ECG Géopolitique 1ère année, lycée Carnot

Il y a 100 ans, le 10 août 1920, le Traité de Sèvres était signé

Un article de Lisa Romeo des Clés du Moyen Orient. A mettre en perspective avec les ambitions démesurées de R.Erdogan.

 

Orientation stratégique des Etats-Unis

Le 11 août l'Otan a lancé de grandes manoeuvres avec ses partenaires est-européens- soit une vingtaine de pays et environ 37 000 soldats (effectifs réduits en raison du Covid-19) dans le cadre du programme Defender-Europe 2020. La Russie est clairement désignée comme une menace. Les Américains ont décidé par ailleurs de renforcer considérablement leur partenariat avec la Pologne et la Roumanie, deux Etats clés frontaliers de la Biélorussie et de l'Ukraine. L'Allemagne (4000 soldats), désignée comme "alliée critique" doit aussi participer à la nouvelle stratégie de l'organisation qui consiste à mieux combiner les différentes armes (joint warfighting) - armées de terre, marines, armées de l'air- comme l'armée américaine sait le faire. L'interaction entre les unités tactiques, pilotée depuis Wiesbaden, est au coeur de cette stratégie qui inquiète la Russie, pourtant invitée comme pays observateur dans le cadre de l'OSCE.

Une lecture géopolitique du Liban

Le géographe Michaël F.Davie propose dans un article datant de 2005 (mais qui reste éminemment d'actualité) une lecture géopolitique du Liban.

Ecologie et histoire : une conjugaison risquée.

Le centre d’archéologie de l’université de Leiden (Pays-Bas) a lancé un projet européen sur l’impact écologique de la colonisation en Amérique. Pour beaucoup, le contact entre le "Nouveau" et l'"Ancien" monde aurait radicalement modifié les paysages. Mais bien au-delà de ce seul aspect qui répond à une actualité immédiate, Nexus 1492 a aussi pour objectifs d’étudier les  transformations économiques, sociales et culturelles au sein des sociétés amérindiennes. Le risque d’une telle étude est qu’elle ne débouche une nouvelle fois sur une vision binaire de l’histoire et se conclue par une charge contre les Etats responsables de la colonisation (qui ne sont pas les Etats de l'époque...) et des demandes de compensations ou des réparations ; une pente dangereuse car demain, d’autres chercheurs, appuyés par des organisations humanitaires et de défense des « sociétés dites traditionnelles » (un dernier adjectif qui n’a aucun sens en soi) se glisseront dans la brèche. Les descendants des Gaulois devront-ils attaquer en justice l’Etat italien pour avoir rasé les forêts de la Gaule chevelue ? On sait que cette Gaule forestière est un mythe forgé au XIXe siècle et que l’anthropisation avait déjà beaucoup transformé les forêts avant la conquête de César. Mais ne faisons pas de procès d’intention à ces équipes européennes qui ont déjà découvert que « l'empreinte écologique (N.B. cette notion, militante, est éminemment contestable et sa mesure encore davantage) de l'arrivée de Christophe Colomb a entraîné une première phase d'expansion de la forêt, une phase au cours de laquelle "la nature a repris ce qui lui appartenait", une expression largement utilisée à l'époque de Covid-19 » nous explique le journal de Jerez à propos d’Hispaniola (Haïti), avant que les plantations ne détruisent ce qui avait été repris pas la « nature ».

-Le projet Nexus 1492

-L'empreinte écologique des colonisateurs

-Le journal de Jerez

 

Géopolitique

Qu’est-ce que la géopolitique ?

 

Le mot est lancé en 1905 par Rudolf Kjellen, professeur de science politique suédois ; c’est la « science de l’Etat en tant qu’organisme géographique, tel qu’il se manifeste dans l’espace » (L’Etat comme forme de vie, 1916) ; idée reprise dans « States as living organisms » publié à Leipzig en 1917 sous le titre « Der Staat als Lebenform » - l’Etat comme organisme. Kjellen compare les comportements des Etats à ceux des individus. Il n’écrit pas cela par hasard ; il était très préoccupé à l’époque par le déclin de la Suède depuis la défaite contre la Russie en 1709 (bataille de la Poltava, au nord-est de l’Ukraine).

Plus académiquement, la géopolitique est d’abord la science qui vise à établir des lois produites des liens entre la géographie, l'histoire et la politique, à analyser les interactions entre des territoires et des gouvernements, ainsi que les rapports de puissances à l’échelle internationale. (On se réfèrera à la définition proposée par Géoconfluences)

Après 1945, le concept de « géopolitique » est dénigré car connoté négativement et associé à l’impérialisme hitlérien. Aujourd’hui, c’est une lecture du monde qui mobilise l’histoire et la géographie, et étudie l’inscription dans l’espace des pouvoirs, quelle que soit l'échelle. C’est aussi une conceptualisation de cette influence. Plusieurs écoles de géopolitique ont élaboré leur lecture des rapports de puissance. L’école anglo-saxonne de Geopolitics est d’abord portée par Halford Mackinder, considéré comme le « père de la géographie britannique ». Il enseigne à la LES où il conceptualise « l’île mondiale » en 1904 (théorie du heartland - écrit avec une majuscule après 1919) dans The geographical pivot of history. Le contrôle par un Etat de cet espace immense rendrait possible la domination mondiale. Le terme rim  fait référence à la ceinture, la bordure - métaphore de la fortification médiévale. Ce pivot est le pivot eurasien, autrement dit le heartland dont il ne retient que les facteurs physiques ; cela correspond à la  plaque eurasiatique. Il sous-estime donc les facteurs socio-économico-politiques dans l’organisation des Etats et le déploiement de leur influence.

Paradoxalement, Kjellen rejette le terme géopolitique qu’il estime être davantage une philosophie qu'une science de la géographie. Très hostile à K.Haushofer, géopoliticien allemand qu’il réduit à un propagandiste de l’impérialisme, sa vision du monde n’est pas dénuée d’arrière-pensées. MacKinder est  en effet partisan de la création de « buffer states » (Etats tampons) à l’est de l’Europe pour qu’ils protègent sa partie occidentale du communisme. Il défend même une intervention militaire contre les bolchéviques. C’est la raison pour laquelle, après 1918, MacKinder trouva W.Wilson naïf face aux bouleversements en Russie et lui oppose un réalisme froid dans « Ideals and reality (1919). Il exagère d’ailleurs à cette fin la puissance de la Russie dont il craint l’alliance avec l’Allemagne pour mobiliser les Etats-Unis. Dans la perspective de lutter contre le communisme, MacKinder place les pays baltes et la Pologne aux avants postes de la résistance antibolchévique en Europe. Député conservateur jusqu’en 1922, il est par ailleurs partisan de l’impérialisme colonial. La Raj est pour lui la matérialisation d’une puissance inégalée, même s’il est alors préoccupé par la montée en puissance du Japon (« yellow peril ») qui pourrait un jour ravir sa place à l’Angleterre. Néanmoins, ne voyons pas en lui un va-t-en-guerre. Il milite aussi pour la création d’une Ligue des Nations et se prononce en faveur d’une libéralisation des échanges, gages paix, et mobilise la vieille antienne libérale qui le rapproche d’un John Atkinson Hobson  (The Physiology of Industry, 1889, puis Imperialism, a Study, 1902).

La vision de Mackinder est critiquée par Nicholas Spykman [1](+1943). Cet internationaliste libéral, hollandais d’origine et naturalisé américain en 1928, devenu réaliste, est le fondateur de l’Institut of International Studies à Yale. Quelques temps agent de renseignement lors de son séjour en Indonésie (1917-1920), il est recruté à Yale comme assistant en sociologie. Il présente avec le Rimland  sa vision de la géopolitique internationale. Il emprunte à MacKinder l’idée de « inner crescent » (croissant intérieur) et de « outer crescent » (croissant extérieur) pour dessiner ce rimland, immense barrière protectrice ceinturant la puissance. Cet espace correspond à un large cordon sanitaire, entre le heartland (qu’il reprend à son prédécesseur) et les espaces maritimes ; en somme une zone tampon (buffer zone) que les Etats doivent se constituer s’ils ne veulent pas être absorbés par leurs ennemis.  Entre les deux guerres, Spykman craint autant la domination allemande en Europe que l’influence soviétique, mais il renverse la proposition de Mackinder en soutenant que les régions vitales et stratégiques du monde n’étaient pas le Heartland, mais les zones périphériques de l’Eurasie, à savoir l’Europe occidentale d’un côté, l’Asie orientale maritime de l’autre. Mais, à la différence de MacKinder, Spykman ne croit pas à la paix entre les Etats après 1945 et pronostique un choc inévitable entre la puissance maritime (Etats-Unis) et la puissance terrestre (URSS). Ces régions, désignées sous le nom de Rimlands, ont conservé, depuis la stratégie de containment de la Guerre froide jusqu’aux thèses stratégiques très contemporaines de politologues influents comme Zibgnew Brzezinski une grande importance dans la pratique et la pensée stratégiques américaines.

L’influence de Spykman ne s’est pas arrêtée là. En effet, selon Klaus-Gerd Giesen, en voulant le premier formaliser les relations internationales et en cherchant à en faire une discipline à part entière, Spykman a forgé des concepts, ceux de puissance et d’intérêt national, qui seront centraux dans la théorie réaliste.

Pour conclure sur ces deux visions de l’organisation du monde :

-Mackinder comme Spykman ont compris le rôle de la géographie dans les rapports de force et la constitution de la puissance.

-les deux ont une vision assez déterministe de l’espace (carte de Spykman insiste sur les vastes steppes, les déserts, la taïga etc.)

 -les deux sont attachés à mettre en valeur l’espace terrestre, au prix d’un manque de réflexion concernant les espaces maritimes, sauf à un moment donné lorsque Mackinder évoque le « Midland Ocean » et ses trois composantes : France/R.Uni/Etats-Unis – l’Allemagne ayant alors une position centrale entre le Midland Ocean et le heartland ! Pour lui, le Heartland correspond à la plus grande forteresse sur Terre car il rend les invasions impossibles, mais il ne constitue par pour autant le socle de la puissance.

Une autre vision de la géopolitique mondiale s’affirme au début du XXe siècle qui triomphe par la suite : c’est celle qui place au cœur de sa réflexion les espaces maritimes. Des espaces que MacKinder n’a pas vraiment négligés puisqu’il avait publié en 1902 Britain and the British Seas.

Le principal contributeur à cette vision est l’amiral américain Alfred T. Mahan (+1914),  auteur de The Influence of See Power upon History 1660-1780 (1890) et qui popularise la « destinée manifeste » attribuée aux Etats-Unis[2]. Pour justifier son approche, Mahan, « penseur de la guerre sur mer » (P.Naville), rend compte de la supériorité maritime britannique (le loup de mer) sur la France (le loup de terre) et prend pour modèle l’empire romain qui parvint à contrôler tout l’espace méditerranéen (Mare Nostrum). Il a été très influencé par Theodor Mommsen, auteur d’une « Histoire de Rome » (1843-1846) qui avait expliqué comment la puissance navale romaine avait été décisive durant la 2ème guerre punique (IIIe s-av-JC).

