ECG Géopolitique 1ère année, lycée Carnot

Les Etats-Unis prévoient le retrait des troupes d’Afghanistan d’ici le 11 septembre 2021

Une « war fatigue » explique certainement le choix du président américain de retirer la totalité des 2500 soldats américains. Donald Trump n’avait pas promis autre chose d’ailleurs, ce qui rend compte du caractère très relatif de la rupture avec la politique de son prédécesseur. Officiellement, c’est au nom de l’indépendance des Afghans que cette décision a été prise. Motif étrange lorsque l’on sait que depuis l’automne 2020, les Américains ont commencé discrètement à Doha à soutenir une transition pacifique avec les Talibans. Des échanges de prisonniers ont été programmés lors de la deuxième rencontre à Moscou en mars 2021. En tant que médiateur entre le gouvernement afghan et les Talibans, Joe Biden ne bouleverse pas le schéma dressé par Mike Pompeo, et défend maintenant l’instauration d’une « paix durable ». Les quelques 2500 soldats américains tués et plus de 20 000 blessés ne sont rien sans le coût total de cette guerre depuis l’intervention à partie du 7 octobre 2001 ; plus de 800 milliards de dollars. Le sommet de l’engagement ayant été atteint entre 2010 et 2011 avec plus de 100 000 soldats sur le terrain. « La plus longue guerre des Etats-Unis » prend donc fin d’après Joe Biden qui soutient que les objectifs ont été atteints. Ce désengagement doit certainement libérer des moyens en cas de regain de tension avec l’Iran qui est la cible de nouvelles sanctions américaines. Une plus grande mobilité des forces d’intervention est défendue par le Département d’Etat dans le cadre de la lute contre le terrorisme dont Washington accuse régulièrement l’Iran. « Nous devons traquer et perturber les réseaux et les opérations terroristes qui se sont étendus bien au-delà de l'Afghanistan depuis le 11 septembre » a-t-il affirmé. Les Etats-Unis programment en réalité une alliance très large qui irait de l’Inde à l’Egypte pour contrer les ambitions chinoises dans la partie occidentale de la région indo-pacifique, avec la Russie en embuscade, et le retrait d’Afghanistan n’est probablement que le début d’un redéploiement des forces américaines dans la région, à quoi s’ajoute une nouvelle stratégie globale.

 

L'Etat-providence est-il l'ennemi de l'économie de marché ?

L’Etat-providence naît à partir du moment où le droit détermine un certain nombre de missions incombant à l’Etat qui doit veiller à protéger sa population des risques sociaux. La charité chrétienne, ou même les mutuelles nées au XIXe siècle ne peuvent correspondre à cette vocation ; la première relève majoritairement d’un altruisme intéressé, tandis que les autres ne servent que des intérêts corporatistes. C’est en réalité au XIXe siècle que les Etats commencent à prendre soin des populations fragiles ou à risque ; là, les préoccupations sociales se mêlent aux objectifs sécuritaires. Les premières lois encadrant le travail des enfants ou les risques professionnels naissent après 1850 en Europe occidentale. Les droits octroyés par l’Etat se généralisent à beaucoup de pays, à de plus en plus de catégories et couvrent des risques plus nombreux.

Avec le Wohlfahrtstaat, l’Allemagne de Bismarck, mais aussi la IIIe République et beaucoup de pays voisins de la France (Belgique, Suisse, Italie) accordent les premiers droits aux salariés de l’industrie, secteur le plus concerné par les risques. Un objectif secondaire est le renforcement  des liens entre le citoyen et l’Etat et, plus idéologiquement couper l’herbe sous le pied aux syndicalistes révolutionnaires en instaurant la paix sociale. La IIIe République s’attelle ainsi à la constitution d’un corpus de lois visant à protéger les populations considérées comme faibles (loi de protection de l’enfance en 1889, loi sur les accidents du travail en 1898 par exemple).

Mais il faut attendre la période post-1945 pour que l’Etat-providence détermine les règles d’une prise en charge collective et solidaire des risques de la vie (accidents, maladies, chômage, handicap, vieillesse etc.). L’Etat-providence naît alors ; il est celui qui assure le bien-être (welfare) de la collectivité nationale ou modifie la répartition de ce bien-être au moyen de lois, de règlementations, de versements de revenus de transfert. Il n’est pas l’Etat qui planifie, gère des entreprises publiques ou aménage le territoire, mais un Etat social ou protecteur. Différents textes du XXe siècle inspirent la démarche du législateur. L’annexe de la constitution de l’OIT (1919) est un premier jalon. Elle est rédigée sous le patronage du leader syndical américain Samuel Gompers et indique que « le travail n'est pas une marchandise ». Plus loin, elle affirme que « la lutte contre le besoin doit être menée avec une inlassable énergie au sein de chaque nation et par un effort international continu et concerté dans lequel les représentants des travailleurs et des employeurs, coopérant sur un pied d'égalité avec ceux des gouvernements, participent à de libres discussions et à des décisions de caractère démocratique en vue de promouvoir le bien commun ». L’Etat-providence participe de cette manière à la cohésion de la nation fondée sur la solidarité de ses membres ; il est l’une des conditions du pacte social, et même du pacte politique. Quatre autres textes fondateurs fixent les grands principes de l’Etat-providence : la Charte de l’Atlantique (1941), le rapport Beveridge (1942), la Charte du CNR pour la France (1943) et surtout la Déclaration de Philadelphie (1944) adoptée par la conférence de l’OIT et qui reprend les principes fondateurs de la constitution de 1919. Elle associe « paix durable » et « justice sociale », sans préciser si cette paix est internationale ou civile. Après les traumatismes de la guerre, il est en effet temps pour les Etats de mettre en œuvre ces principes ou de les approfondir. Après 1944, le système assurantiel  allemand hérité de la période bismarckienne et le système assistanciel anglais guident alors les réformateurs français et les travaux du GPRF dont le gaulliste Pierre Laroque et le communiste Ambroise Croizat sont les chevilles ouvrières. Le système mis en place en Allemagne après 1883 consistait en une protection obligatoire fondée sur les cotisations des salariés et des entreprises, une participation non proportionnelle aux risques. Le deuxième système est guidé par trois principes ; universalité de la protection, uniformité des prestations et unité de gestion par l’Etat, le Parlement britannique votant un budget annuel. Il  est davantage présent dans les pays méditerranéens (Italie, Espagne, Grèce). En Italie par exemple, les organisations caritatives sont placées après 1890 sous la tutelle de l’Etat avant une première loi en 1898 qui instaure l’obligation du système de prévoyance professionnelle. Le Stato sociale sous le fascisme s’inscrit dans la continuité des réformes antérieures mais c’est avec la République italienne que les héritages bismarckien et fasciste fusionnent pour accélérer la mise en place d’un Etat social dans les années 1960[1].

