L’Intelligence artificielle est, depuis quelques années, un enjeu stratégique majeur. Elle est capable de transformer le champ de bataille et de donner à la puissance qui la maîtrise un atout majeur.

 

L’usage de technologies avancées n’est pas nouveau dans le domaine de la guerre. Il suffit de se reporter aux machines de siège du Moyen Âge ou aux instruments électroniques utilisés durant la Seconde Guerre mondiale. Un pas important a été franchi lors de l’opération Tempête du désert en 1991 avec l’irruption d’avions furtifs, de GPS satellitaires, de missiles guidés.

Mais l’IA a une portée bien plus grande dans le sens où elle transforme tous les aspects du champ de bataille : informations, gestion des ressources, règles d’engagement, traitement des territoires conquis etc. Elle englobe un ensemble bien plus vaste que la seule frappe.

Le secrétaire d’Etat à la Défense Mark Esper a bien compris l’intérêt de développer ce champ de recherche comme le président russe Vladimir Poutine qui a déclaré cette semaine que la nation à la pointe de l’IA sera la puissance dirigeante du monde. Les Russes ont déjà utilisé une combinaison sophistiquée et bien coordonnée de véhicules aériens sans pilote, de cyber-attaques et de barrages d'artillerie pour infliger de graves dommages aux forces ukrainiennes et la vente récente d’un des missiles les plus performants du monde, le S400, à la Turquie a de quoi inquiéter Washington.

Moscou a élaboré un vaste programme de R&D dans le domaine des systèmes autonomes basés sur l'IA, tant en ce qui concerne les véhicules terrestres, les avions, les sous-marins nucléaires et même le commandement et le contrôle. Derrière la Russie se positionne la Chine qui a pour objectif de devenir le leader mondial de l'IA d’ici dix ans, y compris en glanant ici ou là des données, y compris à travers leurs étudiants dans les grandes universités scientifiques américaines, ce que NBC appelle des « soft targets ».

L'Armée populaire considère l'IA comme une technologie capable de mouvoir des véhicules et des systèmes d’armes autonomes à long rayon d'action et à faible coût pour contrer la projection de puissance conventionnelle de des Américains. Actuellement, les fabricants d'armes chinois vendent des drones autonomes qu'ils prétendent pouvoir mener des frappes ciblées Les drones furtifs constituant une étape cruciale dans cette marche vers la puissance militaire.

Mark Esper s’en ait pris à l’État de surveillance du XXIe que Pékin a mis en place pour  «  exercer un contrôle sans précédent sur son propre peuple. Car au-delà de l’usage militaire, l’IA trouve aussi son utilité dans la surveillance des populations ; le machine learning au service du pouvoir politique donc. Côté américain, on se réclame au contraire  de la tradition démocratique et de la Constitution de 1787 pour mettre en avant un usage « démocratique » de l’IA. C’est assez surprenant puisque la surveillance généralisée, tant qu’elle n’est pas approuvée par les intéressés, est plutôt synonyme d’entorse à la liberté et même à l’éthique.

A la pointe des recherches sur l’IA se trouve la DARPA (Agence des projets de recherche avancée du Pentagone). Le colloque qui s’est déroulé en 2019  à Alexandria en Virginie, a produit un certain nombre de pistes susceptibles d’orienter les recherches de toutes les entreprises liées aux complexes militaro-industriels.

Pour l’un de ses chercheurs, le Docteur J.Zhou, la quantité de calcul nécessaire pour former les plus grands systèmes d'IA a été multipliée par dix chaque année. Alors que les progrès de l'IA commencent à avoir un impact profond sur les processus informatiques numériques, les compromis entre la capacité de calcul, les ressources et la taille, le poids et la consommation d'énergie (SWaP) deviendront de plus en plus critiques dans un avenir proche.

Un monde assez inexploré s’ouvre aux décideurs militaires ; le cerveau humain. Les architectures neuromorphiques/neurales d'imiter la façon dont la nature (donc l’homme) calcule et fait des choix. Demain, les interactions entre le cerveau humain et son environnement (guerre, pandémie etc.) pourront être placées dans des bio-systèmes, comme les insectes miniatures. Des prototypes de modèles de calcul pourraient être cartographiés sur du matériel approprié pour « augmenter » les capacités du soldat ou de robots. L'objectif de la DARPA est de comprendre ces principes de calcul, l'architecture et les détails neuronaux de petits bio-systèmes qui sont régis par des besoins SWaP extrêmes dans la nature.

Un monde dystopique est en train de disparaître, ce qui met fin à toute science fiction (nous ne sommes plus très loin de la trilogie Terminator) même si la Darpa promet que tout ceci ira dans le sens du progrès humain et de l’amélioration des conditions de vie sur Terre (alimentation, santé etc.). Financée à hauteur de 3 milliards par an environ, la Darpa détermine en réalité le cap à suivre par le Pentagone, qui souhaite toujours depuis la Guerre froide avoir une longueur d’avance sur son principal adversaire. La guerre du futur est dans les cartons et préparée en sous-main par les géants de l’électronique et du web (GAFAM en particulier). Muet sur ses recherches en matière de génie génétique (créer des cellules), le DARPA, en centrant ses recherches sur le cerveau humain, est-il en train de préfigurer le « soldat de demain », infatigable et programmable, indolent et polyvalent et dont le sacrifice ne serait qu’une question de simple coût financier ? Depuis les années 2000, il travaille déjà sur la Brain Machine Interface (BMI), Elon Musk n’étant pas loin, pour permettre la connexion entre le cerveau et la machine grâce à des nano-transmetteurs. L’homme-machine, avenir des armées, ne semble pas si loin d’autant que ce programme N3 (Next-Generation Nonsurgical Neurotechnology) reçoit des fonds de plus en plus importants et le soutien de grandes universités (Carnegie Mellon University, John Hopkins etc.). Ceci pose évidemment des questions éthiques, dont doivent s’emparer les élus américains. On a affaire à une militarisation de la biologie et de la génétique qui, demain, peut produire des dérives inquiétantes d’autant que le multilatéralisme qui aurait pu générer un traité international sur l’usage du génome et des cellules humaines, n’est pas pour demain.