ECG Géopolitique 1ère année, lycée Carnot

Le protectionnisme et la guerre

Il est commun d’entendre et de lire que le repli économique des Etats durant les années 1930, qu’il prenne la forme du protectionnisme ou de l’autarcie (deux termes qui ne correspondent pas à la réalité des échanges en réalité quand on y regarder de plus près), a participé à la montée des tensions et finalement au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Inversement, des échanges importants et des investissements croisés réduiraient les risques de conflagration en raison des interdépendances ainsi créées. Drôle de raisonnement qui n’a rien à envier au matérialisme de Marx ! Par conséquent, on en déduit que le libre-échange est facteur de paix, à n’en pas douter, ainsi que l’écrivait déjà Adam Smith et Montesquieu avant lui au XVIIIe siècle dans un passage célèbre « le commerce guérit des préjugés destructeurs » (De l’Esprit des Lois, Livre XX).

Une simple observation suffit à atténuer les effets du libre-échange. Par exemple, les échanges commerciaux entre la France et l’Allemagne passent d’une valeur de 2,9 milliards de francs en 1936 à 4,9 milliards en 1938. Ce commerce n’est même pas freiné par l’Anschluss et la crise des Sudètes comme le démontre Sylvain Schirmann[1]. On se rappellera également qu’après la défaite de 1870 et en dépit de la dépression entre 1873 et 1896, les échanges entre la France et l’Allemagne ainsi que des investissements croisés, que cela concerne le Bagdadbahn ou la tenue des comptes de l’Etat ottoman par des banques privées françaises et allemandes, sont croissants et intenses Ces intérêts communs donnent lieu à des flux de capitaux importants et constants entre les deux pourtant présentés comme des « ennemis héréditaires ». Les ambitions impérialistes de Guillaume II s’accommodent donc sans problème de cette entente financière. Plus haut dans la chronologie, la période de libre-échange des années 1860 et 1870 voit a contrario triompher les nationalismes facteurs de conflits. Le problème est donc ailleurs : les responsables politiques, aussi libéraux soient-ils, ne croient plus à la paix. Ils n’y croient plus car les enjeux dépassent très largement les seuls intérêts économiques. Une guerre se déclenche quand une nation, portée par un sentiment d’injustice, soutient que le recours aux armes permettra une réparation. 

La guerre est aussi un moyen de s’accaparer des ressources, indispensables à la production et donc par la suite aux échanges. La prospérité des mercantilistes conditionnée par un jeu à somme nulle dénoncé par David Hume. Ce dernier estime qu'il y a plus à gagner à commercer avec d'autres États riches qu'avec des États pauvres. Dès lors, toute guerre entraverait la prospérité des deux partenaires. Or les taux de protection commerciale baissent entre 1900 et 1913 pour le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie. L’Allemagne, comme l’Italie ont alors grandement besoin de produits agricoles (dont la taxation  passe de 17,3 % à 10,3 % chez la première et de 34,7 à 20,8 % chez la seconde) et de fer, importés de France entre autres tandis que les Français lui achète des biens industriels (les tarifs sur les produits chimiques passent ainsi de 21 % à 11 %). La théorie des avantages comparatifs et l’eucharistique interdépendance des économies n’ont pas neutralisé les risques de guerre. La mécanique associant fin du libre-échange et « montée des périls » n’est donc pas analogue à la loi de l’apesanteur.

 

[1] SCHIRMANN, Sylvain. Le commerce entre la France et l’Allemagne : de la crise à la guerre In : L’économie, l’argent et les hommes : Les relations franco-allemandes de 1871 à nos jours [en ligne]. Paris : Institut de la gestion publique et du développement économique, 2009

Une lecture au ras du sol des conflits récents

C'est le récit de 9 officiers légionnaires qui prennent la plume pour raconter la dernière décennie de combat de cette unité de légende. Pour la première fois, accompagnez les hommes au képi blanc en Afghanistan, en Guyane, en République centrafricaine, au Mali. « Monsieur légionnaire » était partout où la France a décidé de se battre. De l’entraînement aux combats les plus âpres, c’est le quotidien de ces hommes venus du monde entier pour servir une autre patrie que la leur qui est retracé ici, au plus près du terrain

En finir avec le mythe de l’isolationnisme américain ?

 

Les poncifs ont la vie dure en dépit de nombreux articles universitaires qui nuancent, sinon rejettent cette façon dont l’histoire américaine est saucissonnée en phases ou cycles alternant interventionnisme et isolationnisme[1]. En réalité, les Etats-Unis sont toujours intervenus pour exercer une influence, pour défendre leurs intérêts ou pour augmenter leur territoire. Pour la période qui concerne le programme d’ECS débutant en 1913, il faut remonter aux dernières années du XIXe siècle pour comprendre la politique américaine en 1913. 

Une nation élue

Assez tôt, certains acteurs cultivent le sentiment de supériorité des Américains et justifient des politiques expansionnistes au nom d’une « race anglo-saxonne », supérieure aux autres. Josiah Strong, secrétaire de l’Alliance évangélique, dans une perspective social-darwinienne déclare dans The New Era, or The Coming Kingdom (1893) son admiration pour les fondateurs des Etats-Unis, supérieurs en tout aux Européens. Ce sentiment de supériorité raciale se retrouve chez John Burgess, professeur à Columbia et théoricien de l’Etat et de la Nation - il eut pour élève Theodore Roosevelt - et qui justifie la vision de la Greater America de Marshall Everett[2] en 1899. Ce dernier écrit “Our flag has been planted in two hemispheres, and there it remains, the symbol of liberty and law, of peace and progress. Who will withdraw from the people over whom it floats its protecting folds?  Who will haul it down?  "The peace we have won is not a selfish truce of arms, but one  whose conditions presage good to humanity” (Exciting Experiences in Our Wars with Spain and the Filipinos , 1899). Burgess trouve en réalité en Mahan un modèle politique.