Entre 1945 et 1947, la France met en place la Sécurité sociale qui emprunte aux deux modèles : financement par les cotisations sociales mais également par des recettes fiscales. Les Assedic (inscription et suivi des chômeurs) et l’UNEDIC (régime de l’assurance chômage) sont mis en place en 1958, avant l’ANPE (1967)[2]. L’extension des droits aux agriculteurs exploitants, aux indépendants du commerce et de l’industrie et aux professions libérales rend compte de l’universalité de l’institution française ; une universalité étendue en 1978 même à ceux qui n’exercent pas d’activité professionnelle. Fondée sur le paritarisme, la maîtrise des dépenses relève des pouvoirs publics qui, depuis les années 1970, n’ont pas cessé de commander rapports, livres blancs et d’organiser des états généraux au fur et à mesure du creusement des déficits. Ces derniers sont d’abord liés au vieillissement des populations occidentales, a fortiori lorsqu’il s’agit des cohortes très nombreuses du baby-boom  et à la hausse du chômage.

A partir des années 1980 et au nom d’une « bonne gouvernance », des politiques monétaristes soutenues par les néo-libéraux de l’école de Chicago dont les représentants les plus connus sont F. Hayek et M. Friedman, qui attaquent frontalement l’Etat-providence. Pour les néo-libéraux, l’économie capitaliste doit s’autoréguler et c’est aux individus seuls de pallier ses défaillances. Adeptes de l'école des "choix publics" de James Buchanan et de la « corporate gouvernance »,  R Reagan et M. Thatcher estiment que les "choix" du Marché seront toujours meilleurs que ceux d'un Etat soumis aux pressions des électeurs ou que ceux fixés par des instances collectives. Il faut donc réduire le périmètre de l’Etat. La condamnation des welfare queens par les reaganiens n’est qu’un aspect anecdotique d’un mouvement plus large qui a pour perspective le dépérissement de l’Etat au nom d’un monde qui ne doit être gouverné qu’à l’aune des calculs d’utilité économique. Les Linda Taylor n’ont qu’à bien se tenir et se bouger pensent-ils. L’incompatibilité entre l’économie de marché et l’Etat-providence semble définitive. Pourtant, à y regarder de plus près, l’Etat-providence est bien au service de l’économie de marché ; d’abord parce que les revenus de transferts de l’Etat-providence sont indispensables à la bonne santé d’une population que l’économie de marché souhaite productive, puis parce que ces mêmes revenus sont recyclés dans l’économie de marché : prospérité du Big Pharma, revenus confortables des médecins, transformation des remboursements en dépenses courantes. L’Etat-providence, condition de l’existence d’une démocratie sociale, a trouvé ici sa légitimité, même aux yeux des plus hostiles au big government. Il reste pourtant un défi à relever, celui de la responsabilisation des assurés qui considèrent l’Etat-providence comme un guichet. Dès lors, fraudes et abus ne peuvent que prospérer. En réalité, ces dysfonctionnements ne sont que le résultat d’une déliquescence de l’esprit civique que les démocraties occidentales ont nourri en adoptant, ici ou là, les éléments de la doxa la plus libérale. Doit-on se résigner, ainsi que le souligne Alain Supiot, au triomphe de la foi dans le Marché, « version sécularisée de la divine Providence », qui assujettit de plus en plus le droit et même la loi aux intérêts particuliers et au calcul, et voir ainsi disparaître l’Etat-providence ?

 

[1] Le Service national de santé est créé en 1978

[2] L’UNEDIC fusionne avec l’ANPE en 2008 pour donner naissance à Pôle Emploi.

Soldat augmenté

Après l'article du 12 septembre 2020 sur le T800, le Ministère des Armées s'est prononcé sur cette évolution radicale des conditions de combat.

Laurent Lagneau propose un éclairage sur les enjeux de la question.

Plus grand, plus rapide et mieux armé, le prochain porte-avions (PANG- porte-avions de nouvelle génération) devrait être opérationnel d'ici 10 ans. Pendant ce temps-là, Chine et Etats-Unis seront quasi à parité avec plus de 12 porte-avions chacun si l'on tient compte du retrait des navires les plus anciens côté américain. 