Mahan dirigea par ailleurs l’école de guerre navale de Newport, fondée en 1884. Ce militaire joue donc un rôle assez important auprès des états-majors des Etats-Unis puisqu’il forma nombre d’officiers. Il est le premier à conceptualiser le « Sea Power » (traduit par navalisme faute de mieux). Ceci signifie que la suprématie navale, cruciale, doit s’exercer sur tous les espaces maritimes, même éloignés. Mers et océans sont envisagés comme des routes et non des obstacles, en somme des atouts majeurs lorsqu’une puissance les maîtrise. Il comprend donc l’intérêt crucial du contrôle des détroits et des canaux transocéaniques (Panama, Suez). Sa pensée féconde prend encore plus de relief aujourd’hui lorsque nous observons les manœuvres agressives de Pékin en mer de Chine. La carte de l’océan Pacifique qu’il élabore exprime toute sa défiance à l’égard du Japon dont il craint l’expansion, surtout après l’accord du Japon avec le Royaume-Uni (Landswone) en 1902[3] contre la Russie ; accord rompant ainsi avec le « splendide isolement » du Royaume-Uni à la fin du XIXe siècle. Dès lors, se doter d’une force navale devient un objectif essentiel. Au cœur de cette puissance maritime se place l’archipel des îles Hawaï[4], centre nerveux du dispositif de sécurité des Etats-Unis ainsi que Guam dont Mahan fait un autre Gibraltar. Enfin, il considère que la flotte ne doit pas être subdivisée en détachements plus faibles mais elle doit être capable de projeter rapidement la totalité de sa puissance de feu.

Dans ses 3 tomes, toujours étudiés à Newport, il considère que la puissance maritime d’un Etat repose sur 6 principaux éléments :

-la position géographique

-les conditions naturelles

-la superficie

-le caractère de la population- critère éminemment subjectif

-le type de gouvernement

Pour finir, il faut évoquer un dernier théoricien de la géopolitique avec Robert Strausz-Hupé (+2002), autrichien naturalisé américain après son exil en 1923 et qui publia « Geopolitics : the Struggle for Space and Power » en 1942. Fédéraliste, anticommuniste car il voit dans l’URSS la combinaison du nationalisme expansionniste et du bolchévisme[5], Strausz-Hupé a conseillé D.Acheson (Secrétaire d’Etat de Truman) ainsi que J.F Dulles (Secrétaire d’Etat d’Eisenhower), puis Nixon au moment de son rapprochement avec la Chine. En raison de son origine, il connaît bien la Mitteleuropa et considère les Etats-Unis comme le gardien des valeurs occidentales, face à une Europe qui aurait sombré dans la décadence car ayant cédé à l’individualisme et au sécularisme. Après la publication de The Estrangement of Western Man en 1952, il devint même une sorte de gourou à la CIA et créa en 1955 l’Institut de recherche en politique étrangère.

Pour Strausz-Hupé, la mission des Etats-Unis est d’enterrer les Etats-nations et de guider les peuples vers des unions plus larges. Un ordre universel peut être ainsi établi au centre duquel se trouve le bienveillant empire américain. Durant la Guerre froide, il propose même que l’OTAN se transforme en une organisation supranationale, une fois la dissolution de l’UEO prononcée.

Strausz-Hupé et la plupart de ses prédécesseurs ont défendu une politique réaliste en matière de relations internationales.

Pour approfondir cet éclairage, on se référera à la bibliographie générale et à la mise au point de Ph.Braillard, M.Reza-Djalili, Les relations internationales, PUF, QSJ, 2016.

Pour les réalistes, les relations internationales, qui conditionnent la géopolitique, doivent être envisagées de manière très large (relations entre Etats et entre d’autres acteurs). Plusieurs paradigmes (réalistes, de l’interdépendance, de l’impérialisme etc.) guident l’organisation de ces relations ; ceux-ci ne sont jamais mis en œuvre de manière absolue et sont en réalité complémentaires. Par ailleurs, la politique étrangère s’insère désormais partout (y compris dans la politique intérieure des Etats) et aucun Etat ne peut plus cacher sa politique intérieure, en particulier depuis le développement accéléré des « réseaux sociaux ». Les déterminants de la politique étrangère sont donc à la fois internes et externes.

Origine ; l’école réaliste trouverait son origine dans l’antiquité (Thucydide), puis l’époque moderne (Hobbes). Elle défend la théorie de l’équilibre des puissances (soutenu également par Hume, Leibniz) ; un équilibre capital pour la sécurité. L’Etat est en effet souverain en tant que sa sécurité dépend de lui seul si bien que les réalistes tendent à sous-estimer les autres acteurs que les Etats.

Le courant réaliste rejette l’idéalisme (comme le wilsonisme, même si sa nature est plus complexe) qui postule que les conflits peuvent être évités. Toutefois, la doctrine Stimson (du Secrétaire d’Etat Henry Stimson) énoncée en 1931-1932 dans une note du secrétaire d'État américain condamne les conquêtes japonaises en Mandchourie : cela correspond à la doctrine démocrate qui ne reconnaît pas les Etats institués ou les territoires annexés par la violence alors que depuis Jefferson, la reconnaissance s’établissait de facto[6].

Il faut éclairer cet idéalisme avec le développement concomitant de la démocratie modératrice qui a pour objectif la sécurité collective.

Pour l’école réaliste (représenté par Hans Morgenthau par ex) au contraire, les relations entre les Etats sont marquées par le sceau du conflit à cause des pulsions agressives des hommes et de la nature anarchique du système international. Si solidarité entre Etats il y a, elle ne peut être que partielle et/ou provisoire, calculée. La raison d’Etat se conjugue en réalité avec l’intérêt national. Ce dernier se trouve dans la recherche de la puissance. Dans cette optique, les Etats chercheraient un ordre international minimal et feraient des choix rationnels.

A la fin du XXe siècle, une école néo-réaliste se développe aux Etats-Unis. Leurs représentants les plus éminents sont Kenneth Waltz (Theory of International Politics) ou Robert Gilpin. Pour K.Waltz, l’organisation des relations internationales a un caractère horizontal - chaque Etat ne peut compter que sur lui-même et seules les grandes puissances peuvent transformer le système international.

Si l’on devait résumer en quelques points le courant réaliste :

    • Les États sont les principaux acteurs dans la vie internationale.
    • L’anarchie caractérise le système international. Cet état d’anarchie internationale ne désignant pas nécessairement le chaos, mais une situation caractérisée par l’absence de tout gouvernement central.
    • L’environnement international pénalise sévèrement les États qui ne protègent pas leurs intérêts vitaux ou qui poursuivent des objectifs au-delà de leurs capacités. Les États sont condamnés à épouser un comportement « d’autopréservation » (self help), être sensibles aux coûts et se comporter comme des agents rationnels.
    • En situation d’anarchie, les États sont préoccupés par la puissance et la sécurité, sont prédisposés au conflit et à la compétition. Dès lors, ils évitent de coopérer même malgré des intérêts communs.
    • Les institutions internationales n’affectent que de façon marginale les perspectives de coopération. Les États sont donc condamnés à augmenter sans arrêt leurs forces afin d’éviter la soumission ou la destruction. La seule issue à cette escalade doit se trouver dans l’accès à des équilibres de pouvoirs entre États, aussi fragiles qu’inconstants.

Chacun s’accorde à dire que l’expression balance of power se traduit mal par « équilibre de puissance », sa signification étant plus large, plus dynamique. En effet ce concept est d’abord bâti comme une sorte de guide de l’action visant à éviter la domination d’un État trop fort ; l’expression a une dimension performative.

Robert Kagan, historien et conseiller de Reagan, fait lui aussi partie de l’école réaliste. Il différencie l’Europe, paralysée par le mythe pacifiste, et  les Etats-Unis, attachés à intervenir pour défendre leurs valeurs.

Pour R.Kagan, la sécurité (ici des Etats-Unis) est un absolu, lui même reflet de l’absolu de la souveraineté. S’il est souverain, l’Etat est libre et il ne doit sa sécurité qu’à lui-même. Sécurité suppose une vigilance sans fin et donc une réaction immédiate et forte (militaire donc) en cas de remise en cause. Pour un Etat souverain, déclarer la guerre n’est ni un bien ni un mal, mais l’exercice d’une liberté fondamentale que chaque unité politique reconnaît et reconnaît à l’autre (Pour aller plus loin, on se référera aux travaux  de  Frédéric Gros, Le principe sécurité, Paris, Gallimard, 2012).

Au contraire, l’école idéaliste pense que le processus de modernisation (communications, échanges, multiculturalisme etc.) contribue à la construction d’un système de valeurs communes. Dès lors, la nature conflictuelle passe au second plan. Cela se rapproche de l’idée d’interdépendance liée au dynamisme du capitalisme dans le cadre d’une mondialisation libérale. Lorsqu’en 1900, Mc Kinley vainquit Bryan (anti-impérialiste), il adopta une politique de contre-insurrection. The Philadelphia Legder écrivit alors : « It is not civilized warfare, but we are not treating with civilized people ». On retrouve ici la dichotomie que les Occidentaux ont préservée jusqu’au XXe siècle entre « nations civilisées » et « non civilisés ». C’est l’une des limites majeures de l’idéalisme. Mais ne nous y trompons pas, l’idéalisme n’est pas synonyme de naïveté et de passivité. En 1931, l’amiral Smedley Butler considérait qu’il avait été durant sa carrière « un gangster du capitalisme » sur les trois continents. La protection des intérêts économiques était drapée dans la rhétorique exceptionnaliste américaine et pavée de belles intentions.

 

[2] L’expression est celle de John Fiske « manifest destiny of the anglo-saxon race » (1885, Harper ‘s), qui s’inspire d’un article d'un journaliste, John O'Sullivan, paru dans le United States Magazine and Democratic Review, à l'occasion de l'annexion du Texas, 1845).

[3]Les deux pays, R.U et Japon, avaient déjà signé un traité de commerce en 1894.

[4] Protectorat en 1894, annexé en 1898

[5] Dans Peace without conquest, l’auteur pointait dès 1962 la difficulté du communisme à évaluer le poids du nationalisme comme dans le cadre des relations entre la Chine et l’URSS. Cf. The Sino-soviet tangle and US policy (Revue Orbis, 1962). Dans The Estrangement of Western Man, (1952), il défend la civilisation occidentale. On fera remarquer qu’Henry Kissinger, secrétaire d’Etat de Nixon, est issu de l’Institut Strausz-Hupé et qu’il a imaginé un retour possible à une sorte de “concert des nations” réunissant occidentaux et Soviétiques.

 

[6] « The general practice, as thus observed, was to base the act of recognition, not upon the constitutional legitimacy of the new government, but upon its de facto capacity to fulfill its obligations as a member of the family of nations »

 

Sauver l'industrie française

Dans une tribune des Echos, Max Blanchet et Bruno Grandjean interrogent la possibilité pour la France de se lancer dans une nouvelle aventure industrielle - extrait : 

"Plan de relance

Un plan de relance de l'investissement industriel est la seule issue pour enrayer le risque qui pèse sur l'industrie française. Tout d'abord, il faut renforcer les activités critiques, comme dans la santé, les télécommunications, la mobilité ou la sécurité, où nos chaînes de valeur sont trop dépendantes des autres pays. Le taux de « make » en France est très inférieur à celui de l'Italie ou de l'Allemagne. Ensuite, un tel plan doit viser les produits et technologies de demain, et non les activités déjà délocalisées depuis longtemps.