Ce sentiment de supériorité rejoint  l’idée de « destinée manifeste » popularisée en 1844, par John O’Sullivan dans la Democratic Review.  Les Américains doivent peupler le continent et y installer leur modèle politique, reproductible pour toute l’Amérique et même au-delà. Persuadés de l’universalité de leurs valeurs, porteurs d’une sorte d’impérialisme humanitaire et bienveillant, ces auteurs diffusent un messianisme optimiste et libérateur à l’instar des « Pères fondateurs » du XVIIe siècle.

Les pèlerins du Mayflower (1620) et les puritains  ont entretenu une vision religieuse du destin du pays. Dès 1630, l’avocat puritain et fondateur de la colonie de la baie du Massachusetts, John Winthrop, l’exprime dans son sermon « A Model of Christian Charity ». Il y déclare que les puritains du Nouveau Monde ont la mission divine de construire une Cité sur la colline (City upon a hill), nouvel Eden, loin de l’Europe pourrie par l’immoralité et le péché – une mise à distance qui se traduit par la suite à l’échelle locale avec passion pour les périphéries urbanisées composées d’habitations individuelles réunies autour de la community, loin des centres réputés criminogènes.

De la même manière, la devise In God we trust » (née en 1864), qui devient officielle en 1956, doit être comprise ainsi : Dieu a mis sa confiance dans le peuple américain pour guider le monde. Elle est tirée d’une strophe du Star-Spangled Banner, l’hymne national. C’est donc bien plus qu’une simple fidélité et obéissance à Dieu. Elle est complétée par One Nation under God, diffusée après en 1954 en pleine Guerre froide. Elle signifie que la prospérité et la puissance sont des dons de Dieu et répondent à l’étatisme du New Deal que les conservateurs dénoncent. Dès lors, toute intervention extérieure est légitimée au nom de cette élection divine face à la puissance sans Dieu qu'est l'URSS. Ces deux devises se situent dans le prolongement d’un «  nouvel ordre des siècles » inscrit sur les dollars en 1935 et connue depuis la fin du XVIIIe siècle.  Les Américains ont donc vocation à instaurer une nouvelle humanité. Cette vision peut se résumer au mot "exceptionnalisme" ; une notion qui inspire la Déclaration d’indépendance de 1776 et  qui pousse les Américains à considérer leur modèle politique (au sens large) comme universel. Ceci est bien ancré dans les mentalités américaines, y compris au plus bas de l’échelle sociale, même s’il est évident qu’elle cache des intérêts plus terre à terre. Durant les années 1930, l'exceptionnalisme véhiculé par la chanson God Bless America d’Irvin Berlin sonne même comme un appel pour aller au secours des Juifs persécutés par les nazis. Pour comprendre tout cela, il faut se référer aux travaux de Kevin Kruse qui a démontré dans One Nation under God (Basic Books, 2015) que le puritanisme est envisagé après 1945 comme une arme politique contre les « collectivistes », incarnés par le camp communiste. Dans une interview récente, l’auteur associe même les deux « âmes sœurs » que sont le capitalisme et le christianisme.

Faire le bien dans le monde tout en poussant ses pions sur l’échiquier mondial

Par conséquent et en changeant d’échelle, les Américains ont un devoir à l'échelle mondiale  ; celui de répandre leurs valeurs chrétiennes de liberté et de charité, quitte pour cela à faire une entorse à la règle de séparation entre la sphère politique et la sphère religieuse ; ce que George Bush fait par exemple  en 2003 en lançant la guerre contre l’Irak, même si le mot "croisade" alors utilisé fait controverse puisqu'il a été utilisé très souvent dans d'autres cadres que la guerre. Très tôt, la vocation de la puissance américaine s’exprime en dehors des frontières.

La doctrine Monroe  défendue en 1823 par Jamers Monroe (président de 1817 à 1825) fait de l’Amérique entière « une chasse gardée ». L’Amérique doit échapper à l’Europe, au « Vieux monde », dépassé et sans promesse. La puissance projette ainsi ses frontières morales au-delà de ses frontières politiques pour signifier au monde que l’Amérique entière est soumise à une doctrine américaine définie comme libératrice de l'humanité toute entière et participant d’un « anticolonialisme impérial » (Jay Sexton). Les Etats-Unis se posent donc comme seuls défenseurs de la liberté en Amérique et promettent de lutter contre le colonialisme européen. C’est donc bien au nom de la liberté que l’impérialisme yankee est mis en oeuvre, même si tout cela nous apparaît aujourd’hui comme assez hypocrite. C’est aussi une façon pour les Etats-Unis de poursuivre leur construction en tant que nation, en s'éloignant encore davantage du « Vieux continent » (ce dernier syntagme devrait d'ailleurs être banni des copies). C’est la raison pour laquelle il faut considérer les coups de force du XIXe siècle comme des prolongements de cette vocation à libérer les peuples.

La politique de la canonnière imposée au Japon en 1853-1854 et débouchant sur le traité de Kanagawa entre les représentants du shogun et le Commodore Perry (4 navires de guerre) ouvre par la force le pays au libre-échange. Le traité de commerce qui suit en 1858 permet l’ouverture des ports japonais aux commerçants américains. D'autres traités font entrer Japon dans le jeu international, l’oblige à céder plusieurs concessions, dont Yokohama. Les accords commerciaux expliquent également le discrédit qui pèse sur le shogun et finalement l’avènement de l’ère Meiji ishin (rénovation) en 1868.

