça ne veut pas dire qu’il s’apprête à commettre un crime ! »

Ayant fait l’armée, le vieil homme savait reconnaître quand quelqu’un s’apprêtait à utiliser une arme pour faire le mal, et leur voisin avait le ton bien trop léger pour ça.

« Mais Minouchat, tu n’as peut-être pas entendu, mais ils ont tiré ! n’en démordit pas sa femme. Avec le… Tu sais… Le pistolet qui ne fait pas de bruit…

- Un silencieux ?

- C’est ça.

- Et tu es certaine que ce bruit n’a pas été émis par une télévision ? questionna Pierre.

- Parce que tu as entendu d’autres détonations, toi ? répliqua-t-elle. Ce que j’ai entendu était vraiment un coup de feu ! Je t’assure, il se passe quelque chose de louche.

- Ou il à juste du faire tomber quelque chose. Et de toute manière, Mohamed est le plus gentil voisin que l’on ait jamais eu. Il nous dit bonjour à chaque fois que nous le croisons, il nous aide à monter les courses depuis que l’ascenseur est en panne, et il s’occupe même des enfants des Blanchard quand ces derniers ne sont pas là. »

Marie ne répondit rien, ne pouvant rien répliquer aux dires de son mari. C’était vrai que leur voisin avait été un amour depuis qu’il avait emménagé ici, deux ans plus tôt. Elle se sentit un peu coupable d’avoir porté des accusations aussi vite. Cependant, elle était sûre de ce qu’elle avait entendu. Contrairement à son mari, son ouïe était tout à fait intacte.

« Peut-être que c’est le jeune homme avec lui qui l’entraîne dans des affaires louches, finit-elle par dire. Et puis rappelle-toi, ils en parlaient à la radio, des musulmans qui se mettaient à tuer des gens…

- Minouchatte, réfléchis un peu à ce que tu dis. Mohamed n’est même pas musulman.

- Ah, stupide mari que tu es ! Il s’appelle Mohamed !

- Et alors ?

- Donc il est musulman.

- Voyons, ce n’est qu’un nom. Et si ses parents l’avaient appelé Isaac ?

- Il aurait été juif ! »

Pierre résista à l’envie de se prendre la tête entre les mains. Parfois, sa femme pouvait être vraiment obtuse. Enfin, le problème était plutôt qu’elle était trop naïve, prenant pour parole d’Evangile tout ce qu’elle entendait à la radio. Le fait qu’elle ait été élevée dans un milieu familial empreint de préjugés y était aussi pour quelque chose.

Marie, de son côté, exaspérée que son mari ne veuille pas la croire, retourna écouter à la porte de Mohamed. Et Pierre, malgré ce qu’il avait dit, ne put s’empêcher de faire de même, ayant quand même quelques doutes.

Cette fois, ils entendirent la voix de l’homme inconnu.

« Bon, on est presque prêt… T’as bien ton gilet pare-balle ? »

Marie lança un regard signifiant clairement « je te l’avais bien dit » à son mari, qui fronçait les sourcils. Son hypothèse selon laquelle ils jouaient à un jeu-vidéo venait de s’avérer incorrecte.

« Oui, c’est bon, répondit Mohamed. Mais j’espère que tu te sens en forme, parce que cette fois on ne leur laissera aucune chance. On arrive, et on les défonce tous d’un coup.

- D’un coup, ça sera un peu difficile, déclara l’autre homme, un sourire dans la voix. Et ça dépend du nombre de personnes… Mais comme on est un dimanche matin, devrait y avoir un max de gens ! On va pouvoir bien s’défouler.

- Je ne te le fais pas dire. Mais qui dit plus de gens, dit aussi plus de chance de se faire toucher. »

Ce fut cette fois Marie qui entraîna son époux à l’écart.

« C’est sûr, ils préparent quelque chose de louche ! Ils vont se faire exploser, comme ils disaient à la radio. Et ils veulent le faire dans un endroit avec plein de gens, pour faire beaucoup de morts. »

Pierre ne répondit pas, et réajusta ses lunettes. Sa femme n’avait pas tort ; en entendant la conversation des deux hommes derrière la porte, il ne pouvait qu’être suspicieux. Bien que ce ne soit pas dans sa nature de tirer des conclusions hâtives, il devait bien se rendre à l’évidence.

« Peut-être… devrions-nous appeler la police, se vit-il donc proposer.

- Tu as raison, acquiesça Marie. Mais… Il n’y a aucune chance que l’on se trompe, n’est-ce pas ? »

Ils jetèrent en même temps un coup d’œil au vieux bout de bois marron qui faisait office de porte à leur voisin, puis vinrent y coller une énième fois leur oreille. Cependant, ils n’entendirent rien, si ce n’est des bruissements de tissus et des tintements métalliques. Ils se reculèrent au bout de quelques secondes, et Marie sortit son téléphone portable.

« J’appelle ? » voulut-elle confirmer auprès de son mari.

Ce dernier se pinça les lèvres, hésitant. Mais avant qu’il n’ait eu à dire quoique ce soit, il entendit des bruits de pas, puis vit la poignée de la porte tourner. Marie eut juste le temps de se reculer jusque dans la cage d’escalier avant que la porte ne s’ouvre, révélant Mohamed et son invité.

Ils étaient tous deux habillés comme des militaires, avec pantalons de camouflage et gilets pare-balle, et ils avaient ce qui ressemblait à un fusil d’assaut sur l’épaule.

« M et Mme Lefevre ! s’exclama Mohamed. Bonjour ! Vous vous rendez à la messe ? Nous (il indiqua son ami), on a décidé d’aller se faire une partie de paint-ball… »

20 janvier 2016

Nouvelles réalistes à chute

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