ECG Géopolitique 1ère année, lycée Carnot

Les Etats-Unis renforcent leur soutien en Asie-Pacifique pour se protéger de la Chine et de la Corée du Nord

Le 29 août, le secrétaire à la défense Mark T. Esper a accueilli le ministre japonais de la défense Taro Kono à Guam, où ils ont réaffirmé la force de l'alliance américano-japonaise et ont discuté des moyens d'approfondir et d'étendre la coopération bilatérale en matière de défense.

Les deux leaders ont défendu le respect d'une "région indo-pacifique libre et ouverte".  Le secrétaire a exprimé ses inquiétudes concernant la décision de Pékin d'imposer une loi de sécurité nationale à Hong Kong, ainsi que des actions  vis-à-vis de Taïwan.  Les deux Etats défendent un ordre fondé sur des règles dans les mers de Chine orientale et méridionale, et plus largement dans la région et dans le monde.  Le secrétaire d'État a salué les efforts déployés par le Japon pour renforcer la coopération avec d'autres partenaires partageant les mêmes vues, notamment les membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE), l'Inde et l'Australie, ainsi qu'au niveau trilatéral avec les États-Unis et la République de Corée.

Les États-Unis ont réaffirmé leur soutien à l'élimination complète des armes de destruction massive de la Corée du Nord, de leurs moyens de production et de leurs vecteurs et condamné les transferts illicites de navire à navire de la Corée du Nord, et pour avoir accueilli des forces multinationales qui soutiennent cet effort.

Des efforts visant à renforcer l'interopérabilité et  les capacités de l'Alliance, en particulier pour la défense aérienne et antimissile intégrée (IAMD) et pour les fonctions de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) ont été programmés.  Ils ont également convenu de l'importance de réseaux sécurisés et du renforcement de la sécurité de l'information pour protéger les technologies de défense avancées.

Dans ce cadre, les forces américaines d'Okinawa à Guam et d'autres initiatives, notamment la construction de l'installation de remplacement de Futenma.  Le secrétaire a noté l'importance des mesures prises par le Japon pour achever l'achat de Mageshima afin de soutenir la pratique de l'atterrissage des porte-avions de campagne. 


 

Recul relatif de l'industrie d'armement chinoise

Dans un nouvel audit des sociétés mondiales de défense, les entreprises d'État chinoises semblent avoir chuté dans les classements. Malgré les apparences, nous ne devons pas sous-estimer la force de la base industrielle et technologique de défense chinoise d'après un article de l'IISS.

En 2018, les entreprises d'État chinoises liées à la défense ont figuré pour la première fois dans le Top 100 des entreprises de défense. La Chine occupe désormais une place de choix parmi les premières entreprises mondiales de défense. Les huit entreprises d'État chinoises se sont classées parmi les 22 premières, trois parmi les dix premières, et l'Aviation Industry Corporation of China (AVIC) s'est classée parmi les cinq premières du monde.
Classement des entreprises d'État Classement DN 2018 2018 Classement DN 2019 2019
-Classt 6 Aviation Industry Corporation of China (AVIC)
-Classt 8 China North Industries Group Corporation Limited (NORINCO)
-Classt 11 Aerospace Science and Industry Corporation (CASIC)
-Classt 14 China Shipbuilding Industry Corporation (CSIC)
etc.

Les résultats de cette année montrent une image légèrement différente. Les huit entreprises d'État chinoises se classent parmi les 25 premières de la liste mondiale de Defense News. Cependant, tous les conglomérats sauf un ont perdu du terrain par rapport aux années précédentes et cette année, seuls deux d'entre eux se sont classés dans les dix premiers, tandis qu'aucun n'a été classé dans les cinq premiers. Il ne faut cependant pas considérer cela comme une représentation générale d'une industrie de la défense chinoise plus faible en 2019, et ces chiffres doivent être analysés dans le contexte national chinois, ainsi que dans le contexte mondial.

La Chine a donné la priorité à la modernisation de la défense dans les domaines aérien, spatial et maritime. Il lui faut construire une industrie de la défense compétitive au niveau mondial

Priorité à la défense maritime : les deux plus grands conglomérats de construction navale de Chine, la CSIC et la China State Shipbuilding Corporation (CSSC), ont vu leurs recettes liées à la défense augmenter de 17,6 % et 13,1 % respectivement - la plus forte croissance annuelle des recettes liées à la défense des huit entreprises d'État entre 2018 et 2019. Cette année marque la fin du 13e plan quinquennal pour les sciences et technologies de la défense (2016-20) et du plan de développement des sciences et technologies de la défense à moyen et long terme (2006-20), qui fixent des objectifs pour le développement des sciences et technologies militaires et civiles.

Alors que CASIC, AVIC, CSIC et d'autres conglomérats de défense produisent des plateformes et des systèmes de plus en plus en vue, tels que le système de missiles balistiques antinavires CM-401, l'avion de chasse J-20 et le porte-avions Shandong, le statut de la production de défense du CSGC reste incertain.

Les réformes des entreprises d'État se poursuivent sous le régime du président Xi Jinping, l'objectif étant de créer en Chine une industrie de la défense plus innovante, plus efficace et plus compétitive au niveau mondial. En outre, les défis internes tels que le gonflement des industries, la duplication des efforts et la corruption continuent également à être traités.

