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les étonnants voyageurs : les chasseurs de l'île

http://images.freeimages.com/images/previews/db3/where-land-meets-sea-1470284.jpgLes Chasseurs de l’Ile

Elle esquissa un pas à reculons, puis fit une brusque volte-face et s’éloigna en s’efforçant de ne pas courir. Elle s’enferma dans la petite chambre, les jambes tremblantes, et s’écroula, dos à la porte. Elle ne s’habituerait jamais à ces nuits de pleine lune, où les créatures rôdaient dans les rues, ombres immenses et hérissées de poils, qui détruisaient  tout être vivant sur leur passage. Le couvre-feu était en place tous les 29 jours depuis des générations.

La nuit passa si lentement que quand le soleil se leva, Lola crut l’avoir attendu des jours. Elle se leva, enfila ses habits militaires, et prit son arme dans le coffre-fort du salon.

Elle dut courir pour avoir son train, et quand elle trouva enfin un wagon pour s’asseoir, elle s’installa et sortit son ordinateur portable. Elle navigua quelque temps sur le site internet de l’Ile. Un couple de randonneurs pensant avoir trouvé une île déserte s’était aventuré au-delà  des Montagnes Teigneuses, et avait  passé la nuit dans la forêt. L’information venait de tomber : les créatures les avaient contaminés. Deux êtres de plus, condamnés à errer dans les rues de l’Ile pendant les nuits de pleine lune, à l’affut d’un morceau de viande fraîche à se mettre sous la dent. Parfois, Lola se demandait si c’était mieux d’être contaminé ou tout simplement  de mourir dévoré par ces bêtes sauvages.

Le train s’arrêta près du quartier de Gus, son meilleur ami. Il la rejoignit dans le wagon quelques minutes plus tard, vêtu du même uniforme qu’elle. Gus était un grand gaillard de 24 ans, à la carrure imposante. Il était physiquement très impressionnant, et renfermait une personnalité calme et réfléchie. Lola, au contraire, était plutôt frêle, mais était une personne extravagante assez sanguine, et terriblement habile au combat (excepté les nuits de pleine lune, où elle était dépourvue de tout sang-froid). D’ailleurs, tous les militaires de sa section craignaient de devoir se battre contre elle lors des entraînements au combat.

La compagnie militaire dont sa section faisait partie avait un but bien précis : s’entraîner, jour après jour, jusqu’à être parfaitement au point pour accomplir leur ultime mission. Ultime mission qui déterminerait l’avenir de l’Ile : exterminer toutes les créatures, les tuer une par une, jusqu’à la dernière. Le jour où toutes les bêtes auront disparu, les habitants liés aux terres de l’Ile par la Malédiction pourront enfin partir d’ici, commencer une nouvelle vie en laissant ce cauchemar derrière eux.

Gus était, comme toujours, en train de programmer ses applications pour smartphones. Le jeune homme avait un réel don pour la création et la programmation de logiciels pour téléphones et ordinateurs, et avait, par le passé, aidé à la création d’un serveur utilisé exclusivement par l’armée. Il l’avait presque entièrement programmé à lui tout seul, et ce, du haut de ses 16 ans à peine. Il leva les yeux vers la jeune fille.

          «  Salut, tu vas bien ? Tu me parais soucieuse.

-Je le suis. J’ai encore été épiée par cette bête aux yeux bleus et vitreux dont je t’avais déjà parlé. Elle semble déterminée à me déchiqueter à la moindre occasion qui se présenterait.

-Tu es sûre que c’est la même que d’habitude ?

-Sûre et certaine. Ce même regard envieux, affamé. Et son visage, ou plutôt sa face aplatie, est assez reconnaissable : l’être a une espèce de tache blonde au- dessus de son œil droit.

-Pourquoi ne fermes- tu pas les rideaux comme je te l’ai recommandé ? Au moins, tu ne la verrais plus. »

La jeune fille haussa  la voix.

« Je t’ai déjà répondu ! Je préfère encore savoir qu’elle m’épie plutôt que de ne pas savoir ce qu’elle fait de l’autre côté de ma fenêtre ! Ecoute quand je te parle !

-Alors cherche une autre solution, mais ne t’en prends pas à moi ! Ce n’est pas moi l’être psychopathe qui reste à ta fenêtre à te scruter pendant toute une nuit, et ce au moins une fois par mois ! »

Gus s’en voulut  immédiatement de s’être emporté. Il était le premier à compatir pour son amie, qui avait très souvent été seule dans la vie. Lola prit un air renfrogné, plissa son nez, et replia ses genoux contre elle. Elle était très jolie : un visage arrondi, aux traits fins, une peau claire et fine, des pommettes saillantes recouvertes de taches de rousseur. Mais ce qui faisait l’essentiel  de  sa beauté était sans aucun doute sa paire d’yeux couleur émeraude, qui scintillaient presque tellement leur couleur était pure. Des yeux reconnaissables entre tous.

«  Excuse-moi.

-Ça va, ne t’inquiète pas. Pardon de m’être énervée contre toi. Ce n’est pas de ta faute, mais cette situation me fruste énormément. Dire que nous sommes entraînés pour ça depuis nos 15 ans, mais que nous ne pouvons rien faire quand ils sont à notre porte, ça fait plus que m’agacer.