Le modèle américain et l’évangile du dollar

Le modèle américain est communément associé à la réussite professionnelle et sociale, interprétée comme le signe de la grâce divine. Le revers en serait des inégalités criantes et aux antipodes de nos sociétés européennes plus équilibrées puisque rien ne pourrait s’opposer à la destinée qui rend les uns riches, les autres pauvres, dans un Etat d’ailleurs très souvent gouverné par des présidents millionnaires et jusqu’au XIXe siècle propriétaires d’esclaves. Mais les choses sont plus compliquées quand on y regarde de plus près. Tout d’abord, l’argent est aussi tabou de l’autre côté de l’Atlantique que du nôtre et l’égalité chère aux révolutionnaires de 1789 n’est pas étrangère aux Américains car c’est bien la recherche de l’égalité religieuse que les Pères pèlerins sont venus chercher outre Atlantique comme le mentionne la Déclaration d’indépendance de 1776.

Si autour de John Smith se trouvent toutes sortes de professions avides de gains en monnaie sonnante et trébuchante, les premiers Américains croient pouvoir ériger dans le Nouveau monde, ce "Nouvel Israël" où le partage est la règle. On retrouve ici le « communisme apostolique » décrit par Harvey Wish (1950). La promesse d’instituer un « gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple » (entendu comme peuple de Dieu, y compris chez A. Lincoln) est formulée dès le premier pied posé à terre. Et si John Winthrop n'est pas choqué par l’existence des inégalités sociales, c'est pour lui une façon de dire qu’il faut renforcer l’union de toutes les forces vives pour améliorer la situation de chacun. Patriotisme et « destinée du peuple » s’entremêlent donc, à condition que ce peuple fasse l’effort d’accepter la réussite des autres. Le juriste anglais défend bien ici l’unité du peuple, non son fractionnement en couches différenciées : à l’unité politique doit correspondre l’unité des Chrétiens[1].

La philanthropie, qui recouvre aujourd’hui des champs variés (du financement des universités aux centres pour SDF aux Etats-Unis jusqu’aux  fondations pour nos quartiers difficiles en France) s’inscrit dans ces gènes religieuses des affairés « Pères fondateurs ». Mais contrairement à ce que Max Weber avance à propos de la vocation naturelle des Puritains au profit, les catholiques n’étaient pas en reste : il suffit de se rappeler l’ascension fulgurante des grandes dynasties marchandes, et catholiques, du nord de l’Italie à partir du XIIIe siècle. Il est vrai toutefois qu’une éthique de la réussite individuelle, de l’effort personnel, du mérite égoïste s’est épanouie aux Etats-Unis dans les milieux calvinistes, mais la fortune n’est pas dès les origines l’étalon de la grâce. Ce qui compte avant tout c’est la manière dont le citoyen américain gravit les échelons. L’approvisionnement du compte bancaire passe après, ainsi que l'affichage de sa fortune d'ailleurs.

Plus radicale est la position de Thomas Paine, ferme partisan du nivellement des revenus pour le « bien commun », dans un pays pourtant pas si inégalitaire que cela au XVIIIe siècle. Cette quête d’harmonie sociale n’est pas étrangère à la conquête territoriale, seule manière finalement d’accorder à tous les moyens de s’élever socialement en s’accaparant les terres des Amérindiens (Cf. la loi de 1862 sur le "settlement"). C’est donc au nom de la démocratie américaine que la frontière ne cesse d’être repoussée vers l’ouest, avec le dollar comme horizon et la Bible comme boussole.

A la fin du XIXe siècle, les Etats-Unis vivent un Gilded Age (Mark Twain), que l’on traduit par « âge doré » ou « âge d’or », et qui doit beaucoup au rattrapage industriel et à la constitution de grands groupes capitalistiques (Carnegie, Rockefeller etc.) dont les dirigeants, menacés par les lois antitrust, ont pu légitimer l’existence en recourant à un récit mêlant la Bible et les théories de Darwin. Comme l’écrit les Temps Nouveaux le 11 juin 1907, « Rockefeller devenu le plus grand producteur de pétrole a conçu l’idée gigantesque d’exploiter tous ses concitoyens, en leur imposant, par voie de trusts, un prix double et même triple pour le pétrole. Ses chers concitoyens, une fois « tondus », il a élargi le domaine de ses bienfaits, en y englobant le vieux monde ». Le magnat du pétrole John Rockefeller est encore « l’homme qui est capable de dépenser 1000 francs par minute » (La Liberté, 24 sept. 1908) ; le miracle que constitue la fortune de Rockefeller ne fait pas de doute et doit inspirer tous les croyants. Dans L’Evangile de l’argent, Andrew Carnegie écrit, rassurant ; « Les pauvres profitent de ce que les riches ne pouvaient pas se permettre auparavant. Ce qui était le luxe est devenu le nécessaire de la vie», puis plus loin « Il ne reste donc qu'un seul mode d'utilisation des grandes fortunes ; mais en cela nous avons le véritable antidote contre les inégalités temporaires la répartition des richesses, la réconciliation entre les riches et les pauvres - un règne de l'harmonie - un autre idéal, différent, en fait, de celui du communiste car contrairement à lui, il rejette le renversement total de notre civilisation ». La fortune des uns et le confort plus grand des autres garantissent finalement la survie de la civilisation américaine car c’est la vertu qui a déterminé cette répartition des rôles. Le « rêve américain »[2] s’incarne ainsi dans deux types d’acteurs : le milliardaire qui a réussi et le pauvre qui peut le rejoindre s’il s’en donne la peine, avec l’aide de la grâce divine reconnaissante de ses vertus. Le concept de «rêve américain »  est associé à la seule acquisition de biens, mais aussi à la capacité donnée à chacun de s’élever socialement, ce qui correspond à une complète transformation spirituelle. Tout pauvre est donc un riche potentiel. Dès lors, rien ne justifie l’esprit de révolte contre le système capitaliste. Le démuni doit moins se prononcer politiquement sur la pertinence et le coût d’un Welfare state, que sur les valeurs qui étayent le modèle de l’accomplissement personnel et du respect des libertés individuelles martelées dans les sermons chaque dimanche matin. Le vote républicain parmi les classes sociales les moins favorisées n’est par conséquent pas si iconoclaste que cela car il suit la tradition américaine : les valeurs comptent plus que le porte-monnaie. Le New Deal de Roosevelt ne fut même pas une parenthèse voire un coup d’arrêt à cette trajectoire puisqu’il n’a consisté finalement qu’à revenir aux fondamentaux prononcés au XVIIIe siècle puisqu’il n’a pas donné lieu à une « chasse aux riches », mais a plutôt consisté à armer les plus pauvres contre la crise. Il initie d’ailleurs l’avènement de la « société de consommation » des années 1950 et 1960 car consommer devient un critère d’appartenance à la nation et d’adhésion au modèle de la réussite.