 

L’école française de géopolitique :

 

L’école française de géopolitique est plus récente que les deux écoles précédemment décrites. Mais dès la fin du XIXe siècle, des géographes se sont intéressés aux enjeux politiques dans les territoires.  Nous avons pris le parti de n’évoquer que quelques auteurs au sein de la galaxie de la géopolitique en France. Pour avoir une vue plongeante sur la géopolitique, en particulier sur les différents modèles géopolitiques, il faut se référer à l’article du géographe Denis Retaillé, « La géopolitique dans l’histoire », Espace Temps, 1998 (en ligne)

 https://www.persee.fr/doc/espat_0339-3267_1998_num_68_1_4333)

Pour Yves Lacoste, considéré comme le « père » de la géopolitique en France dans une présentation eucharistique de la discipline, celle-ci peut être définie comme l’étude « des rivalités de pouvoir entre des communautés humaines sur des territoires, rivalités brutales ou courtoises, via des armes ou des élections. Cependant, ces rivalités n’ont pas toujours le territoire pour véritable enjeu, loin de là ! Ce sont plutôt des appréhensions du monde, des représentations qui s’affrontent ou se confrontent ». Il ne faut pourtant pas attendre Yves Lacoste pour voir des géographes s’intéresser à ces rivalités.

Lorsque le géographe Paul Vidal de la Blache (professeur exilé de Strasbourg à Nancy) propose une étude de la frontière franco-allemande (La France de l’est, 1917), il intègre un certain nombre d’éléments d’ordre physique, économique, démographique et surtout historique qui expliquent sa mise en garde à la fin de l’article quant aux ambitions allemandes de s’emparer et de contrôler un vaste ensemble rhénan du lac de Constance à la Flandre Il tente de prouver par ailleurs la non-germanité de l’Alsace-Lorraine. Auteur d’une Géographie universelle, Vidal de la Blache est aussi l’un des premiers à produire des cartes qui expriment les rapports de force entre les Etats avec leurs couleurs et leurs symboles différenciés.  La carte des divisions militaires met par exemple en avant la frontière de l’est, face à l’ennemi héréditaire, l’Allemagne. La taille des noms de villes fortifiées du côté français témoigne de son parti pris. Vers la même période, nous trouvons aussi André Siegfried, fils de Jules Siegfried, qui, après avoir étudié la géographie électorale,  publie en 1913  le Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République, un ouvrage fondateur de la géographie électorale. Enfin, il faut naturellement citer le géographe Jacques Ancel, auteur de Géopolitique en 1936. Cet agrégé d’histoire et de géographie, a participé à la bataille de Verdun, dont il ressort décoré de la Croix de guerre et de la Légion d’Honneur. Il est l’un des premiers à penser la frontière en tant qu’objet géographique et géopolitique. Rejetant l’idée de frontière naturelle, puisque la frontière est d’abord une construction politique et sociale, Jacques Ancel publie en 1936 Géographie des frontières, préfacé d’ailleurs par André Siegfried. Dès la première phrase de l’ouvrage, Ancel définit son programme ; « La géographie des frontières n’est qu’un aspect de la géographie politique ». Après lui Jean Gottman (auteur en 1951 de La politique des Etats et leur géographie et inventeur du néologisme Megalopolis) enrichit les études de géopolitiques durant les années 1950 et 1960 en insistant sur le cloisonnement de l’espace (autrement dit son organisation en territoires différenciés) et les circulations qui rendent possibles ou non les équilibres. Enfin, 1976 représente une date clé dans la construction de la discipline géopolitique universitaire française avec la publication du livre du géographe Yves Lacoste, La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre2 et la création de la revue Hérodote. Lacoste définit la géopolitique comme tout ce qui intéresse les rivalités de pouvoirs ou d’influences dans un espace. Il s’étonnait encore 2008 du surgissement du mot en 1979, comme s’il avait fallu attendre le conflit entre Khmers et Vietnamiens pour comprendre que les enjeux de puissance ont à voir avec le contrôle de l’espace. Le géographe attache par ailleurs beaucoup d’importance aux « représentations » des territoires ; une idéalité tout aussi importante que la matérialité. Ses travaux, publiés dans un contexte de tensions internationales (chocs pétroliers, des guerres au Proche et Moyen-Orient, Guerre Froide, guerres en Asie du sud-est), ouvrent la porte à une série d’études fécondes enrichissant toutes les sciences sociales (histoire, sociologie, démographie, économie etc.) et permettant de sortir des analyses dépassées centrées sur les idéologies ou les seuls intérêts économiques. Lacoste réhabilite également Vidal de la Blache puisqu’il ne se contente pas de rééditer La France de l’Est mais rédige pour elle une préface élogieuse (1994) après avoir coordonné le Dictionnaire de géopolitique (1994) paru chez Flammarion. Aujourd’hui, de nombreux spécialistes en France et à l’étranger nous permettent de mieux comprendre les enjeux géopolitiques, qu’ils soient historiens, géographes, politologues ou philosophes : Michel Foucher, Pierre Grosser, Frédérick Douzet, Frédéric Lasserre, Pascal Boniface, Thomas Gomart, Olivier Zajec, Serge Sur, John Gaddis, Geir Lundestad, John Darwin, Fréderic Gros Niall Ferguson etc. Il faut également compter sur un certain nombre de revues, plus ou moins orientées comme  Conflits, Diplomatie, Carto,  ou encore Questions internationales et d’autres ressources comme :

L’IFRI : https://www.ifri.org/

L’IRIS : https://www.iris-france.org/publications/

La revue historique des armées : https://journals.openedition.org/rha/

La revue Défense nationale : https://www.defnat.com/revue-defense-nationale.php

Diploweb : https://www.diploweb.com/Actualite-des-revues-geopolitiques,360.html

Geostrategia : https://www.geostrategia.fr/

Les vidéos de l’IHEDN : https://www.ihedn.fr/mediatheque/video?filters%5Bscald_atom%3Afield_scald_type_media%5D=34

 

 

 

 

 

Geopolitik ; l'école géopolitique allemande

La géopolitique, définie comme méthodologie pour expliquer les conflits et les rapports entre les Etats, intègre aujourd’hui les sociétés et leurs représentations. Or cette prise en compte marque durablement l’école allemande dès le XIXe siècle. De l'autre côté du Rhin, la géopolitique prend aussi une dimension plus dialectique à partir du moment où l’Etat allemand, unifié tardivement, naît d’un conflit majeur. La géopolitique vise aussi à « territorialiser l’espace comme l’expression de conflit politique » ; c’est d’autant plus vrai en Allemagne que la plupart des géopoliticiens allemands ont été des officiers éminents comme Friedrich Ratzel ou Karl Haushofer. Pour ce dernier, la géopolitique illustre par exemple une lutte pour la survie d’un peuple. Cette vision, à la fois organiciste et belliciste de la géopolitique, explique le dénigrement de la discipline jusqu’aux années 1970 car elle a été considérée comme base doctrinale des stratégies agressives de conquête des deux Reich allemands.