-Je le sais bien. Bientôt, on sera prêt, et on partira en mission. »

Gus ne croyait pas si bien dire. Quand les deux jeunes gens arrivèrent au camp d’entraînement, on leur dit de rejoindre immédiatement la salle de Conférence. Ils s’assirent avec leur section, et écoutèrent leur capitaine :

« Merci d’être venus. J’ai une nouvelle à vous annoncer, qui peut être vue pour une bonne nouvelle pour certains, et comme une mauvaise pour d’autres, une minorité j’espère. Nous avons enfin, après des années de recherches, repéré l’un des refuges qui abritent les bêtes. Ces refuges sont si bien dissimulés qu’il nous était impossible de les trouver. Nous avons toujours supposé que cela faisait partie de la malédiction. Mais grâce à nos regrettés Ann et Steven Parker, les contaminés de la nuit dernière, nous avons enfin trouvé le repère de ces animaux sans pitié. Des traces d’ADN ont été trouvées près d’un passage sur une partie de la montagne dont nous ignorions l’existence. Un de nos drones miniatures a suivi les traces, et a débouché directement dans une partie de la forêt cachée au sein même de la montagne. »

Un silence de mort se fait dans la salle, suivi très vite de regards interrogateurs et de chuchotements.

« Deuxième grande nouvelle, plus  importante encore que la première. J’ai débattu toute la nuit avec vos lieutenants. Soldats, vous êtes enfin prêts. Vous êtes la Génération avec un grand G. Celle qui libèrera nos terres de la malédiction. Toutes les sections ici présentes, j’ai nommé les sections 7, 8, 9, et 10, partent dès demain sur le terrain. Veuillez chacun vous rendre dans vos quartiers, afin d’être informés sur le plan de combat.  Vous aurez ensuite la nuit pour dire au revoir à vos familles, et préparer vos affaires. Nous partons vers les Montagnes Teigneuses demain matin à quatre heures précises. »

Le capitaine quitta l’estrade la tête haute et le torse bombé. Lola et Gus étaient choqués par cette nouvelle, tout comme les autres. Ils regagnèrent leur salle d’entraînement où leur lieutenant expliquait déjà le déroulement des opérations du lendemain.  Ils reprirent le train pour rentrer chez eux, conscients que c’était peut-être la dernière fois qu’ils le faisaient.

Lola n’avait pas de famille à qui dire au revoir. Ses parents avaient disparu depuis de longues années dans les Montagnes Teigneuses. La police avait supposé qu’ils avaient été dévorés par les bêtes.

Elle finit de faire ses préparatifs et partit vers la gare. Elle était absente, complètement dans ses pensées.  Aussi elle ne répondit pas quand Gus la rejoignit et lui demanda si elle allait bien. Il comprit qu’il ne fallait pas insister, et le trajet se fit en silence. A leur arrivée, tout se passa très vite : leur lieutenant leur donna les sacs et les armes dont ils allaient avoir besoin, leur fit dire au revoir aux habitants de l’Ile par le biais des caméras et des journalistes, et ils prirent tous place dans le van qui les emmena en bas des montagnes rocheuses.

Ils vécurent plusieurs jours dans la jungle avant de trouver la caverne des créatures.

Tous se mirent en position de combat, camouflés derrière des buissons. Lola sentait son cœur battre tellement fort qu’elle crut qu’il allait sortir de sa poitrine. Ce fut vers vingt-trois heures, le deuxième jour de garde, qu’une des créatures sortit  du repère.

L’attaque fut un vrai carnage. Les bêtes prirent vite le dessus sur les humains dont les armes n’entaillaient qu’à peine les carrures imposantes de ces êtres sanguinaires.

***

Gus était encerclé par les créatures. Il les regardait, l’une après l’autre, regardait ses amis, morts, étendus sur le sol. Il avait réussi à survivre quelques jours, traqué par les bêtes. Mais elles avaient fini par le retrouver. Elles l’avaient traqué, comme eux, les militaires, les avaient traquées. Gus se demandait, si, au final, il était si différent de ces bêtes. Peut-être que si les humains ne les avaient jamais traquées, elles ne se seraient pas attaquées  à eux. L’heure n’était sûrement pas à la réflexion, mais c’était le domaine dans lequel Gus était le plus fort. Il n’allait pas s’en sortir, et il le savait. Il était là, avec son couteau, menaçant des animaux qui pouvaient le déchiqueter en un seul coup de griffe. Une des créatures qui le fixaient attira son attention. Il se figea, et s’écroula au sol, s’agenouillant, comme s’il acceptait son destin. Il fixa les yeux de la bête : des yeux couleur émeraude, qui scintillaient presque tellement leur couleur était pure. Des yeux reconnaissables entre tous. Les yeux de Lola. Il ferma les yeux, pour garder cette image en mémoire. Le coup de griffe partit, il s’écroula.

Durant la nuit de pleine lune qui suivit cet évènement, on put voir, dans les rues de l’Ile, trois bêtes : l’une, regardant paternellement la bête à sa gauche, qui regardait elle-même avec compassion la dernière créature. La première, avait des yeux bleus et vitreux, la seconde, des yeux couleur émeraude, et la dernière, des yeux doux couleur noisette. Elles chassaient et traquaient, déambulant dans les rues, à l’affut d’un morceau de viande fraiche à se mettre sous la dent.