 

 

 

[1] Extrait de A Modell of a Christian Charity, 1630 : « There is a time when a Christian must sell all and give to the poor, as they did in the Apostles’ times. There is a time also when Christians (though they give not all yet) must give beyond their ability ».

[2] Formule de James Truslow Adams, The Epic of America, 1931

Le protectionnisme et la guerre

Il est commun d’entendre et de lire que le repli économique des Etats durant les années 1930, qu’il prenne la forme du protectionnisme ou de l’autarcie (deux termes qui ne correspondent pas à la réalité des échanges en réalité quand on y regarder de plus près), a participé à la montée des tensions et finalement au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Inversement, des échanges importants et des investissements croisés réduiraient les risques de conflagration en raison des interdépendances ainsi créées. Drôle de raisonnement qui n’a rien à envier au matérialisme de Marx ! Par conséquent, on en déduit que le libre-échange est facteur de paix, à n’en pas douter, ainsi que l’écrivait déjà Adam Smith et Montesquieu avant lui au XVIIIe siècle dans un passage célèbre « le commerce guérit des préjugés destructeurs » (De l’Esprit des Lois, Livre XX).

Une simple observation suffit à atténuer les effets du libre-échange. Par exemple, les échanges commerciaux entre la France et l’Allemagne passent d’une valeur de 2,9 milliards de francs en 1936 à 4,9 milliards en 1938. Ce commerce n’est même pas freiné par l’Anschluss et la crise des Sudètes comme le démontre Sylvain Schirmann[1]. On se rappellera également qu’après la défaite de 1870 et en dépit de la dépression entre 1873 et 1896, les échanges entre la France et l’Allemagne ainsi que des investissements croisés, que cela concerne le Bagdadbahn ou la tenue des comptes de l’Etat ottoman par des banques privées françaises et allemandes, sont croissants et intenses Ces intérêts communs donnent lieu à des flux de capitaux importants et constants entre les deux pourtant présentés comme des « ennemis héréditaires ». Les ambitions impérialistes de Guillaume II s’accommodent donc sans problème de cette entente financière. Plus haut dans la chronologie, la période de libre-échange des années 1860 et 1870 voit a contrario triompher les nationalismes facteurs de conflits. Le problème est donc ailleurs : les responsables politiques, aussi libéraux soient-ils, ne croient plus à la paix. Ils n’y croient plus car les enjeux dépassent très largement les seuls intérêts économiques. Une guerre se déclenche quand une nation, portée par un sentiment d’injustice, soutient que le recours aux armes permettra une réparation. 

La guerre est aussi un moyen de s’accaparer des ressources, indispensables à la production et donc par la suite aux échanges. La prospérité des mercantilistes conditionnée par un jeu à somme nulle dénoncé par David Hume. Ce dernier estime qu'il y a plus à gagner à commercer avec d'autres États riches qu'avec des États pauvres. Dès lors, toute guerre entraverait la prospérité des deux partenaires. Or les taux de protection commerciale baissent entre 1900 et 1913 pour le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie. L’Allemagne, comme l’Italie ont alors grandement besoin de produits agricoles (dont la taxation  passe de 17,3 % à 10,3 % chez la première et de 34,7 à 20,8 % chez la seconde) et de fer, importés de France entre autres tandis que les Français lui achète des biens industriels (les tarifs sur les produits chimiques passent ainsi de 21 % à 11 %). La théorie des avantages comparatifs et l’eucharistique interdépendance des économies n’ont pas neutralisé les risques de guerre. La mécanique associant fin du libre-échange et « montée des périls » n’est donc pas analogue à la loi de l’apesanteur.

