I)La biographie de Koltès

 

 

-Allez sur le lien suivant et cliquez sur l’onglet « Biographie ». Lisez la biographie de B.M KOLTES (pour changer de page, cliquez sur l’onglet représentant une page en dessous du nom de l’auteur).

http://www.bernardmariekoltes.com/

 

Question

1)Quels éléments de la biographie de Koltès vous paraissent intéressants pour mieux comprendre la pièce ?

 

 

-Si vous avez le temps, vous pouvez visionner l’une des très rares interviews de Koltès visibles sur la toile : elle est datée d’octobre 88, quelques mois avant sa mort, sur le plateau de « Du côté de chez Fred » à l’occasion de la création de « Retour au désert ». L’auteur s’y exprime, brièvement, sur l’évolution de son écriture et sur le thème du destin au théâtre.

 

BERNARD MARIE KOLTES paris

https://www.youtube.com/watch?v=0j04p0zf85A

 

 

II) Les principales œuvres de Koltès

 

Avant Roberto Zucco (1988), Koltès a écrit, en onze ans, cinq pièces singulières qui ont marqué les esprits. Elles ont été révélées au public notamment par les créations du grand metteur en scène Patrice Chéreau, qui ont donné une grande visibilité à ce jeune auteur.  

 

La nuit juste avant les forêts (1977)

"Un homme tente de retenir par tous les mots qu'il peut trouver un inconnu qu'il a abordé au coin d'une rue, un soir où il est seul. Il lui parle de son univers. Une banlieue où il pleut, où l'on est étranger, où l'on ne travaille plus ; un monde nocturne qu'il traverse, pour fuir, sans se retourner ; il lui parle de tout et de l'amour comme on ne peut jamais en parler, sauf à un inconnu comme celui-là, un enfant peut-être, silencieux, immobile. »  Bernard-Marie Koltès

 

Combat de nègre et de chiens (1979)

Dans un pays d’Afrique de l’Ouest, un chantier de travaux publics, d’une entreprise étrangère. Alboury, un “Noir mystérieusement introduit dans la cité” où vivent les Blancs, est venu réclamer le corps de son “frère”, prétendument mort dans un accident de travail, en fait tué d’un coup de revolver par l’ingénieur Cal. Son intrusion coïncide avec l’arrivée de Léone, tout juste débarquée de l’hôtel de Pigalle où elle travaillait pour épouser Horn, le chef de chantier. Ces personnages s’attirent et se repoussent violemment jusqu’au meurtre.  

 

Quai Ouest (1985)

Sur les quais d'une ville portuaire abandonnée inspirée de New-York, dans un hangar désaffecté, une rencontre improbable entre un homme d'affaires, Maurice Koch, qui fuit un procès pour abus de bien sociaux, et un jeune homme, Charles, fils ainé d'une famille d'immigrés habitant encore les lieux. Koch demande à Charles de l’aider à se suicider. D’autres personnages, liés à l’un ou à l’autre, surviennent.

 

Dans la solitude des champs de coton (1985)

La rencontre explosive entre un dealer et un client. Chacun des deux dépendant du désir de l’autre. Un symbole de la relation humaine en général, réduite à un marché entre deux partenaires/adversaires ?

 

Le Retour au désert (1988)

Dans une ville de province à l'est de la France, au début des années soixante, Mathilde Serpenoise retrouve la maison familiale qu'elle a quittée quinze ans auparavant. Revenant d'Algérie avec ses deux enfants, Edouard et Fatima, elle est violemment accueillie par son frère, Adrien, qui l'accuse de fuir la guerre et de revendiquer son héritage.

 

Question :

2)Après avoir lu ces résumés succincts des principales pièces de Koltès, pouvez-vous dégager des points communs, qui exprimeraient les caractéristiques de son univers ?