Plus tard, le conflit avec l’Espagne en 1898 sous prétexte de l’explosion de l’USS Maine dans la baie de La Havane, permet aux Américains de s’emparer des Philippines, de Guam, de Cuba, de Porto Rico, en même temps qu’ils font main basse sur Hawaï convoité depuis 1894. L’amiral George Dewey, parti de Hong-Kong pour se diriger aux Philippines, rencontra l’indépendantiste Aguinaldo et promit même l’indépendance aux Philippines. William Hearst, propriétaire du New York Journal, justifie l’attaque en évoquant une torpille espagnole alors que l’explosion du navire américain était probablement un accident. Quoi qu’il en soit, le Traité de Paris signé avec l’Espagne en décembre 1898 établit une projection de la puissance américaine sur les mers ; projection défendue par l’amiral Alfred Mahan dans le cadre du renforcement du « sea power » (puissance maritime) qu'il définit dans son ouvrage clé The influence of Sea Power upon History, 1660-1783 (1890).  C’est finalement au nom de l’anti-impérialisme que les Etats-Unis deviennent impérialistes. En témoigne encore l’Amendement Platt (1901), du sénateur républicain Orville Platt, qui autorise le stationnement de troupes américaines sur le sol cubain.  Dans le prolongement de l’amendement Teller, Cuba autorise ainsi les Etats-Unis à intervenir pour la préservation de son indépendance de Cuba ! La base du Guantanamo est installée par la suite grâce au traité américano-cubain de 1903.

La politique interventionniste du « big stick » du président républicain Theodore Roosevelt[3] n’est donc que le prolongement d’une politique déjà en œuvre à l’intérieur des frontières comme il l’a défendue dans The Winning of the West (1889-1896)[4]. Ce président républicain, auteur également de La guerre navale en 1812, imbibé de néo-darwinisme et engagé volontaire dans la guerre avec l’Espagne à la tête des Rough Riders (cavaliers durs à cuir), a un mentor en la personne du sénateur Henry Cabot Lodge. Ce dernier est un virulent patriote, qui aux côtés d’Albert Beveridge, défend l’interventionnisme et la constitution d’une puissante marine de guerre. Rares sont ceux comme Mark Twain, qui, après avoir cru à l’universalité des valeurs américaines, osent s’opposer à l’impérialisme[5].

Voici comment Theodore Roosevelt justifie la conquête de terres dans les années 1890 : « I should welcome any war, for I think this country needs one ». Theodore Roosevelt impose au Panama un protectorat déguisé permettant à Washington de contrôler le canal éponyme, ainsi que les finances et le commerce du pays. La mer des Caraïbes se transforme progressivement en « lac américain ». Dans son Corollaire de 1904, Roosevelt soutient cette mainmise en évoquant à nouveau la nécessité de répandre les idéaux de liberté et de justice, que seul le « peuple élu », américain donc.[6]. En 1904, l’écrivain américain O’Henry, dans Cabbages and Kings, évoque les « républiques bananières » (dénoncées par Pablo Neruda) ; des républiques d'Amérique centrale soumises aux grandes firmes américaines protégées par l’US Army et les gouvernements corrompus locaux. Là, comme en 1898, l'armée américaine use de tactiques contre-insurrectionnelles (donc avec des exactions à l'encontre des populations civiles), qu'elle saura remobiliser lors de la guerre du Vietnam (1963-1973). 

Son successeur, William Taft (président républicain de 1909 à 1913, mais ancien Secrétaire d’Etat à la Guerre de Roosevelt) ajoute au Corollaire (intervention au Nicaragua dès son entrée en fonction) la « diplomatie du dollar » dont l’objectif est de multiplier investissements et les échanges avec les pays étrangers pour exercer, sinon leur imposer, une influence politique. La politique étrangère américaine ne passe donc pas par les canaux traditionnels de la diplomatie de tradition européenne ; le dollar devient une arme. Après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, les interventions à l’étranger se poursuivent (Mexique, République dominicaine, Cuba). En 1915, le débarquement à Haïti autorise même les troupes américaines à y rester 19 ans ! Au sortir de la guerre, l’économie de l’Amérique latine est largement dominée par les Etats-Unis. En 1918, il y eut également une brève intervention des troupes américaines à Vladivostok dans le cadre de la lutte anti-bolchévique .

Conclusion

Les Etats-Unis mobilisent leur identité, très marquée par le christianisme, pour agir dans le monde en tant que puissance prométhéenne, mais cette politique relève aussi du pragmatisme que tout Etat sait mettre en œuvre pour la défense de ses intérêts économiques et sa survie. L’outillage idéologique a justifié un certain nombre d’interventions militaires qui n’ont cessé de renforcer la position stratégique des Etats-Unis, en particulier après 1898. Ces éléments expliquent la difficulté à user du terme « isolationnisme » comme aiguillon de la politique extérieure américaine avant 1913. Dans cette fenêtre chronologique qui va de la la fi du XIXe siècle à 1913, le recours à des critères raciaux n’a pas été écarté pour exalter la primauté de la nation américaine ; les peuples immatures pour se gouverner doivent se soumettre à un peuple « magistral » (Th.Roosevelt). La "guerre juste" a permis aux Américains de constituer un empire suffisamment vaste pour rivaliser avec la puissance de l’Europe ; il en était de leur « devoir devant Dieu » (A.Beveridge).

 

 

[1] On pourra se référer ici aux travaux de Maya Kandel https://journals.openedition.org/ideas/5702


 

 

[3] Voir également RICARD, Serge. Théodore Roosevelt et l’Amérique impériale. Nouvelle édition, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.

[5] « And so I am an anti-imperialist. I am opposed to having the eagle put its talons on any other land », New York Herald, 15 octobre 1900.

Le T800, c'est demain : le soldat du XXIe siècle.

L’Intelligence artificielle est, depuis quelques années, un enjeu stratégique majeur. Elle est capable de transformer le champ de bataille et de donner à la puissance qui la maîtrise un atout majeur.

 

L’usage de technologies avancées n’est pas nouveau dans le domaine de la guerre. Il suffit de se reporter aux machines de siège du Moyen Âge ou aux instruments électroniques utilisés durant la Seconde Guerre mondiale. Un pas important a été franchi lors de l’opération Tempête du désert en 1991 avec l’irruption d’avions furtifs, de GPS satellitaires, de missiles guidés.

