"Un jour de Messe" (Léa Mattei)
Par L. Bueno-Lahens (lycée Hoche, Versailles (78)) le 22 janvier 2016, 11:53 - Nouvelles réalistes à chute - Lien permanent
Ce dimanche matin, comme tous les dimanches matins, Pierre et Marie Lefevre se préparaient pour aller à la messe. Leur immeuble ne se situait qu’à quelques minutes de marche de l’église, ce qui permettait au vieux couple de ne pas prendre leur voiture – trouver une place de parking s’avérait bien difficile dans leur quartier.
Tandis que Marie finissait de coiffer son chapeau, son mari était déjà en train de descendre les premières marches de l’escalier.
« Minouchatte, dépêche-toi, la pressa-t-il. Nous allons être en retard.
- Détends-toi un peu, Minouchat. J’arrive », lui répondit sa femme, tout en réprimant un soupir.
Elle verrouilla leur porte d’entrée et se dirigea vers l’escalier. Ce faisant, elle passa devant la porte de leur unique voisin à cet étage, Mohamed, et entendit un bruit qui la fit se figer. C’était un son ténu, une sorte de détonation. Comme un coup de feu étouffé.
Alarmée, Marie regarda autour d’elle et avisa la porte devant laquelle elle se trouvait. Elle s’en approcha et y colla son oreille, juste à temps pour entendre Mohamed s’écrier, de l’autre côté de la porte :
« Tu as gâché une balle ! Imbécile, va ! C’est moi qui vais devoir nettoyer tout ça, après ! »»
Ecarquillant les yeux, Marie se tourna vers son mari, qui la regardait, les sourcils froncés devant son étrange comportement, tapant impatiemment du pied.
« Minouchat, tu as entendu ? Il y eu un coup de feu ! chuchota-t-elle en indiquant frénétiquement la porte. Le voisin a un pistolet ! Non, même une mitraillette ! C’est sûr, il va commettre un crime ! »
Pierre réajusta ses lunettes, se demandant de quoi sa femme pouvait bien parler. Elle avait souvent tendance à exagérer et voyait des complots partout.
« Qu’est-ce que tu racontes ? Je n’ai rien entendu de tel.
- C’est normal, tu es sourd comme un pot !
- Il a dû faire tomber quelque chose, pas la peine de dramatiser. Allons-y, sinon nous serons tout derrière. »
Mais sa femme resta où elle était. Elle colla de nouveau son oreille contre la porte et entendit cette fois une voix qui lui était inconnue. Elle était grave et profonde, une voix d’homme, assurément.
« … facile, tu le sais bien. Et puis, de toute manière, c’est pas c’qui manque, des balles ! T’inquiète, en cas de pépin, j’connais un bon magasin où on peut en avoir pour pas cher. »
Marie porta une main à sa bouche et fit signe à son mari d’approcher. Ce dernier, agacé, décida de céder à ses caprices. Plus vite ils en auraient fini, plus vite ils pourraient aller à la messe. Obéissant aux gestes de sa femme, il l’imita et colla son oreille contre la porte.
« Bon, il ne te reste plus qu’à recharger maintenant, fit Mohamed de l’autre côté. Il ne manquerait plus que cette balle manquante te fasse tuer. »
Pierre soupira et entraîna sa femme à l’écart.
« Minouchatte, il est évidemment en train de jouer à un jeu vidéo. Les jeux de combats sont très populaires de nos jours, chez les jeunes comme Mohamed, et certains sont très violents. Ça ne veut pas dire qu’il s’apprête à commettre un crime ! »
Ayant fait l’armée, le vieil homme savait reconnaître quand quelqu’un s’apprêtait à utiliser une arme pour faire le mal, et leur voisin avait le ton bien trop léger pour ça.
« Mais Minouchat, tu n’as peut-être pas entendu, mais ils ont tiré ! n’en démordit pas sa femme. Avec le… Tu sais… Le pistolet qui ne fait pas de bruit…
- Un silencieux ?
- C’est ça.
- Et tu es certaine que ce bruit n’a pas été émis par une télévision ? questionna Pierre.
- Parce que tu as entendu d’autres détonations, toi ? répliqua-t-elle. Ce que j’ai entendu était vraiment un coup de feu ! Je t’assure, il se passe quelque chose de louche.