L'Allemagne et la géopolitique

L’Allemagne n’existe pas en tant qu’Etat-nation avant le 18 janvier 1871 lorsque l’empire (le IIe Reich) est proclamé par Guillaume Ier à Versailles. Le pays passe de plus de 22 Etats princiers à un Etat unifié, mais c’est la « Petite Allemagne » qui se constitue ainsi, sans l’Autriche que la Prusse a pourtant battue à Sadowa en 1866. Le chancelier Otto von Bismarck, ministre-président et ministre des Affaires étrangères, jubile mais limite les ambitions territoriales de son pays à l’annexion de l’Alsace-Moselle (plutôt que l’Alsace-Lorraine). Auparavant, la Confédération germanique avait pris la relève du Saint-Empire Romain Germanique (1815) et de la Confédération du Rhin (1806). Dans la première, présidée par l’Autriche, étaient regroupés 39 Etats et principautés, autant dire que le morcellement politique était important. Là, la rivalité entre la Prusse des Hohenzollern et les Habsbourg de Vienne s’exprima avec force. Les Allemands minoritaires dans la partie dominée par l’Autriche (20 % de la population), sont très majoritaires en Prusse (90 %) ; une Prusse, qui a acquis une partie de la Saxe et de la Westphalie et qui rayonne économiquement et culturellement depuis Berlin, réunissant les grands savants comme Fichte, Humboldt ou Müller et Hegel. En mai 1832, la fête de Hambach (Palatinat bavarois), rassemblant 30 000 Allemands, célèbre à la fois la patrie et la liberté. Ce réveil culturel installe durablement l’étendard noir/rouge/jaune comme signe de ralliement et d’unité des Allemands. Après la victoire contre l’Autriche, la Confédération de l’Allemagne du Nord (1867-1871) à la tête de laquelle il y a la Prusse, rassemble ensuite 22 Etats et marque le début d’une unité portée par ce royaume septentrional. Cela rapproche l’Allemagne du projet pangermaniste esquissé par Johann Fichte (Discours à la nation allemande, 1807). C’est dans ce contexte que se déploient les travaux du géographe Friedrich Ratzel  (Géographie politique, 1901) qui est considéré comme le père de la géopolitique allemande. Auteur dans la Zeitschrift für Politik, fondée et dirigée par le général Karl Haushofer (1869-1946), Ratzel a élaboré les 7 lois d’expansion de l’Etat. Déterministe, Ratzel n’envisageait que de vastes ensembles comme espaces vitaux et vivables, à la manière du biologiste disciple de Haeckel qu’il était. L’étendue (Raum), les frontières (Grenzen), et la position (Lage) fournissent les paramètres de ce que Ratzel appelle l’organisation politique du sol, notion au coeur de son Anthropogéographie très darwinienne. Il développe en effet une théorie de la croissance des Etats définis comme des organismes biologiques dont la survie et la prospérité dépendent de l’occupation du sol : ces Etats peuvent s’étendre, se contracter, vivre, naître, croître, mourir. Ils doivent se déployer sur une étendue correspondant à leur évolution, ce qui peut justifier un élargissement de leurs frontières. C’est la raison pour laquelle Albert Demangeon considérait la théorie de Ratzel comme déterministe et dangereuse.

A sa suite, Joseph-Ludwig Reimer en 1911 expose “la plus grande Allemagne”. Il est l’un des théoriciens du pangermanisme. Auteur en 1905 de Une Allemagne pangermaniste[1], il est partisan d’une politique de conquête et d’annexion tous azimuts (il défendit la tripartition de la France). Pour Reimer, un Etat musst steigen oder sinken (doit s’élever ou s’effondrer) et de prendre l’exemple frappant de Rome. L’Allemagne doit donc jouer le rôle de primus inter pares si elle ne veut pas disparaître.

Ces deux auteurs exercent une influence considérable sur les ligues pangermanistes et les ligues coloniales. Dans ce schéma, il n’y a pas vraiment d’idée de « race », mais plutôt de civilisation, de Kultur ; la vision raciale de l’Allemagne s’imposant plus tardivement. Il n’est donc pas directement constitutif du nazisme. D’ailleurs, même chez l’idéologue allemand Paul de Lagarde, la « germanité » se définit par une « âme » spécifique, et non une « race ».

Il faut aussi évoquer Karl Haushofer Haushofer, militaire de carrière lui aussi, ayant servi dans l’artillerie dans la Somme, et fondateur du Journal de géopolitique en 1924 (Zeitschrift für Geopolitik). Il développa la théorie de l’espace vital (Lebensraum) et définit la géopolitique comme une « activité politique dans un espace naturel » ; en somme une géopolitique en action  ainsi que le dit Andreas Dorpalen[2]. Durant l’entre-deux-guerres, sa proximité avec les milieux nazis ne fait pas de doute. Il put grâce aux relations qu’il avait avec Rudolf Hess devenir le président de l’Association des géopoliticiens allemands à Heidelberg. Il reçut en 1939 la médaille de l’Ordre de l’aigle allemand en raison de ses conseils avisés à la Wehrmacht et devint ferme partisan du pacte germano-soviétique.