Ce plan de relance de l'investissement pourrait prendre la forme d'un fond pour l'industrie, alimenté au niveau européen mais aussi par un fléchage de l'épargne des particuliers, pour financer des investissements industriels liés à la modernisation et la digitalisation de l'outil de production, la reconversion vers de nouvelles activités ou encore la décarbonation. Ce financement doit viser 50 milliards pour être efficace, sur deux ans, et agirait comme des quasi fonds propres selon le principe d'une mezzanine".

Hors mis la surprise de voir l'Etat légitimé dans ses missions historiques (l'industrie française depuis le XIXe siècle a toujours eu le soutien de l'Etat et plus encore sous le gaullisme et le pompidolisme), même si c'est un cadre qui demeure européen, on voit mal comment convaincre des conseils d'administration et des banques (ou les deux à la fois) à initier un processus de réindustrialisation quand on sait que la compétitivité des industries nécessite de lourds investissements pluriannuels et quelques années pour atteindre la rentabilité. Quant au "make" (quelle horreur cet anglicisme !), cela fait des années que les promesses des candidats (quand elles sont sincères) butent sur le réalisme des investisseurs et des consommateurs. A moins d'instaurer des taxes supplémentaires sur les biens importés et d'exiger des entreprises françaises un minimum de patriotisme comme l'a fait Donald Trump (et dont les effets sont quasi nuls), d'encourager la recherche dans les universités, de revaloriser les parcours scolaires dans l'enseignement technique, d'interdire le prise de contrôle de nos firmes par des firmes étrangères et.... de dévaluer l'euro, on ne voit pas comment un plan de 50 milliards pourraient à lui seul relancer des activités dont on sait que les nuisances (les industries vertes, cela n'existe pas et toute transformation de matières premières génère des émissions) seront immédiatement attaquées par les élites des grandes métropoles . 

La Guerre du Golfe 1990-1991

 

Il y a 30 ans débutait une crise qui déboucha sur la Guerre du Golfe. La revue de la Défense N@tionale y consacre un article. Premier conflit majeur post-guerre froide, elle est légitimée par un accord entre les 5 membres du Conseil de sécurité de l'ONU et les Américains parviennent à rassembler une large coalition internationale.

Le contexte : les vues de Paris et Washington sur la "question irakienne" convergeaient au cours des années 1980 sur fond de guerre Iran-Irak (1980-1988) : l’Irak devait être renforcé pour faire échec à l’expansionnisme iranien chiite. Les deux puissances auraient commis alors la même erreur stratégique qui consiste à croire que Saddam Hussein deviendrait un acteur raisonnable, George H. W. Bush allant jusqu’à envisager la possibilité de faire de lui, si ce n’est un allié, du moins un relais régional. En 1987, le dictateur irakien réprime durement les velléités d'indépendance du Kurdistan en utilisant des gaz chimiques (massacre d'Halabja).

L’invasion du Koweït par l'Irak en août 1990 est un électrochoc pour lui comme pour François Mitterrand, même si beaucoup de zones restent obscurs quant à la possibilité que les Etats-Unis aient été prévenus des intentions de S.Hussein. Le dictateur irakien pense compenser les sacrifices de son pays en prélevant les ressources pétrolières du Koweït car il estime qu'il a protégé les pétromonarchies - il considère, comme ses prédécesseurs, l'Etat koweïtien comme illégitime depuis sa naissance en 1961. La coalition internationale (qui reçoit aussi le soutien de la Ligue arabe, sauf de l'Algérie et du Yémen) déloge l’Irak du pays en janvier 1991 après 3 semaines de frappes aériennes. La France fait partie de la coalition contre l’Irak en janvier 1991, malgré la démission du ministre de la Défense J.P Chevènement fin janvier 1991 qui protestait contre les conditions de l’intervention. L'application de la résolution 687 votée au Conseil de sécurité de l’ONU qui porte sur la neutralisation des armements irakiens est ensuite menée par la « Commission spéciale des Nations unies » (UNSCOM), en association avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Le conflit permet aux Etats-Unis de prendre pied dans la région en y installant des bases militaires et de mettre en place une nouvelle doctrine ; celle de la guerre préemptive (d'aucuns diraient aussi préventive) qui permet de punir un Etat même s'il ne représente pas une menace directe et immédiate.  G.Bush n'autorise pas le renversement du régime car l'Irak peut être utile contre l'Iran et pour dissuader les pétromonarchies de se détourner de Washington.

 

L'autre mondialisation

« Les nations de l’Orient et de l’Occident sont désormais solidaires (…). Le monde est devenu trop étroit pour que le monde puisse se développer isolément en des bassins géographiques distincts sans se mêler en une civilisation supérieure ». Elisée Reclus, Les grands textes, 1882, Ch.Brun, Champs Classiques, 2014.

 

Le géographe Elisée Reclus poursuit avec la concurrence devenue mondiale et évoque le basculement du centre de gravité de l’économie mondiale de l’Europe vers l’Orient. Mais ce qui nous intéresse ici est cette « civilisation supérieure » qui dépasse largement le domaine économique et annonce peut-être l’avènement d’un nouvel âge de l’humanité. Cette expression qui conjugue l’économie, la culture et la société, alimente un certain optimisme puisque « sans doute l’équilibre se produira tôt ou tard, et l’humanité saura s’accommoder aux nouvelles destinées que lui assure la prise de possession en commun de toute la planète ».  Si le mot mondialisation est inconnu du géographe français, ce qu’il décrit est bien la matérialisation du concept. Aujourd’hui, ce mot est devenu très commun, banal et utilisé tous azimuts (mondialisation du goût, mondialisation des émotions, sino-mondialisation etc.), envahissant même. Il est  parfois réduit à une mécanique mondiale, inexorable (« la mondialisation est » et rien ne peut l’arrêter, comme la rotation de la Terre) à laquelle il faudrait se soumettre, s’adapter. Il faudrait aussi s’y intégrer sans quoi nous péririons ; connect or perish. Ses acteurs sont des fantômes tandis qu’Elle agit seule, de son propre chef. Rien ne l’arrête car le Marché (A.Supiot), libéral, qui est son carburant, étend chaque jour son champ d’action. Tout est à vendre, tout est à acheter ; des nationalités grâce à la vente de passeports ou de droits de résidence, des parties de souveraineté en faisant stocker des données des administrations publiques par de grandes FTN, des infrastructures stratégiques comme des ports ou des aéroports, des territoires vitaux comme des terres agricoles, des éléments du patrimoine (Salvator Mundi de Léonard de Vinci), des Hommes (migrants, prostituées, enfants etc.), des guerres (guerre du Golfe de 1991), des silences… et la liste n’est pas exhaustive. Il s’agit ici d’ouvrir quelques portes pour avoir une approche plus transversale de la question de la mondialisation.

La mondialisation n’est pas immanente

La mondialisation n’est pas immanente car elle est un processus continu mis en place et soutenu par le système capitaliste – ce n’est pas un processus désincarné car il est porté par des acteurs en chair et en os. Ce n’est pas non plus une sorte d’état naturel du monde qui s’impose naturellement aux sociétés. Elle peut être ralentie (Covid-19) voire stoppée par les Etats. Trop de littérateurs considèrent avec un habituel fatalisme positif que la mondialisation « est là » et que les Etats, les hommes doivent se résigner à l’accepter, ou bien « qu’il faut faire avec » car on n’a pas le choix.  La crise actuelle, inédite et immense et dont la fin est imprédictible, même par les « plus grands experts », peut nous faire dire le contraire. Des choix ont été faits comme celui de fermer les frontières, de confiner ou de renoncer à une politique industrielle qui aurait pu garantir l’approvisionnement en matériels médicaux.

La mondialisation restera cet ectoplasme si ses acteurs et ses processus variés ne sont pas mis en relation avec des transformations spatiales, mais aussi politiques, sociales et culturelles des Etats. Elle est mue par des décisions ou des réflexes non uniquement économiques (la dette d’un Etat par ex. donne ou pas confiance aux investisseurs). A la suite d’Alain Supiot, elle  ne peut être réduite à une machine qui construit des identités flottantes et des frontières évanescentes qui effaceraient les Etats et rendraient les individus interchangeables. La mondialisation a donc une épaisseur historique et  sa scansion correspond à des stratégies très précises - la personnifier consiste d’ailleurs à nier sa dimension éminemment humaine.

 

Le concept est toujours anachronique

Une petite chronologie du mot « mondialisation » s’impose ici :

-1959 : l’économiste Arthur Burns (conseiller de Eisenhower, puis de Nixon) qui, le premier, dans The Economist en 1959 évoqua la « globalization » à propos de la croissance des importations automobiles.

-1964 ; un article de Paul Fabra du Monde relate alors l'ouverture du Kennedy Round et a pour titre « Vers la mondialisation des échanges ». La même année Mac Luhan propose son concept utopique de « global village », sorte d’équivalent de la « société monde », utopique et militante de Jacques Lévy.

-1983 : le professeur de marketing Theodor Levitt publie un article intitulé "The Globalisation of Markets" dans un numéro de la bible des mondialistes, la Harvard Business Review.

Quant à son usage en français (puisque « globalisation »[1] désigne en France un aspect seulement de la mondialisation), le géographe Christian Grataloup observe son irruption dans les dictionnaires Larousse et Robert au début des années 1980, mais « global » et « globalisme » apparaissent dès les années 1940, au moment où la « guerre se mondialise ».

En réalité, il est assez inutile de s’inscrire dans des débats sémantiques puisque aujourd’hui globalisation et mondialisation sont souvent utilisés indifféremment pour désigner la même chose. Par ailleurs, dater la mondialisation est une gageure puisque le processus divise encore très largement les historiens, les géographes et les économistes. D’aucuns la feront « partir » des premières migrations humaines qui peuplent la Terre il y a plusieurs centaines de milliers d’années, ou du Néolithique quand l’agriculture se généralise et favorise la « sédentarisation » (on sait que ce n’est tout à fait pas vrai), d’autres de l’Empire romain qui étend ses rhizomes jusqu’en Asie, ou du périple de Marco Polo au XIIIe siècle, ou bien des « Grandes découvertes » du XVe siècle et de la généralisation du capitalisme marchand, ou encore de la colonisation des XVIII et XIXe siècles servie par la « Révolution industrielle ». Les « mondialisations » se succéderaient : mondialisation espagnole au XVe siècle, puis britannique au XIXe siècle, américaine au XXe siècle – et enfin chinoise au XXIe siècle ? A moins que tout cela ne soit que le produit d’une vision occidentalo-centrée.

Pour autant, il ne faut pas ignorer la dimension temporelle : au long du XXe siècle, des événements ont accéléré ou freiner les échanges, telles les guerres tandis que des avancées techniques ont pu augmenter la densité des flux existants (connexions numériques) et « accélérer » la mondialisation. On peut toutefois lui distinguer deux phases ou trois phases d’accélération : 1860/1914 (Suzanne Berger), Trente glorieuses, début des années 1980. D’autres insistent sur sa dimension cyclique avec des phases d’accélération suivies de phases de stagnation, voire de reculs (après la crise de 2008 par ex). C’est pour toutes ces raisons, elle n’est pas un processus linéaire, mais connaîtrait des « pulsations », comme dans un processus incrémental.