Mais l’IA a une portée bien plus grande dans le sens où elle transforme tous les aspects du champ de bataille : informations, gestion des ressources, règles d’engagement, traitement des territoires conquis etc. Elle englobe un ensemble bien plus vaste que la seule frappe.

Le secrétaire d’Etat à la Défense Mark Esper a bien compris l’intérêt de développer ce champ de recherche comme le président russe Vladimir Poutine qui a déclaré cette semaine que la nation à la pointe de l’IA sera la puissance dirigeante du monde. Les Russes ont déjà utilisé une combinaison sophistiquée et bien coordonnée de véhicules aériens sans pilote, de cyber-attaques et de barrages d'artillerie pour infliger de graves dommages aux forces ukrainiennes et la vente récente d’un des missiles les plus performants du monde, le S400, à la Turquie a de quoi inquiéter Washington.

Moscou a élaboré un vaste programme de R&D dans le domaine des systèmes autonomes basés sur l'IA, tant en ce qui concerne les véhicules terrestres, les avions, les sous-marins nucléaires et même le commandement et le contrôle. Derrière la Russie se positionne la Chine qui a pour objectif de devenir le leader mondial de l'IA d’ici dix ans, y compris en glanant ici ou là des données, y compris à travers leurs étudiants dans les grandes universités scientifiques américaines, ce que NBC appelle des « soft targets ».

L'Armée populaire considère l'IA comme une technologie capable de mouvoir des véhicules et des systèmes d’armes autonomes à long rayon d'action et à faible coût pour contrer la projection de puissance conventionnelle de des Américains. Actuellement, les fabricants d'armes chinois vendent des drones autonomes qu'ils prétendent pouvoir mener des frappes ciblées Les drones furtifs constituant une étape cruciale dans cette marche vers la puissance militaire.

Mark Esper s’en ait pris à l’État de surveillance du XXIe que Pékin a mis en place pour  «  exercer un contrôle sans précédent sur son propre peuple. Car au-delà de l’usage militaire, l’IA trouve aussi son utilité dans la surveillance des populations ; le machine learning au service du pouvoir politique donc. Côté américain, on se réclame au contraire  de la tradition démocratique et de la Constitution de 1787 pour mettre en avant un usage « démocratique » de l’IA. C’est assez surprenant puisque la surveillance généralisée, tant qu’elle n’est pas approuvée par les intéressés, est plutôt synonyme d’entorse à la liberté et même à l’éthique.

A la pointe des recherches sur l’IA se trouve la DARPA (Agence des projets de recherche avancée du Pentagone). Le colloque qui s’est déroulé en 2019  à Alexandria en Virginie, a produit un certain nombre de pistes susceptibles d’orienter les recherches de toutes les entreprises liées aux complexes militaro-industriels.

Pour l’un de ses chercheurs, le Docteur J.Zhou, la quantité de calcul nécessaire pour former les plus grands systèmes d'IA a été multipliée par dix chaque année. Alors que les progrès de l'IA commencent à avoir un impact profond sur les processus informatiques numériques, les compromis entre la capacité de calcul, les ressources et la taille, le poids et la consommation d'énergie (SWaP) deviendront de plus en plus critiques dans un avenir proche.

Un monde assez inexploré s’ouvre aux décideurs militaires ; le cerveau humain. Les architectures neuromorphiques/neurales d'imiter la façon dont la nature (donc l’homme) calcule et fait des choix. Demain, les interactions entre le cerveau humain et son environnement (guerre, pandémie etc.) pourront être placées dans des bio-systèmes, comme les insectes miniatures. Des prototypes de modèles de calcul pourraient être cartographiés sur du matériel approprié pour « augmenter » les capacités du soldat ou de robots. L'objectif de la DARPA est de comprendre ces principes de calcul, l'architecture et les détails neuronaux de petits bio-systèmes qui sont régis par des besoins SWaP extrêmes dans la nature.

Un monde dystopique est en train de disparaître, ce qui met fin à toute science fiction (nous ne sommes plus très loin de la trilogie Terminator) même si la Darpa promet que tout ceci ira dans le sens du progrès humain et de l’amélioration des conditions de vie sur Terre (alimentation, santé etc.). Financée à hauteur de 3 milliards par an environ, la Darpa détermine en réalité le cap à suivre par le Pentagone, qui souhaite toujours depuis la Guerre froide avoir une longueur d’avance sur son principal adversaire. La guerre du futur est dans les cartons et préparée en sous-main par les géants de l’électronique et du web (GAFAM en particulier). Muet sur ses recherches en matière de génie génétique (créer des cellules), le DARPA, en centrant ses recherches sur le cerveau humain, est-il en train de préfigurer le « soldat de demain », infatigable et programmable, indolent et polyvalent et dont le sacrifice ne serait qu’une question de simple coût financier ? Depuis les années 2000, il travaille déjà sur la Brain Machine Interface (BMI), Elon Musk n’étant pas loin, pour permettre la connexion entre le cerveau et la machine grâce à des nano-transmetteurs. L’homme-machine, avenir des armées, ne semble pas si loin d’autant que ce programme N3 (Next-Generation Nonsurgical Neurotechnology) reçoit des fonds de plus en plus importants et le soutien de grandes universités (Carnegie Mellon University, John Hopkins etc.). Ceci pose évidemment des questions éthiques, dont doivent s’emparer les élus américains. On a affaire à une militarisation de la biologie et de la génétique qui, demain, peut produire des dérives inquiétantes d’autant que le multilatéralisme qui aurait pu générer un traité international sur l’usage du génome et des cellules humaines, n’est pas pour demain.

La Chine fait son marché

Dans un article du Temps (Suisse), on apprend que la Chine recrute désormais d'éminents chercheurs dans le cadre d'un programme Thousand Talents dont, dit l'article, l'un des objectifs est de renforcer la capacité de recherche dans le domaine militaire.

Lien vers l'article du Temps.