Beaucoup d’auteurs lui ont fait un faux procès, l’accusant par là de servir la doctrine nazie, lui dont la femme était juive, et qui n’a jamais adhéré au NSDAP. Par ailleurs, le fils de Haushofer, Albrecht, conseiller de Rudolf Hess souhaitait mettre fin à la guerre contre les Anglais. Il aurait été à l’origine de la défection de ce dernier en 1941, avant d’être fusillé en 1945 par les SS. Son père, emprisonné à Dachau, s’empoisonna avec son épouse en mars 1946.

Dans le sillage de MacKinder, Haushofer divise le monde en espaces majeurs, chacun commandé par une puissance hégémonique. On retrouve ici le concept véhiculé par la pensée décisionniste schmittienne de grand espace (Grossraum). Ce sont ainsi les concepts de PanEuropa, PanAsien, PanAmerika qu’il met en avant ; l’Afrique étant située dans le même espace que l’Europe. Soutenant une lecture verticale de l’espace mondial, Haushofer est partisan d’un nombre limité d’Etats qui doivent diriger les autres. Il distingue trois facteurs de puissance :

-Lage (position/situation)

-Raum (espace, territoire)

-Raumsinn (sens de l’espace, organisation).

Représentation que le film de Frank Capra, The Nazis Strike (1942) expose en quelques minutes.

Pour le géographe allemand en effet, « l’espace n’est pas seulement le véhicule de la puissance, il est la puissance ». Par ailleurs, l’Asie s’organiserait en une aire de « coprospérité » dont le Japon prendrait la tête. Rappelons que Haushofer a été l’un des conseillers très écouté de l’état-major japonais entre 1908 et 1909.

Enfin, on en vient à la dimension raciste de la géopolitique : ce courant préexiste au nazisme et fait écho à la géographie raciale avec Hans Günther,  membre du NSDAP dès 1933 et auteur en 1935 de Rassenkunde des deutschen Volkes (Ethnogenèse du peuple allemand).

Il rejoint le géographe et historien Ewald Banse[3] auteur en 1933 de Raum und Volk im Weltkriege (Espace et peuple dans la guerre mondiale), dont la traduction anglaise est « German, prepare for war ». Cet héritier de Haushofer initie une géographie culturelle imprégnée d’idéologie nazie. Il considère que les paysages et les lieux, font partie de l’âme allemande car ils sont les produits du Volksgeist (esprit du peuple) ; une dernière notion que l’on retrouve chez Herder et qui signifie que l’Allemand doit trouver dans les lieux qui l’entourent (Umwelt) la possibilité de son épanouissement et de son expansion. 

Pour conclure, la pensée géopolitique allemande ne peut se comprendre sans prise en compte de la spécificité de la construction de l’Etat allemand ; une construction lente et partielle, puisque le Reich est finalement amputé de territoires germanophones. On doit aussi tenir compte de sa situation centrale en Europe, qui a pu nourrir l’angoisse de l’encerclement (Einkreisung) et donc justifier par là les ambitions expansionnistes. Enfin, on ne peut faire l’impasse sur les frustrations vécues par les responsables allemands quant à la faiblesse de l’empire colonial avant 1914. L’expansionnisme que défend la quasi totalité des auteurs provient aussi de ce sentiment de puissance secondaire et en inadéquation avec la réussite économique.

Cette pensée, instrumentalisée par le nazisme, est évidemment complètement discréditée en 1945 car elle a pu servir à justifier les pires crimes, aux dépens d’ailleurs de leurs auteurs parfois. C’est même toute la géopolitique qui est dénigrée au point que des mots resteront tabous pendant longtemps dans les amphithéâtres universitaires allemands comme Blut, Boden, Volk etc.

 

 

[1] Joseph Ludwig Reimer, Ein pangermanistisches Deutschland. Versuch über die Konsequenzen der gegenwärtigen wissenschaftlichen Rassenbetrachtung für unsere politischen und religiösen Probleme, Berlin, Luckhardt, 1905.

[2] Andreas Dorpalen, The World of General Haushofer : Geopolitics in Action, NY, 1942, 337p.

[3] Pour approfondir, on se réfèrera à l’article de Catherine Repussard, « Ewald Banse : orientaliste et « géographe de l’âme » », Recherches germaniques, HS 12 | 2017, 103-117 (en ligne : https://journals.openedition.org/rg/828)

Pour aller plus loin, voir l'article d'Yves Lacoste dans La revue pour l'histoire du CNRS "La géopolitique : une histoire contrastée" (en ligne)

 

Il y a 100 ans, le 10 août 1920, le Traité de Sèvres était signé

Un article de Lisa Romeo des Clés du Moyen Orient. A mettre en perspective avec les ambitions démesurées de R.Erdogan.

 

Orientation stratégique des Etats-Unis

Le 11 août l'Otan a lancé de grandes manoeuvres avec ses partenaires est-européens- soit une vingtaine de pays et environ 37 000 soldats (effectifs réduits en raison du Covid-19) dans le cadre du programme Defender-Europe 2020. La Russie est clairement désignée comme une menace. Les Américains ont décidé par ailleurs de renforcer considérablement leur partenariat avec la Pologne et la Roumanie, deux Etats clés frontaliers de la Biélorussie et de l'Ukraine. L'Allemagne (4000 soldats), désignée comme "alliée critique" doit aussi participer à la nouvelle stratégie de l'organisation qui consiste à mieux combiner les différentes armes (joint warfighting) - armées de terre, marines, armées de l'air- comme l'armée américaine sait le faire. L'interaction entre les unités tactiques, pilotée depuis Wiesbaden, est au coeur de cette stratégie qui inquiète la Russie, pourtant invitée comme pays observateur dans le cadre de l'OSCE.

Une lecture géopolitique du Liban

Le géographe Michaël F.Davie propose dans un article datant de 2005 (mais qui reste éminemment d'actualité) une lecture géopolitique du Liban.