En conséquence, il est difficile pour l’historien de faire une généalogie de ce qui est continu, à moins que les césures opérées n’aient pour seul objectif de s’approprier le concept et nourrir une originalité éditoriale. On retrouve d’ailleurs les mêmes difficultés de datation et de périodisation lorsqu’il s’agit du « progrès », ou de la sacro-sainte « modernité » et leurs travers rhétoriques que sont les adjectifs « traditionnel » ou « archaïque » qui polluent les copies.

 

C’est quoi la mondialisation ?

La plupart des approches reposent sur une définition quantitative de la mondialisation. On insiste sur la croissance des échanges, la multiplication des réseaux, la convergence des prix, et d’autres données sociales ou démographiques.  La passion du nombre dans un ordre statistique qui dirait le Vrai, minore les autres aspects de la mondialisation. Comme le souligne Daniel Woodley, elle aussi la confrontation entre des Etats et organisation d’Etats et une gouvernance mondiale qui peine à réguler les ambitions des premiers[2]. Elle entretient cette dialectique qui tend les relations entre les aires géographiques et les différents acteurs politiques. Ses dimensions juridiques sont ici centrales ; sans la libéralisation des échanges produite par des accords et des traités signés par des Etats ou groupe d’Etats, la « révolution des transports » n’aurait aucun effet sur la mondialisation. La seconde suit la première.

Généralement, la mondialisation est définie comme un processus géo-historique qui se traduit par l’expansion du système capitaliste ; d’autres ajouteraient la diffusion de l’idéologie néo-libérale qui légitime aujourd’hui cette expansion. Elle désigne l’ensemble des processus matériels et organisationnels, touchant tous les domaines, qui renforce l’interdépendance entre les lieux, les économies et les sociétés à l’échelle de la planète. Cette interdépendance est donc possible grâce à la circulation croissante et complexe des flux de tous ordres. Ces flux ne sont jamais totalement « immatériels » puisque le web nécessite de lourdes infrastructures physiques (serveurs, répéteurs, câbles, data-centers etc.).

Si l’on revient aux dimensions non exclusivement centrées sur l’économie, il est très facile d’identifier dans un premier temps des acteurs : Etats, organisations régionales, partis politiques, associations et ONG, groupes armés ou terroristes, sociétés civiles, individus.

Les thématiques à développer pour étudier cet autre aspect de la mondialisation sont par exemple :

  • Dans le champ politique : l’avènement d’un droit mondial porté par les organisations internationales, la décolonisation et l’affirmation du Tiers Monde[3], la constitution d’organisations régionales, la gouvernance mondiale (que les différents « G » illustrent), la multiplication des Etats et leur démocratisation, les formes de militantisme de plus en plus radicaux, la prolifération des mal nommés « populismes ».
  • Dans le champ culturel et religieux : le retour du religieux, le développement d’une culture et des loisirs de masse, l’américanisation des modes de vie, la montée en puissance de la revendication d’une identité (religieuse, nationale, sexuelle, régionaliste etc.), le cosmopolitisme, l’universalisation de certaines valeurs.
  • Dans le champ démographique : les convergences démographiques comme la transition démographique, la diffusion de la croissance urbaine (dont la révolution métropolitaine et des modèles urbains (verticalité, périurbanisation/polycentrisme, habitat individuel, aseptisation de l’espace public avec la généralisation des systèmes de surveillance et des sas), la généralisation de modèles familiaux, les migrations internationales. De la métropolisation, on retiendra la proposition féconde de Michel Lussault qui en fait non la conséquence de la mondialisation mais son ressort. On pourrait ajouter la diffusion plus rapide des crises sanitaires.
  • Dans le champ militaire : la prolifération nucléaire, les « nouvelles conflictualités », la montée d’un terrorisme globalisé, l’intérêt croissant pour la maîtrise stratégique des espaces maritimes, l’insistance sur les capacités de projection et de pénétration rapide plutôt que la mobilisation « de citoyens en armes », la priorité donnée par les états-majors à l’intelligence artificiel (armes autonomes).
  • Dans le champ social ; le délitement des classes moyennes, la mise en concurrence des salariés, le développement des emplois jetables, la croissance des inégalités à l’intérieur des Etats (la convergence de l’indice de Gini entre des Etats très développés et des « pays émergents » est ici frappante), les tensions au sein des jeunesses (dans les Etats développés comme moins développés), les formes nouvelles de revendications.

 

Les éléments cités plus haut donnent l’impression que le Monde devient Un mais on ne peut souscrire à l’idée de « société monde » pour la simple raison qu’une société civile ne peut être instituée que par un Etat et l’ordre juridique qu’il impose. Or la planète n’est ni un Etat et encore moins le produit d’un droit unique : que des ressemblances entre sociétés existent va de soi comme le fait que les sociétés soient multiculturelles (à quand transculturelles ?), mais il suffit de franchir la frontière des Pyrénées pour constater combien la société espagnole demeure différente de la nôtre. Par ailleurs, sans frontière, sans Etat, sans droit exclusif, pas de mondialisation car cette dernière s’appuie sur des gradients établis par les Etats. Et puis, paradoxalement, la mondialisation, comme l’ont démontré des événements récents, exacerbe les rapports humains autant qu’elle peut rapprocher les hommes, les sociétés ainsi que les Etats - pourquoi une « société européenne » (ce qui serait déjà pas mal) se replierait-elle sur chacun des Etats qui la composent lors d’une crise sanitaire comme celle de la Covid-19 ?

  1. Allons un peu plus loin dans la description des éléments ci-dessus pour creuser les processus que les acteurs de la mondialisation encouragent :

Il est assez facile en adoptant un regard en surplomb de démontrer la concomitance entre la mondialisation et l’impérialisation de l’espace mondial  par la constitution de vastes empires dès la fin du XIXe siècle / coloniaux, politiques économiques voire techno-scientifiques (GAFAM), la mondialisation des guerres avec leurs fronts immenses, qu’ils soient terrestres ou maritimes où s’affrontent des populations venant de tous les horizons ou avec la bipolarisation du monde lors de la Guerre Froide ; les deux Grands soutiennent à l’échelle mondiale des idéologies et des systèmes économiques antagoniques et cette opposition nourrit a priori le conflit (l’échiquier devient alors global). C’est l’adoption de « l’Etat » en tant que concept forgé par les Occidentaux une fois la décolonisation achevée. C’est la constitution d’un droit international public incarné par des institutions et des traités internationaux (Cour pénale internationale, Cour internationale de justice etc. ), l’universalisation de certaines valeurs (liberté politique, égalité, parité, patrimoine, « inclusion » etc. ), le développement d’une gouvernance économique mondiale dans un cadre capitaliste (Bretton Woods, Gatt, OMC, FMI etc.) que d’aucuns associent à un impérialisme réinventé. Plus récemment c’est l’uniformisation technologique portée par les FTN du numérique sapant les bases des systèmes politiques étatiques et de l’ordre westphalien, les migrations se déployant à l’échelle mondiale, le retour (ou réveil) du religieux se traduisant par un prosélytisme s’appuyant sur des puissances financières ou des Etats (Eglises évangéliques américaines ou salafisme wahabite financé par le Qatar ou l’Arabie Saoudite en Afrique ou l’islamisme des Frères musulmans financés par la Turquie d’Erdogan), l’américanisation des modes de vie et de la culture (sans que cela ne transforme d’ailleurs  les sociétés touchées en sociétés américaines bis). On voit ici la complexité et la pluralité des processus en œuvre dans le cadre de la mondialisation.

 

L’interdépendance, condition et résultat de la mondialisation

Lorsqu’en 1982 le géographe Olivier Dollfus développe le concept de « système monde » qu’il diffuse après la publication de son ouvrage éponyme en 1984, puis dans la 2ème partie de la Géographie Universelle en 1997, il ne se doute peut-être pas qu’il prédit le monde d’aujourd’hui car en effet,  l’idée est maintenant bien ancrée que le monde fait système ; comme dans un système d’équations mathématiques, nul lieu ne peut se prévaloir de caractéristiques originelles car chaque lieu est soumis à la pression d’un autre lieu (intrication des lieux). C’est ici que la notion d’interdépendance trouve sa force. Cette idée de « pression » induit deux dynamiques : une force qui presse, un ressort qui se relâche- s’il ne se relâche là, il presse ailleurs. Un exemple : puisque la planète serait devenue « transactionnelle », alors le mode transactionnel étendrait son empire partout dans le monde (nous rappelant ici que tout est négociable) ; ici, une unité de production (et non une entreprise !) disparaît pour réapparaître ailleurs, en général chez le moins disant social et fiscal qui garantit une meilleure rentabilité des capitaux. Un jeu à somme nul ? Pas vraiment puisque la plus-value envisageable guide l’orientation du piston. Ce jeu est tout autant verticale (de l’échelle mondiale à locale) qu’horizontale (entre échelles identiques). L’observateur sérieux doit jouer de ces échelles comme l’écrit le sociologue allemand Siegfried Kracauer ; « Plus est élevé le degré de généralité auquel un historien travaille, plus la réalité historique perd en épaisseur. (…) Pour parvenir à une impression claire et précise d’une manifestation, l’observateur doit accomplir certaines actions. Il doit tout d’abord grimper sur le toit d’une maison pour avoir une vue d’en haut du cortège dans son ensemble et apprécier sa dimension ; puis il doit descendre et regarder par la fenêtre du premier étage de banderoles que portent les manifestants ; enfin, il doit se mêler à la foule pour se faire une idée de l’apparence extérieure des participants », (L’histoire des avant-dernières choses, 2005).

Le risque porté par une mondialisation qui privilégie l’horizontalité est l’avènement d’une économie virtuelle, déconnectée de l’économie réelle et des systèmes productifs ancrés dans les territoires. Le résultat est un effet tunnel à l’échelle mondiale avec une économie qui ignore l’intérêt des Etats et ne privilégiant que la rentabilité à court terme et pour l’observateur, une approche de la mondialisation « hors-sol » puisque seuls intéressent les flux « mondialisés », qu’ils soient transocéaniques ou transcontinentaux.

Le risque porté par ce fonctionnement économique a explosé en 2008, mais il a des antécédents historiques. Rappelons nous aussi dans le film The Big Short  comment Mark Baum enquête sur le terrain et découvre les comportements (et donc la psychologie) des débiteurs insolvables qui se sont endettés ; des comportements qui se généralisent à tous les pays car la propriété foncière prouve la réussite sociale.

Il faut souligner ici la responsabilité des acteurs financiers qui ont soutenu, avec l’accord des Etats (consensus de Washington), les « 3D » (dérèglementation, désintermédiation, décloisonnement) et ont détruit les bases de la régulation financière mise en place après guerre. Les réseaux financiers se sont enchevêtrés et ont ainsi constitué un maillage complexe tandis que les interdépendances entre les marchés de capitaux (et donc aussi entre les entreprises productives qu’ils financent) s’accroissaient. Les interdépendances lubrifient les échanges mais elles sont aussi des bombes à retardement. Il faut donc élargir la perspective de la globalisation financière en s’intéressant aussi aux acteurs politiques qui l’ont initiée. C’est pour cette raison que la mondialisation a une dimension éminemment politique.