 

[1] SCHIRMANN, Sylvain. Le commerce entre la France et l’Allemagne : de la crise à la guerre In : L’économie, l’argent et les hommes : Les relations franco-allemandes de 1871 à nos jours [en ligne]. Paris : Institut de la gestion publique et du développement économique, 2009

Une lecture au ras du sol des conflits récents

C'est le récit de 9 officiers légionnaires qui prennent la plume pour raconter la dernière décennie de combat de cette unité de légende. Pour la première fois, accompagnez les hommes au képi blanc en Afghanistan, en Guyane, en République centrafricaine, au Mali. « Monsieur légionnaire » était partout où la France a décidé de se battre. De l’entraînement aux combats les plus âpres, c’est le quotidien de ces hommes venus du monde entier pour servir une autre patrie que la leur qui est retracé ici, au plus près du terrain

En finir avec le mythe de l’isolationnisme américain ?

 

Les poncifs ont la vie dure en dépit de nombreux articles universitaires qui nuancent, sinon rejettent cette façon dont l’histoire américaine est saucissonnée en phases ou cycles alternant interventionnisme et isolationnisme[1]. En réalité, les Etats-Unis sont toujours intervenus pour exercer une influence, pour défendre leurs intérêts ou pour augmenter leur territoire. Pour la période qui concerne le programme d’ECS débutant en 1913, il faut remonter aux dernières années du XIXe siècle pour comprendre la politique américaine en 1913. 

Une nation élue

Assez tôt, certains acteurs cultivent le sentiment de supériorité des Américains et justifient des politiques expansionnistes au nom d’une « race anglo-saxonne », supérieure aux autres. Josiah Strong, secrétaire de l’Alliance évangélique, dans une perspective social-darwinienne déclare dans The New Era, or The Coming Kingdom (1893) son admiration pour les fondateurs des Etats-Unis, supérieurs en tout aux Européens. Ce sentiment de supériorité raciale se retrouve chez John Burgess, professeur à Columbia et théoricien de l’Etat et de la Nation - il eut pour élève Theodore Roosevelt - et qui justifie la vision de la Greater America de Marshall Everett[2] en 1899. Ce dernier écrit “Our flag has been planted in two hemispheres, and there it remains, the symbol of liberty and law, of peace and progress. Who will withdraw from the people over whom it floats its protecting folds?  Who will haul it down?  "The peace we have won is not a selfish truce of arms, but one  whose conditions presage good to humanity” (Exciting Experiences in Our Wars with Spain and the Filipinos , 1899). Burgess trouve en réalité en Mahan un modèle politique.

Ce sentiment de supériorité rejoint  l’idée de « destinée manifeste » popularisée en 1844, par John O’Sullivan dans la Democratic Review.  Les Américains doivent peupler le continent et y installer leur modèle politique, reproductible pour toute l’Amérique et même au-delà. Persuadés de l’universalité de leurs valeurs, porteurs d’une sorte d’impérialisme humanitaire et bienveillant, ces auteurs diffusent un messianisme optimiste et libérateur à l’instar des « Pères fondateurs » du XVIIe siècle.

Les pèlerins du Mayflower (1620) et les puritains  ont entretenu une vision religieuse du destin du pays. Dès 1630, l’avocat puritain et fondateur de la colonie de la baie du Massachusetts, John Winthrop, l’exprime dans son sermon « A Model of Christian Charity ». Il y déclare que les puritains du Nouveau Monde ont la mission divine de construire une Cité sur la colline (City upon a hill), nouvel Eden, loin de l’Europe pourrie par l’immoralité et le péché – une mise à distance qui se traduit par la suite à l’échelle locale avec passion pour les périphéries urbanisées composées d’habitations individuelles réunies autour de la community, loin des centres réputés criminogènes.

De la même manière, la devise In God we trust » (née en 1864), qui devient officielle en 1956, doit être comprise ainsi : Dieu a mis sa confiance dans le peuple américain pour guider le monde. Elle est tirée d’une strophe du Star-Spangled Banner, l’hymne national. C’est donc bien plus qu’une simple fidélité et obéissance à Dieu. Elle est complétée par One Nation under God, diffusée après en 1954 en pleine Guerre froide. Elle signifie que la prospérité et la puissance sont des dons de Dieu et répondent à l’étatisme du New Deal que les conservateurs dénoncent. Dès lors, toute intervention extérieure est légitimée au nom de cette élection divine face à la puissance sans Dieu qu'est l'URSS. Ces deux devises se situent dans le prolongement d’un «  nouvel ordre des siècles » inscrit sur les dollars en 1935 et connue depuis la fin du XVIIIe siècle.  Les Américains ont donc vocation à instaurer une nouvelle humanité. Cette vision peut se résumer au mot "exceptionnalisme" ; une notion qui inspire la Déclaration d’indépendance de 1776 et  qui pousse les Américains à considérer leur modèle politique (au sens large) comme universel. Ceci est bien ancré dans les mentalités américaines, y compris au plus bas de l’échelle sociale, même s’il est évident qu’elle cache des intérêts plus terre à terre. Durant les années 1930, l'exceptionnalisme véhiculé par la chanson God Bless America d’Irvin Berlin sonne même comme un appel pour aller au secours des Juifs persécutés par les nazis. Pour comprendre tout cela, il faut se référer aux travaux de Kevin Kruse qui a démontré dans One Nation under God (Basic Books, 2015) que le puritanisme est envisagé après 1945 comme une arme politique contre les « collectivistes », incarnés par le camp communiste. Dans une interview récente, l’auteur associe même les deux « âmes sœurs » que sont le capitalisme et le christianisme.