Ecologie et histoire : une conjugaison risquée.

Le centre d’archéologie de l’université de Leiden (Pays-Bas) a lancé un projet européen sur l’impact écologique de la colonisation en Amérique. Pour beaucoup, le contact entre le "Nouveau" et l'"Ancien" monde aurait radicalement modifié les paysages. Mais bien au-delà de ce seul aspect qui répond à une actualité immédiate, Nexus 1492 a aussi pour objectifs d’étudier les  transformations économiques, sociales et culturelles au sein des sociétés amérindiennes. Le risque d’une telle étude est qu’elle ne débouche une nouvelle fois sur une vision binaire de l’histoire et se conclue par une charge contre les Etats responsables de la colonisation (qui ne sont pas les Etats de l'époque...) et des demandes de compensations ou des réparations ; une pente dangereuse car demain, d’autres chercheurs, appuyés par des organisations humanitaires et de défense des « sociétés dites traditionnelles » (un dernier adjectif qui n’a aucun sens en soi) se glisseront dans la brèche. Les descendants des Gaulois devront-ils attaquer en justice l’Etat italien pour avoir rasé les forêts de la Gaule chevelue ? On sait que cette Gaule forestière est un mythe forgé au XIXe siècle et que l’anthropisation avait déjà beaucoup transformé les forêts avant la conquête de César. Mais ne faisons pas de procès d’intention à ces équipes européennes qui ont déjà découvert que « l'empreinte écologique (N.B. cette notion, militante, est éminemment contestable et sa mesure encore davantage) de l'arrivée de Christophe Colomb a entraîné une première phase d'expansion de la forêt, une phase au cours de laquelle "la nature a repris ce qui lui appartenait", une expression largement utilisée à l'époque de Covid-19 » nous explique le journal de Jerez à propos d’Hispaniola (Haïti), avant que les plantations ne détruisent ce qui avait été repris pas la « nature ».

-Le projet Nexus 1492

-L'empreinte écologique des colonisateurs

-Le journal de Jerez

 

Géopolitique

Qu’est-ce que la géopolitique ?

 

Le mot est lancé en 1905 par Rudolf Kjellen, professeur de science politique suédois ; c’est la « science de l’Etat en tant qu’organisme géographique, tel qu’il se manifeste dans l’espace » (L’Etat comme forme de vie, 1916) ; idée reprise dans « States as living organisms » publié à Leipzig en 1917 sous le titre « Der Staat als Lebenform » - l’Etat comme organisme. Kjellen compare les comportements des Etats à ceux des individus. Il n’écrit pas cela par hasard ; il était très préoccupé à l’époque par le déclin de la Suède depuis la défaite contre la Russie en 1709 (bataille de la Poltava, au nord-est de l’Ukraine).

Plus académiquement, la géopolitique est d’abord la science qui vise à établir des lois produites des liens entre la géographie, l'histoire et la politique, à analyser les interactions entre des territoires et des gouvernements, ainsi que les rapports de puissances à l’échelle internationale. (On se réfèrera à la définition proposée par Géoconfluences)

Après 1945, le concept de « géopolitique » est dénigré car connoté négativement et associé à l’impérialisme hitlérien. Aujourd’hui, c’est une lecture du monde qui mobilise l’histoire et la géographie, et étudie l’inscription dans l’espace des pouvoirs, quelle que soit l'échelle. C’est aussi une conceptualisation de cette influence. Plusieurs écoles de géopolitique ont élaboré leur lecture des rapports de puissance. L’école anglo-saxonne de Geopolitics est d’abord portée par Halford Mackinder, considéré comme le « père de la géographie britannique ». Il enseigne à la LES où il conceptualise « l’île mondiale » en 1904 (théorie du heartland - écrit avec une majuscule après 1919) dans The geographical pivot of history. Le contrôle par un Etat de cet espace immense rendrait possible la domination mondiale. Le terme rim  fait référence à la ceinture, la bordure - métaphore de la fortification médiévale. Ce pivot est le pivot eurasien, autrement dit le heartland dont il ne retient que les facteurs physiques ; cela correspond à la  plaque eurasiatique. Il sous-estime donc les facteurs socio-économico-politiques dans l’organisation des Etats et le déploiement de leur influence.

Paradoxalement, Kjellen rejette le terme géopolitique qu’il estime être davantage une philosophie qu'une science de la géographie. Très hostile à K.Haushofer, géopoliticien allemand qu’il réduit à un propagandiste de l’impérialisme, sa vision du monde n’est pas dénuée d’arrière-pensées. MacKinder est  en effet partisan de la création de « buffer states » (Etats tampons) à l’est de l’Europe pour qu’ils protègent sa partie occidentale du communisme. Il défend même une intervention militaire contre les bolchéviques. C’est la raison pour laquelle, après 1918, MacKinder trouva W.Wilson naïf face aux bouleversements en Russie et lui oppose un réalisme froid dans « Ideals and reality (1919). Il exagère d’ailleurs à cette fin la puissance de la Russie dont il craint l’alliance avec l’Allemagne pour mobiliser les Etats-Unis. Dans la perspective de lutter contre le communisme, MacKinder place les pays baltes et la Pologne aux avants postes de la résistance antibolchévique en Europe. Député conservateur jusqu’en 1922, il est par ailleurs partisan de l’impérialisme colonial. La Raj est pour lui la matérialisation d’une puissance inégalée, même s’il est alors préoccupé par la montée en puissance du Japon (« yellow peril ») qui pourrait un jour ravir sa place à l’Angleterre. Néanmoins, ne voyons pas en lui un va-t-en-guerre. Il milite aussi pour la création d’une Ligue des Nations et se prononce en faveur d’une libéralisation des échanges, gages paix, et mobilise la vieille antienne libérale qui le rapproche d’un John Atkinson Hobson  (The Physiology of Industry, 1889, puis Imperialism, a Study, 1902).