 

Si vous avez le temps, vous pouvez voir, sur le lien suivant, quelques images du début de la mise en scène de La solitude des champs de coton de Chéreau en 1995, dans laquelle le metteur en scène incarne lui-même le rôle du dealer. 

 

 


 

Dans la solitude...

 

 

III)Un extrait de La Nuit juste avant les forêts (1977)

 

Lisez le début de La Nuit juste avant les forêts (la pièce qui qui a marqué, en 1977, la rencontre du public avec l’univers et l’écriture de Koltès) ; il se trouve dans votre manuel p180-181. Puis répondez aux questions suivantes :

 

Questions

3)En vous aidant du paratexte et de vos impressions de lecture, définissez la modernité de cette « dramaturgie » (= façon spécifique qu’a un auteur de raconter une histoire au théâtre).

4)En quoi l’écriture de Koltès est-elle à la fois réaliste et poétique ?

 

 

IV)De Roberto Succo à Roberto Zucco : du fait divers au mythe

 

-Roberto Zucco est une pièce écrite par Koltès en 1988, l’année même où le vrai Roberto Succo, serial killer italien ayant commis de nombreux meurtres en Italie et en France, est arrêté et se suicide en prison, à l’âge de 26 ans. Koltès l’écrit alors qu’il se sait lui-même condamné, malade du sida. Il meurt quelques mois plus tard (en avril 89), laissant la pièce inachevée. Elle est créée en 1990 en Allemagne, puis en 1991 en France. Rapidement éclate une polémique en France et en Italie, les pays où Succo a sévi : la pièce sera interdite à Chambéry (où le tueur a commis quatre ans auparavant le meurtre d’un policier).

 

Voici ce qu’écrit Bruno Boëglin, le metteur en scène français qui a créé Zucco en France à l’automne 1991.

"Je crois que Koltès n'a pas eu le temps de finir "Zucco". Il aurait sans doute revu cette pièce, il y a une sorte de désordre qu'il aurait ménagé. Elle a été écrite dans l'urgence, "juste avant de mourir", et par la voix de Zucco qui va mourir aussi, c'est souvent Koltès qui parle. Il y a un sentiment d'urgence très fort : il faut la jouer, disait-il, comme pris d'une formidable envie de pisser et par conséquent quitter la scène le plus vite possible."

 

-Au printemps 1988, au moment où Koltès décide d’écrire sa pièce, on ne sait pas encore grand-chose de la dérive meurtrière de Succo. Le dramaturge décide délibérément de ne pas effectuer de travail de recherche poussé. Il cherche plutôt à explorer le choc créé en lui par les rares documents dont il dispose. Il évoque sa « rencontre » avec la figure de Succo, ces documents et sa façon de travailler, dans plusieurs entretiens publiés à l’automne 1988, alors que la pièce n’est pas encore achevée. Ces entretiens ont été republiés dans Une part de ma vie aux éditions de Minuit en 1999. Ils nous permettent d’entrer dans une  démarche créatrice très singulière.

Voici ces entretiens et les documents qu'évoque Koltès  :

 

 

a) Entretien avec Colette Godard (Le Monde 28 septembre 1988),

 

En février de cette année-là (1988), j'ai vu placardé dans le métro l'avis de recherche de l'assassin du policier. J'étais fasciné par la photo du visage.

http://www.bernardmariekoltes.com/wp-content/uploads/2017/10/Sans-titre1.png

http://www.bernardmariekoltes.com/wp-content/uploads/2017/10/Sans-titre1.png

 

Quelque temps après je vois à la télévision le même garçon, qui, à peine emprisonné, s'échappait des mains des gardiens et défiait le monde…

 

 