Une économie mondiale bouleversée par la crise sanitaire

Dans une note de synthèse, l'ISS a établi une liste des grandes mutations de l'économie mondiale causées par la crise de la Covid-19. Les sociétés devraient mettre en place de nouvelles habitudes de consommation, les entreprises des stratégies commerciales d'atténuation des risques. Pour rester concurrentielles, elles doivent réviser leurs chaînes d'approvisionnement (supply chains). Selon l'Organisation mondiale du commerce, le commerce mondial devrait chuter de 13 à 32 % en 2020 mais la Chine se redressera assez vite ; un découplage complet avec la Chine est économiquement et, pour certains pays, politiquement irréalisable. Une poignée de pays apparaissent comme des candidats potentiels pour remplacer, au moins partiellement et à long terme, le rôle de la Chine dans les chaînes d'approvisionnement mondiales. Il s'agit notamment de l'Inde, du Mexique, de la Thaïlande et du Vietnam. Enfin, certains Etats ont mis en place des plans de relance ambitieux (Allemagne, 1000 milliards d'euros, New Deal coréen de 95 milliards de dollars, France 100 milliards d'euros etc.) mais dont il faut encore vérifier leur réalisation, puisque beaucoup de fonds consistent en prêts garantis par l'Etat.
Certain PVD pourraient augmenter leur part du commerce mondial, principalement celle des produits manufacturés non essentiels, tandis que la relocalisation et la régionalisation des productions stratégiques sont probables mais elles seront coûteuses pour le consommateur final. Paradoxalement, le commerce illicite s'est poursuivi pendant la COVID-19, touchant principalement les équipements médicaux (plus de 100 000 sites web vendant des produits de manière illégale). Enfin, la crise devrait favoriser une plus grande sensibilisation des consommateurs aux enjeux environnementaux ; préoccupation qui devrait déboucher sur une réponse politique multilatérale pour renforcer l'application de la législation commerciale.


 

Les Etats-Unis renforcent leur soutien en Asie-Pacifique pour se protéger de la Chine et de la Corée du Nord

Le 29 août, le secrétaire à la défense Mark T. Esper a accueilli le ministre japonais de la défense Taro Kono à Guam, où ils ont réaffirmé la force de l'alliance américano-japonaise et ont discuté des moyens d'approfondir et d'étendre la coopération bilatérale en matière de défense.

Les deux leaders ont défendu le respect d'une "région indo-pacifique libre et ouverte".  Le secrétaire a exprimé ses inquiétudes concernant la décision de Pékin d'imposer une loi de sécurité nationale à Hong Kong, ainsi que des actions  vis-à-vis de Taïwan.  Les deux Etats défendent un ordre fondé sur des règles dans les mers de Chine orientale et méridionale, et plus largement dans la région et dans le monde.  Le secrétaire d'État a salué les efforts déployés par le Japon pour renforcer la coopération avec d'autres partenaires partageant les mêmes vues, notamment les membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE), l'Inde et l'Australie, ainsi qu'au niveau trilatéral avec les États-Unis et la République de Corée.

Les États-Unis ont réaffirmé leur soutien à l'élimination complète des armes de destruction massive de la Corée du Nord, de leurs moyens de production et de leurs vecteurs et condamné les transferts illicites de navire à navire de la Corée du Nord, et pour avoir accueilli des forces multinationales qui soutiennent cet effort.

Des efforts visant à renforcer l'interopérabilité et  les capacités de l'Alliance, en particulier pour la défense aérienne et antimissile intégrée (IAMD) et pour les fonctions de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) ont été programmés.  Ils ont également convenu de l'importance de réseaux sécurisés et du renforcement de la sécurité de l'information pour protéger les technologies de défense avancées.

Dans ce cadre, les forces américaines d'Okinawa à Guam et d'autres initiatives, notamment la construction de l'installation de remplacement de Futenma.  Le secrétaire a noté l'importance des mesures prises par le Japon pour achever l'achat de Mageshima afin de soutenir la pratique de l'atterrissage des porte-avions de campagne. 


 

Recul relatif de l'industrie d'armement chinoise

Dans un nouvel audit des sociétés mondiales de défense, les entreprises d'État chinoises semblent avoir chuté dans les classements. Malgré les apparences, nous ne devons pas sous-estimer la force de la base industrielle et technologique de défense chinoise d'après un article de l'IISS.

En 2018, les entreprises d'État chinoises liées à la défense ont figuré pour la première fois dans le Top 100 des entreprises de défense. La Chine occupe désormais une place de choix parmi les premières entreprises mondiales de défense. Les huit entreprises d'État chinoises se sont classées parmi les 22 premières, trois parmi les dix premières, et l'Aviation Industry Corporation of China (AVIC) s'est classée parmi les cinq premières du monde.
Classement des entreprises d'État Classement DN 2018 2018 Classement DN 2019 2019
-Classt 6 Aviation Industry Corporation of China (AVIC)
-Classt 8 China North Industries Group Corporation Limited (NORINCO)
-Classt 11 Aerospace Science and Industry Corporation (CASIC)
-Classt 14 China Shipbuilding Industry Corporation (CSIC)
etc.

Les résultats de cette année montrent une image légèrement différente. Les huit entreprises d'État chinoises se classent parmi les 25 premières de la liste mondiale de Defense News. Cependant, tous les conglomérats sauf un ont perdu du terrain par rapport aux années précédentes et cette année, seuls deux d'entre eux se sont classés dans les dix premiers, tandis qu'aucun n'a été classé dans les cinq premiers. Il ne faut cependant pas considérer cela comme une représentation générale d'une industrie de la défense chinoise plus faible en 2019, et ces chiffres doivent être analysés dans le contexte national chinois, ainsi que dans le contexte mondial.