La vision de Mackinder est critiquée par Nicholas Spykman [1](+1943). Cet internationaliste libéral, hollandais d’origine et naturalisé américain en 1928, devenu réaliste, est le fondateur de l’Institut of International Studies à Yale. Quelques temps agent de renseignement lors de son séjour en Indonésie (1917-1920), il est recruté à Yale comme assistant en sociologie. Il présente avec le Rimland  sa vision de la géopolitique internationale. Il emprunte à MacKinder l’idée de « inner crescent » (croissant intérieur) et de « outer crescent » (croissant extérieur) pour dessiner ce rimland, immense barrière protectrice ceinturant la puissance. Cet espace correspond à un large cordon sanitaire, entre le heartland (qu’il reprend à son prédécesseur) et les espaces maritimes ; en somme une zone tampon (buffer zone) que les Etats doivent se constituer s’ils ne veulent pas être absorbés par leurs ennemis.  Entre les deux guerres, Spykman craint autant la domination allemande en Europe que l’influence soviétique, mais il renverse la proposition de Mackinder en soutenant que les régions vitales et stratégiques du monde n’étaient pas le Heartland, mais les zones périphériques de l’Eurasie, à savoir l’Europe occidentale d’un côté, l’Asie orientale maritime de l’autre. Mais, à la différence de MacKinder, Spykman ne croit pas à la paix entre les Etats après 1945 et pronostique un choc inévitable entre la puissance maritime (Etats-Unis) et la puissance terrestre (URSS). Ces régions, désignées sous le nom de Rimlands, ont conservé, depuis la stratégie de containment de la Guerre froide jusqu’aux thèses stratégiques très contemporaines de politologues influents comme Zibgnew Brzezinski une grande importance dans la pratique et la pensée stratégiques américaines.

L’influence de Spykman ne s’est pas arrêtée là. En effet, selon Klaus-Gerd Giesen, en voulant le premier formaliser les relations internationales et en cherchant à en faire une discipline à part entière, Spykman a forgé des concepts, ceux de puissance et d’intérêt national, qui seront centraux dans la théorie réaliste.

Pour conclure sur ces deux visions de l’organisation du monde :

-Mackinder comme Spykman ont compris le rôle de la géographie dans les rapports de force et la constitution de la puissance.

-les deux ont une vision assez déterministe de l’espace (carte de Spykman insiste sur les vastes steppes, les déserts, la taïga etc.)

 -les deux sont attachés à mettre en valeur l’espace terrestre, au prix d’un manque de réflexion concernant les espaces maritimes, sauf à un moment donné lorsque Mackinder évoque le « Midland Ocean » et ses trois composantes : France/R.Uni/Etats-Unis – l’Allemagne ayant alors une position centrale entre le Midland Ocean et le heartland ! Pour lui, le Heartland correspond à la plus grande forteresse sur Terre car il rend les invasions impossibles, mais il ne constitue par pour autant le socle de la puissance.

Une autre vision de la géopolitique mondiale s’affirme au début du XXe siècle qui triomphe par la suite : c’est celle qui place au cœur de sa réflexion les espaces maritimes. Des espaces que MacKinder n’a pas vraiment négligés puisqu’il avait publié en 1902 Britain and the British Seas.

Le principal contributeur à cette vision est l’amiral américain Alfred T. Mahan (+1914),  auteur de The Influence of See Power upon History 1660-1780 (1890) et qui popularise la « destinée manifeste » attribuée aux Etats-Unis[2]. Pour justifier son approche, Mahan, « penseur de la guerre sur mer » (P.Naville), rend compte de la supériorité maritime britannique (le loup de mer) sur la France (le loup de terre) et prend pour modèle l’empire romain qui parvint à contrôler tout l’espace méditerranéen (Mare Nostrum). Il a été très influencé par Theodor Mommsen, auteur d’une « Histoire de Rome » (1843-1846) qui avait expliqué comment la puissance navale romaine avait été décisive durant la 2ème guerre punique (IIIe s-av-JC).

Mahan dirigea par ailleurs l’école de guerre navale de Newport, fondée en 1884. Ce militaire joue donc un rôle assez important auprès des états-majors des Etats-Unis puisqu’il forma nombre d’officiers. Il est le premier à conceptualiser le « Sea Power » (traduit par navalisme faute de mieux). Ceci signifie que la suprématie navale, cruciale, doit s’exercer sur tous les espaces maritimes, même éloignés. Mers et océans sont envisagés comme des routes et non des obstacles, en somme des atouts majeurs lorsqu’une puissance les maîtrise. Il comprend donc l’intérêt crucial du contrôle des détroits et des canaux transocéaniques (Panama, Suez). Sa pensée féconde prend encore plus de relief aujourd’hui lorsque nous observons les manœuvres agressives de Pékin en mer de Chine. La carte de l’océan Pacifique qu’il élabore exprime toute sa défiance à l’égard du Japon dont il craint l’expansion, surtout après l’accord du Japon avec le Royaume-Uni (Landswone) en 1902[3] contre la Russie ; accord rompant ainsi avec le « splendide isolement » du Royaume-Uni à la fin du XIXe siècle. Dès lors, se doter d’une force navale devient un objectif essentiel. Au cœur de cette puissance maritime se place l’archipel des îles Hawaï[4], centre nerveux du dispositif de sécurité des Etats-Unis ainsi que Guam dont Mahan fait un autre Gibraltar. Enfin, il considère que la flotte ne doit pas être subdivisée en détachements plus faibles mais elle doit être capable de projeter rapidement la totalité de sa puissance de feu.