- Ou il à juste du faire tomber quelque chose. Et de toute manière, Mohamed est le plus gentil voisin que l’on ait jamais eu. Il nous dit bonjour à chaque fois que nous le croisons, il nous aide à monter les courses depuis que l’ascenseur est en panne, et il s’occupe même des enfants des Blanchard quand ces derniers ne sont pas là. »
Marie ne répondit rien, ne pouvant rien répliquer aux dires de son mari. C’était vrai que leur voisin avait été un amour depuis qu’il avait emménagé ici, deux ans plus tôt. Elle se sentit un peu coupable d’avoir porté des accusations aussi vite. Cependant, elle était sûre de ce qu’elle avait entendu. Contrairement à son mari, son ouïe était tout à fait intacte.
« Peut-être que c’est le jeune homme avec lui qui l’entraîne dans des affaires louches, finit-elle par dire. Et puis rappelle-toi, ils en parlaient à la radio, des musulmans qui se mettaient à tuer des gens…
- Minouchatte, réfléchis un peu à ce que tu dis. Mohamed n’est même pas musulman.
- Ah, stupide mari que tu es ! Il s’appelle Mohamed !
- Et alors ?
- Donc il est musulman.
- Voyons, ce n’est qu’un nom. Et si ses parents l’avaient appelé Isaac ?
- Il aurait été juif ! »
Pierre résista à l’envie de se prendre la tête entre les mains. Parfois, sa femme pouvait être vraiment obtuse. Enfin, le problème était plutôt qu’elle était trop naïve, prenant pour parole d’Evangile tout ce qu’elle entendait à la radio. Le fait qu’elle ait été élevée dans un milieu familial empreint de préjugés y était aussi pour quelque chose.
Marie, de son côté, exaspérée que son mari ne veuille pas la croire, retourna écouter à la porte de Mohamed. Et Pierre, malgré ce qu’il avait dit, ne put s’empêcher de faire de même, ayant quand même quelques doutes.
Cette fois, ils entendirent la voix de l’homme inconnu.
« Bon, on est presque prêt… T’as bien ton gilet pare-balle ? »
Marie lança un regard signifiant clairement « je te l’avais bien dit » à son mari, qui fronçait les sourcils. Son hypothèse selon laquelle ils jouaient à un jeu-vidéo venait de s’avérer incorrecte.
« Oui, c’est bon, répondit Mohamed. Mais j’espère que tu te sens en forme, parce que cette fois on ne leur laissera aucune chance. On arrive, et on les défonce tous d’un coup.
- D’un coup, ça sera un peu difficile, déclara l’autre homme, un sourire dans la voix. Et ça dépend du nombre de personnes… Mais comme on est un dimanche matin, devrait y avoir un max de gens ! On va pouvoir bien s’défouler.
- Je ne te le fais pas dire. Mais qui dit plus de gens, dit aussi plus de chance de se faire toucher. »
Ce fut cette fois Marie qui entraîna son époux à l’écart.
« C’est sûr, ils préparent quelque chose de louche ! Ils vont se faire exploser, comme ils disaient à la radio. Et ils veulent le faire dans un endroit avec plein de gens, pour faire beaucoup de morts. »
Pierre ne répondit pas, et réajusta ses lunettes. Sa femme n’avait pas tort ; en entendant la conversation des deux hommes derrière la porte, il ne pouvait qu’être suspicieux. Bien que ce ne soit pas dans sa nature de tirer des conclusions hâtives, il devait bien se rendre à l’évidence.
« Peut-être… devrions-nous appeler la police, se vit-il donc proposer.
- Tu as raison, acquiesça Marie. Mais… Il n’y a aucune chance que l’on se trompe, n’est-ce pas ? »
Ils jetèrent en même temps un coup d’œil au vieux bout de bois marron qui faisait office de porte à leur voisin, puis vinrent y coller une énième fois leur oreille. Cependant, ils n’entendirent rien, si ce n’est des bruissements de tissus et des tintements métalliques. Ils se reculèrent au bout de quelques secondes, et Marie sortit son téléphone portable.
« J’appelle ? » voulut-elle confirmer auprès de son mari.
Ce dernier se pinça les lèvres, hésitant. Mais avant qu’il n’ait eu à dire quoique ce soit, il entendit des bruits de pas, puis vit la poignée de la porte tourner. Marie eut juste le temps de se reculer jusque dans la cage d’escalier avant que la porte ne s’ouvre, révélant Mohamed et son invité.
Ils étaient tous deux habillés comme des militaires, avec pantalons de camouflage et gilets pare-balle, et ils avaient ce qui ressemblait à un fusil d’assaut sur l’épaule.
« M et Mme Lefevre ! s’exclama Mohamed. Bonjour ! Vous vous rendez à la messe ? Nous (il indiqua son ami), on a décidé d’aller se faire une partie de paint-ball… »