Faire le bien dans le monde tout en poussant ses pions sur l’échiquier mondial

Par conséquent et en changeant d’échelle, les Américains ont un devoir à l'échelle mondiale  ; celui de répandre leurs valeurs chrétiennes de liberté et de charité, quitte pour cela à faire une entorse à la règle de séparation entre la sphère politique et la sphère religieuse ; ce que George Bush fait par exemple  en 2003 en lançant la guerre contre l’Irak, même si le mot "croisade" alors utilisé fait controverse puisqu'il a été utilisé très souvent dans d'autres cadres que la guerre. Très tôt, la vocation de la puissance américaine s’exprime en dehors des frontières.

La doctrine Monroe  défendue en 1823 par Jamers Monroe (président de 1817 à 1825) fait de l’Amérique entière « une chasse gardée ». L’Amérique doit échapper à l’Europe, au « Vieux monde », dépassé et sans promesse. La puissance projette ainsi ses frontières morales au-delà de ses frontières politiques pour signifier au monde que l’Amérique entière est soumise à une doctrine américaine définie comme libératrice de l'humanité toute entière et participant d’un « anticolonialisme impérial » (Jay Sexton). Les Etats-Unis se posent donc comme seuls défenseurs de la liberté en Amérique et promettent de lutter contre le colonialisme européen. C’est donc bien au nom de la liberté que l’impérialisme yankee est mis en oeuvre, même si tout cela nous apparaît aujourd’hui comme assez hypocrite. C’est aussi une façon pour les Etats-Unis de poursuivre leur construction en tant que nation, en s'éloignant encore davantage du « Vieux continent » (ce dernier syntagme devrait d'ailleurs être banni des copies). C’est la raison pour laquelle il faut considérer les coups de force du XIXe siècle comme des prolongements de cette vocation à libérer les peuples.

La politique de la canonnière imposée au Japon en 1853-1854 et débouchant sur le traité de Kanagawa entre les représentants du shogun et le Commodore Perry (4 navires de guerre) ouvre par la force le pays au libre-échange. Le traité de commerce qui suit en 1858 permet l’ouverture des ports japonais aux commerçants américains. D'autres traités font entrer Japon dans le jeu international, l’oblige à céder plusieurs concessions, dont Yokohama. Les accords commerciaux expliquent également le discrédit qui pèse sur le shogun et finalement l’avènement de l’ère Meiji ishin (rénovation) en 1868.

Plus tard, le conflit avec l’Espagne en 1898 sous prétexte de l’explosion de l’USS Maine dans la baie de La Havane, permet aux Américains de s’emparer des Philippines, de Guam, de Cuba, de Porto Rico, en même temps qu’ils font main basse sur Hawaï convoité depuis 1894. L’amiral George Dewey, parti de Hong-Kong pour se diriger aux Philippines, rencontra l’indépendantiste Aguinaldo et promit même l’indépendance aux Philippines. William Hearst, propriétaire du New York Journal, justifie l’attaque en évoquant une torpille espagnole alors que l’explosion du navire américain était probablement un accident. Quoi qu’il en soit, le Traité de Paris signé avec l’Espagne en décembre 1898 établit une projection de la puissance américaine sur les mers ; projection défendue par l’amiral Alfred Mahan dans le cadre du renforcement du « sea power » (puissance maritime) qu'il définit dans son ouvrage clé The influence of Sea Power upon History, 1660-1783 (1890).  C’est finalement au nom de l’anti-impérialisme que les Etats-Unis deviennent impérialistes. En témoigne encore l’Amendement Platt (1901), du sénateur républicain Orville Platt, qui autorise le stationnement de troupes américaines sur le sol cubain.  Dans le prolongement de l’amendement Teller, Cuba autorise ainsi les Etats-Unis à intervenir pour la préservation de son indépendance de Cuba ! La base du Guantanamo est installée par la suite grâce au traité américano-cubain de 1903.

La politique interventionniste du « big stick » du président républicain Theodore Roosevelt[3] n’est donc que le prolongement d’une politique déjà en œuvre à l’intérieur des frontières comme il l’a défendue dans The Winning of the West (1889-1896)[4]. Ce président républicain, auteur également de La guerre navale en 1812, imbibé de néo-darwinisme et engagé volontaire dans la guerre avec l’Espagne à la tête des Rough Riders (cavaliers durs à cuir), a un mentor en la personne du sénateur Henry Cabot Lodge. Ce dernier est un virulent patriote, qui aux côtés d’Albert Beveridge, défend l’interventionnisme et la constitution d’une puissante marine de guerre. Rares sont ceux comme Mark Twain, qui, après avoir cru à l’universalité des valeurs américaines, osent s’opposer à l’impérialisme[5].

Voici comment Theodore Roosevelt justifie la conquête de terres dans les années 1890 : « I should welcome any war, for I think this country needs one ». Theodore Roosevelt impose au Panama un protectorat déguisé permettant à Washington de contrôler le canal éponyme, ainsi que les finances et le commerce du pays. La mer des Caraïbes se transforme progressivement en « lac américain ». Dans son Corollaire de 1904, Roosevelt soutient cette mainmise en évoquant à nouveau la nécessité de répandre les idéaux de liberté et de justice, que seul le « peuple élu », américain donc.[6]. En 1904, l’écrivain américain O’Henry, dans Cabbages and Kings, évoque les « républiques bananières » (dénoncées par Pablo Neruda) ; des républiques d'Amérique centrale soumises aux grandes firmes américaines protégées par l’US Army et les gouvernements corrompus locaux. Là, comme en 1898, l'armée américaine use de tactiques contre-insurrectionnelles (donc avec des exactions à l'encontre des populations civiles), qu'elle saura remobiliser lors de la guerre du Vietnam (1963-1973). 