Roby sul tetto che scotta

 

https://youtu.be/etGWIvZlqdw

Alors je me suis très sérieusement intéressé à l’histoire. Son nom était Roberto Succo ; Il avait tué ses parents à l’âge de quinze ans, puis redevenu « raisonnable » jusqu’à vingt-cinq ans, brusquement il déraille une nouvelle fois, tue un policier, fait une cavale de plusieurs mois, avec prise d’otages, meurtres, disparitions dans la nature, sans que personne ne sache qui c’était exactement. Puis, après son spectacle sur les toits, il est enfermé à l'hôpital psychiatrique et se suicide de la même manière qu'il avait tué son père (...) Un trajet invraisemblable, un personnage mythique, un héros, comme Samson ou Goliath, monstres de force, finalement abattus par un caillou ou par une femme (...)


b) Entretien avec Matthias Matussek et Nikolaus von Festenberg, Der Spiegel, 24 octobre 1988

 

C’est la première fois que j’écris une pièce sur un destin réel : le destin de l’homme dont la photo se trouve au-dessus de mon bureau (…) Cet homme tuait sans aucune raison. Et c’est pour cela que, pour moi, c’est un héros. Il est tout à fait conforme à l’homme de notre siècle, peut-être même aussi à l’homme des siècles précédents. Il est le prototype même de l’homme qui tue sans raison. Et la manière dont il perpétue ses meurtres nous fait retrouver les grands mythes, comme par exemple le mythe de Samson et Dalila. Cet assassin qui est au centre de ma nouvelle pièce, a été trahi par une femme, comme Dalila qui coupa les cheveux de Samson, le privant ainsi de sa force.


Qu’est-ce qui vous intéresse dans les figures mythiques ?


Je dirai que, ce qui distingue un homme comme Samson du commun des mortels, ce n’est pas tant une quelconque mission, une quelconque tâche, c’est sa force extraordinaire et le regard admiratif que les autres portent sur lui ; c’est cela qui fait de lui un héros (…)


Vous sentez-vous proche de cet homme ?


Oui.


Dans votre dernière pièce vous vous inspirez d’une biographie réelle.


Je ne savais pas grand chose de cet homme, j’avais quatre articles de journaux. Je n’ai pas fait de recherches. Pour moi, c’est un mythe et cela doit rester un mythe. »


En cliquant sur le lien, vous pourrez lire un article d’Hervé Guillaume, publié dans « Le Nouvel Obs », un hebdomadaire français, en mars 1988, peu après l’arrestation de Roberto Succo. Peut-être s'agit-il de l’un des quatre dont s’est servi Koltès ?

 

http://referentiel.nouvelobs.com/archives_pdf/OBS1217_19880304/OBS1217_19880304_083.pdf

 

c) Entretien avec E. Klausner et B. Salino, L'Événement du Jeudi, janvier 1989 

 

« À 14 ans, Roberto a tué son père et sa mère, sans motivation. Il a été interné en hôpital psychiatrique, et il a été tellement sage qu’on l’a relâché. À 24 ans, ça a déraillé une nouvelle fois, et à nouveau il a tué, sans motif. Quand on l’a arrêté, il était dans la rue, des flics sont arrivés vers lui, ils ne pensaient même pas que c’était Roberto Succo, parce qu’il était en cavale. Ils lui ont dit : « Qui êtes-vous ? » et il a répondu : « Je suis un tueur, mon métier c’est de tuer les gens. » Il a fini par se suicider dans sa cellule de prison, en s’asphyxiant avec un sac en plastique – exactement comme il l’avait fait pour tuer son père. Succo a une trajectoire d’une pureté incroyable. Contrairement aux tueurs en puissance – et il y en a beaucoup –, il n’a pas de motivations répugnantes pour le meurtre, qui est chez lui un non-sens. Il suffit d’un petit déraillement, d’une chose qui est un peu comme l’épilepsie chez Dostoïevski : un petit déclenchement, et hop ! c’est fini. C’est ça qui me fascine. »

 

 

Questions :

5)Comment Koltès évoque-t-il sa démarche créatrice ?

6)Quelle définition propose-t-il du « mythe » ? En quoi peut-il qualifier Succo/Zucco de « mythe » ?