Dans ses 3 tomes, toujours étudiés à Newport, il considère que la puissance maritime d’un Etat repose sur 6 principaux éléments :

-la position géographique

-les conditions naturelles

-la superficie

-le caractère de la population- critère éminemment subjectif

-le type de gouvernement

Pour finir, il faut évoquer un dernier théoricien de la géopolitique avec Robert Strausz-Hupé (+2002), autrichien naturalisé américain après son exil en 1923 et qui publia « Geopolitics : the Struggle for Space and Power » en 1942. Fédéraliste, anticommuniste car il voit dans l’URSS la combinaison du nationalisme expansionniste et du bolchévisme[5], Strausz-Hupé a conseillé D.Acheson (Secrétaire d’Etat de Truman) ainsi que J.F Dulles (Secrétaire d’Etat d’Eisenhower), puis Nixon au moment de son rapprochement avec la Chine. En raison de son origine, il connaît bien la Mitteleuropa et considère les Etats-Unis comme le gardien des valeurs occidentales, face à une Europe qui aurait sombré dans la décadence car ayant cédé à l’individualisme et au sécularisme. Après la publication de The Estrangement of Western Man en 1952, il devint même une sorte de gourou à la CIA et créa en 1955 l’Institut de recherche en politique étrangère.

Pour Strausz-Hupé, la mission des Etats-Unis est d’enterrer les Etats-nations et de guider les peuples vers des unions plus larges. Un ordre universel peut être ainsi établi au centre duquel se trouve le bienveillant empire américain. Durant la Guerre froide, il propose même que l’OTAN se transforme en une organisation supranationale, une fois la dissolution de l’UEO prononcée.

Strausz-Hupé et la plupart de ses prédécesseurs ont défendu une politique réaliste en matière de relations internationales.

Pour approfondir cet éclairage, on se référera à la bibliographie générale et à la mise au point de Ph.Braillard, M.Reza-Djalili, Les relations internationales, PUF, QSJ, 2016.

Pour les réalistes, les relations internationales, qui conditionnent la géopolitique, doivent être envisagées de manière très large (relations entre Etats et entre d’autres acteurs). Plusieurs paradigmes (réalistes, de l’interdépendance, de l’impérialisme etc.) guident l’organisation de ces relations ; ceux-ci ne sont jamais mis en œuvre de manière absolue et sont en réalité complémentaires. Par ailleurs, la politique étrangère s’insère désormais partout (y compris dans la politique intérieure des Etats) et aucun Etat ne peut plus cacher sa politique intérieure, en particulier depuis le développement accéléré des « réseaux sociaux ». Les déterminants de la politique étrangère sont donc à la fois internes et externes.

Origine ; l’école réaliste trouverait son origine dans l’antiquité (Thucydide), puis l’époque moderne (Hobbes). Elle défend la théorie de l’équilibre des puissances (soutenu également par Hume, Leibniz) ; un équilibre capital pour la sécurité. L’Etat est en effet souverain en tant que sa sécurité dépend de lui seul si bien que les réalistes tendent à sous-estimer les autres acteurs que les Etats.

Le courant réaliste rejette l’idéalisme (comme le wilsonisme, même si sa nature est plus complexe) qui postule que les conflits peuvent être évités. Toutefois, la doctrine Stimson (du Secrétaire d’Etat Henry Stimson) énoncée en 1931-1932 dans une note du secrétaire d'État américain condamne les conquêtes japonaises en Mandchourie : cela correspond à la doctrine démocrate qui ne reconnaît pas les Etats institués ou les territoires annexés par la violence alors que depuis Jefferson, la reconnaissance s’établissait de facto[6].

Il faut éclairer cet idéalisme avec le développement concomitant de la démocratie modératrice qui a pour objectif la sécurité collective.

Pour l’école réaliste (représenté par Hans Morgenthau par ex) au contraire, les relations entre les Etats sont marquées par le sceau du conflit à cause des pulsions agressives des hommes et de la nature anarchique du système international. Si solidarité entre Etats il y a, elle ne peut être que partielle et/ou provisoire, calculée. La raison d’Etat se conjugue en réalité avec l’intérêt national. Ce dernier se trouve dans la recherche de la puissance. Dans cette optique, les Etats chercheraient un ordre international minimal et feraient des choix rationnels.

A la fin du XXe siècle, une école néo-réaliste se développe aux Etats-Unis. Leurs représentants les plus éminents sont Kenneth Waltz (Theory of International Politics) ou Robert Gilpin. Pour K.Waltz, l’organisation des relations internationales a un caractère horizontal - chaque Etat ne peut compter que sur lui-même et seules les grandes puissances peuvent transformer le système international.

Si l’on devait résumer en quelques points le courant réaliste :

    • Les États sont les principaux acteurs dans la vie internationale.
    • L’anarchie caractérise le système international. Cet état d’anarchie internationale ne désignant pas nécessairement le chaos, mais une situation caractérisée par l’absence de tout gouvernement central.
    • L’environnement international pénalise sévèrement les États qui ne protègent pas leurs intérêts vitaux ou qui poursuivent des objectifs au-delà de leurs capacités. Les États sont condamnés à épouser un comportement « d’autopréservation » (self help), être sensibles aux coûts et se comporter comme des agents rationnels.
    • En situation d’anarchie, les États sont préoccupés par la puissance et la sécurité, sont prédisposés au conflit et à la compétition. Dès lors, ils évitent de coopérer même malgré des intérêts communs.
    • Les institutions internationales n’affectent que de façon marginale les perspectives de coopération. Les États sont donc condamnés à augmenter sans arrêt leurs forces afin d’éviter la soumission ou la destruction. La seule issue à cette escalade doit se trouver dans l’accès à des équilibres de pouvoirs entre États, aussi fragiles qu’inconstants.

Chacun s’accorde à dire que l’expression balance of power se traduit mal par « équilibre de puissance », sa signification étant plus large, plus dynamique. En effet ce concept est d’abord bâti comme une sorte de guide de l’action visant à éviter la domination d’un État trop fort ; l’expression a une dimension performative.