 

Le soubassement politique de la mondialisation

Pas de mondialisation sans Etats et sans frontières. Les flux de la mondialisation ne peuvent être abordés sans prendre en compte le poids du droit interne et externe, et donc des Etats, qui, répétons le, n’ont pas aboli leurs frontières mais seulement réduit le contrôle aux frontières et les taxes douanières suivant des politiques libérales. Les Etats ne sont donc pas effacés et sont parties prenantes de la mondialisation car c’est en pariant sur les systèmes juridiques et sociaux les plus compétitifs et garantis par les Etats, que les FTN parviennent à organiser leur production. L’insertion (intégration est trop équivoque) dans la mondialisation passe d’ailleurs par le recours constant à l’Etat car :

-les entreprises ont une nationalité et sont territorialisées (je souligne les entreprises, pas leurs unités de production, soumises elles à plus de « volatilité juridique »)- les « délocalisations » concernent d’abord les  unités de production et on voit mal L’Oréal quitter son siège de Clichy pour Oulan-Bator.

-la création de monnaie reste le monopole de l’Etat, ou pour l’euro de groupes d’Etats (l’euro est plus le produit d’un rapport de force politique entre la RFA et les autres Etats membres qu’une « monnaie commune »)

-l’Etat administre le marché par une réglementation de la production (normes, brevets..), du travail (code du travail), par la fiscalité qui finance des missions régaliennes indispensables à l’activité économique.

-l’Etat émet aussi des emprunts (bons du trésor) qui irriguent les marchés financiers et participent donc à la globalisation – les fonds souverains étant le produit hybride de la mondialisation libérale et du système westphalien

-l’Etat organise l’attractivité, voire la compétitivité des territoires (le « pays frugaux » de la zone Euro sont ici très doués pour jouer du dumping fiscal contre les Etats plus solidaires)

-les Etats signent les accords de libre-échange et peuvent instaurer des formes variées de protectionnisme,  de boycott

- seuls les Etats (et quelques organisations pour le moment) sont représentés dans les instances internationales de gouvernance économique comme le FMI, l’OMC, l’AEMF etc.

-certains Etats sont dirigés par des responsables issus de milieux économiques qui tendent à vouloir imposer les règles du marché aux services publics

-les Etats protègent militairement les firmes et leurs salariés contre les menaces diverses comme on le voit au Nigéria pour les activités d’extraction pétrolière.

L’intervention de l’État n’est donc pas disqualifiée par la mondialisation. L’Etat a même conservé (ou reconstruire, suivant les pays) des « espaces politiques » à l’intérieur desquels les priorités nationales peuvent être établies  au nom de la souveraineté économique- c’est avec celle-ci que D.Trump pense protéger la souveraineté stratégique des Etats-Unis comme l’affaire Huaweï nous le rappelle.

Pour conclure, citons Dominique Wolton, « Il faut d'abord rappeler que la mondialisation actuelle peut être considérée comme la troisième d'une suite ayant commencé au sortir de la deuxième guerre mondiale, avec la création de l'ONU et des organisations internationales. C'est à peu près la seule grammaire dont nous disposons aujourd'hui dans un monde multipolaire pour faire cohabiter les peuples, les idéologies, les cultures et les valeurs. Cette première mondialisation politique a été passée sous silence du fait de la guerre froide, mais elle représente aujourd'hui une mondialisation indispensable. La deuxième mondialisation est économique »[4].

 

Le mythe de l’appli mondialisée

Quelle est la nature de cette économie mondialisée ? On peut ajouter que le triomphe de la finance ne doit pas déboucher sur l’idée que la mondialisation se confonde avec l’économie tertiaire dont les fers de lance seraient les « entreprises naissantes » (ou start-ups), en particulier de la Fintech (firmes spécialisées dans les technologies financières) et des sous-services du « quaternaire » aux prestataires sous-payés (VTC, échanges de services, livraison de plats, quête de places de parkings, prêt de mixers entre voisins etc). Comme l’écrit dans un ouvrage récent Pierre Veltz (La société hyper-industrielle, Rép. des idées, Seuil, 2017), la production industrielle, donc matérielle (les applications pour smartphones ne le sont pas) n’a pas cessé de croître : « l’économie numérique », Graal des mondialistes, ne met pas fin au secteur manufacturier. C’est au contraire là où la part du PIB industriel est significative (plus de 20 %) que l’économie numérique prospère (Corée du sud, Japon, Chine, RFA etc.). Le socle de nos "sociétés hyper-industrielles"[5] reste industriel même si la sacro-sainte division sectorielle a complètement éclaté du fait de l’évolution des chaînes de valeur – ce qui, entre parenthèses, questionne très fortement les tableaux statistiques livrés aux étudiants comme des vérités.

Revenons aux travaux de P.Veltz ; la mondialisation installe une économie mondiale qui serait moins transactionnelle que « relationnelle », c’est à dire reposant sur la capacité à mettre en relation différentes ressources pour produire un bien ou un service – des relations entre firmes, au sein des firmes. La synthèse de ce fonctionnement est la DIPP qui sape les fondements du compromis tayloro-fordiste partout dans le monde.

En effet, les modes tayloriens seraient dépassés en effet dans cette dernière phase : un dialogue permanent s'instaurerait entre opérateurs de production (en charge du process), les concepteurs, les services de maintenance, d'après-vente, de communication etc. En somme, ce qui compte c’est l’intelligence de la combinaison entre les ressources (la  capacité de synchronisation des chaînes de valeur ou des machines) et moins la détention de ces ressources.

Une firme pour être « en relation » a besoin de réseaux territoriaux efficaces qui déterminent la configuration de la chaîne de valeur, mais comme un bien manufacturé intègre désormais des composants issus de plusieurs pays la mondialisation a sonné le glas du « Made in… » (d’où la remise en cause du nationalisme statistique).

Datation. L’interdépendance des économies est bien plus ancienne que la mondialisation. L’exemple du corail (pêché par des marins napolitains sur les côtes du Maghreb) changé en Inde contre des diamants au XVIe siècle par des marchands Juifs convertis d’Espagne (Marranes) pour le compte du royaume catholique, raconté par Francesca Trivalleto, professeur à Yale,  en est un exemple parmi d’autres comme celui développé par Eric Haimade sans sa thèse sur les soyeux lyonnais[6], tous inscrits dans des réseaux complexes reliant tous les continents. Rapportées à aujourd’hui, les mêmes questions taraudent les acteurs : comment faire confiance à l’acheteur ? Comment rassurer le vendeur ? La mondialisation reposerait dès lors, et avant tout, sur des « relations » de confiance. La mondialisation serait donc aussi affaire de confiance réciproque. Loin d’être réduite à ses seuls aspects technicistes (« révolution des transports », NTIC etc.), la mondialisation a  une dimension humaine et repose sur des ressorts psychologiques (si bien mis en avant dans la finance par Richard Thaler) qui restent sous-estimés ; les comportements moutonniers des consommateurs (entretenus par les services marketing qui sont en réalité des Eglises) comme des entreprises et des Etats, le prouvent régulièrement.

 

Mondialisation et droit international

Voici un autre aspect de la mondialisation assez peu développé dans la littérature consacrée aux concours. Depuis le XIXe siècle, on assiste à la progressive élaboration d’un droit international. Cela est rendu possible par une reconnaissance des Etats comme entités politiques souveraines après les traités de Westphalie (1648) – ici les étudiants doivent lire quelques extraits de Jean Bodin et Thomas Hobbes. Au XIXe siècle, le droit international public progresse et distingue des « nations barbares» des « nations civilisés » (E.Jouannet) auxquelles s’applique le droit de manière réciproque. Une étape supplémentaire est franchie avec le traité de la SDN en 1919 qui trouve son origine au XIXe siècle lorsqu’en 1899 apparut l’expression « société des nations civilisées » à la première Conférence internationale de la paix de la Haye. Tout au long du XXe siècle, ce droit étend ses ramifications et englobe de plus en plus d’Etats.

En fait, la SDN est le produit de la nouvelle conception du droit international qui doit garantir la paix et assurer l’arbitrage entre les nations en cas de conflit. L’héritage fondamental est constitué par une idée simple : l’Etat devient un sujet de droit. La Ligue de la SDN confortait ainsi le droit européen qui se conformait à un idéal de civilisation. L’organisation internationale met aussi en avant le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », principe réaffirmé dans la Charte des Nations unies qui doit de garantir « entre les nations des relations amicales ». Si ces textes s’appliquent aux collectivités que sont les Etats ou les peuples, la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948) étend à tous les habitants de la planète les droits inspirés de 1789. Ces principes sont néanmoins soumis au bon vouloir des Etats les plus puissants (les Etats européens au sein de la SDN), ou ceux formant l’oligopole du Conseil de sécurité de l’ONU. Ceci explique que beaucoup de colonies ont dû arracher par la force leur indépendance contre les métropoles colonisatrices. Ce droit universel interroge aussi la définition de « l’humanité », a fortiori lorsque les militants antispécistes frappent violemment aux portes des organisations internationales pour faire reconnaître des droits quasi similaires aux animaux.

Ces avancées juridiques ont été connexes à la mise en place d’autres instances ou principes universels : la Cour internationale de justice de la Haye en 1945 succédant à la Cour permanente de justice internationale établie par la SDN en 1922, l’Organisation internationale du travail (1919), le droit de la mer (1958) suivi de la Convention de Montego Bay (1982) ou le système de règlement des différends au sein de l’OMC (1995). Ce droit est associé au « progrès » or certains Etats s’appuyant sur les nations sont réticents à voir se développer des institutions généralistes supranationales car elles remettent en cause leur souveraineté ou leur spécificité « culturelle ». Pa ailleurs, qui est capable de définir « l’humanité » ?

Face à la montée en puissance d’une gouvernance juridique mondiale, la Chine cherche depuis quelques temps à « désoccidentaliser » le monde en remettant en cause un droit international (en particulier concernant les ZEE) qu’elle juge partial car initié par les Occidentaux.

Autre aspect : depuis les années 1980, la mondialisation pose la question de l’avènement d’une « société mondiale » régie par un droit mondial ou du moins d’un ordre juridique mondial. Ceci s’inscrit dans un projet néo-libéral de gouvernance mondiale par le droit ; chaque individu ne serait plus qu’un contractant (délitement de la citoyenneté et de l’appartenance à une nation) dans une « Grande société ouverte » (A.Supiot) où les bienfaits de la compétition généralisée entre les Hommes et entre les territoires ne peut que rendre le monde meilleur.

Sans aller jusque là, la mise en place de la Cour pénale internationale (Statut de Rome, 1998) approfondit par exemple l’idée d’un droit international dans le domaine du droit pénal pour punir les criminels de guerre, même si des Etats puissants ne reconnaissent pas cette juridiction (Etats-Unis, Russie, Chine, Arabie Saoudite par ex) faute d’avoir signé ou ratifié le texte fondateur.

« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous », voilà bien un slogan mondialiste promettant l’avènement de jours meilleurs pour les travailleurs de toute la planète  ; la crise du capitalisme ouvrant la voie à l’émancipation globale. Mais, l’internationalisme a brutalement buté contre les nationalismes en 1914. Pourtant, dans le champ social, le droit, instauré par des puissances ne se réclamant pas du marxisme, semble avoir « mieux réussi sa mondialisation » : l’Organisation Internationale du Travail, qui a fêté ses 100 ans en 2019, est la seule institution des Nations unies dans laquelle les gouvernements partagent le pouvoir avec les représentants des employeurs et des travailleurs : l’objectif étant de bâtir la démocratie sociale à l’échelle mondiale. Dans son prolongement le rapport Brandt (1980) comportait également la promesse de plus d’égalité en dessinant la ligne Nord-Sud, aujourd’hui décriée. On retrouve ici le trilemme posé par Dany Rodrick qui consiste à devoir choisir entre l’hypermondialisation, l’Etat-nation ou la démocratie politique ; la démocratie sociale ne pouvant être instaurée sans réduire les deux premiers. Il faut enfin constater que la marge de manœuvre des partisans d’une « démocratie sociale mondiale » est de plus en plus réduite au fur et à mesure que s’expriment les forces gigantesques du Marché.

 

Mondialisation et religions

Depuis la fin de la Guerre froide et le début du XXIe siècle, les religions semblent avoir repris de la vigueur : offensives du wahabisme saoudien et islamisation importée en Occident, recrudescence des mouvements évangéliques d’obédience pentecôtiste partout dans le monde, réveil du national-bouddhisme en Birmanie,  activisme diplomatique et humanitaire du pape (et moins religieux), visibilité plus grande de l’Eglise orthodoxe en Russie etc. Paradoxalement, un autre mouvement mondial a cours ; celui de la sécularisation qui touche l’ensemble des sociétés. Les religions relèvent d’une « mondialisation de l’imaginaire » depuis des siècles. Définie comme le rapport des hommes à l'ordre du divin ou d'une réalité supérieure, à un au-delà, abstrait, imaginaire, tendant à se concrétiser sous la forme de systèmes de dogmes ou de croyances, de pratiques rituelles et morales, la religion entretient et même s’insère dans de multiples cercles participant à la mondialisation : les Eglises et communautés de fidèles d’abord, mais aussi celui des Etats quand ils sont crypto-théocratiques ou celui des entreprises (finance halal, médias), des migrations, des diasporas, du terrorisme globalisé porté par le djihadisme.

Des cartes peuvent illustrer la diffusion de ces religions et leur territorialisation, toujours approximative d’ailleurs. https://www.sciencespo.fr/enjeumondial/fr/religion/graphique.html

Les dynamiques mondiales qui animent les religions sont multiples. La propagation des religions obéit à des processus complexes qu’il serait trop long de développer ici.

Les religions se répandent en général par la guerre ou par la prédication pacifique,  mais aussi par des moyens plus diffus comme les missionnaires pendant la colonisation, l’organisation d’événements culturels ou les migrations. Elles s’appuient sur un message originel, font du prosélytisme pour étendre leur influence grâce à un clergé ou des instances officielles (associations, instituts, organisations). La mondialisation leur permet de se constituer des réseaux d’influence très importants en ayant recours aux outils les plus modernes (Internet, réseaux sociaux, TV, radios, action humanitaire etc.). La plupart du temps, une religion chasse l’autre et il faut en finir avec l’angélisme de la cohabitation entre religions dans certains territoires touchés par la guerre ou une instabilité politique chronique.

Enfin, le réveil du religieux va de pair avec l’essor des revendications communautaristes qui peuvent être interprétés comme une réponse à une mondialisation accusée de diluer les identités ; des communautés qui finalement s’opposent à l’utopie d’une mondialisation qui ferait de la planète une immense communauté et participent au morcellement de territoires entiers, des échelles nationales aux échelles infra-urbaines : morcellement qui va de pair avec l’exaltation (fréquemment par une minorité bruyante) d’une appartenance, qu’elle soit ethnique, religieuse ou sociale. « Le sentiment d'une authenticité des origines alimente des polémiques sur l'uniformisation culturelle du monde, sur l'hégémonie américaine, sur le « repli » nationaliste ou communautaire, sur la préservation de la diversité » écrit Dominique Wolton.

 

Les découpages religieux

Il est maintenant classique de proposer aux étudiants des cartes montrant le monde partagé en grandes aires religieuses (christianisme, islam, judaïsme, hindouisme, bouddhisme entre autres) mais dont les lignes de contacts évoluent sans cesse (aires qui se dilatent ou se rétractent comme avec  l’exode des Yézidis[7] et des Chrétiens d’Orient).  Ces aires ont pu justifier la représentation de S.Huntington (Clash of Civilizations, 1993) pour qui les prétentions de l’Occident à l’universalisme entrent en conflit avec d’autres civilisations, et de la plus grave manière avec celles de l’islam et de la Chine. Sa vision intègre toutes sortes de facteurs (dont la spiritualité) mais rend mal compte de la porosité des limites des aires, des échelles et du degré de conviction et de pratique des croyants. On a pu discuter de la validité de ces huit ou neuf regroupements (civilisation occidentale, latino-américaine, orthodoxe, islamique, chinoise, hindoue, japonaise, bouddhiste et « peut-être » africaine), du primat du culturel sur le stratégique ou l’économique, de l’hypothèse d’un affrontement irréductible entre Occident et islam (conviction d’une culture supérieure et d’une puissance inférieure), ou bien encore de l’appel à l’unité du monde occidental élargi (en dépit de ses divisions). Mais le mérite de S.Huntington est de soulever la question relations entre les aires de civilisations.

La principale faiblesse méthodologique de Samuel Huntington, d’un point de vue de géographe, est le refus de manier les échelles, mais la thèse a le mérite de lever le voile sur l’offensive, souvent morbide, de groupes se réclamant de telle ou telle lecture de la religion.

Plus prosaïquement, l’étude de la mondialisation ne peut faire abstraction d’un découpage du monde en aires religieuses et en montrant les dynamiques en cours. Dans le monde, il y aurait plus de 1 milliard de catholiques, soit 18,4 % des croyants. Le catholicisme inscrit son action à l’échelle mondiale avec les Journées mondiales de la jeunesse par exemple, la bénédiction annuelle Urbi et Orbi ou l’affirmation de la diplomatie vaticane. Pour les protestants, l’inscription paraît plus modeste faute de centralisme clérical, mais l’Alliance réformée mondiale née XIXe siècle rassemble chaque année des milliers de fidèles. La dynamique se trouve dans l’essor des mouvements évangéliques en Afrique et en Amérique du sud ; en général, le mouvement en question est d’origine locale avant d’élargir son champ d’action au monde. En Afrique, les évangéliques s’appuient sur les Eglise africaines nationales ou régionales et jouent sur la détresse des populations pour faire du prosélytisme : promesse de guérisons, promotion de la réussite sociale (d’où une certaine popularité parmi les classes moyennes). Elles prolifèrent désormais dans certaines communes de banlieue, ont pignon sur rue dans d’incertaines zones industrielles, espaces seuls capables de réunir sous un même toit de hangar des centaines de fidèles. Depuis quelques années, elles trouvent le soutien logistique de fondations américaines promouvant «  l’inclusion » dans les quartiers en difficulté, y compris en faisant des entorses à la laïcité : le French American Charitable Trust qui a son siège aux Bermudes est ainsi très proactive. Cela va de pair avec des actions plus périphériques comme celle de la banque J.P Morgan qui a instauré en 2019 un mécénat pour les Advancing Cities, en faveur de la promotion de « jeunes talents ». Nul doute qu’une subtile propagande vantant le modèle économique et politique américain accompagne cette générosité. La mondialisation économique rejoint ici l’autel.

Quant à l’islam, il réunirait près de 2 milliards de fidèles. Au niveau mondial, il peut compter sur l’Organisation de la conférence islamique (1969) devenue Organisation de la coopération islamique pour étendre son influence et la Ligue islamique mondiale (1962) dont le siège est à Djeddah (Arabie S.). La dernière regroupe plus de 50 Etats. Initialement, son objectif était de protéger les lieux saints mais peu à peu elle parvient à accélérer la diffusion d’une lecture rigoriste du Coran notamment à travers l’Assemblée mondiale de la jeunesse musulmane (pendant des rencontres catholiques). L’adhésion à cet multinationale de l’islamisme est facilitée par l’octroi de prêts et d’aide publique au développement ; le Sahel est aujourd’hui son principal champ d’action.

Le pèlerinage à la Mecque est devenu depuis quelques décennies un événement mondial (surtout lorsqu’il s’y produit des heurts, comme en 1979, 1987 ou 2015) tout en s’inscrivant dans une sorte de tourisme religieux de masse. Il cristallise aussi l’opposition entre l’Iran chiite qui dispute aux sunnites saoudiens le leadership musulman. Plus étonnant, s’emparant du juridisme occidental, les Saoudiens souhaitent par ailleurs promouvoir une version islamique des droits de l’Homme !

Un islamisme mondialisé

L’islamisme s’est considérablement développé depuis les années 1970 et 1980 grâce à l’Iran (choc de 1979), à l’Arabie saoudite et au Qatar essentiellement. Les vecteurs peuvent être les travailleurs immigrés du Golfe persique qui importent des modes de pensée et des pratiques étrangers à leur pays d’origine (pays du Maghreb avec les « Afghans »[8], Indonésie, Malaisie, Syrie, Jordanie par ex). Ce peut être aussi les médias écoutés dans le monde musulman (prêches en direct de la Mecque, télé-imams sur Internet, Al Jazeera). Il participe ainsi à la salafisation du sunnisme dans les Etats occidentaux. Cela passe aussi par l’exportation de corans et le soutien financier permis par les recettes pétrolières. L’islamisme a contribué à la djihadisation de certains conflits (en Palestine par ex ou en Syrie) alors que pendant longtemps les courants panarabes et laïques se donnaient comme missions de se rapprocher le plus possible des standards occidentaux.

Mis en perspective avec la mondialisation,  l’islamisme est moins « une reformulation du religieux » ou « d’un retour à des pratiques ancestrales délaissées pendant la parenthèse de la sécularisation » (O.Roy) qu’un réveil de forces idéologiques longtemps réprimées que des régimes partagés entre l’Est et l’Ouest durant la Guerre froide avaient mis sous le couvercle. La fin du conflit entre les deux Grands a désinhibé ces courants qui organisent, ici et là, un « terrorisme en rhizomes » (G.Kepel) à l’échelle mondiale.

D’autres religions inscrivent plus discrètement leur action dans le cadre de la mondialisation et les liens ci-dessous permettent de les envisager sous cet angle.

https://www.cairn.info/revue-herodote-2002-3-page-17.htm

https://www.franceculture.fr/religion-et-spiritualite/en-inde-les-musulmans-cibles-du-supremacisme-hindou

https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2011/03/Probl%C3%A8me-BOUDDHISME-ET-POLITIQUE-EN-BIRMANIE-LE-CLUB-DU-MILLENAIRE.pdf

 

Mondialisation et démographie

Il s’agit ici d’associer la mondialisation aux grandes évolutions démographiques. Il y avait 750 millions d’habitants sur Terre en 1750, 1.6  milliards en 1900, 6 milliards en 2000, 7,5 milliards en 2020 et, selon les projections moyennes de l’ONU, il y en aura 8.3 milliards en 2030. Le peuplement de la Terre est un des éléments de la mondialisation. Cette croissance doit être associée à la convergence des comportements démographiques ; baisse de la mortalité, hausse de l’espérance de vie, réduction de la natalité et de la fécondité pour atteindre le modèle de la famille nucléaire avec deux enfants. La transition démographique entamée par des pays développés depuis le XIXe siècle gagne ainsi les PVD après 1945. Cette dernière évolution est à mettre sur le compte des politiques étatiques de limitation des naissances et des actions du PNUD afin d’alléger la charge démographique dans les pays les plus pauvres.