Son successeur, William Taft (président républicain de 1909 à 1913, mais ancien Secrétaire d’Etat à la Guerre de Roosevelt) ajoute au Corollaire (intervention au Nicaragua dès son entrée en fonction) la « diplomatie du dollar » dont l’objectif est de multiplier investissements et les échanges avec les pays étrangers pour exercer, sinon leur imposer, une influence politique. La politique étrangère américaine ne passe donc pas par les canaux traditionnels de la diplomatie de tradition européenne ; le dollar devient une arme. Après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, les interventions à l’étranger se poursuivent (Mexique, République dominicaine, Cuba). En 1915, le débarquement à Haïti autorise même les troupes américaines à y rester 19 ans ! Au sortir de la guerre, l’économie de l’Amérique latine est largement dominée par les Etats-Unis. En 1918, il y eut également une brève intervention des troupes américaines à Vladivostok dans le cadre de la lutte anti-bolchévique .

Conclusion

Les Etats-Unis mobilisent leur identité, très marquée par le christianisme, pour agir dans le monde en tant que puissance prométhéenne, mais cette politique relève aussi du pragmatisme que tout Etat sait mettre en œuvre pour la défense de ses intérêts économiques et sa survie. L’outillage idéologique a justifié un certain nombre d’interventions militaires qui n’ont cessé de renforcer la position stratégique des Etats-Unis, en particulier après 1898. Ces éléments expliquent la difficulté à user du terme « isolationnisme » comme aiguillon de la politique extérieure américaine avant 1913. Dans cette fenêtre chronologique qui va de la la fi du XIXe siècle à 1913, le recours à des critères raciaux n’a pas été écarté pour exalter la primauté de la nation américaine ; les peuples immatures pour se gouverner doivent se soumettre à un peuple « magistral » (Th.Roosevelt). La "guerre juste" a permis aux Américains de constituer un empire suffisamment vaste pour rivaliser avec la puissance de l’Europe ; il en était de leur « devoir devant Dieu » (A.Beveridge).

 

 

[1] On pourra se référer ici aux travaux de Maya Kandel https://journals.openedition.org/ideas/5702

 

 

[3] Voir également RICARD, Serge. Théodore Roosevelt et l’Amérique impériale. Nouvelle édition, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.

[5] « And so I am an anti-imperialist. I am opposed to having the eagle put its talons on any other land », New York Herald, 15 octobre 1900.

Le T800, c'est demain : le soldat du XXIe siècle.

L’Intelligence artificielle est, depuis quelques années, un enjeu stratégique majeur. Elle est capable de transformer le champ de bataille et de donner à la puissance qui la maîtrise un atout majeur.

 

L’usage de technologies avancées n’est pas nouveau dans le domaine de la guerre. Il suffit de se reporter aux machines de siège du Moyen Âge ou aux instruments électroniques utilisés durant la Seconde Guerre mondiale. Un pas important a été franchi lors de l’opération Tempête du désert en 1991 avec l’irruption d’avions furtifs, de GPS satellitaires, de missiles guidés.

Mais l’IA a une portée bien plus grande dans le sens où elle transforme tous les aspects du champ de bataille : informations, gestion des ressources, règles d’engagement, traitement des territoires conquis etc. Elle englobe un ensemble bien plus vaste que la seule frappe.

Le secrétaire d’Etat à la Défense Mark Esper a bien compris l’intérêt de développer ce champ de recherche comme le président russe Vladimir Poutine qui a déclaré cette semaine que la nation à la pointe de l’IA sera la puissance dirigeante du monde. Les Russes ont déjà utilisé une combinaison sophistiquée et bien coordonnée de véhicules aériens sans pilote, de cyber-attaques et de barrages d'artillerie pour infliger de graves dommages aux forces ukrainiennes et la vente récente d’un des missiles les plus performants du monde, le S400, à la Turquie a de quoi inquiéter Washington.

Moscou a élaboré un vaste programme de R&D dans le domaine des systèmes autonomes basés sur l'IA, tant en ce qui concerne les véhicules terrestres, les avions, les sous-marins nucléaires et même le commandement et le contrôle. Derrière la Russie se positionne la Chine qui a pour objectif de devenir le leader mondial de l'IA d’ici dix ans, y compris en glanant ici ou là des données, y compris à travers leurs étudiants dans les grandes universités scientifiques américaines, ce que NBC appelle des « soft targets ».

L'Armée populaire considère l'IA comme une technologie capable de mouvoir des véhicules et des systèmes d’armes autonomes à long rayon d'action et à faible coût pour contrer la projection de puissance conventionnelle de des Américains. Actuellement, les fabricants d'armes chinois vendent des drones autonomes qu'ils prétendent pouvoir mener des frappes ciblées Les drones furtifs constituant une étape cruciale dans cette marche vers la puissance militaire.

Mark Esper s’en ait pris à l’État de surveillance du XXIe que Pékin a mis en place pour  «  exercer un contrôle sans précédent sur son propre peuple. Car au-delà de l’usage militaire, l’IA trouve aussi son utilité dans la surveillance des populations ; le machine learning au service du pouvoir politique donc. Côté américain, on se réclame au contraire  de la tradition démocratique et de la Constitution de 1787 pour mettre en avant un usage « démocratique » de l’IA. C’est assez surprenant puisque la surveillance généralisée, tant qu’elle n’est pas approuvée par les intéressés, est plutôt synonyme d’entorse à la liberté et même à l’éthique.