Robert Kagan, historien et conseiller de Reagan, fait lui aussi partie de l’école réaliste. Il différencie l’Europe, paralysée par le mythe pacifiste, et  les Etats-Unis, attachés à intervenir pour défendre leurs valeurs.

Pour R.Kagan, la sécurité (ici des Etats-Unis) est un absolu, lui même reflet de l’absolu de la souveraineté. S’il est souverain, l’Etat est libre et il ne doit sa sécurité qu’à lui-même. Sécurité suppose une vigilance sans fin et donc une réaction immédiate et forte (militaire donc) en cas de remise en cause. Pour un Etat souverain, déclarer la guerre n’est ni un bien ni un mal, mais l’exercice d’une liberté fondamentale que chaque unité politique reconnaît et reconnaît à l’autre (Pour aller plus loin, on se référera aux travaux  de  Frédéric Gros, Le principe sécurité, Paris, Gallimard, 2012).

Au contraire, l’école idéaliste pense que le processus de modernisation (communications, échanges, multiculturalisme etc.) contribue à la construction d’un système de valeurs communes. Dès lors, la nature conflictuelle passe au second plan. Cela se rapproche de l’idée d’interdépendance liée au dynamisme du capitalisme dans le cadre d’une mondialisation libérale. Lorsqu’en 1900, Mc Kinley vainquit Bryan (anti-impérialiste), il adopta une politique de contre-insurrection. The Philadelphia Legder écrivit alors : « It is not civilized warfare, but we are not treating with civilized people ». On retrouve ici la dichotomie que les Occidentaux ont préservée jusqu’au XXe siècle entre « nations civilisées » et « non civilisés ». C’est l’une des limites majeures de l’idéalisme. Mais ne nous y trompons pas, l’idéalisme n’est pas synonyme de naïveté et de passivité. En 1931, l’amiral Smedley Butler considérait qu’il avait été durant sa carrière « un gangster du capitalisme » sur les trois continents. La protection des intérêts économiques était drapée dans la rhétorique exceptionnaliste américaine et pavée de belles intentions.

 

[2] L’expression est celle de John Fiske « manifest destiny of the anglo-saxon race » (1885, Harper ‘s), qui s’inspire d’un article d'un journaliste, John O'Sullivan, paru dans le United States Magazine and Democratic Review, à l'occasion de l'annexion du Texas, 1845).

[3]Les deux pays, R.U et Japon, avaient déjà signé un traité de commerce en 1894.

[4] Protectorat en 1894, annexé en 1898

[5] Dans Peace without conquest, l’auteur pointait dès 1962 la difficulté du communisme à évaluer le poids du nationalisme comme dans le cadre des relations entre la Chine et l’URSS. Cf. The Sino-soviet tangle and US policy (Revue Orbis, 1962). Dans The Estrangement of Western Man, (1952), il défend la civilisation occidentale. On fera remarquer qu’Henry Kissinger, secrétaire d’Etat de Nixon, est issu de l’Institut Strausz-Hupé et qu’il a imaginé un retour possible à une sorte de “concert des nations” réunissant occidentaux et Soviétiques.

 

[6] « The general practice, as thus observed, was to base the act of recognition, not upon the constitutional legitimacy of the new government, but upon its de facto capacity to fulfill its obligations as a member of the family of nations »

 

Sauver l'industrie française

Dans une tribune des Echos, Max Blanchet et Bruno Grandjean interrogent la possibilité pour la France de se lancer dans une nouvelle aventure industrielle - extrait : 

"Plan de relance

Un plan de relance de l'investissement industriel est la seule issue pour enrayer le risque qui pèse sur l'industrie française. Tout d'abord, il faut renforcer les activités critiques, comme dans la santé, les télécommunications, la mobilité ou la sécurité, où nos chaînes de valeur sont trop dépendantes des autres pays. Le taux de « make » en France est très inférieur à celui de l'Italie ou de l'Allemagne. Ensuite, un tel plan doit viser les produits et technologies de demain, et non les activités déjà délocalisées depuis longtemps.

Ce plan de relance de l'investissement pourrait prendre la forme d'un fond pour l'industrie, alimenté au niveau européen mais aussi par un fléchage de l'épargne des particuliers, pour financer des investissements industriels liés à la modernisation et la digitalisation de l'outil de production, la reconversion vers de nouvelles activités ou encore la décarbonation. Ce financement doit viser 50 milliards pour être efficace, sur deux ans, et agirait comme des quasi fonds propres selon le principe d'une mezzanine".

Hors mis la surprise de voir l'Etat légitimé dans ses missions historiques (l'industrie française depuis le XIXe siècle a toujours eu le soutien de l'Etat et plus encore sous le gaullisme et le pompidolisme), même si c'est un cadre qui demeure européen, on voit mal comment convaincre des conseils d'administration et des banques (ou les deux à la fois) à initier un processus de réindustrialisation quand on sait que la compétitivité des industries nécessite de lourds investissements pluriannuels et quelques années pour atteindre la rentabilité. Quant au "make" (quelle horreur cet anglicisme !), cela fait des années que les promesses des candidats (quand elles sont sincères) butent sur le réalisme des investisseurs et des consommateurs. A moins d'instaurer des taxes supplémentaires sur les biens importés et d'exiger des entreprises françaises un minimum de patriotisme comme l'a fait Donald Trump (et dont les effets sont quasi nuls), d'encourager la recherche dans les universités, de revaloriser les parcours scolaires dans l'enseignement technique, d'interdire le prise de contrôle de nos firmes par des firmes étrangères et.... de dévaluer l'euro, on ne voit pas comment un plan de 50 milliards pourraient à lui seul relancer des activités dont on sait que les nuisances (les industries vertes, cela n'existe pas et toute transformation de matières premières génère des émissions) seront immédiatement attaquées par les élites des grandes métropoles . 

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