C’est la mondialisation des flux migratoires qui mettent en mouvement chaque année des millions d’individus (2 à 3 % des habitants). Du XIXe siècle jusqu’en 1914, les Européens migrent massivement vers l’Amérique du nord, l’Australie, Nouvelle-Zélande avant d’être relayés après 1945 par les pays décolonisés. A la fin du XXe siècle, les flux migratoires s’accélèrent, alimentés qu’ils sont par les écarts de richesse, les crises et les conflits. La circulation de l’information stimule aussi l’exode. Se développe alors un système migratoire complexe qui rend schéma des années 1950 de moins en moins pertinent. C’est un mouvement inédit de population qui se met en place car il concerne sur des continents entiers ou des Etats très peuplés (Inde, Chine). Certains flux sont liés à la proximité géographique, comme les migrations entre le Mexique et les Etats-Unis, d’autres portent la marque de l’Histoire, comme ceux qui relient les anciens pays colonisés aux anciennes métropoles. 40 % seulement des migrations mondiales se font du Sud vers le Nord : les flux du Sud vers le Sud, moins connus et souvent régionaux, ont une importance croissante (57 %). Pour rendre compte de la mondialisation de ces flux, il suffit de comptabiliser les migrants : environ 230 M de migrants[9] en 2019 (+ 57 M par rapport à 2000), soit moins de 3 % de la population mondiale. Ces migrations sont aussi causées par les conflits que fuient les populations (Congo ou Soudan depuis 1990, Syrie depuis 2011, Afghanistan depuis 2001). Elles participent indirectement à la globalisation financière en raison des transferts d’argent vers le pays d’origine, montants évalués à plus de 460 milliards de dollars en 2019.

Les migrations font l’objet d’une esquisse de gouvernance mondiale qui a suscité de vives polémiques dans les pays occidentaux. En décembre 2018 en effet, le Pacte de Marrakech (ou Pacte mondial sur les migrations) est approuvé par l’Assemblée générale de l’ONU (les Etats-Unis, l’Australie, l’Autriche et la Hongrie ne l’ont pas signé). Le texte défend des migrations « sûres, ordonnées et régulières ». Non contraignant, il est en principe respectueux de la souveraineté des Etats, mais il peut faire jurisprudence et obliger un jour les Etats à le respecter d’autant qu’il comporte un certain nombre de prescriptions concernant l’accueil, l’assistance, la protection des migrants. Puisqu’il y a une gouvernance (certes bancales) des réfugiés, pourquoi ne pas instaurer une gouvernance des migrations qui en amont pourrait faciliter la première.

Il faut aussi s’intéresser aux rapports entre la mondialisation et la ville : la planète connaît depuis 1945 une urbanisation généralisée.  Des modèles urbains mondiaux copiés du modèle américain se diffusent : centre d’affaires avec ses tours de verre et ses chaînes de magasins, ses taches pavillonnaires en périphérie ainsi que ses réseaux routiers, autoroutiers car partout l’automobile est reine jalonnés par des équipements lourds (aéroports, gares, hôpitaux, campus zones industrielles, etc). Partout dans les pays pauvres, le bidonville tend à être régularisé ou détruit pour laisser place aux spéculateurs (cas de Mumbaï). Le triomphe du modèle libéral exige des villes attractives et rentables, ce qui nourrit un marketing territorial généralisé et une passion sans bornes pour le ranking. Comme les entreprises, les villes doivent être « compétitives » pour « jouer un rôle » dans la mondialisation et pour cela vendre leurs ressources quelles qu’elles soient. Cela passe par la mise en avant d’atouts susceptibles d’attirer IDE et touristes, comme un hub aéroportuaire, un cœur hyper-connecté, des infrastructures hôtelières de haut niveau, des universités branchées. Ce challenge renforce la métropolisation consommatrice d’espace et d’énergie en réaction de laquelle aujourd’hui leurs édiles promeuvent la « smart city », à savoir la ville connectée et durable à la fois (donc paradoxalement dotée de data-centers très consommateurs d’énergie), si possible sans voiture ou du moins bénéficiant de la « circulation douce » ; en somme une ville-vitrine qui multiplie les « événements urbains » pour une population de classes moyennes supérieures et sait se synchroniser avec les autres villes de même rang pour le feu d’artifices de la nouvelle année. La « ville globale » est née qui entretient avec son hinterworld des liens étroits, l’interconnexion haut débit faisant croire à une réduction drastique de l’espace-temps. Les circulations inter-métropolitaines opposent alors (peut-être de façon caricaturale) la mobilité des « anywheres », groupe social mondialisé et l’immobilité supposée des « somewheres » (David Goodhart), enracinés dans des territoires périphériques aux métropoles.

La métropolisation, processus mondialisé, reconfigure le capitalisme, mais il ne faudrait pas non plus exalter la « ville globale », comme un modèle,  en ignorant le tissu qui la compose, qui n’est pas seulement celui de la creative class  (concept fumeux) mais aussi des soutiers de la mondialisation qui habitent le Queens ou la Seine saint Denis, et les quartiers moins favorisés plus généralement.

C’est aussi la « ville verte », ou verdie plutôt, avec ces murs végétalisés ou ses jardins partagés (bio si possible) qui tend à s’imposer au Nord comme au Sud. Ce verdissement, bien vendu dans la quasi totalité des magazines municipaux, répond aux prescription d’une pensée néo-écologiste qui défend de fantasmatiques « véhicules propres » et la production d’espaces immaculés, vierges d’unités de production (donc forcément polluantes) – espaces pourtant indispensables pour financer ce nouveau cycle dans l’histoire de l’humanité. Ces convergences sont à mettre en relation avec le processus de gentrification qui touche la quasi totalité des grands organismes urbains aujourd’hui. Un parallélisme frappant réunit pensée écologiste et gentrification comme le montrent les dernières élections municipales en France. Il faudra quelques semaines avant de disposer d’une étude sur la « vague verte »  et la composition de l’électorat concerné et en montrer les corrélations.

Enfin, la « planète des bidonvilles » (expression militante et question surinvestie dans les classes) de Mike Davis est aussi un produit dérivé de la mondialisation sans que celle-ci n’en porte la totale responsabilité. Ce dernier angle d’approche laisse peu à peu la place à la planète des quartiers fermés et sécurisés pour des classes moyennes mondialisées ainsi qu’à l’habitat populaire majoritaire. Enfin, on peut relier les bidonvilles à la mondialisation des inégalités sociales (François Bourguignon).

 

« L’urgence climatique », une urgence mise en mondialisation

Un dernier volet pourrait être consacré à la mondialisation des enjeux environnementaux. L’année 2019 a vu le syntagme « urgence climatique » triompher des plateaux de JT aux cercles les plus officiels et influencer beaucoup d’entreprises investies dans le greenwashing, y compris les plus mal placées (Total par ex). Oubliée l’urgence sociale, à moins que celle-ci soit résolue par la première ? Les porte-voix de cette incantation estiment que la mondialisation est une menace pour la préservation de l’environnement et même pour la pérennité de la civilisation.

  • Les dates à retenir

 1988 : mise en place du GIEC

1992 : Sommet de la Terre de Rio

2000 : fixation des OMD à l’ONU

2015 : reconduction des OMD sous forme d’ODD pour 2030

Naissance d’une gouvernance multilatérale avec la COP 21 (Paris, 2015). Les Etats participants promettent d’harmoniser le contenu et le calendrier des échéances à la COP 24 en 2018 (Katowice, Pologne). Parallèlement le principe du «dialogue Talanoa » est établi à Bonn en 2017. La dernière COP (COP 25, réunie à Madrid (2019) se déroule sur fond d’angoisse climatique  et d’exaltation d’une égérie mondiale, Greta Thunberg.

L’urgence climatique donne prétexte à des courants  très anciens pour renaître. L’occurrence du mot « collaps » ou « collapsologues » (de collaposus = en latin, qui est tombé d’un seul bloc- logos = discours) croît sur le web. La mondialisation cet enjeu représente une manne de notoriété pour les militants d’une démondialisation accélérée (interdiction des voyages en avion, de la consommation de viande, de la reproduction humaine même parfois).

Le courant en France s’inscrit dans un mouvement plus vaste et touchant d’abord les pays riches qui doivent de manière absurde se repentir des « erreurs passées » en dénonçant la « civilisation thermo-industrielle » - absurde car c’est bien plus d’un siècle de développement industriel et d’échanges de tous ordres qui ont permis de réduire la mortalité, de se soigner, de se nourrir et aujourd’hui de lancer des politiques de protection des milieux.

En 2019, Tim Lenton (Exeter University) dans la revue Nature démontre que « l’irréparable » est franchi, et que le réchauffement climatique est devenu incontrôlable, en soulignant les perturbations qui touchent le Gulf Stream, la fonte du permafrost relâchant des gigatonnes de CO2, les effets des incendies des forêts boréales etc. Il n’y aurait plus de régulateur. Tablant sur une hausse des températures de 3 à 4°C d’ici 2100, une « menace existentielle pour la civilisation » serait en train de naître. La collapsologie a désormais son prophète et sa pythie scandinave. En quelques années, la collapsologie est devenu un courant influent à l’échelle mondiale. Sans que nous ne nions les menaces qui pèsent sur la biodiversité (en Europe 50 % des oiseaux auraient disparu en 30 ans), cette idéologie va plus loin que le raisonnable rapport Meadows au Club de Rome qui ne disait rien de la disparition des espèces.

L’influence de cette « science de l’effondrement » (qui n’a parfois rien de scientifique) pose plusieurs questions : une question économique et sociale (La sobriété défendue implique-t-elle des cures d’austérité, des privations, même au prix de menaces sur les emplois ?), une question géopolitique (Comment ne pas être injuste avec les Etats qui ont encore besoin de consommer des énergies carbonées avant de se lancer dans la transition écologique ?), une question gouvernance mondiale (Quelle instance est capable de créer un consensus mondial autour de la question du réchauffement climatique ?), une question politique (Comment faire accepter par tous les Etats et toutes les sociétés la doxa environnementaliste ? User de l’assistance ou de la contrainte ?). Observant le progrès de l’humanité de manière critique, cette dernière n’a-t-elle pas pour caractéristique d’agir contre-nature ?

La collapsologie n’est pas étrangère à l’idée d’anthropocène introduite par Paul Josef Crutzen  en 2000 qui attaque le rapport nature/culture pour repenser le rapport à la Terre ; une Terre qui ne serait pas un espace passif, mais une Gaïa à défendre. Les plus réfractaires à cette idée estiment que la personnification de la Terre rend compte d’un recul anthropologique, qui nous ramènerait à une sorte de paganisme primitif fondé sur le culte de la nature, mais que reste-t-il de la « nature » ?  Toutes ces questions sont à replacer dans le cadre de la mondialisation et du débat sur les responsabilités individuelles et collectives sur une Terre partagée.