7)De quelle manière paradoxale définit-il la trajectoire meurtrière de Succo/Zucco ? Comment comprenez-vous qu’il puisse la qualifier de « pureté incroyable » ?

8)Comment analyse-t-il son rapport personnel à ce personnage ?

9)A partir de vos réponses précédentes, opposez la démarche de l’auteur de théâtre Koltès à celle d’un journaliste ou même d’un romancier comme Jablonka.

 

 

V)Retour à Roberto Succo

 

Mais, depuis 1988, le public en sait beaucoup plus sur le parcours meurtrier du véritable Roberto Succo. Si vous voulez approfondir votre connaissance de ce fait divers, vous pouvez aller vers les documents suivants (mais ce n'est pas du tout obligatoire pour aborder la pièce de Koltès, et les liens suivants ne vous sont proposés qu'à titre indicatif) :

 

a)Un article d’une célèbre encyclopédie en ligne

https://fr.wikipedia.org/wiki/Roberto_Succo

 

b) Une enquête documentaire, à la frontière entre le récit et l’essai :

Pascale Froment Je te tue, Histoire vraie de Roberto Succo, assassin sans raison (1991)

http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Au-vif-du-sujet/Je-te-tue

Voici ce qu'en dit son éditeur :

"Après deux ans d’une enquête minutieuse, où les détails les plus infimes sont vérifiés, l’auteur publie, selon les mots de son éditeur, « un livre noir où le grand reportage rejoint la littérature ».

 Vous voyez que la démarche de Pascale Froment se situe exactement à l’opposé de celle de Koltès, et qu'elle est beaucoup plus proche de celle de Jablonka (en s’inscrivant comme lui dans le genre du « récit non fictionnel » que nous avons abordé en début d’année).

 

c)Une émission de télévision grand public spécialisée dans les enquêtes judiciaires

 

Roberto Succo, Succo le fou - Faites entrer l'accusé #FELA

https://www.youtube.com/watch?v=RxxMD5hypOs

 

 

d)Un film qui reprend les codes du thriller

Cédric KAHN Roberto Succo (2001)

 

Roberto Succo Trailer

 

https://www.youtube.com/watch?v=jvXQGBRL9UM

 

Le cinéaste s’inspire du récit-enquête de Pascale Froment. Le film est présenté au festival de Cannes en 2001. Voici la façon dont le cinéaste oppose sa démarche à celle de Koltès, lors d’un entretien publié dans « L’humanité » à l’occasion de la sortie de son film.

https://www.humanite.fr/node/246521%20Le%20n%C3%A9ant%20au%20bout%20de%20l'enqu%C3%AAteSamedi,%2019%20Mai,%202001

 

« Outre Pascale Froment et vous-même, Bernard-Marie Koltès est l'auteur d'une pièce inspirée du fait divers, Roberto Zucco. Vous avez pensé à son point de vue lorsque vous avez commencé à travailler sur Roberto Succo ?

 

Cédric Kahn : Tout tient dans la différence entre le S et le Z. Koltès est dans une interprétation affichée et affirmée, avec pour base le fait divers. Dans sa pièce, nous sommes dans le fantasme, mais c'est un choix que je respecte. Pour ce qui me concerne, je suis conscient que même la mise en scène charrie un autre fantasme, d'objectivité, qui n'existe pas. Mais je n'ai jamais eu la volonté de m'approprier le personnage, de m'y investir ni de le fabriquer à mon image. Parce ce que, pour moi, c'est impossible. »

 

 

Conclusion

J’espère que vous disposez maintenant d'assez d’éléments pour vous lancer avec moi dans l’exploration de cette pièce étrange.

 

NB : Ce travail de recherche a été élaboré à partir d’un site que je vous invite à consulter malgré (ou à cause de ?) son titre bizarre

http://saucissonsdenuit.blogspot.fr/2011/12/roberto-succo-linspirateur-4.html