La Chine a donné la priorité à la modernisation de la défense dans les domaines aérien, spatial et maritime. Il lui faut construire une industrie de la défense compétitive au niveau mondial

Priorité à la défense maritime : les deux plus grands conglomérats de construction navale de Chine, la CSIC et la China State Shipbuilding Corporation (CSSC), ont vu leurs recettes liées à la défense augmenter de 17,6 % et 13,1 % respectivement - la plus forte croissance annuelle des recettes liées à la défense des huit entreprises d'État entre 2018 et 2019. Cette année marque la fin du 13e plan quinquennal pour les sciences et technologies de la défense (2016-20) et du plan de développement des sciences et technologies de la défense à moyen et long terme (2006-20), qui fixent des objectifs pour le développement des sciences et technologies militaires et civiles.

Alors que CASIC, AVIC, CSIC et d'autres conglomérats de défense produisent des plateformes et des systèmes de plus en plus en vue, tels que le système de missiles balistiques antinavires CM-401, l'avion de chasse J-20 et le porte-avions Shandong, le statut de la production de défense du CSGC reste incertain.

Les réformes des entreprises d'État se poursuivent sous le régime du président Xi Jinping, l'objectif étant de créer en Chine une industrie de la défense plus innovante, plus efficace et plus compétitive au niveau mondial. En outre, les défis internes tels que le gonflement des industries, la duplication des efforts et la corruption continuent également à être traités.

 

L’école française de géopolitique :

 

L’école française de géopolitique est plus récente que les deux écoles précédemment décrites. Mais dès la fin du XIXe siècle, des géographes se sont intéressés aux enjeux politiques dans les territoires.  Nous avons pris le parti de n’évoquer que quelques auteurs au sein de la galaxie de la géopolitique en France. Pour avoir une vue plongeante sur la géopolitique, en particulier sur les différents modèles géopolitiques, il faut se référer à l’article du géographe Denis Retaillé, « La géopolitique dans l’histoire », Espace Temps, 1998 (en ligne)

 https://www.persee.fr/doc/espat_0339-3267_1998_num_68_1_4333)

Pour Yves Lacoste, considéré comme le « père » de la géopolitique en France dans une présentation eucharistique de la discipline, celle-ci peut être définie comme l’étude « des rivalités de pouvoir entre des communautés humaines sur des territoires, rivalités brutales ou courtoises, via des armes ou des élections. Cependant, ces rivalités n’ont pas toujours le territoire pour véritable enjeu, loin de là ! Ce sont plutôt des appréhensions du monde, des représentations qui s’affrontent ou se confrontent ». Il ne faut pourtant pas attendre Yves Lacoste pour voir des géographes s’intéresser à ces rivalités.

Lorsque le géographe Paul Vidal de la Blache (professeur exilé de Strasbourg à Nancy) propose une étude de la frontière franco-allemande (La France de l’est, 1917), il intègre un certain nombre d’éléments d’ordre physique, économique, démographique et surtout historique qui expliquent sa mise en garde à la fin de l’article quant aux ambitions allemandes de s’emparer et de contrôler un vaste ensemble rhénan du lac de Constance à la Flandre Il tente de prouver par ailleurs la non-germanité de l’Alsace-Lorraine. Auteur d’une Géographie universelle, Vidal de la Blache est aussi l’un des premiers à produire des cartes qui expriment les rapports de force entre les Etats avec leurs couleurs et leurs symboles différenciés.  La carte des divisions militaires met par exemple en avant la frontière de l’est, face à l’ennemi héréditaire, l’Allemagne. La taille des noms de villes fortifiées du côté français témoigne de son parti pris. Vers la même période, nous trouvons aussi André Siegfried, fils de Jules Siegfried, qui, après avoir étudié la géographie électorale,  publie en 1913  le Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République, un ouvrage fondateur de la géographie électorale. Enfin, il faut naturellement citer le géographe Jacques Ancel, auteur de Géopolitique en 1936. Cet agrégé d’histoire et de géographie, a participé à la bataille de Verdun, dont il ressort décoré de la Croix de guerre et de la Légion d’Honneur. Il est l’un des premiers à penser la frontière en tant qu’objet géographique et géopolitique. Rejetant l’idée de frontière naturelle, puisque la frontière est d’abord une construction politique et sociale, Jacques Ancel publie en 1936 Géographie des frontières, préfacé d’ailleurs par André Siegfried. Dès la première phrase de l’ouvrage, Ancel définit son programme ; « La géographie des frontières n’est qu’un aspect de la géographie politique ». Après lui Jean Gottman (auteur en 1951 de La politique des Etats et leur géographie et inventeur du néologisme Megalopolis) enrichit les études de géopolitiques durant les années 1950 et 1960 en insistant sur le cloisonnement de l’espace (autrement dit son organisation en territoires différenciés) et les circulations qui rendent possibles ou non les équilibres. Enfin, 1976 représente une date clé dans la construction de la discipline géopolitique universitaire française avec la publication du livre du géographe Yves Lacoste, La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre2 et la création de la revue Hérodote. Lacoste définit la géopolitique comme tout ce qui intéresse les rivalités de pouvoirs ou d’influences dans un espace. Il s’étonnait encore 2008 du surgissement du mot en 1979, comme s’il avait fallu attendre le conflit entre Khmers et Vietnamiens pour comprendre que les enjeux de puissance ont à voir avec le contrôle de l’espace. Le géographe attache par ailleurs beaucoup d’importance aux « représentations » des territoires ; une idéalité tout aussi importante que la matérialité. Ses travaux, publiés dans un contexte de tensions internationales (chocs pétroliers, des guerres au Proche et Moyen-Orient, Guerre Froide, guerres en Asie du sud-est), ouvrent la porte à une série d’études fécondes enrichissant toutes les sciences sociales (histoire, sociologie, démographie, économie etc.) et permettant de sortir des analyses dépassées centrées sur les idéologies ou les seuls intérêts économiques. Lacoste réhabilite également Vidal de la Blache puisqu’il ne se contente pas de rééditer La France de l’Est mais rédige pour elle une préface élogieuse (1994) après avoir coordonné le Dictionnaire de géopolitique (1994) paru chez Flammarion. Aujourd’hui, de nombreux spécialistes en France et à l’étranger nous permettent de mieux comprendre les enjeux géopolitiques, qu’ils soient historiens, géographes, politologues ou philosophes : Michel Foucher, Pierre Grosser, Frédérick Douzet, Frédéric Lasserre, Pascal Boniface, Thomas Gomart, Olivier Zajec, Serge Sur, John Gaddis, Geir Lundestad, John Darwin, Fréderic Gros Niall Ferguson etc. Il faut également compter sur un certain nombre de revues, plus ou moins orientées comme  Conflits, Diplomatie, Carto,  ou encore Questions internationales et d’autres ressources comme :