Ces enjeux cruciaux peuvent favoriser la mise en place d’un droit international de l’environnement (avec ses tribunaux, son néologisme « écocide ») d’après certains juristes. C’est ce que semble dire le juriste Luca d'Ambrosio : « Le droit a rendu possible l'anthropocène en distinguant radicalement le sujet tout puissant et son environnement ; d'où le défi de repenser un droit qui est devenu hostile maintenant à l'espèce humaine elle-même ». Mais pour le moment les Etats ne sont prêts à renoncer leur droit à exploiter les ressources et « l'humanité semble incapable d'influencer sa propre destinée et le droit participe de cette incapacité » (la juriste Mireille Delmas Marty).

 

 

[1] Nous ferons ici l’économie du mot « glocalisation » qui n’a guère de sens.

 

[2] « Globalization is proceeding in a world characterized by cooperative and antagonistic relations between states and regional organi »zations of states which, despite growing pressure to comply with the norms of global governance, continue to compete for resources and regional dominance », in Globalization and Capitalist Geopolitics: Sovereignty and State Power in a Multipolar World, 2015.

 

[3] A.Sauvy l’écrit sans tirets et avec des majuscules

[4] « La diversité culturelle, nouvelle frontière de la mondialisation ? » Revue internationale et stratégique, 2008/3 (n° 71), pages 57 à 64 (en ligne https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2008-3-page-57.htm)

 

 

[5] P.Veltz estime que le secteur secondaire concerne 5 % environ de la pop. active à l’échelle mondiale.

[8] Constitution du GIA en 1992. Londonistan en Angleterre avec le bulletin Al Ansar. Bosnie avec Al Hidaje (Hidaya = « guidance vers l’islam »)

[9] Un mot poisseux qui fait croire que des individus sont voués à une migration perpétuelle.

Tensions croissantes dans la région indo-pacifique

Le 21 juillet le Secrétaire d'Etat à la Défense, Mark T. Esper, s'est exprimé avec force pour l'International Institute for Strategic Studies contre les offensives de la Chine en mer de Chine méridionale (récemment destruction d'un bateau de pêche vietnamien, arraisonnement d'un pétrolier malaisien, escorte armée de bateaux de pêche chinois dans les eaux indonésiennes). La zone est stratégique pour les Etats-Unis qui y maintiennent plus de 50 % de leurs troupes à l'étranger et la sécurisation de leurs alliés est devenue une priorité. Le discours insiste sur les efforts à faire en matière de défense (5G, armes hypersoniques, intelligence artificielle) et promet un effort gigantesque en matière de défense maritime (on rappelle ici que le dernier porte-avions nucléaire de classe G.Ford doit être mis à l'eau d'ici la fin de l'année 2020). Cet effort militaire passe également par le resserrement des liens entre Washington et ses alliés de la région, alors que la Chine peine à y étendre son cercle de pays amis. Ici, les Philippines semblent être au coeur de la stratégie américaine, suivies par les autres Etats où l'US Navy a des bases (Japon, Thaïlande, Corée du Sud, Taïwan etc.). M.Esper envisage par ailleurs un renforcement des liens avec le Timor oriental (déjà partenaire de la marine australienne) et Taipei n'exclut pas à court terme l'ancrage de bâtiments de guerre américains. L'Inde est aussi courtisée par la puissance américaine et c'est avec acuité que les relations indo-chinoises sont observées par le DOD. Enfin, tout en rappelant comment Pékin bafoue les accords sur Hong-Kong, le secrétaire d'Etat américain en appelle au respect de lois internationales et à la résolution pacifique des conflits. Pour conclure, M.Esper dénonce la volonté de la Chine de se constituer un "empire maritime" en transformant cet espace en "zone d'exclusion" et la tonalité de ce discours risque de reporter encore un peu plus loin dans le temps une éventuelle rencontre avec son homologue chinois. Dans tous les cas, la militarisation de la mer de Chine se poursuit. 

La vidéo sur le site du DOD

La transcription est disponible sur le site de l'ISS.

Préparer sa rentrée en ECS 1ère année

Histoire-géographie-géopolitique en première année

 

Pour bien préparer sa entrée, les cours de lycée et les manuels du secondaire sont toujours très utiles pour reprendre les bases. Ces connaissances s’appuient sur une bonne culture générale (savoir dater la prise de Constantinople, définir une montagne, connaître un auteur, calculer un %, caractériser climat, etc.), ainsi qu’un bon niveau d’expression orale et écrite. Tous les concours comportent une épreuve de composition d’une durée de 4 heures.

Une bonne connaissance de la chronologie du XXe siècle et du début du XXIe siècle est attendue à quoi s’ajoute la maîtrise des repères spatiaux (planisphère des Etats, des métropoles, des mers et océans, des formes de relief etc.).

Les concours des Grandes écoles portent sur le programme des deux années, chacune étant divisée en deux modules :

  • Modules de 1ère année

 Module I. Les grandes mutations du monde au XXe siècle (de 1913 au début des années 1990)

Module II. La mondialisation contemporaine : rapports de force et enjeux

  • Modules de 2ème année

Module III. Géodynamique continentale de l’Europe, de l’Afrique, du Proche et du Moyen-            Orient

Module IV. Géodynamique continentale de l’Amérique et de l’Asie

  En première année, les étudiants se familiarisent avec les publications spécialisées.

Instruments de travail :

Les deux volumes de Nathan constituent le socle à partir duquel vous pourrez mieux vous repérer et préparer colles et DS.

Vol 1. Les grandes mutations du monde du XXe siècle

Vol 2. La mondialisation contemporaine. Rapports de force et enjeux.

Olivier NAY, Lexique de science politique, 4ème édition, 2017

Julian FERNANDEZ, Relations internationales, Dalloz, 2ème édition, 2019

Pierre BUHLER La puissance au XXIe siècle, Paris, CNRS, 2014, 613 p.

Raul MAGNI-BERTON, Sophie PANEL, Le choix des armes, Paris, Presses de Sc.Po, 2020

Les volumes sur l’histoire du XXe siècle de S.BERSTEIN et P.MILZA, ainsi que les ouvrages de G.H SOUTOU.

Régulièrement  des revues vendues en kiosque paraissent, qui croisent les questions du programme officiel : Diplomatie, Carto, Conflits.

La presse est un outil indispensable pour se tenir au courant de l’actualité ; aucune restriction sur les titres (Courrier international, Le Parisien, Le Monde, Le Figaro, Ouest-France, Le Point etc.) à quoi s’ajoute la presse internationale. Il faut également suivre quelques émissions radio (Cultures Monde, Enjeux internationaux, Répliques sur France Culture), TV (Arte Info, Dessous des cartes, France 24 etc.) - le podcast est ici très pratique ainsi que les fils Rss, les lettres d’actualité (newsletters).

Le CDI propose des ressources nombreuses (dont de la presse gratuite en ligne.

Enfin, il faut se familiariser avec sites spécialisés :

Diploweb : https://www.diploweb.com/

Géoconfluences : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/

Ecole de pensée sur la guerre économique : http://www.epge.fr/

Observatoire des multinationales : https://multinationales.org/

INSEE : https://www.insee.fr/fr/accueil

Observatoire des inégalités : https://www.inegalites.fr/

Hypergéo : https://hypergeo.eu/

Atlas : https://espace-mondial-atlas.sciencespo.fr/fr/index.html

Pour approfondir le cours et préparer les khôlles, des moteurs de recherche sont disponibles comme :

CAIRN (articles gratuits et payants) : https://www.cairn.info/

Persée (articles gratuits) : https://www.persee.fr/

Openbooks : https://books.openedition.org/

Pour vérifier les sens d’un mot, un usage :

Trésor de la langue française : http://atilf.atilf.fr/

Enfin, ne négliger pas la littérature et de la philosophie du XXe siècle en lisant quelques                            auteurs comme G.Orwell, A.Koestler, S.Zweig, H.Arendt, R.Aron, J.Steinbeck, A.Camus,                           V.Grossman, Ph.Roth, R.Gary etc.

 

LES SUJETS DES CONCOURS

 

Année 2020

Essec : le bassin méditerranéen : un espace de crises et de rivalités internationales depuis la fin de la Guerre froide

ESCP/HEC : la France dans la recomposition des puissances dominantes

GEM Grenoble : la Chine est-elle un colosse aux pieds d'argile ?

Ecricome sujet 1 : l’influence de la France en Europe : héritages et mutations contemporaines

Ecricome sujet 2 : la recherche et les nouvelles technologies introduisent-elles de nouveaux rapports de force mondiaux ?

Commentaire de carte : l’espace, nouveau territoire de la puissance ?

Année 2019

Essec : la puissance chinoise en Asie orientale

ESCP/ HEC : les matières premières dans les stratégies de puissance des Etats

GEM (Grenoble): le multilatéralisme est-il menacé ?

Ecricome sujet 1: la Chine installe-t-elle un nouvel ordre mondial ?

Ecricome sujet 2 : les Etats-Unis et l'Union européenne dans le nouvel ordre économique et géopolitique mondial; la fin de l'Occident ?

Commentaire de carte ; les routes de la soie : de nouvelles voies impériales ?

Année 2018

ESSEC : la construction européenne confrontée à la question de la nation (1951-2018)

ESCP/HEC : Etats-Unis et Chine : rivalités de pouvoir et d'influence + croquis

Ecricome :

Sujet 1 ; le dérèglement climatique : une nouvelle donne majeure pour l’économie mondiale et les relations internationales
Sujet 2 ; la Russie : menace ou partenaire pour l'Union européenne

Commentaire de carte ; le hard-power russe : un retour ?

Année 2017

ESSEC : le développement de l’Afrique à l’épreuve de la guerre (des années 1960 à nos jours)

 ESCP/HEC : l’Union européenne face aux effets déstabilisateurs de la mondialisation

Ecricome :

Sujet 1 ; les guerres d’aujourd’hui sont-elles les guerres d’hier ?

       Sujet 2 ; au regard des évolutions de la société américaine depuis les années 1980, y-a-t-il   encore  une place pour un modèle et un rêve américains

Commentaire de carte : les conflits d’aujourd’hui: des conflits civilisationnels ?

Année 2016

ESSEC : la construction européenne face aux défis de la Méditerranée et du monde méditerranéen (1957-2016)

ESCP/HEC : influences et ingérences étrangères au Proche et Moyen-Orient

Ecricome :

Sujet 1 ; l’internationalisation puis la mondialisation depuis les années 1950 ont-elles permis la réduction des inégalités ?

Sujet 2 ; le Moyen Orient depuis les années 1990, vers un nouvel ordre régional ?

Commentaire de carte : une Guerre Froide saoudo-iranienne au Moyen Orient ?

Année 2015

ESSEC : nourrir la planète : exigences paradoxales et nouvelle “géopolitique de la faim” (de la chute du mur de Berlin à nos jours) - carte obligatoire.
ESCP/HEC : les espaces maritimes, objet de tensions et de conflits entre les États.

ECRICOME :

• Sujet 1 : un monde sans frontières : une utopie dépassée ? + Commentaire de carte : Encore plus de murs dans un monde sans frontières ? 

• Sujet 2 : l’Asie de l’Est : nouveau centre géopolitique et économique (...).

Commentaire de carte : encore plus de murs dans un monde sans frontières ?

 

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