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les étonnants voyageurs : La Boue

http://images.freeimages.com/images/thumbs/c24/free-swoosh-background-1636600.jpg   La Boue

 Lola  reposa les ciseaux sur la table. Elle referma le journal et le plia en quatre. C’est à ce moment-là qu’elle perçut quelque chose d’anormal. Quoi ? Un détail. Juste un infime changement dans la qualité de la lumière, tel un nuage traversant le ciel. La jeune fille leva alors la tête vers la fenêtre et, surprise, de frayeur, faillit pousser un cri. Elle demeura bouche ouverte, figée, littéralement paralysée par le regard de l’homme qui la fixait à travers les carreaux.

Un homme, vraiment ?... L’inconnu avait la carrure d’un ogre. Sa large face ronde était collée à la vitre. Insensible à la pluie qui lui plaquait les cheveux sur le front et ruisselait en gouttes épaisses le long de ses joues, il la scrutait avec  des yeux de loup.

Lola fut secouée d’un frisson. Ce qu’il fallait avant tout, c’était  échapper à ce regard. Elle esquissa un pas à reculons, puis fit une brusque volte-face et s’éloigna en s’efforçant de ne pas courir.

Elle sortit de sa chambre et se mit à marcher plus vite, jusqu’à ce qu’elle atteigne la cuisine. Elle  s’assit tout en repensant à ce qui venait de se passer. La… chose, n’avait pas bougé d’un cil quand elle était partie. Peut-être était-ce un fou, échappé de l’asile ? Non, il n’en portait pas les vêtements. Ou alors était-ce un voyeur, auquel cas elle devait prévenir les gendarmes.

Alors qu’elle réfléchissait, elle entendit un bruit lointain, comme une explosion. Le bruit se rapprochait de plus en plus. Sans prendre le temps de mettre ses chaussures, elle sortit dans le jardin pour voir ce qu’il se passait. Quelque chose passa au-dessus d’elle. C’était très rapide, cela ressemblait à un grand oiseau. Il survola  la maison qui explosa. Lola fut projetée à terre, sa chemise de nuit tachée par la boue. Quand elle se releva, sa maison n’était plus qu’une ruine en flammes. Elle entendit des cris. Des hommes couraient dans sa direction. Tous grands et hirsutes, avec un habit vert qui les rendait difficiles à discerner du reste du paysage. Quand ils arrivèrent à sa hauteur, elle put lire la peur dans leurs yeux. Ils criaient des choses incompréhensibles. Ils couraient, la folie au ventre, ils couraient, comme des brebis fuyant les loups, ils couraient, ils s’écrasaient, se marchaient dessus, n’ayant en tête que leur propre survie, tout en sachant que tout était déjà fini.

Lola, elle, regardait tout cela, sans voix, les loups qui étaient autour d’elle fuyaient comme des moutons et se comportaient en hyènes. Elle avançait. A l’inverse des hommes en vert, elle, avançait. Elle voulut reculer, mais ses membres ne répondaient plus.

Devant elle, s'étendait un champ de boue et de cadavres. A l'horizon, la boue, les cadavres et une douce lumière annonçant la venue des loups, les vrais.

Elle avançait entre les arbres morts, sautait par dessus les fossés et arriva enfin devant l'océan, un océan rouge. Elle décida de le traverser. Parfois, elle trébuchait sur les vagues ou marchait sur un tas d'algues spongieuses. L'odeur salée de cette mer lui piquait le nez et les yeux.

Les yeux ? Une odeur ne pique pas les yeux. Elle reprit soudainement conscience de la réalité qui l'entourait. La fumée et l'odeur du sang. C'était cela qui la dérangeait. Ses pieds pataugeaient dans la boue et elle était trempée à cause de la pluie, elle avait froid et la fascination avait fait place à la peur.

Des hommes en bleu avançaient. Ils avaient un regard de prédateur, comme ces animaux qui n'ont pas mangé depuis des jours. Ils avançaient, maigres, mais triomphants. Ils virent Lola, seule au milieu de l'horreur. Elle les regardait sans comprendre ce qu'ils faisaient là. Et eux, ils la regardaient en se disant qu'ils n'auraient plus cette chance le lendemain. Lola remarqua que la pluie avait rendu sa chemise de nuit transparente et que les hommes en bleu l'observaient avec des sourires obscènes.

Elle comprit trop tard que ces animaux- là étaient emplis d'une cruauté trop humaine pour qu'ils soient appelés « loups ». Elle s'évanouit, l'un des hommes la rattrapa en riant d'un rire terrible, les autres riaient avec lui. Ils l'emmenèrent avec eux pour célébrer leur victoire comme il se doit.

A l'ouest, rien de nouveau...

Bilal