L’IFRI : https://www.ifri.org/

L’IRIS : https://www.iris-france.org/publications/

La revue historique des armées : https://journals.openedition.org/rha/

La revue Défense nationale : https://www.defnat.com/revue-defense-nationale.php

Diploweb : https://www.diploweb.com/Actualite-des-revues-geopolitiques,360.html

Geostrategia : https://www.geostrategia.fr/

Les vidéos de l’IHEDN : https://www.ihedn.fr/mediatheque/video?filters%5Bscald_atom%3Afield_scald_type_media%5D=34

 

 

 

 

 

Geopolitik ; l'école géopolitique allemande

La géopolitique, définie comme méthodologie pour expliquer les conflits et les rapports entre les Etats, intègre aujourd’hui les sociétés et leurs représentations. Or cette prise en compte marque durablement l’école allemande dès le XIXe siècle. De l'autre côté du Rhin, la géopolitique prend aussi une dimension plus dialectique à partir du moment où l’Etat allemand, unifié tardivement, naît d’un conflit majeur. La géopolitique vise aussi à « territorialiser l’espace comme l’expression de conflit politique » ; c’est d’autant plus vrai en Allemagne que la plupart des géopoliticiens allemands ont été des officiers éminents comme Friedrich Ratzel ou Karl Haushofer. Pour ce dernier, la géopolitique illustre par exemple une lutte pour la survie d’un peuple. Cette vision, à la fois organiciste et belliciste de la géopolitique, explique le dénigrement de la discipline jusqu’aux années 1970 car elle a été considérée comme base doctrinale des stratégies agressives de conquête des deux Reich allemands.

L'Allemagne et la géopolitique

L’Allemagne n’existe pas en tant qu’Etat-nation avant le 18 janvier 1871 lorsque l’empire (le IIe Reich) est proclamé par Guillaume Ier à Versailles. Le pays passe de plus de 22 Etats princiers à un Etat unifié, mais c’est la « Petite Allemagne » qui se constitue ainsi, sans l’Autriche que la Prusse a pourtant battue à Sadowa en 1866. Le chancelier Otto von Bismarck, ministre-président et ministre des Affaires étrangères, jubile mais limite les ambitions territoriales de son pays à l’annexion de l’Alsace-Moselle (plutôt que l’Alsace-Lorraine). Auparavant, la Confédération germanique avait pris la relève du Saint-Empire Romain Germanique (1815) et de la Confédération du Rhin (1806). Dans la première, présidée par l’Autriche, étaient regroupés 39 Etats et principautés, autant dire que le morcellement politique était important. Là, la rivalité entre la Prusse des Hohenzollern et les Habsbourg de Vienne s’exprima avec force. Les Allemands minoritaires dans la partie dominée par l’Autriche (20 % de la population), sont très majoritaires en Prusse (90 %) ; une Prusse, qui a acquis une partie de la Saxe et de la Westphalie et qui rayonne économiquement et culturellement depuis Berlin, réunissant les grands savants comme Fichte, Humboldt ou Müller et Hegel. En mai 1832, la fête de Hambach (Palatinat bavarois), rassemblant 30 000 Allemands, célèbre à la fois la patrie et la liberté. Ce réveil culturel installe durablement l’étendard noir/rouge/jaune comme signe de ralliement et d’unité des Allemands. Après la victoire contre l’Autriche, la Confédération de l’Allemagne du Nord (1867-1871) à la tête de laquelle il y a la Prusse, rassemble ensuite 22 Etats et marque le début d’une unité portée par ce royaume septentrional. Cela rapproche l’Allemagne du projet pangermaniste esquissé par Johann Fichte (Discours à la nation allemande, 1807). C’est dans ce contexte que se déploient les travaux du géographe Friedrich Ratzel  (Géographie politique, 1901) qui est considéré comme le père de la géopolitique allemande. Auteur dans la Zeitschrift für Politik, fondée et dirigée par le général Karl Haushofer (1869-1946), Ratzel a élaboré les 7 lois d’expansion de l’Etat. Déterministe, Ratzel n’envisageait que de vastes ensembles comme espaces vitaux et vivables, à la manière du biologiste disciple de Haeckel qu’il était. L’étendue (Raum), les frontières (Grenzen), et la position (Lage) fournissent les paramètres de ce que Ratzel appelle l’organisation politique du sol, notion au coeur de son Anthropogéographie très darwinienne. Il développe en effet une théorie de la croissance des Etats définis comme des organismes biologiques dont la survie et la prospérité dépendent de l’occupation du sol : ces Etats peuvent s’étendre, se contracter, vivre, naître, croître, mourir. Ils doivent se déployer sur une étendue correspondant à leur évolution, ce qui peut justifier un élargissement de leurs frontières. C’est la raison pour laquelle Albert Demangeon considérait la théorie de Ratzel comme déterministe et dangereuse.

A sa suite, Joseph-Ludwig Reimer en 1911 expose “la plus grande Allemagne”. Il est l’un des théoriciens du pangermanisme. Auteur en 1905 de Une Allemagne pangermaniste[1], il est partisan d’une politique de conquête et d’annexion tous azimuts (il défendit la tripartition de la France). Pour Reimer, un Etat musst steigen oder sinken (doit s’élever ou s’effondrer) et de prendre l’exemple frappant de Rome. L’Allemagne doit donc jouer le rôle de primus inter pares si elle ne veut pas disparaître.