A la pointe des recherches sur l’IA se trouve la DARPA (Agence des projets de recherche avancée du Pentagone). Le colloque qui s’est déroulé en 2019  à Alexandria en Virginie, a produit un certain nombre de pistes susceptibles d’orienter les recherches de toutes les entreprises liées aux complexes militaro-industriels.

Pour l’un de ses chercheurs, le Docteur J.Zhou, la quantité de calcul nécessaire pour former les plus grands systèmes d'IA a été multipliée par dix chaque année. Alors que les progrès de l'IA commencent à avoir un impact profond sur les processus informatiques numériques, les compromis entre la capacité de calcul, les ressources et la taille, le poids et la consommation d'énergie (SWaP) deviendront de plus en plus critiques dans un avenir proche.

Un monde assez inexploré s’ouvre aux décideurs militaires ; le cerveau humain. Les architectures neuromorphiques/neurales d'imiter la façon dont la nature (donc l’homme) calcule et fait des choix. Demain, les interactions entre le cerveau humain et son environnement (guerre, pandémie etc.) pourront être placées dans des bio-systèmes, comme les insectes miniatures. Des prototypes de modèles de calcul pourraient être cartographiés sur du matériel approprié pour « augmenter » les capacités du soldat ou de robots. L'objectif de la DARPA est de comprendre ces principes de calcul, l'architecture et les détails neuronaux de petits bio-systèmes qui sont régis par des besoins SWaP extrêmes dans la nature.

Un monde dystopique est en train de disparaître, ce qui met fin à toute science fiction (nous ne sommes plus très loin de la trilogie Terminator) même si la Darpa promet que tout ceci ira dans le sens du progrès humain et de l’amélioration des conditions de vie sur Terre (alimentation, santé etc.). Financée à hauteur de 3 milliards par an environ, la Darpa détermine en réalité le cap à suivre par le Pentagone, qui souhaite toujours depuis la Guerre froide avoir une longueur d’avance sur son principal adversaire. La guerre du futur est dans les cartons et préparée en sous-main par les géants de l’électronique et du web (GAFAM en particulier). Muet sur ses recherches en matière de génie génétique (créer des cellules), le DARPA, en centrant ses recherches sur le cerveau humain, est-il en train de préfigurer le « soldat de demain », infatigable et programmable, indolent et polyvalent et dont le sacrifice ne serait qu’une question de simple coût financier ? Depuis les années 2000, il travaille déjà sur la Brain Machine Interface (BMI), Elon Musk n’étant pas loin, pour permettre la connexion entre le cerveau et la machine grâce à des nano-transmetteurs. L’homme-machine, avenir des armées, ne semble pas si loin d’autant que ce programme N3 (Next-Generation Nonsurgical Neurotechnology) reçoit des fonds de plus en plus importants et le soutien de grandes universités (Carnegie Mellon University, John Hopkins etc.). Ceci pose évidemment des questions éthiques, dont doivent s’emparer les élus américains. On a affaire à une militarisation de la biologie et de la génétique qui, demain, peut produire des dérives inquiétantes d’autant que le multilatéralisme qui aurait pu générer un traité international sur l’usage du génome et des cellules humaines, n’est pas pour demain.

La Chine fait son marché

Dans un article du Temps (Suisse), on apprend que la Chine recrute désormais d'éminents chercheurs dans le cadre d'un programme Thousand Talents dont, dit l'article, l'un des objectifs est de renforcer la capacité de recherche dans le domaine militaire.

Lien vers l'article du Temps.

Une économie mondiale bouleversée par la crise sanitaire

Dans une note de synthèse, l'ISS a établi une liste des grandes mutations de l'économie mondiale causées par la crise de la Covid-19. Les sociétés devraient mettre en place de nouvelles habitudes de consommation, les entreprises des stratégies commerciales d'atténuation des risques. Pour rester concurrentielles, elles doivent réviser leurs chaînes d'approvisionnement (supply chains). Selon l'Organisation mondiale du commerce, le commerce mondial devrait chuter de 13 à 32 % en 2020 mais la Chine se redressera assez vite ; un découplage complet avec la Chine est économiquement et, pour certains pays, politiquement irréalisable. Une poignée de pays apparaissent comme des candidats potentiels pour remplacer, au moins partiellement et à long terme, le rôle de la Chine dans les chaînes d'approvisionnement mondiales. Il s'agit notamment de l'Inde, du Mexique, de la Thaïlande et du Vietnam. Enfin, certains Etats ont mis en place des plans de relance ambitieux (Allemagne, 1000 milliards d'euros, New Deal coréen de 95 milliards de dollars, France 100 milliards d'euros etc.) mais dont il faut encore vérifier leur réalisation, puisque beaucoup de fonds consistent en prêts garantis par l'Etat.
Certain PVD pourraient augmenter leur part du commerce mondial, principalement celle des produits manufacturés non essentiels, tandis que la relocalisation et la régionalisation des productions stratégiques sont probables mais elles seront coûteuses pour le consommateur final. Paradoxalement, le commerce illicite s'est poursuivi pendant la COVID-19, touchant principalement les équipements médicaux (plus de 100 000 sites web vendant des produits de manière illégale). Enfin, la crise devrait favoriser une plus grande sensibilisation des consommateurs aux enjeux environnementaux ; préoccupation qui devrait déboucher sur une réponse politique multilatérale pour renforcer l'application de la législation commerciale.


 

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