Ces deux auteurs exercent une influence considérable sur les ligues pangermanistes et les ligues coloniales. Dans ce schéma, il n’y a pas vraiment d’idée de « race », mais plutôt de civilisation, de Kultur ; la vision raciale de l’Allemagne s’imposant plus tardivement. Il n’est donc pas directement constitutif du nazisme. D’ailleurs, même chez l’idéologue allemand Paul de Lagarde, la « germanité » se définit par une « âme » spécifique, et non une « race ».

Il faut aussi évoquer Karl Haushofer Haushofer, militaire de carrière lui aussi, ayant servi dans l’artillerie dans la Somme, et fondateur du Journal de géopolitique en 1924 (Zeitschrift für Geopolitik). Il développa la théorie de l’espace vital (Lebensraum) et définit la géopolitique comme une « activité politique dans un espace naturel » ; en somme une géopolitique en action  ainsi que le dit Andreas Dorpalen[2]. Durant l’entre-deux-guerres, sa proximité avec les milieux nazis ne fait pas de doute. Il put grâce aux relations qu’il avait avec Rudolf Hess devenir le président de l’Association des géopoliticiens allemands à Heidelberg. Il reçut en 1939 la médaille de l’Ordre de l’aigle allemand en raison de ses conseils avisés à la Wehrmacht et devint ferme partisan du pacte germano-soviétique.

Beaucoup d’auteurs lui ont fait un faux procès, l’accusant par là de servir la doctrine nazie, lui dont la femme était juive, et qui n’a jamais adhéré au NSDAP. Par ailleurs, le fils de Haushofer, Albrecht, conseiller de Rudolf Hess souhaitait mettre fin à la guerre contre les Anglais. Il aurait été à l’origine de la défection de ce dernier en 1941, avant d’être fusillé en 1945 par les SS. Son père, emprisonné à Dachau, s’empoisonna avec son épouse en mars 1946.

Dans le sillage de MacKinder, Haushofer divise le monde en espaces majeurs, chacun commandé par une puissance hégémonique. On retrouve ici le concept véhiculé par la pensée décisionniste schmittienne de grand espace (Grossraum). Ce sont ainsi les concepts de PanEuropa, PanAsien, PanAmerika qu’il met en avant ; l’Afrique étant située dans le même espace que l’Europe. Soutenant une lecture verticale de l’espace mondial, Haushofer est partisan d’un nombre limité d’Etats qui doivent diriger les autres. Il distingue trois facteurs de puissance :

-Lage (position/situation)

-Raum (espace, territoire)

-Raumsinn (sens de l’espace, organisation).

Représentation que le film de Frank Capra, The Nazis Strike (1942) expose en quelques minutes.

Pour le géographe allemand en effet, « l’espace n’est pas seulement le véhicule de la puissance, il est la puissance ». Par ailleurs, l’Asie s’organiserait en une aire de « coprospérité » dont le Japon prendrait la tête. Rappelons que Haushofer a été l’un des conseillers très écouté de l’état-major japonais entre 1908 et 1909.

Enfin, on en vient à la dimension raciste de la géopolitique : ce courant préexiste au nazisme et fait écho à la géographie raciale avec Hans Günther,  membre du NSDAP dès 1933 et auteur en 1935 de Rassenkunde des deutschen Volkes (Ethnogenèse du peuple allemand).

Il rejoint le géographe et historien Ewald Banse[3] auteur en 1933 de Raum und Volk im Weltkriege (Espace et peuple dans la guerre mondiale), dont la traduction anglaise est « German, prepare for war ». Cet héritier de Haushofer initie une géographie culturelle imprégnée d’idéologie nazie. Il considère que les paysages et les lieux, font partie de l’âme allemande car ils sont les produits du Volksgeist (esprit du peuple) ; une dernière notion que l’on retrouve chez Herder et qui signifie que l’Allemand doit trouver dans les lieux qui l’entourent (Umwelt) la possibilité de son épanouissement et de son expansion. 

Pour conclure, la pensée géopolitique allemande ne peut se comprendre sans prise en compte de la spécificité de la construction de l’Etat allemand ; une construction lente et partielle, puisque le Reich est finalement amputé de territoires germanophones. On doit aussi tenir compte de sa situation centrale en Europe, qui a pu nourrir l’angoisse de l’encerclement (Einkreisung) et donc justifier par là les ambitions expansionnistes. Enfin, on ne peut faire l’impasse sur les frustrations vécues par les responsables allemands quant à la faiblesse de l’empire colonial avant 1914. L’expansionnisme que défend la quasi totalité des auteurs provient aussi de ce sentiment de puissance secondaire et en inadéquation avec la réussite économique.

Cette pensée, instrumentalisée par le nazisme, est évidemment complètement discréditée en 1945 car elle a pu servir à justifier les pires crimes, aux dépens d’ailleurs de leurs auteurs parfois. C’est même toute la géopolitique qui est dénigrée au point que des mots resteront tabous pendant longtemps dans les amphithéâtres universitaires allemands comme Blut, Boden, Volk etc.

 

 

[1] Joseph Ludwig Reimer, Ein pangermanistisches Deutschland. Versuch über die Konsequenzen der gegenwärtigen wissenschaftlichen Rassenbetrachtung für unsere politischen und religiösen Probleme, Berlin, Luckhardt, 1905.

[2] Andreas Dorpalen, The World of General Haushofer : Geopolitics in Action, NY, 1942, 337p.

[3] Pour approfondir, on se réfèrera à l’article de Catherine Repussard, « Ewald Banse : orientaliste et « géographe de l’âme » », Recherches germaniques, HS 12 | 2017, 103-117 (en ligne : https://journals.openedition.org/rg/828)

Pour aller plus loin, voir l'article d'Yves Lacoste dans La revue pour l'histoire du CNRS "La géopolitique : une histoire contrastée" (en ligne)

 

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